Chapitre 20 : Retrouvailles en plein chaos
- Hein ?
Ce mot s'échappa de la bouche d'Emma avant qu'elle ait pu le retenir. Le cœur battant, elle porta à la main à sa boucle d'oreille qui vibrait si fort que son contact en devenait douloureux. Elle avait peur de se retourner. Qui allait-elle découvrir ? Cette fille connaissait son nom alors qu'elle était pratiquement sûre de ne l'avoir jamais rencontrée. Ce fut avec un immense effort qu'elle tourna fébrilement la tête vers l'endroit d'où avait émané son nom, et ses yeux s'agrandirent.
- Madeleine ? dit-elle dans un souffle.
Pendant un instant, elle crut que sa vision la trompait. Mais son amie était bien là, la dévisageant avec des yeux baignés de larmes. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Au lieu d'aider une passante lambda comme elle s'y attendait sous le coup d'une impulsion, c'était en vérité l'une de ses plus proches amies qu'elle venait de sauver. Les larmes coulaient sur les joues de son amie et, n'y tenant plus, elle se jeta dans ses bras en étouffant un sanglot.
- Emma, hoqueta-t-elle, Emma, tu... Tu m'as tellement manquée ! J'ai... J'ai eu tellement peur ! J'ai cru que je n'allais jamais... T-te revoir !
Les larmes d'Emma ne purent se retenir bien longtemps. Rendant à Madeleine son câlin, elle dit d'une voix hachée par l'émotion :
- Je... J'arrive pas à y croire... Ce n'est pas réel, hein ? C'est juste un rêve... On rêve toutes les deux, et quand on se réveillera, demain , on ira prendre une glace avec Marie et Jo...
Mais Madeleine se décolla légèrement et secoua la tête en signe de négation, le visage humide.
- Non, Emma... C-C'est carrément loufoque, mais c'est la réalité... On est seules, Marie et Jo ne sont pas là...
Le maigre espoir qu'avait Emma de savoir que sa maison ne se trouvait peut-être pas si loin que ça s'envola... En même temps qu'un cri perçant suivi d'une agitation palpable prit naissance dans la rue avoisinante. Emma sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Essuyant ses larmes, elle s'accroupit dos contre la cheminée et écouta attentivement le tumulte, n'osant pas laisser sa tête dépasser de derrière la cheminée.
Elle perçut aussitôt un bruit métallique parmi les protestations et les affolements. Leur répit n'avait été que de courte durée : les soldats les avait retrouvées !
Elle fit volte-face et, à l'expression de son visage, elle vit que Madeleine avait compris ce qu'il se passait. Il devenait urgent de sortir de la ville - leurs retrouvailles ne servaient à rien si elles devaient toutes deux y passer.
- Une idée ? demanda la jeune fille rousse d'une voix encore légèrement rauque.
A son grand daim, elle nia.
- Ils ont sûrement de poster des soldats aux portes pour nous attraper. Les remparts sont beaucoup trop hauts pour qu'on les escalade. Il faudrait détourner leur attention pour s'enfuir...
- Oui, mais pour aller où ? Tu sais par où tu es rentrée ?
Emma remarqua que Madeleine avait employé "nous" dans sa phrase. Pourquoi "nous", Pour Emma, c'était facile à deviner : elle avait aidé une personne poursuivie par les soldats à s'enfuir, cela constituait un excellent acte de trahison. Mais pour Madeleine ? D'ailleurs, pourquoi était-elle poursuivie ? Son amie avait-elle quelque chose à cacher ?
Madeleine haussa les épaules.
- Il y en a plusieurs ? Celle par laquelle je suis arrivée n'avait pas de porte, c'était juste un arc de pierre. Si ça peut t'aider...
Emma réfléchit. En tout, cinq portes ouvraient la ville sur l'extérieur, et une seule était dépourvue de panneaux de bois : la porte de Soufflevent. Elle essaya de s'orienter par rapport au chemin qu'elles avaient parcouru depuis la place : il y avait deux portes à équidistance, mais elle jugea plus raisonnable de passer par celle de Flammardente, où les rues encombrées les dissimuleraient aux soldats, ou du moins ralentiraient leur progression.
- On va passer par une porte sur notre gauche, expliqua-t-elle. Il y a une forêt juste derrière, ça devrait al...
Un bruit d'impact de balles résonna dans son dos et la coupa dans sa phrase. Un bruit de fusil qu'on recharge accompagna l'impact. Les soldats avaient fini par les localiser.
Emma resta figée, les yeux écarquillés par la peur. La panique paralysait son cerveau et ses muscles. Devant elle, Madeleine s'était déjà reprise et se relevait, avant de prendre la jeune fille par la capuche et de la tirer, manquant de l'étrangler. Elle fut forcée de se remettre sur ses jambes qu'elle ne sentait plus et courir derrière son amie qui escaladait les tuiles et la chaume comme si elle y avait été entraînée depuis la naissance.
"Faudra qu'elle me montre comment elle fait", pensa-t-elle.
Elle tendit sa main gauche à la jeune fille qui la lui empoigna, laissant pendre le morceau de tissu rouge sombre et lui permettant d'un peu mieux respirer. Sa cape la gênait actuellement plus qu'autre chose, mais une attache sentimentale l'empêchait de s'en séparer. Leur course-poursuite entre les balles lumineuses s'acheva bien plus vite qu'elles ne l'auraient cru, lorsque les toits de tuile achevèrent de se succéder au rythme de leurs pas effrénés.
Les yeux de Madeleine se perdirent avec horreur sur les visages de la foule tandis que le regard d'Emma était accroché par autre chose. La rue qui s'étendait à leurs pieds était trop large pour être franchie d'un bond, et les toits des maisons à portée de saut semblaient avoir été soufflés, la charpente n'étant plus constituée que par de maigres poutres de bois moisies. Elle jura intérieurement. Elles étaient pourtant si proches... Au loin, les remparts de la ville projetaient leur ombre sur des toits en piteux état.
Elle sentit des sueurs froides couler le long de sa nuque. Elles étaient à deux doigts de quitter la ville, elles allaient donc mourir si proches de la liberté ? Elle venait de retrouver son amie, elle allait devoir déjà la quitter ? La porte n'était pourtant qu'à quelques embranchements !
"À moins... pensa-t-elle soudain en se figeant. À moins que la course sur les toits m'ait désorientée..."
Une balle siffla près de son oreille droite, suivie d'une détonation accompagnée de grands cris. Sa tête se tourna successivement des deux côtés avant que ses yeux ne repèrent l'armure argentée qui pointait son arme luisante vers elles. Son rythme cardiaque s'emballa et elle eut, elle aussi, envie de crier aussi fort que ses poumons l'auraient permi. Désormais, pour s'en tirer, il n'y avait plus qu'une échappatoire. Elle regarda son amie que manifestement la peur empêchait de réagir et lui prit le poignet. Les yeux bleu azur de Madeleine retrouvèrent un peu leur éclat et Emma devina qu'elle s'apprêtait à demander ce qu'elle avait en tête, mais le temps pressait et les explications attendraient. Elle prit son élan et sauta.
La chute lui parut interminable. Madeleine poussa un cri derrière elle, entraînée malgré elle par son amie. Son propre subconscient lui demandait ce qu'elle était en train de faire, mais elle-même n'en avait aucune idée. Ses pieds toucherent enfin les sacs en toile qu'elle avait vus entassés près du mur, avec tellement de force que leur contenu en fut éjecté, répondant une fine poudre blanche dans les airs et sur le sol. Mais lorsque ce fut au tour de Madeleine d'atterrir, l'impact déstabilisa la fragile structure formée par les sacs qui glissèrent de tout leur long dans la rue. Déséquilibrée, Emma tomba au sol, lâchant son amie au passage. Elle se releva aussi rapidement que possible, sonnée, et son premier réflexe fut de chercher son amie du regard.
- Madeleine ? Madeleine !! T'es passée où ?!
Un grognement rauque lui répondit. Emma pensa d'abord qu'elle était tombée, tout comme elle, mais un bruit métallique l'affola plus qu'elle ne l'était déjà. La jeune fille rousse tourna lentement la tête vers l'arrière, et tout espoir sembla s'évanouir lorsque ses yeux aigue-marine trouvèrent son amie.
À moitié étranglée par le bras d'un soldat ennemi qui le lui avait passé autour du cou, son fusil baissé uniquement retenu par la main gauche de l'agresseur.
Ses méninges s'actionnèrent à toute vitesse. Madeleine semblait épuisée et les tâches violacées qui commençaient à apparaître sur son visage indiquaient qu'elle commençait à étouffer. Que pouvait-elle faire ? Même sans avoir prononcé de mots, les revendications du soldat étaient claires : sa capitulation immédiate, ainsi que celle de Madeleine, même s'il semblait d'ores et déjà l'avoir obtenue.
Emma fit un pas en arrière, le visage crispé en une expression de fureur. Le corps à corps était impossible, ne restait qu'une seule solution : obliger le soldat ennemi à tirer, et se faisant libérer Madeleine, puis tirer avant lui. Elle souleva sa cape, dévoilant très nettement la silhouette d'un pistolet où reposait sa main gauche. Le soldat n'eut cependant aucune réaction en le voyant l'estomac de la jeune fille rousse se contracta en réalisant que son plan était tombé à l'eau.
Puis tout se passa en un éclair. Le soldat finit par prendre conscience de la menace que représentait le pistolet et sa poigne se desserra autour du cou de Madeleine... L'instant d'après, l'éclat argenté de l'armure était ternie par la poussière qui tapissait le sol. La jeune fille, elle, avait manifestement contribué à la chute du soldat puisque le fusil de ce dernier se trouvait à présent dans sa main gauche.
Emma, toujours prête à dégainer, était totalement dépassée. Que s'était-il passé, comment Madeleine avait-elle fait ça ? Son cerveau marchait encore au ralenti quand son amie lui prit de nouveau sa main libre et l'entraîna dans la rue, à l'opposée du soldat étendu qui déjà commençait à remuer.
- Vite ! hurla-t-elle, ses copains arrivent !
Qu'est-ce qu'elle raconte ? fut la première pensée d'Emma qui ne voyait aucune pièce d'armure surgir de derrière les ruelles. Pourtant, la seconde suivante, cinq soldats en surgirent et vinrent les poursuivre, sans aucun intérêt pour leur camarade désarmé. Les jambes de la jeune fille se mouvèrent d'elles-mêmes et Madeleine n'eut bientôt plus besoin de la tirer. Sa cape flottant derrière elle, elle demanda à son amie, légèrement essoufflée, tout en pointant son arme nouvellement acquise du doigt :
- Tu sais t'en servir ?
Elle lui répondit d'un bref mouvement négatif de la tête :
- Je l'ai surtout prise pour que lui ne s'en serve pas !
Son visage traduisit soudain une grande surprise et elle freina brusquement, imitée par Emma. Quatre nouveaux soldats leur faisaient face, deux d'entre eux armés d'arbalètes, les autres de lances aux bouts effilés. Leurs armures semblaient envahies par la rouille et les articulations produirent un crissement effroyable lorsqu'ils avancèrent vers elles, martelant la terre de leurs pas militaires.
- Tu veux les empêcher de se servir de leurs armes, eux aussi? railla la jeune fille rousse.
Madeleine produisit un sifflement agacé.
- Au cas où tu n'aurais pas remarqué, j'essaye de réfléchir pour nous sortir de là, Sherlock ! On a quatre armes légèrement pointées sur nous !
Une détonation retentit et elles hurlèrent. La balle les avait ratées d'un cheveu et le mur derrière elle était à présent orné d'un ravissant cercle d'acier. En entendant le cliquetis caractéristique qui suit le tir, Emma devina que la prochaine balle ne les manquerait pas.
La peur laissa place à une nouvelle émotion.
"À moi de jouer."
Le temps sembla soudain aller au ralenti. Comme à chaque fois que le pistolet s'apprêtait à quitter son étui, l'obscurité engloutit le paysage, ne laissant la lumière que sur ses cibles. D'une main, elle saisit son pistolet et cette fois-ci le tira complètement hors de sa ceinture. L'éclat écarlate de son arme se détachait de l'obscurité environnante. Elle avait chargé le pistolet au préalable, la boîte bleue qui accompagnait son étui resterait tranquille aujourd'hui. Elle visa successivement les quatre soldats en appuyant sur la gâchette pour chacun d'eux. Les balles de lumières sortirent de l'extrémité de l'arme et quand le temps reprit son cours, les soldats se trouvaient déjà au sol.
Emma rangea précipitamment son pistolet. À côté d'elle, Madeleine semblait avoir perdu l'usage de la parole.
- Madeleine !! appella-t-elle. On se réveille, on est presque sorties !
En effet, une autre arcade de pierre se dessinait à l'embouchure de la rue. Madeleine sembla comprendre et elles se mirent à courir. Elles tournèrent à l'angle que formait l'allée... Pour se stopper ensuite.
Deux rangées de soldats armées jusqu'aux dents de trouvaient devant la porte. Pire, ils étaient en train... De la refermer.
- VITE !!
Emma avait poussé ce cri sans s'en rendre compte. Elle courut du plus vite qu'elle le put, poussée par l'adrénaline. Elle sentait la puissance du feu affluer dans chacun de ses muscles et sa vitesse en fut démultipliée.
"Ne fermez pas cette saleté de porte!"
Des bruits de pas derrière elle l'informèrent que Madeleine la suivait de près. Devant elles, les lourds panneaux de bois se refermaient lentement, actionnés par la force des bras des soldats en armure de fer.
La porte se referma alors qu'il ne leur restait plus que quelques mètres à parcourir.
- AH, MAIS ZUT À LA FIN !! LAISSEZ-NOUS SORTIR !
Emma avait explosé. Elle commençait à avoir vraiment marre de cette ville. Si Madeleine parut étonnée de l'entendre, elle n'en paraissait pas moins d'accord.
Les mêmes gardes qui avaient fermé la porte se précipitèrent pour la protéger en formant un mur de protection. Emma devina que le reste de la garde allait bientôt venir les encercler. Si elles ne trouvaient pas un moyen de sortir, bien qu'elle ne sache pas ce qui allait leur arriver, ça ne s'annonçait pas très joyeux.
De son côté, Madeleine semblait évaluer la situation.
- Deux à distance, trois au rapproché, donc d'abord éliminer celui de droite...
"Quoi?"
- Attend, de quoi tu parles, là ? la coupa Emma.
Elle sembla passablement irritée.
- Tu veux éviter de mourir, oui ou non ?
- Euh, oui, j'aimerai bien éviter !
- Parfait, donc tu la boucles et tu me laisses réfléchir !
- Tu peux réfléchir un peu plus vite ?
- Non mais, de quoi je me mêle ? s'énerva Madeleine.
Emma la regarda d'un air incrédule. Madeleine soupira.
- Bon, je vais arrêter les soldats, toi, pulvérise cette porte !
- Et comment tu veux que je fasse, au juste ??
- Tu as un cerveau ?? Il est là pour faire joli, le pistolet ? s'exaspéra Madeleine.
- Peut-être que je ne sais pas m'en servir ! risqua son amie.
Madeleine eut un rictus.
- C'est ça, c'est ça ! Trouve moi une autre excuse si t'as la trouille ! Tu t'en sortais plutôt bien, avec les soldats, tout à l'heure !
"Elle m'a vue??" pensa-t-elle, ahurie.
D'après Brazer, elle avait un véritable don quand elle tirait : ses balles atteignaient ses cibles avant même qu'on l'ait vue dégainer son pistolet. Pourtant, l'elfe de feu n'était pas un débutant en cette matière, et d'après lui, ainsi que l'avis expert de sa sœur, il pouvait voir au maximum le moment où elle sortait de l'arme de sa gaine.
Voyant que ses paroles faisaient effet, Madeleine parti au devant des soldats, laissant son amie sur place.
- Att... commença Emma.
"Pulvérise cette porte !" Les paroles de son amie lui revinrent en mémoire. Sa main gauche tâtonna, à la rechercher de son étui. S'il y avait bien un moyen de réduire cette porte massive en morceaux de bois, elle allait devoir se faire violence pour que son don reste endormi.
Le temps ne s'arrêta pas, cette fois. Avec des gestes étonnamment experts, la balle se logea dans l'espace qui lui était réservé. Le pistolet levé, les deux mains mobilisées pour le tenir, à bout de bras, elle insuffla la puissance du feu dans son arme, qui lui apparut comme le prolongement de son bras. Quand elle appuya sur la détente, ce fut comme si elle avait tiré un boulet de canon.
La balle fusa au-dessus des têtes de Madeleine et des soldats qu'elle avait mis à terre. Laissant un nuage de flammes dans son sillage, elle alla se ficher dans la porte.
Plus rien ne bougea. La tension était telle qu'on avait l'impression qu'on déclencherait une bombe rien qu'en respirant. Puis quelque chose se produisit.
Des fissures orangées partirent du point d'impact de la balle et tracèrent leur chemin jusqu'aux gonds de métal. Toujours plus nombreuses, toujours plus grandes. Puis la porte explosa.
Un torrent de copeaux de bois leur tomba dessus : Emma ne put que protéger sa tête avec ses bras, sa cape volant derrière elle, percée à de multiples endroits par ce qui restait de la porte. Elle entendit une poutre rebondir contre un obstacle devant elle et s'écraser plus loin.
Quand le déluge s'arrêta, de légers craquements résonnèrent encore dans les airs. Emma baissa lentement les bras et ouvrit ses yeux bleus... Avant de les écarquiller aussitôt.
Madeleine avait choisi une autre façon de se protéger, radicalement différente de la sienne. Ses bras tendus devant elle, de l'eau semblait... Danser au bout de ses doigts.
Attendez, quoi ??
Madeleine sentit qu'elle était observée car l'eau en suspension s'écrasa sur le sol en un "splash"! Elle se tourna vers Emma, une expression à la fois peinée et terrifiée sur le visage. Elle m'a vue, semblait-elle dire. Emma ne savait quoi penser.
Puis la situation leur revint en plein visage, car des cris et des hurlements résonnèrent dans cet espace où le temps avait semblé ne plus exister. Emma se mit à courir vers la sortie, la liberté, et Madeleine ne resta pas plus longtemps dans son état statique pour la suivre.
La liberté. Elles étaient, pour le moment, sauvées.
- Bon, qui commence ?
Emma releva la tête. La nuit commençait à s'installer sur la plaine où elles avaient élu domicile. Après avoir franchi les murs de la ville, tout avait été très facile : les gardes n'avaient même pas songé à les poursuivre. Elles avaient néanmoins jugé raisonnable de s'éloigner le plus possible de la ville, au coup ils leur tomberaient dessus pendant la nuit. Leurs pas les avaient conduites dans une plaine peuplée rochers gigantesques qui semblaient s'emboîter les uns dans mes autres. Comme le soleil avait commencé à décliner, elles avaient arrangé un rapide camp à l'ombre d'une gigantesque pierre. Emma s'était naturellement désignée pour installer le feu, qu'elle avait discrètement allumée alors que Madeleine était partie cherchée de quoi dîner - tout cela dans le plus grand des silences. Les flammes crépitaient joyeusement au cœur des bûches et projetaient sur leur visage une clarté orangée, révélant à Emma le visage grave de son ami.
- Moi, marmonna la jeune fille rousse. Comment t'as fait pour... Faire ce truc avec l'eau ?
- Depuis quand tu sais utiliser un pistolet ?
- J'ai posé la question en premier ! répliqua Emma.
- La mienne est plus importante !
- Me voir tirer avec un pistolet, c'est plus important de voir que t'as une sorte de pouvoir ?
- Emma, tu tires avec un pistolet. Tu ne m'as jamais battue en gym.
- Menteuse ! s'offusqua-t-elle. J'ai toujours fait mieux la...
- C'est pas le sujet ! la coupa Madeleine.
Les deux amies se regardèrent dans les yeux et, malgré elles, éclatèrent de rire. Ce n'était ni l'endroit ni le moment, pourtant après cette période où elles avaient dû survivre sans pouvoir s'appuyer sur quiconque, avoir une conversation "normale" était tout ce qui leur manquait. Leur fou rire passé, elles se defièrent du regard pour savoir qui allait commencer. Ce fut Emma qui, malgré elle, baissa les yeux la première pour saisir une brochette d'elle-ne-savait-quelle-espèce-de-fruit que Madeleine avait trouvé près d'ici. La jeune fille aux cheveux blonds la regarda avec un air satisfait.
- Quoi ? fit Emma en croisant son regard. Hé mais... Ça compte pas ! s'écria-t-elle en comprenant qu'elle s'était faite avoir.
- Tout compte, ma chère Emma, sourit Madeleine. Voyons... Comment est-ce que tu es arrivée ici ?
Soulagée de devoir répondre à cette question plutôt qu'à une autre, la jeune fille rousse entreprit de lui raconter ses péripéties depuis son réveil dans la terre aux volcans. Elle omit néanmoins volontairement de mentionner la maison dans la montagne de feu ainsi que son éjection du volcan. Elle décrivit simplement que des symboles étranges étaient apparus dans le ciel après avoir quitté la terre de lave durcie, et à sa grande surprise, le visage de Madeleine n'en traduisit aucune, comme si des dessins apparaissaient dans l'étendue céleste bleue tous les matins au petit déjeuner. Elle griffonna cette information dans un coin de son cerveau et poursuit son récit. Elle arriva à la rencontre avec Mya et son frère quand...
- Pause, pause, pause ! s'exclama Madeleine. Emma, t'as rencontré un garçon ? Il est comment ? Beau ? Moche? Blond ?
- Mais... Mais... Madeleine, c'est pas des questions, ça ! répliqua-t-elle, gênée.
- Bien sûr que si, dis-moi tout !
- Bon, d'accord... Non, en fait, pas question !
- Oh, allez! C'est pas comme si tu me cachais quelque chose, n'est-ce pas, Emma?
Elle avait prononcé ces mots avec une telle insistance et avec un tel sourire qu'Emma sentit des frissons remonter le long de son échine.
- Bon, d'accord, céda-t-elle en ramenant une mèche rousse derrière son oreille. Il est... Plus grand que moi, je dirais... Me regarde pas comme ça, il était sur son rocher, je pouvais pas savoir ! Il a la peau mate, les cheveux roux et des yeux verts. Voilà, quoi.
Ses joues rosirent légèrement en repensant à l'Elfe de feu. Madeleine regardait son amie avec délectation.
- Aloooooors? Il a fait quoi, sur son rocher?
- 'M'a tiré dessus. grommela Emma, qui en avait assez de répondre à ses questions.
- J'ai rien entendu ?
- Il. M'a. Tiré. Dessus.
- Pas super, pour démarrer une relation, observa Madeleine.
- Je te permets pas ! s'écria son amie, devenant encore plus rouge.
- Mais oui, mais oui. Il s'est passé quoi, ensuite ?
- Ben, il m'a tirée dessus, j'ai attrapé la balle, et...
- Attends, quoi ?? Tu as attrapé la balle?
J'ai gaffé. Emma s'en rendit compte trop tard. Le regard bleu de son amie semblait la sonder comme un détecteur de métaux. La jeune fille rousse crut que quelque chose avait changé dans sa manière de la percevoir. Pouvait-elle tout dévoiler maintenant ? Elle ne voulait pas qu'elle la prenne pour une folle, pas maintenant qu'elle l'avait retrouvée. Si seulement elle faisait partie de ceux qu'elle devait trouver...
- C'était une balle en mousse, finit-elle par bredouiller. Elle a ricoché sur le rocher et je l'ai attrapée.
Madeleine semblait tout sauf convaincue. Ses yeux plissés trahissaient ses pensées à la perfection. Emma sentait la tension monter, et personne n'était là pour détendre l'atmosphère. Aussi poursuivit-elle simplement :
- Je les ais entendus discuter, et ils pensaient que j'étais quelqu'un d'autre. Ils m'ont emmenée dans une sorte de ville, et Mya m'a fait faire le tour des habitations...
Madeleine s'esclaffa.
- Emma, tu tombes dans une dimension inconnue, et la première chose à laquelle tu penses, c'est faire du shopping ? Tu changeras jamais !
- Parle pour toi, oh ! répliqua-t-elle, montant un peu plus dans les rouges. Là, c'était nécessaire ! Comment tu crois que j'aurais pu survivre, sinon ??
Elle montra ses affaires entassées non loin d'elle. Sur le tas reposait l'éclat écarlate de son pistolet.
- Comment ça se fait qu'il y ait des pistolets par ici, d'ailleurs ? Vu le niveau de pauvreté de la ville, je ne pensais que cette technologie existerait. Les soldats n'avaient que des fusils beaucoup moins puissants...
Elle m'avait vue. L'image des soldats dans la ville les poursuivant apparue devant ses yeux, immédiatement remplacée par Madeleine faisant danser de l'eau devant ses doigts. Emma était-elle donc mêlée, comme elle, à tout ça ? Si oui, elle devait l'entendre de sa bouche, et pas se baser sur des suppositions. Alors, elle pourrait tout lui raconter.
Plus qu'à espérer que Madeleine ne ferait pas le même raisonnement...
- Hmmmm, bref, fit-elle en s'y reprenant plusieurs fois pour s'éclaircir la gorge. On s'est installé dans une auberge - la plus petite auberge de ma vie ! - et Mya m'a raconté une histoire... Une légende, ça s'appelle comme ça ?
- Une légende sur quoi ?
Touché. Son amie avait choisi de prendre un temps détaché, mais une pointe d'empressement subsistait dans sa voix.
- Un truc de cette planète. D'ailleurs, elle s'appelle Estralis. Le genre d'histoire qui plairait à Marie, sur les quatre éléments...
La réaction de Madeleine surprit Emma. Au lieu de lui demander : "Estralis ? Tu vois combien de doigts?" , elle se pencha en avant et demanda, affolée :
- Les quatre éléments ? Vraiment ?? Qu'est-ce qu'elle raconte ?
Emma fronça les sourcils.
- Hé, du calme ! Tu t'intéresses à ça depuis quand ?
- Tu ne comprends pas, Emma ! s'emporta-t-elle. C'est peut-être notre seule chance de comprendre comment on est arrivé ici... Et comment on en sort !
Cette fois-ci, Emma en eut la certitude.
- Tu sais pour cette planète, pas vrai ?
Madeleine écarquilla les yeux.
- C'est pour ça que tu sais faire ces trucs avec l'eau ? poursuivit-elle. Que tu peux mettre au tapis un soldat du double de ton poids, et courir sur les toits?
Et me voir quand je tire? Se retint-elle de dire.
Cette fois-ci, la jeune fille aux cheveux blonds n'essaya même pas de nier. Elle se leva d'un bond et cria :
- Tu ne sais rien du tout ! J'ai une pression énorme sur les épaules ! Je me réveille ici, et du jour au lendemain, un Elfe me dit que je dois risquer ma vie pour les sauver... J'ai à peine treize ans !
Emma aurait aimé lui dire calmement de s'asseoir, de discuter calmement et de réfléchir ensemble, mais elle n'aimait pas du tout se faire crier dessus comme son amie le faisait. Elle se leva, furibonde, et lança :
- Bon sang, mais j'ai jamais dit ça ! Tu... Tu peux pas être normale, toi aussi?? J'ai l'impression de ne plus être humaine, avec tous ces tarés !! Depuis quand j'ai un pouvoir surnaturel? Depuis quand je peux tirer avec une arme?? Depuis quand je cours sur les toits?! Je veux juste... Je veux juste rentrer chez moi !!
Le feu qui, déjà, s'emballait imperceptiblement au rythme de ses battements de cœur, explosa. Les flammes écarlates montèrent si haut que les ténèbres reculèrent, vaincues par cette trop grande intensité de lumière. Madeleine regardait le pilier de feu, bouche bée, tandis qu'Emma s'écroula. Après cet énorme vidage de sac, les larmes montèrent toutes seules à ses yeux, à mesure que l'angoisse et les questions qu'elle avait réussies à faire taire à son arrivée s'emparaient d'elle à nouveau. Elle entendit à peine la question de son amie :
- C... C'est toi... Qui a fait ç... Ca?
Elle n'eut pas la force de répondre. Une image en particulier la tourmentait sans cesse : celle de la lave engloutissant les soldats. Ils étaient morts... Par sa faute. Par sa seule et unique faute.
Que quelqu'un prenne ma place !
Elle sentit alors des bras l'entourer. Voyant la détresse de son amie, Madeleine l'avait enlacée.
Le pilier de feu s'amenuisa jusqu'à redevenir un petit foyer crépitant. Les ombres reprirent leur droit et il ne resta plus que le côté de leurs corps orientés vers le centre du camp à être éclairés par la clarté des flammes. Madeleine mit fin à leur étreinte. Elle se releva et tendit une main à Emma pour qu'elle en fasse autant. Cette dernière essuya ses larmes et prit la main que lui tendait son amie.
La jeune fille aux cheveux blonds, malgré la situation, sourit. Emma crut voir qu'elle pleurait aussi. Pas de désespoir, comme elle, mais plutôt de soulagement. Puis, sans rien dire, elle tendit sa main vers le ciel, et des gouttes d'eau semblèrent apparaître autour de ses doigts. Bientôt rejoins par des centaines, voire des milliers d'autres, ce fut une étole d'eau qui commença à se mouvoir autour de son bras.
- Je te présente une des trois autres personnes avec qui tu vas devoir sauver le monde. Comme tu peux le voir, je représente l'eau.
Son sourire était crispé. Voyant le manque de réaction de son amie, Madeleine envoya l'eau se heurter au visage d'Emma.
- Hé !! protesta celle-ci, trempée. Bravo, bien joué, Made ! J'en avais vraiment besoin !
- Tu ne peux pas si bien dire, répliqua l'intéressée à son ton sarcastique. Dis-moi, Emma, c'est quand la dernière fois que tu t'es lavée ?
Emma faillit s'étouffer.
- Pardon ??
- Tu ne t'es pas assez lavée les oreilles, ou tu es devenue sourde ?
- Je t'entends, Made ! Mais pourquoi tu dis ça ?!
- Parce que je le pense ?
Les yeux d'Emma s'agrandirent encore plus, accompagnés par les rires de Madeleine, qui savait que son amie ne lui ferait rien, à part la bouder.
À la place, Emma fit un sourire démoniaque et une flammèche naquit au creux de sa paume.
- Excuse-toi, si tu ne veux pas être brûlée au troisième degré.
Madeleine parut surprise, mais toisa la flammèche d'un air sceptique.
- Avec ce truc ?
- Tu vas voir !
Mais la maigre flamme s'éteignit presque aussitôt.
- Que...?
- Tu es complètement trempée, ma pauvre !
Le fou rire de Madeleine repartit de plus belle.
- Bon, arrête, Made, c'est pénible.
- Tu as trop de fierté, soupira-t-elle.
Emma sourit.
- Comme tu l'as si bien dit, enchantée, même si je te connais déjà, je suis une des trois autres personnes avec qui tu vas devoir sauver le monde. Je représente le feu.
Son feu intérieur avait déjà presque fini de la sécher. Le sourire de Madeleine fana peu à peu.
- Il va falloir qu'on se dise tout, annonça-t-elle sérieusement. Pour rentrer chez nous, on va devoir respecter notre promesse.
(Aucune relecture n'a eu lieu avant la publication de ce chapitre ;-; dites-moi si vous avez bien suivi et si vous avez relevé plusieurs incohérences …ᘛ⁐̤ᕐᐷ)
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