Chapitre 36 : La Libération du démon (1)
Pendant que les trois adolescents étaient en train de faire leurs devoirs dans la chambre de Kijin, Aisu retrouva Kishin Akuma assis sur la terrasse du jardin. Les mains posées à plat sur le bois, le regard pensif, il semblait en pleine méditation.
L'écrivain sortit du salon et s'installa à ses côtés. Lorsque son épaule frôla la sienne, Kishin ne put s'empêcher de frissonner. Le parfum de cette femme, si différente de celles qu'il fréquentait au Manoir Akuma, le troublait plus que de raison. Aisu perçut sa gêne et en fut flattée. Malgré sa timidité, Kishin était plutôt joli garçon et cela l'amusait de savoir qu'elle lui plaisait !
Elle fut la première à prendre la parole :
— Nous avons droit à un magnifique coucher de soleil, murmura-t-elle tout en repliant ses genoux sous son menton.
La beauté du paysage ne semblait guère intéresser l'aîné des Akuma. Son visage se figea encore davantage et il se tourna vers la maudite.
— À propos Aisu, Kijin vous a-t-il parlé de notre famille ?
— Il n'y fait jamais allusion, et c'est bien dommage !
— Aisu, je vous remercie de m'héberger cette nuit.
La jeune femme lui adressa un sourire charmeur :
— Le problème est que je ne sais pas où vous faire dormir... Accepteriez-vous de partager ma modeste mais néanmoins agréable couche ?
L'aîné des Akuma ne put réprimer ses joues de s'empourprer. Il n'y connaissait rien aux femmes ! Ces créatures-là étaient décidément bien étranges et surtout bien plus coriaces et démoniaques que les esprits malfaisants qu'il combattait habituellement !
— Mademoiselle Aisu, reprit-il en essayant de retrouver un ton assuré, Kijin et moi nous partirons demain dès l'aube. Des adieux seraient inutiles et compliqueraient sérieusement les choses. Kijin a eu tort de s'attacher à vos cousines et je m'excuse au nom de tous les Akuma, de sa venue parmi vous.
Le regard d'Aisu se voila de tristesse.
— Vous savez, Kijin n'a rien d'un fardeau, au contraire, grâce à lui, les filles ont retrouvé le sourire. J'ignore tout du passé de Kijin, mais sachez que c'est un garçon bien et que son départ nous causera beaucoup de chagrin.
Kishin lui coula un regard stupéfait.
— Vous et Kijin êtes devenus proches !? Mais comment cela peut-il être possible !? Je ne comprends pas !
— Cela semble vous étonner. Si votre famille n'accepte pas Kijin, pourquoi ne pas nous le laisser ?
— C'est impossible, c'est contraire à nos règles...
— Quelles règles !? s'écria Aisu en relevant la tête. Quel est donc ce secret qui ronge votre famille et qui empêche Kijin de vivre comme n'importe quel adolescent normal !?
— Vous ne pouvez comprendre...
— Dites toujours!
Kishin la scruta du regard. Pouvait-il réellement faire confiance à cette inconnue ? Il décida que oui, car celle-ci semblait tenir à Kijin et ne paraissait souhaiter qu'une chose: son bonheur. Chose que lui, son propre frère, ne lui avait jamais souhaité.
— Notre famille est maudite, révéla Kishin d'un ton sinistre.
— Et c'est tout !? s'exclama l'écrivain dans un petit sourire mi-moqueur, mi-inquiet. Rassurez-vous, les Kamiaku s'y connaissent en malédiction ancestrale !
Kishin la fixait à présent d'un regard ébahi. Aisu s'empressa de le rassurer par un petit signe de main des plus désinvoltes :
— Notre malédiction est plutôt facile à vivre. Douze membres de notre famille, dont moi-même, Juuki et Mizu, sont possédés par un kami et dès que nous sommes soumis à une violente émotion, les pouvoirs de notre esprit se déchaînent. Pour tout vous avouer, j'ignore tout de l'origine de notre malédiction, et la vôtre ?
— Elle ne concerne malheureusement qu'un membre de notre sang. Il y a des siècles de cela, un de nos ancêtres a fait un pacte avec un puissant démon : Majinai. En échange de la prospérité et de la puissance éternelles de notre clan, il a accepté d'abriter l'âme de ce démon chassé du royaume divin. Depuis ce pacte, un Akuma naît possédé par Majinai. Et celui qui aujourd'hui dissimule l'âme du démon n'est autre que...
— Kijin, devina Aisu.
L'aîné des Akuma acquiesça.
— Le démon qui vit en lui est déchu mais possède encore d'immenses pouvoirs. Depuis des générations, les hommes de notre clan apprennent l'art de l'exorcisme pour contrôler cette force démoniaque et la tenir à l'écart de l'humanité. Lorsque Kijin est né, il s'est passé une chose étrange : il semblerait que les pouvoirs de Majinai se soient décuplés et sa force est devenue considérable. Plus Kijin grandissait, plus il devenait incontrôlable. Pour les Anciens, Nous n'avons plus le choix, sa fuite prouve, selon eux, qu'il est devenu un danger, nous devons l'exterminer.
Aisu écarquilla les yeux de stupeur.
— Vous voulez dire que Kijin doit mourir !?
— C'est la décision que les hommes du clan ont pris à son encontre.
— C'est une décision inhumaine ! Certes, Kijin s'est enfui mais ce n'est tout de même pas un acte répréhensible ! Ce n'est pas un criminel !
— Si, laissa tomber Kishin, il a tué le chef de notre clan, notre père.
— Non, pas Kijin ! s'écria-t-elle, visiblement choquée par une telle révélation. Vous mentez ! Kijin n'a rien d'un assassin !
La jeune femme se leva d'un bond, Kishin la saisit par le poignet et l'obligea à lui faire face.
— C'est pourtant la vérité, mademoiselle Aisu. Vous ignorez tout de Kijin. Après avoir tué notre père, il s'est enfui du Manoir. Je ne sais pas ce qu'il l'a poussé à commettre un tel acte, mais il est de mon devoir de protéger le monde de Majinai.
Kishin secoua la tête pour échapper à l'image du cadavre de son père. C'était lui, qui le lendemain avait découvert le corps sans vie de Ryuji Akuma. Un corps... et encore le mot était bien faible ! Le chef des Akuma n'était rien d'autre qu'un amas de lambeaux de chairs, d'os et de sang. Ses membres démantibulés, déchiquetés par des griffes acérées, s'éparpillaient à chaque recoin de la pièce, comme si on avait procédé à un rituel sacrificiel. La cellule qui abritait Kijin du regard extérieur était entièrement maculée de rouge. Jamais le jeune exorciste ne pourrait oublier cette vision d'horreur et surtout, cette odeur nauséabonde, cette odeur de mort qui s'était infiltrée dans les murs de la chambre maudite...
— Vous tenez à Kijin, n'est-ce pas ? demanda Kishin tout en resserrant ses doigts autour du poignet d'Aisu.
— Comme à un membre de ma famille et même davantage, avoua Aisu, étonnée par cette question.
— J'ai bien réfléchi à tout cela au cours de mon voyage. Mon père a traité Kijin en humain, ce n'était pas son fils qu'il haïssait mais le démon. Depuis des années, mon père tentait de trouver un sortilège capable de délivrer Kijin de l'emprise de Majinai...
— Où voulez-vous en venir !?
— Je crois que Kijin mérite une seconde chance, mais je veux en être totalement sûr, alors pour cela, j'aurais besoin de votre aide et de celle de vos deux cousines.
— On peut dire que vous êtes un homme étonnant, Kishin Akuma. Il y a cinq minutes, vous parliez encore de le tuer et là, vous désirez le sauver !
— Pas plus stupéfiant que vous, mademoiselle Aisu. Kijin est avant tout un être humain. S'il est capable de maîtriser le démon, l'unique responsable de ce meurtre atroce, alors j'accepterais de lui laisser la vie sauve. À une seule condition.
— Laquelle ?
— Que vous, Mizu et Juuki acceptiez Majinai. Après tout, tant je n'aurais pas trouvé la solution pour mettre fin à cette malédiction, il fera partie de lui. Dans le cas contraire, si vous refusez Majinai, je n'insisterais pas davantage et je ramènerais Kijin au Manoir afin qu'il y soit exécuté.
— Pourquoi faites-vous cela ? Ne trahissez-vous pas votre clan, en tentant de sauver Kijin ?
— Vos paroles, votre attachement envers Kijin m'ont rappelé l'affection que lui portait notre père. Il était le seul Akuma à ne pas le considérer en monstre. Et puis, il y a des années de cela, ma mère avant de mourir, m'a fait promettre à moi, le futur chef des Akuma, de prendre soin de Kijin et de l'aimer, si mon père venait à décéder. Jusqu'à présent, j'ai failli à ma promesse. Aujourd'hui, en tant que chef du clan Akuma, je tiens à réparer mes fautes passées.
Attendrie par ses paroles, qu'elle savait sincères, Aisu posa sa main sur celle de Kishin en signe d'affection et de compassion. Le jeune homme poursuivit, d'un ton plus doux :
— Lorsque j'ai vu Kijin en compagnie de vos cousines, j'ai réalisé que mes parents avaient raison, qu'il était avant tout un humain, mon petit frère.
Kishin savait qu'il venait de prendre la bonne décision. Le destin de Kijin n'allait pas tarder à se jouer, et il espérait de tout son être que les femmes Kamiaku acceptent cette part de Kijin qui leur était inconnue.
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