Trois jours avaient passé depuis que Kana avait fait part de sa découverte à Amaya. La photo sur laquelle se trouvait Crematorium était une sacrée avancée dans l'enquête de Starwood, mais elle soulevait d'autres questions.

Pourquoi cet homme était-il là, au Mont Fuji ? Que cherchait-il à faire en laissant des cadavres de femmes derrière lui, carbonisés ? Pourquoi à Aokigahara ? Et pourquoi apparaître si stupidement sur une des photos de la police ?

Ces trois jours s'étaient rythmés entre des fréquents allés et retours entre la forêt et le poste de police. Kana ne s'était toujours pas habituée à l'humidité constante des alentours. Elle avait même fini par adopter les habits d'Amaya. Pourtant, la mi-juin aurait dû la réchauffer. À moins que ce ne soit l'étrange atmosphère qui régnait dans les environs qui ne la frigorifiait.

Sans oublier la silhouette blanche qu'elle avait revu la veille. Elle pensait avoir rêvé la première fois, mais le fait de revoir cet espèce de fantôme ne lui disait rien qui vaille. Alors, elle avait prévenu Amaya, mais la femme n'avait rien remarqué lorsque Kana lui avait pointé du doigt une direction.

— Tu dois être fatiguée, lui avait-elle simplement dit.

Et maintenant, l'adolescente aux longs cheveux noirs fixait l'horizon trouble des bois avec suspicion. C'était le quatrième jour des stages, et elle était encore et toujours dans la forêt la plus glauque du Japon. Quelle idée idiote elle avait eu de venir ici ! Elle regrettait tellement.

Un peu plus loin, Amaya cherchait des traces anormales. Elle sentait que le meurtrier en série n'était pas loin. Elle savait que dans peu de temps, il lui ferait face.

Kana, la tête cachée sous sa capuche, attendait. Ses bras croisés sous sa poitrine, ses jambes serrées l'une contre l'autre, son regard vide mais pourtant sévère. Tout dans sa posture montrait qu'elle ne voulait pas se trouver là.

— Tu sais, tu peux attendre dans la voiture, lui avait dit Amaya.

— Je ne fais déjà pas grand chose de mes journées, j'ai pas envie de rester enfermer en plus.

Soudain, alors que ses yeux regardaient devant elle sans vraiment voir, elle aperçut, encore une fois, cette silhouette blanche. Elle jeta un coup d'œil à Amaya, qui était occupée à autre chose, et réfléchit en vitesse.

Elle ne pouvait pas la laisser s'échapper. Alors elle bondit dans sa direction, évitant les arbres sur son passages.

— Kana ! Reviens là ! Où tu vas ! cria Amaya en la pourchassant.

Mais Kana ne s'arrêta pas. Elle esquivait les herbes hautes et épineuses pour ne pas se prendre les pieds dedans. Elle frôlait les troncs presque noirs des sapins. La silhouette, à plusieurs mètres devant elle, remarqua qu'elle était poursuivie, et se mit à courir à son tour. Kana força ses jambes à aller plus vite. Ses cuisses brûlaient, et tiraient.

Elle parvenait enfin à voir la personne devant elle. Une femme, vêtue d'une longue robe blanche, avec de longs cheveux raides et noirs. Kana avait l'impression de voler tellement elle allait vite. Elle semblait ne pas toucher le sol.

Si ça continue, elle va m'échapper, comprit Kana. Elle porta alors sa main à ses lèvres, et incisa la peau de son index avec ses dents. Elle demanda inconsciemment à son sang de former un petit poignard, à peine plus long que sa main, et elle le lança sur la femme devant elle.

La lame siffla dans l'air, et Kana fut presque surprise lorsqu'elle s'enfonça dans la cuisse de la fuyarde avec tant de facilité. Elle s'écroula au sol dans un cri de douleur. Kana courut jusqu'à elle, et la tint en garde avec un autre poignard noir.

Quelques secondes plus tard, Amaya apparut à ses côtés.

— Tu vois, j'avais raison à propos de cette silhouette blanche, fit simplement Kana, légèrement essoufflée.

Amaya rit, avant de s'accroupir près de la femme allongée au sol. Elle attrapa son épaule pour la forcer à se mettre sur le dos, pour voir son visage.

Quelques mèches de cheveux noirs barraient son visage blafard. Mais son front était dégagé grâce au bandeau blanc qui entourait le haut de son crâne. Un triangle blanc surmontait le tout.

— Une Yurei ? demanda Amaya, perplexe.

Elle ne put poser d'autres questions qu'une gigantesque flamme verte la força à reculer. Amaya secoua sa main en grimaçant. Le feu couleur absinthe l'avait effleuré, et sa peau était déjà rouge.

— Ne m'approchez pas ! Vous ne m'intéressez pas ! Arrière !

Kana et Amaya se tenaient sur leurs gardes, devant cette étrange femme qui leur faisait face. La chaleur qui provenait de son feu était presque agréable pour Kana, mais elle ne souhaitait pas pour autant finir carbonisée, alors elle restait à une distance raisonnable.

— Qui es-tu ? questionna Amaya d'une voix sérieuse. Il est interdit pour les civils de se trouver ici.

La femme rit, et jeta un regard froid sur Starwood. Sa tête se pencha légèrement sur le côté, et elle sourit doucement.
Kana en eut des frissons. Elle sentit le rythme de son coeur accéléré. Pas maintenant ! cria-t-elle intérieurement en serrant ses poings. Elle enfonça ses ongles dans la chair de sa paume.

— Oiwa, fit-elle simplement en appuyant sur chaque syllabe.

— Très bien Oiwa. Et que fais tu ici ?

Amaya avait pris une voix douce avec elle. Elle avait l'impression d'avoir à faire à une enfant perdue, mais détraquée. Elle avait des yeux fous.

— Je me venge ! cria-t-elle tout à coup, comme si la colère l'avait secoué.

— Te venger de quoi ? demanda Kana en haussant un sourcil.

Amaya et elle commençaient à comprendre ce qu'il se passait. Le coupable n'était pas Crematorium. Il était réputé pour être intelligent, alors laisser des traces de son passages leur paraissait idiot.

Au contraire, la femme devant elles était instable. Ses yeux, injectés de sang, ne cessaient de bouger dans tous les sens. La flamme verte qui entourait sa main vacillait, dansant au gré du vent. Il semblait n'en faire qu'à sa tête.

— De cette traîtresse ! Elle est partie avec une autre ! Elle m'a abandonné ici comme un déchet !

La rage sur son visage effraya Kana. Toute cette histoire pour ça ? Kana ne savait pas exactement qui était la femme qui l'avait laissé. Une mère, une soeur, une amie, une amante ? La folie d'Oiwa changea ses traits.

Sans crier garde, elle lança ses flammes sur Amaya et Kana. L'adolescente roula par terre pour esquiver le feu, qui faillit presque lécher son visage.

— Kana ! Va appeler du renfort à la voiture ! Elle devient incontrôlable !

Amaya avait fait appel à son alter. Des lianes et des racines sorties de nul part avaient attrapé Oiwa par les chevilles et les poignets, mais elles se désintégrèrent à cause des flammes vertes.

— Non ! Je reste pour t'aider ! cria Kana, refusant d'abandonner sa supérieure face à la folie de l'inconnue. Elle a déjà tué quatre personnes ! Je peux pas partir !

— Black Heart, c'est un ordre ! Va chercher du renfort.

La mâchoire de Kana se crispa. C'était injuste. Elle avait l'impression de devoir fuir. Elle fit un pas vers Amaya, mais celle-ci lui jeta un regard si noir que Kana détala. Elle courut le plus vite possible vers la voiture. Elle ne savait pas comment elle faisait pour courir dans la bonne direction. Elle était simplement sûre.

Bientôt, elle aperçut la route. La forêt se finissait dans quelques mètres, et Kana mit encore plus d'efforts dans ses foulées. Elle arriva finalement près du véhicule, et sauta sur la portière pour l'ouvrir. Elle attrapa aussitôt la radio sur le tableau de bord pour appeler le commissariat. Après avoir repris son souffle, elle expliqua le plus simplement possible ce qu'il se passait, à des centaines de mètres d'elle.

— On arrive tout de suite, restez près de la voitu-...

Kana était déjà repartie. Mais à peine avait-elle fait quelques pas qu'elle sentit une présence derrière elle. Elle fit volte-face, et sursauter en apercevant le regard froid, voire même glacial de l'homme qui se tenait à quelques mètres d'elle.

— Qu'est ce que vous voulez ? murmura Kana en reculant d'un pas.

Crematorium sourit.

— Toi.

≍

Amaya avait réussi à attraper Oiwa, après de longues minutes de combat acharné. Elle l'avait immobilisé avec de nombreuses racines, une fois qu'elle l'avait assommé. Il ne lui restait plus qu'à attendre l'arrivée de Kana et de la police. Cette affaire avait déjà trop duré.

Après un très long moment d'attente, des pas se firent entendre, et Amaya vit arriver quelques policiers armés. Ils saisirent la femme inconsciente, et l'emmenèrent pour l'interroger et la mettre définitivement derrière les barreaux.

Amaya marcha tranquillement jusqu'à sa voiture, accompagnée de son acolyte du commissariat.

— Kana est restée à la voiture ? demanda-t-elle.

— Kana ? Non, elle m'a raccroché au nez quand je lui ai dit de rester sur le parking. Je pensais qu'elle était venue pour t'aider.

Amaya fronça les sourcils. Elle avait un mauvais pressentiment. Elle partit en courant vers sa voiture, dans l'espoir de retrouver sa jeune protégée quelque part à l'abri.
Sur le parking, il n'y avait pas l'ombre d'une adolescente. Quelques policiers traînaient ça et là. Quelques curieux s'étaient également arrêtés, coulant savoir pourquoi il y avait autant d'agitation.

— Kana ! hurla Amaya pour se faire entendre.

Tout le monde la fixa étrangement.

Pendant des heures, jusqu'à la tombée de la nuit, tout le monde cherchait la jeune fille. Il n'y avait aucune trace. Elle s'était simplement volatilisée.