I Henry
Henry Siré, soixante-dix huit ans fin juillet, regardait avec les yeux d'un enfant le paysage défiler derrière la vitre de la voiture. Il était bien loin de l'Académie Sids dont il était le directeur, et tout aussi loin de Britanna, la magnifique ville qui l'avait vu naître et grandir. Il était bien loin de l'endroit où il se sentait le mieux et pourtant, il se laissait aller.
Il était rare qu'il se colle le nez contre la vitre en voiture, notamment car Britanna était une cité majoritairement piétonne, mais surtout car ses seuls trajets en auto s'effectuaient une fois par an à Hopis, lorsqu'il présidait le Grand Concours des Libérateurs à la capitale et qu'il était accompagné par la crème de la crème d'Aethernia. Ce qui n'était pas une situation propice à la détente.
De toute façon, pensa-t-il, je ne monterai plus jamais dans cette ville de barges.
Il se trompait. Mais il aurait encore quelques temps pour s'en rendre compte.
- On est bientôt arrivés, je vois la forêt.
Henry aussi la voyait, alors il se contenta de hocher la tête au conducteur.
Damien Boyet, l'homme au volant, était l'une des raisons qui permettait à Henry de se détendre. D'abord car il possédait une conduite exemplaire, mais surtout car il avait pu voir évoluer cet individu de son plus jeune âge à ses trente-six ans. Damien était le fils d'une vieille amie d'Henry, morte depuis, qui avait toujours écouté les leçons du directeur de l'Académie, même s'il le voyait beaucoup moins depuis dix ans, depuis que son travail de mécanicien l'avait emmené à travailler à la grande gare de Paris. Henry qui n'avait pas d'enfant le considérait un peu comme son fils, et il en était fier car même si Damien n'avait toujours pas trouvé l'âme-sœur, il n'en demeurait pas moins un bosseur hors-pair et un homme responsable.
- J'ai l'impression qu'on est les derniers... fit remarquer le conducteur.
En effet, le parking de fortune aménagé au centre de la forêt et qui servait de terminus à la route était bien rempli. De là où il était, Henry ne comptait que trois places de libre parmi la cinquantaine disponible.
Machinalement, le vieil homme voulut sortir son smartphone de sa poche afin de vérifier qu'ils étaient à l'heure, mais il se souvint qu'il avait jeté son meilleur ami électronique par la fenêtre au moins deux heures auparavant, en même temps que celui de Damien.
- J'espère que nous ne sommes pas trop en retard... maugréa-t-il dans sa barbe.
- En tout cas, on nous attend.
Damien manœuvra et se gara entre deux vieilles automobiles datant probablement d'avant la Clairvoyance. Même si on n'en trouvait plus beaucoup de nos jours, le parking en était rempli aux trois quarts, un miracle qu'elles soient toutes fonctionnelles.
- Henry ! Comment vas-tu mon vieux ?
L'homme qui lui ouvrit la porte tendit sa main au vieux directeur mais ce-dernier refusa poliment.
- Merci Francis, mes vieux os sont toujours capables de traîner ma carcasse sur quelques mètres.
Même si ça devenait de plus en plus dur ces-derniers mois, et que sa fidèle canne l'accompagnait maintenant durant tous ses déplacements.
- Je n'en attendais pas moins d'un homme comme toi.
Et il serra la main d'Henry avec force. Francis était aussi une de ses vieilles connaissances, il était également l'oncle de Damien. Les deux hommes partageaient la même calvitie prématurée.
- Comment tu vas, mon petit neveu ? Lança-t-il au conducteur qui venait de sortir à son tour.
- Un peu mal au dos, ça fait longtemps que j'ai pas conduit aussi longtemps. Cinq heures depuis Britanna. La dernière fois, c'était quand ? Y'a dix, quinze ans ?
- Douze ans, lâcha Henry qui commençait à devenir impatient. Les autres sont déjà à l'Eglise ?
Question rhétorique étant donné qu'ils étaient les trois seules personnes sur le parking, mais ça permettrait de faire avancer les choses. Il n'avait pas de temps à perdre, il fallait que tout le monde soit au courant le plus vite possible.
- Ils nous y attendent, acquiesça Francis.
- Alors ne perdons pas de temps, ordonna Henry.
Et il ouvrit la marche, sa canne l'aidant à esquiver les obstacles alors qu'ils traversaient la forêt.
Ils marchèrent pendant dix minutes sur un étroit chemin de terre que la nature peinait à reprendre malgré le peu d'occasions auxquelles il était fréquenté. La dernière fois qu'Henry y était passé, c'était il y a douze ans, lors de la dernière réunion. Avant, il y en avait plus régulièrement, parfois plusieurs fois par an et dans différents endroits d'Aethernia. Mais depuis que le Gouvernement avait commencé sa chasse aux Révolutionnaires à travers le pays en engageant un tueur en série pour les éradiquer (cette information n'avait jamais été officiellement révélée mais Henry la tenait de source sûre), les rassemblements avaient cessé. Pourtant, le voilà qui retournait à l'une de ces réunions, la dernière il espérait.
Les trois hommes arrivèrent enfin dans une petite clairière où le clocher d'une vieille église pointait vers le ciel. Le bâtiment était recouvert de mousse et les pierres s'effritaient, de plus en plus à chacune de ses visites, songeait Henry, et l'un des vitraux n'avait pas été assez résistant pour empêcher les branches d'un chêne de continuer leur croissance à l'intérieur. Malgré cela, le directeur de l'Académie Sids ne pouvait qu'être impressionné par le talent des bâtisseurs de cette structure, qui tenait debout depuis des siècles.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? Demanda-t-il soudain en pointant de sa canne un énorme grill métallique posé nonchalamment à côté des portes de l'Eglise.
- Tu n'as jamais vu de barbecue ? Plaisanta Damien en tapotant l'épaule du vieil homme.
- Bien sûr que je sais ce que c'est, ronchonna-t-il. Mais qu'est-ce que ça fait là ?
- On a pensé que ce serait une bonne idée de manger tous ensemble, ce soir, expliqua Francis.
Henry voulut se taper le front avec le plat de sa main mais il se retint.
- Hors de question, gronda-t-il. La fumée risquerait de nous faire repérer.
- Ne soit pas paranoïaque, fit Francis d'un air las. On est dans le coin le plus paumé d'Aethernia, à deux-cents kilomètres de la civilisation.
- On n'est jamais trop paranoïaque. Pas de banquet ce soir, chaque famille mangera seule dans sa caravane, au vieux camping.
A dix minutes de route de l'Eglise, il y avait un camping abandonné en piteux état. Lors des réunions, les participants logeaient là-bas, même si le confort était loin d'égaler un cinq étoiles.
- Bien, grand chef, ronchonna Francis.
Satisfait, Henry monta les premières marches vers l'église mais s'arrêta au niveau de la porte. D'ici, il entendait des bribes de conversations venant de l'intérieur, qui semblaient aller bon train. Il se tourna vers son ami et demanda :
- Tous les gens à l'intérieur sont-ils des personnes de confiance.
- Oui, souffla Francis. Tu en connais déjà la plupart, et les autres sont soit de la famille d'anciens révolutionnaires décédés, soit des descendants d'employés de l'imprimerie qui distribuait les tracts anti-gouvernementaux, il y a cinquante ans.
Henry se souvenait de l'imprimerie. Il y avait travaillé en ce temps-là, mais avait été innocenté par les autorités, avant de suivre un cursus de Libérateur et de devenir directeur, à terme.
- Bien, dit-il. Quand sont-ils arrivés ? Et ont-ils été suivis ?
- Les premiers sont arrivés en même temps que moi, il y a deux semaines. Les derniers sont là depuis trois jours, et s'ils avaient été suivis, je t'assure que je n'aurais pas été là pour t'accueillir. Et j'anticipe ta prochaine question : non, on a repéré personne de louche. Une dizaine d'hommes chasse chaque jour dans la forêt et une dizaine d'autres surveille les alentours la nuit. Rien à signaler.
Henry hocha la tête et soupira, pas tout à fait serein. Il sentait que quelque chose n'allait pas, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
- Détends-toi... lança Damien avec un sourire. Ça va aller.
Le vieil homme fit le vide dans son esprit et maîtrisa sa respiration. Il a raison, se dit-il. Il n'y a aucune raison que ça se passe mal.
- Entrons.
Francis et Damien avancèrent et poussèrent la porte de l'église, qui s'ouvrit dans un mélange de grincement et de craquement de bois.
Les conversations cessèrent aussitôt. Henry avança sans parole dans l'allée, lançant quelques regards et sourires aux individus qu'il reconnaissait. Beaucoup hochèrent la tête en signe d'admiration, mais la plupart demeurèrent silencieux. Le directeur eut juste le temps d'entendre un « c'est qui », sûrement un jeune enfant, qu'il arrivait déjà devant le pupitre. En face, la statue de celui que certains vénérait avant la Clairvoyance veillait sur l'assemblée, sauf qu'on lui avait retiré sa croix et que deux grandes ailes noires s'étirait dans son dos. Henry l'observa quelques instants puis grimpa la marche pour se placer derrière le pupitre.
Au même moment, Damien vint s'installer au premier rang, entre deux jeunes femmes que le vieil homme ne reconnût pas, tandis que Francis patientait à l'entrée de l'église. Henry lui adressa un signe de tête et son ami referma aussitôt les portes. Il s'était porté volontaire pour monter la garde durant la réunion, une précaution qu'Henry appréciait énormément. On n'est jamais trop paranoïaque, songea-t-il encore. Puis il toussota une petite seconde afin d'avoir l'attention de tout le monde, chose inutile puisque c'était déjà le cas.
- Bonjour à tous, déclara-t-il.
Sa voix était un peu basse, il parlerait plus fort à la prochaine phrase. Une centaine de personnes, peut-être même cent-cinquante en tout, répondirent à son salut, ce qui provoqua un gros brouhaha dans la salle. Pas besoin de crier, râla le directeur intérieurement.
- Je suis ravi de vous voir aussi nombreux aujourd'hui, poursuivit Henry. Si vous êtes ici, c'est parce que chacun d'entre vous a connu un ami, un membre de votre famille, impliqué à une certaine échelle dans la Révolution. Vous êtes ici car vous savez que le Gouvernement nous ment, que les Régents nous mentent depuis des siècles. Et je voudrais vous rappeler à tous qui nous a permis de nous rendre compte de ce mensonge.
D'un geste assuré, il leva sa canne vers l'idole derrière lui. Tous les regards convergèrent alors vers la statue aux ailes noires.
- C'est l'enfant aux ailes noires qui a engagé la bataille contre le mensonge. Il y a des décennies, après un long voyage, il est arrivé devant un mur, devant la Frontière coupant à l'Est Aethernia du reste du monde. Il y a rencontré les premiers exilés, balancés dans la nature hostile par les premières générations de Régents. Il est passé de l'autre côté de la Frontière, du côté d'Aethernia, et a petit à petit compris ce qui n'allait pas dans ce pays. C'est lui qui a convaincu Mégane Lumen et Flore Olsen de se battre contre leurs convictions, et c'est grâce à lui que nous en sommes là aujourd'hui, à l'aube d'un grand changement.
La fin de sa phrase fut accueillie par une salve d'applaudissement. Henry en fut ravi.
- Je sais que certains d'entre vous ne connaissent pas toute son histoire, continua-t-il en faisant taire les dernières acclamations. Mais je vous promets de vous la raconter à une autre occasion. Pour le moment, revenons sur les évènements qui ont bouleversé Aethernia l'année dernière.
Il se râcla la gorge pour avoir une voix bien claire et poursuivit :
- Il y a huit mois, en Octobre, neuf révolutionnaires dont Flore Olsen, la meneuse de ce côté-ci de la Frontière, ont quitté le pays en dirigeable. Parmi eux se trouvaient aussi notamment Mégane, Lem, Bastien et surtout Negai Lumen. Cet acte de rébellion a complètement déstabilisé les Régents. Depuis ce jour, Tony Lumen a accusé le reste de sa famille de traîtrise, au même titre que Phil Marty pour avoir selon ses dire assassiné le régent Conrad Marty. Heureusement, j'ai eu le plaisir de rencontrer très récemment Stéphane Greeley, un membre important de la Révolution qui m'a assuré que Phil, ainsi que les deux plus jeunes Lumen, Camille et Julien, sont en sécurité avec une nourrice nommée Leila chez un allié de taille. Il a également pu communiquer avec des membres de la Révolution de l'autre côté de la Frontière, qui ont assuré l'arrivée de Flore Olsen et les autres sains et saufs dans leurs rangs.
Une nouvelle vague d'applaudissement retentit.
- Mais revenons-en aux Régents. Malgré la traîtrise des membres de leur famille, Tony Lumen et Dolores Olsen sont toujours au pouvoir. Suite à la mort de Conrad Marty, son deuxième fils Zetsu a pris sa place en tant que Régent. Le garçon est instable, j'ai pu l'observer trois ans à l'Académie, et si Dolores et Tony ne le maîtrisent pas, il pourrait même faire des ravages dans leurs rangs. Mais heureusement pour eux et malheureusement pour nous, Lionel Gomon a sûrement décroché sa place de Régent pour calmer Zetsu. Je ne connais pas son pouvoir, cet individu m'est totalement inconnu et pourtant il devient Régent après que les derniers héritiers Narton se soient mystérieusement faits tués. Cet homme brise à lui seul trois-cents ans de tradition instaurés par les premiers Régents en remplaçant la lignée Narton, ce serait impensable en temps normal. C'est pour ça qu'il faut que nous nous méfiions de lui, son pouvoir doit être incommensurable pour qu'il arrive à une place si importante.
Henry toussota un instant puis reprit son discours.
- Les Régents ont bien sûr anticipé le fait que certains concitoyens se douteraient de certaines choses, et ils ont utilisés les médias pour dissiper les doutes. Révélations de documents rédigés, apparemment, par les premiers régents et mentionnant l'importance de la famille Gomon, afin de justifier l'arrivée de Lionel au pouvoir et j'en passe. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est l'annonce qui a été faite il y a trois semaines, à la Réunion Matinale sur Direct 1. Vous l'avez tous vu, n'est-ce pas ?
Tout le monde hocha la tête en même temps, comme si l'église elle-même n'effectuait qu'un seul mouvement.
- La reine... murmura Henry. Tony Lumen a déclaré que la Reine d'Aethernia ne tarderait pas à se révéler au grand public. Puis ils ont balancé de nouveaux documents prouvant l'existence d'une lignée royale... Et le pire, c'est que la population y a cru. Mais je les comprends, nos pauvres citoyens. Les Régents ne nous ont toujours voulu que du bien, pourquoi les sauveurs de l'humanité nous voudraient du mal ? Et pourtant c'est le cas !
Le directeur tapa du poing sur le pupitre, aussi fort que ses vieux os le lui permettaient.
- Le plan des Régents est simple. Recréer les Sorcières ayant foulé notre Terre afin d'enclencher une nouvelle extinction. Et à mon avis, révéler une quelconque Reine leur permettra à la fois de regagner la totale confiance du peuple d'Aethernia, mais encore et surtout d'effectuer leurs desseins plus rapidement en laissant la direction du pays à cette fausse Reine.
Devant lui, les visages se serrèrent et des murmures s'élevèrent.
- Mais ils n'auront pas le temps de nous tuer, asséna Henry. De l'autre côté de la Frontière, la Révolution se prépare activement pour renverser le pouvoir. Ce n'est plus qu'une question de semaines, peut-être même de jours, avant que les Régents ne tombent. C'est pourquoi nous devons nous munir de patience et rester ici en attendant le signal. Et à ce moment-là, nous nous battrons pour la Révolution et reprendrons Aethernia aux mains des menteurs qui nous gouvernent. Nous ne nous laisserons pas nous faire tu-
- Partez tous !
Les portes de l'église s'ouvrirent en grinçant atrocement. Derrière, Francis se tenait là, à bout de souffle. Le cerveau d'Henry aussi, lui paraissait à bout de souffle, tant il avait du mal à comprendre ce qui avait pris à son ami.
- Partez tous ! Hurla-t-il une nouvelle fois. Fuyez ! Ils nous ont trouvés !
Une détonation accueillit son cri et soudain, sa chemise à carreau devint toute rouge à l'estomac. Quelques secondes plus tard, Francis s'effondrait sur le parquet de l'allée.
- Fuyez ! Cria quelqu'un au fond de la pièce.
Mais le temps qu'Henry ne réalise, les vitraux explosaient déjà sous les impacts de balles.
Le reste de la scène parut bien floue aux yeux du directeur. Les gens criaient dans l'église, se poussaient et tapaient pour tenter de sortir du bâtiment. Mais tout ce qu'ils arrivaient à faire, s'était se renverser et se blesser.
- Calmez-vous ! Ordonna Henry.
Mais ça ne servait à rien, il le comprit en apercevant le cadavre de Francis se faire piétiner par la foule.
Près des portes, les premières personnes commençaient à sortir mais une nouvelle salve de balles venant de l'extérieur les fit tomber comme des mouches. Alors les gens firent demi-tour, mais des hommes vêtus de noir sautèrent dans l'église par les vitraux brisés. Toute leur peau était couverte par une matière brillante et leur visage était protégé par un gros masque. Ils étaient au moins une dizaine et trimballaient de grosses machines entre leurs mains. Henry ne reconnut les lance-flammes que lorsque le feu sortit des engins comme un feu d'artifice.
Aussitôt, une odeur d'essence et de chair brulée envahit l'air tandis que la première ligne se désintégrait par le feu. Toujours de l'autre côté de la pièce, derrière le pupitre, Henry se saisit de sa canne et la leva au-dessus de sa tête, mais Damien l'attrapa par le bras à ce moment précis et l'entraîna de l'autre côté du chœur.
- Il faut fuir ! Hurla-t-il pour se faire entendre parmi les cris de souffrance des Révolutionnaires.
Avant même qu'Henry ne puisse protester, son ami poussa une porte et ils se retrouvèrent de l'autre côté de la clairière. A son grand étonnement, aucun ennemi ne se trouvait là. Ils franchirent les cinq mètres les séparant des premiers pins au pas de course, le vieil homme ignorant la douleur que lui procurait sa hanche.
Essoufflés, ils s'arrêtèrent derrière le tronc d'un conifère, à l'abris des regards de ceux pouvant se trouver dans l'église. A l'abris... mais pas pour longtemps, songea Henry.
- On ne peut pas risquer de retourner au parking, lança Damien. Les autres ont dû laisser quelques voitures au camping, c'est notre seule chance.
- Il faut retourner dans l'église. Il faut les sauver !
- On a plus le temps de les sauver, la seule chose qu'on peut faire, c'est s'enfuir.
- Je ne les abandonnerai pas, grogna Henry. On doit se battre.
Mais lorsqu'il se tourna vers le bâtiment, il vit les flammes jaillir de part et d'autre de l'église, consumant la végétation qui s'accrochait aux pierres depuis tant d'années, transformant ce lieu de culte en bûcher. Les cris des victimes s'étouffaient dans la fumée et depuis l'extérieur, on n'entendait plus qu'un râle de souffrance s'élever de ce qui deviendrait à ce rythme un tas de cendre. Henry n'avait jamais vu de flammes si grandes, et s'il demandait si ce n'étaient pas des Kamibuki plutôt que des lance-flammes que ces hommes portaient.
Mais dans tous les cas, il ne pouvait plus les sauver.
- Allons-y, lâcha-t-il, l'air grave et résigné.
- Où comptez-vous aller ?
Le vieillard sentit son cœur louper un battement et fit volte-face. Derrière eux, une femme se tenait là, les toisait dans une tenue similaire à ceux qui avaient fait brûler l'église. Les seules différences étaient qu'elle ne portait pas de masque, et qu'une broche représentant un œil était accrochée au niveau de sa poitrine.
- Vous êtes Diane Mist, reconnut Henry. L'assistante de Dolores Olsen à Hopis.
La jeune femme, dont le visage commun devait lui permettre de se fondre dans la masse, secoua rapidement la tête. La seule chose qui la faisait sortir du lot, c'était ses longs, très longs cheveux bruns qui coulaient le long de ses formes jusqu'à sa taille. C'était cette coiffure rare qui lui avait permis de la reconnaître.
- J'ai reçu une promotion, dit-elle avec un sourire non dissimulé. J'ai remplacé le Régent Gomon à son ancien poste.
- Et quel est-il ?
C'est une information cruciale... Songea le directeur. Même s'il ne savait pas ce qui allait lui arriver, il se devait de récupérer cette information, qui permettrait sûrement de lui apporter des réponses sur le pouvoir de Lionel Gomon.
- Je suis maintenant chef des Services de Renseignements d'Aether-
- On s'en fout ! Hurla alors Damien, silencieux jusque-là.
Henry l'avait presque oublié, tant il était obnubilé par Diane. A vrai dire, il ne sentait pas non plus les écorces de pin s'enfoncer dans son dos.
- Finissons-en, continua Damien. Je n'en peux plus.
Il était transpirant. Henry se demanda si c'était à cause de la chaleur émanant du brasier derrière eux, mais lui-même se sentait plus froid que jamais. Il lui semblait plutôt que Damien transpirait... de stress, d'appréhension. Il était normal qu'il soit apeuré, mais le vieil homme y décelait quelque chose de plus.
- Vous n'en pouvez plus ? Répéta Diane. Vous n'en pouvez plus de quoi ?
- Vous savez très bien... râla Damien.
Il fit trois pas en avant et se positionna juste à côté de Diane. Henry voulut lui crier de ne pas s'approcher mais étonnamment, la femme ne protesta pas le geste de son ami. Ce-dernier planta ses yeux dans ceux d'Henry et lança en chevrotant :
- Tu... Tuez-le, qu'on en finisse.
Le directeur de l'Académie Sids eut l'impression de recevoir une lance en plein cœur. L'homme qu'il considérait comme son propre fils venait d'ordonner sa mort ? Sa souffrance intérieure le rendit muet, alors que Diane prenait la parole.
- Je suis désolée mais ça ne va pas être possible. Les ordres sont les ordres, nous ne tuerons pas Henry Siré aujourd'hui.
Elle n'avait pas l'air désolée du tout, mais Henry se sentit un peu rassuré. Mais ce qui l'inquiétait, par contre, c'était les propos de Damien.
- Vous devez le tuer ! Insista ce-dernier en s'agrippant presque aux épaules de Diane. Si vous ne le tuez pas, il va le dire à tout le monde ! Il va leur dire à tous que je les ai trahis ! Je ne veux pas de ça ! Même si je l'ai fait ! C'était la seule solution pour ne pas mourir ! Leurs Révolutions ne fonctionnera pas, et je ne veux pas mourir !
Henry crut vomir. Non pas parce que cet ami, cet enfant qu'il aimait voulait sa mort, mais parce qu'il se comportait comme un bébé. Le Damien qu'il voyait n'était plus, n'était pas l'homme qu'il croyait connaître. Il était stupide. Et le pire, c'est qu'il ne l'avait même pas remarqué avant.
D'un geste vif, Henry brandit sa canne devant lui.
- Je vous déconseille de faire ça, ordonna alors Diane.
Elle aussi avait brandi quelque chose ; un pistolet automatique. Mais Henry s'en fichait un peu. Il n'avait de toute façon plus rien à perdre.
- Feu ! Cria-t-il aussi fort qu'il le pouvait. Engouffre cette forêt !
Sa canne devint brûlante entre ses doigts mais il ne lâcha pas. Le bout de bois se mit à crépiter et une lueur rouge en sortit. Il serra son Kamibuki de plus en plus fort et concentra son énergie sur son arme mais une douleur soudaine lui fit lâcher prise.
- Je vous avais prévenu, fit Diane qui n'avait pourtant pas tiré.
Henry s'étala face contre Terre, tenta d'attraper sa canne mais un des hommes de tout à l'heure s'en saisit avant lui. Après quelques secondes, il comprit que la balle qui s'était logée dans son dos devait appartenir à l'un des hommes. Il y en avait finalement une vingtaine, et ils observaient la scène de la clairière depuis le début, l'église en feu en arrière-plan.
- Vous n'allez pas en mourir, expliqua la femme, c'est un petit calibre. Et pour en revenir à votre problème, euh... Damien. Ne vous inquiétez pas, vous ne souffrirez pas de ce que ce vieillard pourrait dire à votre sujet.
- Oh, merci !
Le visage de Damien se fendit d'un sourire, qui disparut bien vite quand le canon du pistolet se posa sur son front.
- A vrai dire, vous ne souffrirez plus du tout après ça. Les Régents vous remercient de votre aide.
Elle appuya sur la détente et le crâne de Damien explosa sous l'impact. Malgré cette vision horrifique, Henry ne détourna pas les yeux. Il n'exprima pas de satisfaction à voir celui qui l'avait trahi mourir, seulement une grande indifférence. Le cerveau humain permettait-il réellement d'effacer si vite plus de trente ans d'amitié ? A ce moment-là, le vieil homme aurait parié que oui.
- Vous n'avez pas l'air très affecté par sa mort, remarqua Diane en essuyant son arme dans le t-shirt de sa victime. Est-ce la douleur dans votre dos ou celle dans votre cœur qui vous rend muet ?
Henry n'était pas d'humeur à répondre à la question.
- Depuis combien de temps êtes-vous là ? Demanda-t-il.
Il avait pensé avoir du mal à parler à cause de la balle mais ce ne fut pas le cas. Diane semblait dire vrai, il ne sentait presque plus la douleur. Le tir avait donc réellement pour but de lui faire lâcher son arme. Ce qui voulait dire qu'il resterait en vie encore un moment.
Diane s'accroupit devant le vieillard et fit signe à deux des hommes dans la clairière. Ceux-ci arrivèrent au pas de course et coincèrent chacun un bras et une jambe d'Henry pour l'empêcher de se relever. Pas que c'était réellement nécessaire, il n'avait plus vraiment d'espoir de s'échapper.
- Votre ami nous a prévenu il y a de cela deux mois, expliqua la femme. Il a directement appelé la tour de l'Eclat à Hopis, en disant qu'il voulait parler à un Régent. Son appel a bien sûr été refusé, mais à force d'insister c'est moi qui l'ai eu au téléphone. Apparemment, cela faisait un moment qu'il pensait dénoncer votre mouvement mais il attendait une grosse réunion pour le faire. J'admire sa technique, nous avons pu tous vous avoir d'un seul coup. Il ne doit plus rester de Révolutionnaires sur le territoire d'Aethernia maintenant, à part Stéphane Greeley que vous avez mentionné dans votre discours. Mais il ne tardera pas à être débusqué. Et pour répondre à votre question, mes équipes se sont installées cinquante kilomètres au Nord depuis trois semaines, en même temps que sont arrivés vos premiers amis. Nous avons bougé lorsque le capteur GPS du portable de votre ami s'est soudainement arrêté, il nous avait prévenu que vous jetteriez vos téléphones pour ne pas être suivis.
Henry grogna. Au lieu d'aller voir le Gouvernement, cet idiot de Damien aurait dû parler de ses doutes aux siens, à sa famille.
- Alors c'est ça le plan des Régents... lança-t-il. Nous éliminer à l'intérieur d'Aethernia avant de s'occuper de ceux à l'extérieur. Vous voulez libérer le champ de bataille. Mais pourquoi sont-ce les Services de Renseignements qui s'occupent de ça ? Les Régents ont-ils perdus la tête ?
- Les Régents ne font plus confiance à l'armée, rétorqua Diane. Ils ont quand même laissé passer deux faux journalistes révolutionnaires ayant volé un dirigeable de haute technologie. C'est pourquoi ils se sont tournés vers les Services de Renseignements. Monsieur Gomon a fait beaucoup pour la partie « Recherche » des Services. Alors sous mon commandement, ils passent dans une phase « Action » bien plus adaptée aux besoins actuels du pays. Les deux camps ne peuvent plus attendre, monsieur Siré. Ne pensez pas que seuls les révolutionnaires sont prêts à passer à l'action.
Elle se redressa et claqua des doigts. Aussitôt, les deux hommes relevèrent Henry du sol et lui enfilèrent des menottes.
- Voilà ce qui va vous arriver à présent, déclara Diane. Vous allez être envoyé à la capitale puis exécuté en live sur Direct 1. Afin de rappeler à tous ceux qui pourraient avoir envie de se rebeller le sort réservé aux traîtres.
Henry déglutit. Il n'avait pas envie de mourir comme ça. Qui le voudrait ? Il espérait alors que la Révolution se bougerait les fesses avant sa dernière apparition à la télévision.
- Pourrais-je au moins connaître le nom de mon bourreau ? Pour que je puisse avoir le temps de le détester avant de mourir.
- Bien sûr.
Un sourire narquois se glissa sur son visage.
- Vous aurez l'honneurultime d'être exécuté par sa majesté la Reine.
Et voilà voilà j'espère que ce premier chapitre vous aura plu... J'ai essayé de faire en sorte qu'il résume les derniers événements de Magus pour ceux qui ont attendu de looonnng mois pour lire ce chapitre.
Au niveau du rythme de parution des chapitres, idéalement ce serait un par vendredi, mais je risque de ne pas le respecter. Là j'ai à peine le chapitre de la semaine prochaine de prêt, et après plus rien. En plus je suis en plein déménagement donc c'est mort pour écrire et je serai en internat le premier trimestre de l'année prochaine, donc là encore je risque de prendre du retard. Du coup je vais tenter de respecter le planning, mais si je le rate faudra pas m'en vouloir x)
Ah et une autre annonce en passant : Un autre projet devrait sortir dans les prochaines semaines... Je n'en dis pas plus.
Sur ce merci d'avoir lu ce premier chapitre de la suite de Magus, je vous donne rendez-vous pour la suite ;)
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