Chapitre 19 : Au Fil De L'eau
Madeleine épiait un ruisseau. Sa stabilité était mise en doute par la branche menue de l'arbre sur lequel elle se trouvait, mais elle tenait bon. Une forte tension régnait dans l'air, le moindre de ses muscles semblait tendu à tout rompre. Même le vent n'osait pas intervenir. La nature semblait observer la scène qui se déroulait sous ses yeux.
Un léger remou agita soudain la surface du ruisseau. Une ombre silencieuse en surgit et en une fraction de seconde elle fut devant la branche sur laquelle se trouvait Madeleine. Mais la jeune fille fut plus rapide. Lorsque la lame de l'agresseur sectionna la matière végétale, elle n'y était déjà plus. Déstabilisé, il se réceptionna impeccablement à terre... Au moment où une tâche blonde s'abattit sur lui.
Plaqué au sol, il se débattit vivement dans l'espoir de se libérer, mais la jeune fille avait déjà une main tendue vers le ruisseau et bientôt, des liens aqueux vinrent entourer les poignets et les chevilles de l'attaquant.
Après s'être assurée qu'il ne pouvait pas s'enfuir, Madeleine soupira et se laissa tomber en arrière. Elle avait l'impression que les entraînements devenaient de plus en plus durs. Devant elle, les fils d'eau tombèrent au sol et furent absorbés par la terre tandis que l'Elfe d'eau rengainait son sabre.
- Tu t'es bien débrouillée, lança-t-il d'une voix froide dans son dos. La prochaine fois, on augmente la difficulté.
- Oh non, Emwo ! C'est trop dur, je vais m'écrouler !
Ce qui n'était pas dénué de vérité. Elle avait l'impression que ses muscles criaient grâce. Le dénommé Emwo tourna légèrement la tête et la jaugea d'un air dur, ses yeux émeraude plantés dans ceux aigue-marine de la jeune fille. Celle-ci se sentit rougir de honte, mais ne détourna pas le regard. Il finit par tourner la tête et dit :
- Ce n'est pas mon problème. Tu as voulu être formée, je te forme. Un point c'est tout.
Sur ces mots, il tourna les talons et partit à une vitesse sidérante vers le bord de l'étang.
Madeleine poussa un soupir avant de se redresser. Elle se demandait vraiment ce qu'il lui avait prit de lui adresser cette demande. La raison lui revint en pleine figure : elle avait appris à ses dépens qu'elle était effectivement bien sur une autre planète, nommée "Estralis", et qu'elle n'était pas ici par hasard : la planète entière l'attendait pour mettre un terme au règne de Laros, un monarque fou qui avait réduit ce monde en esclavage, sans cesser de puiser la magie de la planète. Lorsqu'elle avait demandé comment pouvait-il s'y prendre, il avait refusé d'en dire plus. Une pensée lui était alors apparue : s'il absorbait la magie, son pouvoir avait-il une chance contre lui ? Elle s'était alors mise en tête que pour parer cette éventualité, autant pouvoir compter sur sa force physique. C'était pour cela qu'elle se tuait à moitié aux entraînements.
Mais cela aurait pu être encore plus dure à supporter si elle avait dû accomplir cette tâche seule. Mais heureusement, il existait apparemment trois autres éléments qui devraient l'aider dans sa tâche - air, feu et terre. Bien que la jeune fille se demandait qui cela pouvait bien être, et s'ils étaient d'Estralis ou, comme elle, de la Terre, elle espérait surtout qu'ils - ou elles - avaient appris que la magie était peut-être inefficace sur leur ennemi et avaient comme elle eut l'initiative de s'entraîner physiquement. Elle ne voulait pas être privée de ses chances de retourner sur Terre à cause de l'incapacité de ses "camarades".
En parlant de camarade... Elle avait bien tenté de sympathiser avec Emwo, ces derniers temps. Mais l'Elfe semblait aussi renfermé qu'une huître et ne pipait mot, à part lorsqu'elle l'interrogeait sur sa "mission". Il doit vraiment être désespéré s'il m'en parle alors qu'il n'a pas l'air d'en avoir très envie, pensait-elle. Elle sentait qu'on lui posait un énorme poids sur les épaules en pensant aux visages désespérés des habitants de cette planète, et cette vision lui serrait le cœur. Elle chassa ces obscures pensées pour se reconcentrer sur l'Elfe : lors de leur première altercation, il l'avait appelée "Écume" en se prosternant à ses pieds. La première réaction de la jeune fille avait été légitime : elle n'avait pas réagi. Ou plutôt, elle était restée bouche bée. Après quoi, elle avait fermement bataillé avec l'elfe - ah oui, elle avait aussi réussir à savoir qu'il n'était pas humain mais elfe de l'Eau, d'"Océan" (et oui, les guillemets étaient à la mode) plus précisément, bien qu'elle ne sût pas ce que cela voulait signifier - pour lui faire enfin cracher ces mots : Elle-n'était-pas-Écume. Juste Madeleine, une jeune fille de treize ans en fin de quatrième, ayant un bon niveau en sport et en cours, qui s'était un jour réveillée sur une autre planète sans savoir comment elle était arrivée là. S'était ensuite ensuivie une série d'explications dans laquelle se situaient sa prétendue mission et une synthèse très synthétisée du peuple des Elfes de l'Eau, qui avait débutée un soir, alors qu'ils étaient autour d'un feu de camp :
"Mes yeux ? Ils ont quoi, mes yeux ?"
Telle avait été sa question lorsqu'il lui avait dit de but en blanc :
- Je n'avais jamais vu d'humains avec des yeux comme les tiens.
En bonne adolescente humaine, ses joues avaient légèrement viré au rose.
- M-mais, avait-elle bredouillé, qu'est-ce que...
Emwo, qui semblait éternellement imperturbable, avait sans un mot déposé sa brochette de poisson grillé et pointé son doigt droit sur la pupille de la jeune fille.
- Au sein de notre civilisation, il n'existe qu'une certaine caste de personnes possèdant des yeux pareils aux tiens.
- Attendez une seconde, vous parlez de quoi, là ? Mes yeux sont normaux, bleus, jolis, je les aime bien, mais bref, ils ont rien de spécial ! S'ils sont surnaturels, vous n'avez pas vu ceux des gens sur Terre !
Mais Emwo avait semblé on ne peut plus sérieux. Il n'y avait eu aucune once d'hésitation dans son regard, au point que ses propres propos lui avaient soudain semblés bancals.
Pour toute réponse, le jeune Elfe avait fait un mouvement circulaire de la paume et l'eau était venue s'échapper du ruisseau pour former une surface aqueuse aussi fine et lisse que du verre. D'une simple inflexion du poignet, le miroir d'eau s'était déplacé jusqu'au visage de Madeleine où elle avait pu voir son visage se refléter.
Ses yeux s'étaient aggrandis en même temps que leur reflet sur la glace. Depuis quand avaient-ils eu cet étrange reflet argenté qui se déroulait telle une onde autour de sa pupille ? Elle fut si surprise qu'elle avait inconsciemment pris le contrôle du miroir flottant qui explosa tellement son pouvoir avait été instable.
Devant elle, Emwo n'avait pas bougé d'un cil. Le visage stupéfait de Madeleine s'était penché vers le sol. La tête lui avait tourné. Que lui était-il arrivé ? Qu'est-ce que cette planète lui avait fait ?
Le jeune Elfe avait fermé un instant les yeux, comme s'il avait réfléchi, avant de se lever, rengainant la lame qu'il avait aiguisée en parallèle de sa dégustation de brochette de poisson.
- Je monterai la garde, cette nuit. Tu as besoin de repos, avait-il conclu, et il avait reculé tandis qu'il s'était fait engloutir progressivement par les ténèbres.
Madeleine ne l'avait même pas entendu parler. Elle voulait récupérer ses yeux d'avant. Mais plus que tout, elle voulait partir d'ici, retrouver sa maison et ses amies. Ses yeux avaient commencé à se fermer d'eux-mêmes quand elle eut repris contact avec son environnement. Ça n'avait été qu'à cet instant qu'elle avait remarqué qu'Emwo était parti monter la garde. Elle s'était enveloppée dans la couverture qu'Emwo avait emportée avec lui et avait fermé les yeux. Ses sens avaient décrit les paysages que ses yeux n'avaient pu voir : à quelques mètres de là, le ruisseau s'élargissait en un virage dont la rive était bordée de galets qui peu à peu laissaient place à une bande de sable gris sur laquelle se trouvait leur campement. La pleine lune projetait une lueur fantomatique dans laquelle se découpaient les maigres silhouettes des quelques arbres se trouvant près de là. Même si une forte chaleur régnait dans la journée, la fraîcheur s'installait rapidement dans la nuit.
La jeune fille avait rouvert les yeux. Elle ne serait pas parvenue pas à se rendormir, elle l'avait su. Plus loin, Emwo avait monté la garde, perché en haut d'un arbre. Madeleine avait été impressionnée : bien qu'il fût à découvert, il s'était fondu à merveille dans la silhouette de l'arbre. Si Madeleine n'avait pas su qu'il avait été là, elle n'aurait jamais pu le repérer.
Elle s'était levée avec la discrétion et l'agilité d'un chat et s'était faufilée dans l'angle mort du guetteur, ainsi qu'il lui avait appris. Malgré sa fatigue, Morphée n'avait pas voulu lui tendre les bras et une balade nocturne lui aurait sans doute remis les idées en place, et elle n'aurait pas eu besoin de parler à un mur pour ça. Une petite balade solitaire avait été tout ce dont elle avait eu besoin.
Elle avait fait attention à ne pas faire crisser les galets, ce qui s'était révélé plutôt difficile. Elle avait eu l'idée d'abandonner ses ballerines afin d'être encore plus discrète, mais l'idée de ressentir la désagréable sensation des pieds nus sur les galets froids et inégaux l'avait fait grimacer d'avance. Un reflet dans le ruisseau l'avait informée qu'Emwo avait toujours été dans la même position en haut d l'arbre, scrutant les paysages de la rive opposée. Apparemment, il ne l'avait pas remarquée : si elle continuait ainsi, peut-être pourrait-elle échapper à sa trop pesante surveillance.
Elle n'avait pas marché très longtemps avant d'arriver à un lieu où le ruisseau s'élargissait de nouveau pour laisser place à un étang où affleuraient quelques joncs et roseaux. Des libellules plus petites que sur Terre aux ailes anormalement ternes avaient voleté autour de la petite étendue turquoise, traquant les minuscules insectes qui leur servaient de dîner.
Elle s'était assise sur l'herbe douce qui avait progressivement remplacé le sable fin face à l'étang. Elle s'était encore demandée quels étranges pouvoirs renfermaient ses yeux, à présent que cette couleur argentée semblable aux étoiles qui luisaient doucement dans le ciel s'était frayée un chemin jusqu'à l'azur de ses iris. Elle s'était doutée qu'elle ne pourrait pas s'en débarrasser, alors autant les garder, surtout s'ils pouvaient l'aider. D'après les dires de son ami de fortune, seules quelques personnes hautes placées dans la société des Elfes de l'Eau en avaient possédé des pareils. Qu'était-elle donc capable de voir ? Elle avait douté que cette étrange couleur lui permettait de faire cuire des cakes à distance, ce dont elle aurait bien eu besoin après sa collation marine légèrement trop salée. Le plus logique, c'était qu'elle puisse voir des choses que les autres ne pouvaient pas. Elle avait déjà eu un premier exemple en tête : l'arc-en-ciel qui avait irradié dans ce bar, à Rome, étrangement semblable aux nuances de couleur de la mystérieuse cascade dont elle avait eu la vision dans la piscine.
OK, elle pouvait voir l'eau comme si elle était remplie de spots lumineux, et alors ?
Ce n'était pas avec ça qu'elle allait pouvoir sauver le monde, hein. Même s'il fallait avouer que c'était classe.
Elle avait rejeté la tête en arrière en soupirant. Qu'en auraient pensé les autres ? Elle s'était imaginée un instant leur réaction si elle leur avait dit qu'elle avait été amenée sur une planète étrangère et inconnue de l'Homme où elle maîtrisait l'eau, voyageait avec un garçon Elfe et qu'elle devait sauver ladite d'un tyran. Elle avait vu si nettement l'expression figée de leur visage qu'elle en avait ri : puis, à l'unisson, Emma et Joséphine lui auraient demandé plus de détails sur son compagnon de route, tandis que Marie aurait tenté de la bombarder de questions sur ses pouvoirs si leurs deux amies ne l'avaient pas devancée. Mais pas d'inquiétude, la jeune fille à lunettes aurait invoqué son fantôme pour obtenir les réponses aux questions manquantes...
Un mouvement près de l'étage avait attiré son attention. Pendant un instant, elle avait cru qu'il avait simplement s'agi d'une grenouille mutante qui avait sauté d'un caillou, mais la lueur bleutée qui avait émané l'avait rapidement fait changer d'avis. À pas de loup, elle s'était approchée de l'étendue et avait scruté la surface lisse en l'attente d'une onde qui n'avait pas tardé à apparaître, à peine plus marquée qu'un souffle, juste derrière la tige effilée d'un jonc. Elle l'écarta du revers de la paume et ses yeux s'ecarquillèrent.
Juste sous ses yeux s'étaient trouvés, irrandiants d'une couleur opalescente, deux minuscules être humanoïdes chacun pourvu d'une paire d'ailes translucides. Elles avaient eu des membres fins et allongés, au point qu'elle avait à peine distingué les doigts qui avaient composé leurs mains. Comment avaient-ils produit cette lumière irréelle ?
Mais ces petits êtres qui avaient semblé si fragiles l'avaient déjà repérée.
D'un accord tacite, elles avaient filé sans demander leur reste et avaient disparu derrière une pierre qui avait affleuré à la surface de l'eau. La jeune fille avait à peine eut le temps de lancer "Att..." qu'elle s'était déjà retrouvée dans le noir.
Elle s'était retenue de jurer très fort, cette nuit-là. Elle aurait adoré pouvoir parler ou seulement observer plus longtemps avec ces fées... Oui, des "fées" semblaient être les mots les plus appropriés, sans compter que leur lueur bleue avait laissé soupçonné qu'elles avaient sûrement un lien avec l'élément que maîtrisait la jeune fille.
Elle n'avait pas remarqué, se lamentant sur sa stupidité, qu'une infime lueur bleutée était revenue, et se trouvait bien plus proche d'elle que les deux autres qu'elle avait aperçues. Elle avait dû tirer légèrement sur la jupe brodée de la jeune fille pour qu'elle eût enfin daigné à lui adresser un regard.
Madeleine n'avait pas été déçue. Juste à ses cotés, tirant timidement sur son vêtement, s'était trouvée une minuscule fée cyan irradiant du même halo que ses comparses. La jeune fille avait laissé l'étonnement déteindre sur son visage. Le petit farfadet avait pris peur et caché ses yeux avec ses minuscules mains. Attendrie, elle avait tendu la main et touché la créature du bout du doigt. Surprise, celle-ci avait le doigt qui avait été pointé sur elle avant de poser ses mains puis ses bras sur l'index de Madeleine qui, avec un sourire, l'avait légèrement soulevé. La fée avait battit des jambes, paniquée, avant d'arriver à se hisser sur son doigt, et la jeune s'était demandée pourquoi elle n'avait pas utilisée ses ailes. N'avait-elle donc pas su voler ?
Elle avait rapproché son doigt juché de la fée jusqu'à son visage afin de mieux la voir. Elle avait alors remarqué qu'elle avait été vêtue d'une tenue assemblée de feuilles aussi bleues qu'elle, mais qui pour une curieuse raison n'avaient pas bloqué la lumière émise par le farfadet. Avaient-elles été transparentes ? Elle n'en avait jamais vues de semblables. Elle avait également possédé de fins cheveux tressés qui avaient disparu derrière son dos, et ses yeux lui avaient semblé bleus, mais elle n'en avait pas été sûre. Elle avait été coupée dans ses réflexions par le même être debout sur son index qui, concentré, avait placé ses mains luisantes face à face sous son visage, les lèvres remuant comme si elle avait appelé quelqu'un. L'instant d'après, une petite boule d'eau aussi luisante que la fée avait oscillé doucement entre les mains de sa créatrice.
Madeleine avait ouvert des yeux exhorbités. Comment avait-elle fait ? Elle avait créé de l'eau à partir de rien ! Elle l'avait bien vue, ses yeux ne l'avaient pas quittée une seule seconde...
La jeune fille s'était alors souvenue de son combat contre les soldats en armure grise. Elle non plus n'avait pas eu besoin d'utiliser l'eau d'un ruisseau, vu qu'il n'y en avait jamais eu. Néanmoins, quelque chose lui avait paru différent :
"Non, avait-elle pensé, non, ce n'est pas ça. J'avais utilisé l'eau à l'état gazeux, je l'avais juste fait passer à l'état liquide. Elle, en revanche, n'avait pas liquéfié l'eau de l'atmosphère. Je l'aurais senti. Elle n'a pas utilisée cette technique..."
Une fois de plus, ç'avait été la petite créature qui l'avait coupée dans son monologue intérieur. Ses petits bras s'étairnt uniformément soulevés pour amener la goutte d'eau phosphorescente plus proche du visage de Madeleine. Celle-ci, comprenant que la fée lui en faisait cadeau, avait approchée son autre main, attendrie, avant d'être retenue par une de ses pensées :
"Minute... Si je la prends comme ça, elle va s'écraser sur ma main ! Je fais quoi moi..."
La réponse lui était apparue comme une évidence. D'un simple mouvement des doigts, la goutte s'envola des mains de la fée pour venir survoler celle de la jeune fille. En voyant sa création se mouvoir sans ordre de sa part, les yeux de l'être s'étaient écarquillés et il s'était mis à gigoter dans tous les sens. Avant que la jeune fille ait pu interpréter sa réaction, la fée s'était tournée vers l'étang et avait émis une sorte de sifflement sec. Le temps que la jeune fille comprenne ce qui était en train d'arriver, une lueur bleue avait soudain nappé l'étang et des têtes minuscules avaient surgi des roseaux, suivies par des corps juchés sur des cailloux ou bien accrochés à des joncs. Madeleine avait vu avec étonnement qu'elles avaient été quelques dizaines, alors qu'elle n'avait même pas remarqué leur éclat. Celle qui avait bougé sur sa main leur avait crié - ou plutôt dit, à l'oreille de la jeune fille - des borborygmes incompréhensibles et leurs yeux d'abord ensommeillés s'étaient soudainement ouverts et l'avaient scrutée. Quelques-unes plus hardies que les autres avaient même quitté la surface lisse pour venir se risquer jusqu'aux premiers brins d'herbes, tandis que leurs comparses étaient retournées sous l'eau en murmurant, et Madeleine avait remarqué que leur éclat disparaissait à son contact - voilà donc comment elles s'étaient cachées.
La jeune fille aux yeux bleus et argent s'était demandée ce qu'elle avait bien pu divulguer à ses congénères. Puis elle s'était souvenue que c'était lorsqu'elle avait usé de son pouvoir qu'elle avait commencé à s'agiter : cela avait-il un lien ? Apparemment oui, puisque les nombreuses fées restantes avaient commencé à reproduire exactement les mêmes gestes que leur prédécesseuse et très vite, une petite foule de fées avait les mains tendues en une parfaite synchronisation et avaient piaillé pour qu'elle accaptât leurs offrandes lumineuses. D'abord gênée, la jeune fille leur avait finalement accordé ce plaisir et bientôt les multiples bulles d'eau avaient survolé la marre, comme des dizaines de lampions qu'on aurait tirés.
Chez les petits êtres, ç'avait été une immense explosion de joie. Certaines firent la ronde en riant, planant au-dessus de l'étang, tandis que d'autres s'approchait de Madeleine, des fleurs dans les mains.
Une petite fée à la peau légèrement plus sombre que ses congénères s'était discrètement approchée de la main de la jeune fille où était perchée l'autre fée, battant gracieusement des ailes. Elle lui avait tendu la main, et ç'avait été lorsque la jeune fille l'avait vue de dos qu'elle avait remarqué que la pauvre avait eu une aile déchirée. Une entaille sombre avait zébré l' aile lumineuse, et Madeleine s'était surprise à epriu et de la pitié pour elle. Plus jamais elle ne pourra voler. La fée s'était envolée au bras de son camarade, les ailes inertes.
Elle n'avait pas remarqué que pendant que la charge de sa main s'était envolée, des fées plus petites que les autres - des enfants, sans doute - avaient tressé ses cheveux blonds en une natte élégante truffée de perles. Quelques-unes des plus intrépides s'étaient même envolées jusqu'à sa tête et descendaient le long de sa robe comme s'il avait s'agi d'un toboggan. Bien qu'elle n'eût pas saisi la raison de la liesse générale, voir ces petits êtres aussi heureux dans cet enfer que lui avait décrit Emwo lui avait procuré une douce sensation. Sans même qu'elle eût su pourquoi, elle avait éclaté de rire, et les preuves de son amusement s'étaient mêlées à celle qui déjà avaient résonné dans les airs. Ç'avait fait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi bien. Elle s'était levée et, à l'ovation générale, avait commencé à former des sculptures d'eau autour desquelles les fées avaient virevolté, formant un étrange balet magnifique aux yeux de Madeleine. Mais tandis que l'eau avait formé des colonnes à la surface de l'étang, dérangeant les fées qui avaient vécu en profondeur, Emwo, sans que personne ait sû qu'il était là, avait vu toute la scène et avait poussé un grognement avant de disparaître soudainement, comme s'il n'avait jamais été là. Madeleine retourna au présent. Ce n'était pas rare qu'elle se perde autant dans ses souvenirs. Elle revivait la scène comme si elle s'était déroulée la veille, alors que de nombreux jours s'étaient déroulés depuis. La suite de la "fête" lui était mystérieusement inconnue, elle s'était probablement endormie peu après. En tout cas, quand elle s'était de nouveau trouvée allongée près du feu de camp, se demandant si tout ceci n'avait été qu'un rêve. Mais quand elle s'était levée, elle avait trouvé sa tresse toujours identique et présente pour témoigner de l'instant magique qui avait eu la veille.
Par la suite, elle n'avait cessé de tenter d'arracher des paroles à son interlocuteur par rapport à ces mystérieux être lumineux, mais Emwo niait tout en bloc et ne cessait de marmonner des bribes de paroles incompréhensibles où pointait une sorte de colère que Madeleine ne parvenait pas à déchiffrer.
Madeleine se releva, la respiration encore saccadée par l'effort qu'elle avait fourni lors de l'entraînement. Si elle ne mourrait pas en affrontant un souverain maléfique, c'était la rudesse fed entraînement qui allait finir par l'avoir. Tout en scrutant la berge sur laquelle l'elfe bleu avait laissé ses empreintes, attentive au cas où il l'attaquerait par surprise, elle se mit lentement à marcher vers le camp, là où son prédécesseur s'était dirigé quelques instants plus tôt.
Le dîner se fit en silence, ce soir-là. Pour une raison que la jeune fille ignorait, une sorte de tension flottait dans l'air et la mettait mal à l'aise. Elle finit difficilement sa dernière pièce de viande, l'estomac noué, avant de lui murmurer un "bonne nuit" et s'enroula dans la couverture où le sommeil ne tarda pas à l'accueillir.
Son sommeil fut peuplé d'étranges rêves. Elle vit un espadon géant tenant sa bague au bout de sa corne et Madeleine exigeait qu'il la lui rende. Puis l'espadon s'était transformé en fée qui lançait sa bague en l'air en éclatant de rire, avant qu'Emma surgisse de nulle part et prenne la bague dans sa main, grognant qu'elle lui ait caché sa soi-disante "aventure amoureuse".
Madeleine avait compris depuis longtemps qu'elle rêvait. Mais pour une raison obscure, elle ne voulait pas se réveiller. Elle sentait que quelque chose se tramait dehors, et son esprit restait cloîtré dans le monde des rêves. C'était sur cet état d'esprit que son songe se poursuivait, Emma l'entrainant à présent au fond de l'océan, dans le temple où elle avait organisé une fête avec le reste de la bande...
Mais le lendemain matin, alors que le soleil chassait son sommeil à coup de rayons, elle ne put refuser de revenir à la réalité.
Elle sut que son ressentiment était fondé lorsque le calme inhabituel ne parvint pas à la réveiller complètement. Ce fut les yeux encore lourds de sommeil qu'elle s'aperçut d'une chose. Chose qui la plongea dans une profonde terreur.
Emwo avait disparu.
La jeune fille crut tout abord qu'il s'agissait d'un exercice et se mit aussitôt sur ses gardes. Mais plusieurs instants passèrent et aucune attaque ne venait. Elle entreprit alors de sonder les environs : elle déroula sa corde-ceinture et la fit tourner plusieurs fois sur elle-même comme un lasso avant d'en lancer l'extrémité vers une branche autour de laquelle elle s'enroula. Elle en fit rapidement l'ascension avant de la remonter sur la branche, au cas où un ennemi en profiterait pour se hisser à sa hauteur. Elle passa du temps sur son perchoir à tout observer de sa vue à présent plus perçante, mais aucune trace de l'Elfe, ni dans les buissons, ni dans les cours d'eau, rien. Il s'était bel et bien volatilisé.
Elle descendit prudemment la corde avant de la réenrouler et revint à leur campement. Les dernières traces de son passage remontaient à la veille quand, après avoir englouti don dîner dont les restes gisaient encore au sol, il était remonté en haut de son arbre afin d'apercevoir un potentiel danger. Elle s'approcha du spécimen en question, mais rien. Elle fit plusieurs fois le tour de l'arbre mais aucune trace de pas ne maculait le sol. Elle monta même aux branches les plus basses de l'arbre mais aucun indice ne résultait sur la destination de l'Elfe d'eau. Sa tenue d'écailles argentées ne pointait d'aucun tronc d'arbre, ses cheveux azur ne se découpaient pas dans le paysage comme à leur habitude. Madeleine se surprit à regretter son regard vert pénétrant qu'elle savait en permanence posé sur elle : à présent, elle était seule.
Elle s'assit dans le sable gris, face au ruisseau. L'elfe n'avait pas été attaqué par surprise, sans quoi le vacarme l'aurait réveillé - même dans le cas contraire, il aurait resté des traces. Preuve venant s'ajouter au tout : elle ne serait pas là pour le rechercher. Sans compter qu'à sa connaissance, personne au combat ne pouvait rivaliser avec la tactique de combat d'Emwo. Il était donc parti de son propre gré ? Elle ne pouvait y croire. Dire qu'il accordait tant d'importance à sa mission...
Madeleine soupira. Son cœur était à présent serré par l'angoisse de devoir survivre seule dans un monde hostile. Certes, Emwo lui avait appris de nombreuses choses, mais comment pourrait-elle savoir quand, où et comment les mettre à profit ? Devrait-elle se fier à son instinct ou bien faudrait-il qu'elle analyse posément la situation ? Des milliers de questions bourdonnaient dans son cerveau et faisaient augmenter son anxiété à mesure que le temps passait. Si seulement il y avait quelqu'un pour l'aider...
Elle releva la tête. Mais oui ! Elle devait trouver une ville. Il y aurait forcément quelqu'un pour l'aider dans un lieu habité. Pas forcément la comprendre, car d'après ce qu'elle avait compris, le fait qu'elle soit ici n'était pas su de tous, mais au moins une présence amicale.
Elle se leva et contempla un instant le courant limpide. Elle ne savait pas où se situait la prochaine habitation, la quantité de nourriture qu'elle emporterait restait donc un mystère. Devait-elle délaisser ses vivres afin de voyager plus rapidement ou en vue d'un long voyage, avancer lentement mais sûrement ? En temps normal, cette décision aurait été facile à prendre, mais elle n'avait ni carte ni échelle de distance, sans compter qu'elle ne savait absolument pas à quelle vitesse elle allait, que ce soit en courant ou en marchant. Elle décida de trancher la poire en deux : comme la pêche n'était pas un problème pour elle, elle emporterait une quantité suffisante de fruits et resterait à proximité du ruisseau - il n'avait d'ailleurs jamais été question de faire autrement.
Le cœur serré, Madeleine leva les yeux vers le soleil qui se trouvait déjà presque à son zénith. Son réveil tardif ajouté au temps que ses recherches lui avaient demandé l'avaient amenée presque à la moitié de la journée. Malgré son angoisse grandissante, elle ne put empêcher son estomac de pousser un mugissement de désespoir et, avec un soupir, décida de s'enfoncer dans les bois à la recherche de quelque chose de comestible. Elle slaloma à peine quelques instants entre les maigres arbres avant de trouver un buisson de baies ressemblant à des myrtilles qu'elle savait inoffensives pour en avoir déjà partagé avec Emwo, après un entraînement particulièrement âpre qui lui avait valu de nombreux bleus sur les genous. Elle en cueillit quelques-unes et les fourra dans sa bouche : leur goût acidulé s'apparentait plus à celui du cassis que de la myrtille, ce qui la désarçonnait toujours autant, mais elle accueillit avec joie la nourriture qui calma vite sa faim : à peine trois d'entre elles suffirent à combler le vide intersidéral que représentait son estomac. Faute de savoir où ranger les autres, elle les garda au creux de sa paume, en espérant que la chaleur de sa main ne les ferait pas fondre.
Il lui fallait se mettre en route. Elle retourna sur la berge et décida de ne pas emporter sa couverture, trop lourde et encombrante pour elle, et ce fut avec un pincement au cœur en pensant aux nuits fraîches qui lui tendaient les bras qu'elle laissa ses empreintes dans le sable fin, sachant pertinemment qu'elle était bien partie pour ne plus revenir.
Son anxiété à son paroxysme, elle partit à l'assaut de la plaine.
Lorsque Madeleine s'arrêta de marcher, quelques jours plus tard, une grande arcade de pierre se dessinait devant elle. Elle venait de passer plusieurs jours à marcher, marcher jusqu'à en avoir des ampoules aux orteils, se nourrissant exclusivement de poissons peu ragoûtant et de baies. À présent qu'elle s'était arrêtée, épuisée et avec l'impression de porter des siècles de crasse, elle admirait la porte de la ville qui se découpant dans le paysage tel un immense rocher. Une muraille circulaire joignait les deux pieds de l'architecture, muraille derrière laquelle des éclats de voix emplissaient l'air. Madeleine sentit une décharge d'adrénaline la parcourir. Elle avait enfin trouvé une ville ! Il y aurait forcément quelqu'un pour l'aider. Elle comprit cependant, en franchissant la porte dépourvue de panneaux de bois, que ses espoirs étaient bien naïfs.
Rien qu'au seuil de la cité, la pauvreté était frappante. Le sol non pavé était constitué de terre meuble légèrement boueuse, les maisons à colombage mal entretenues semblaient à peine tenir debout. Des vieillards étaient assis à même le sol et étaient vêtus de loques misérables qui ne pouvaient les protéger du froid. Les visages qu'elle croisait étaient froids, sales et, pour la plupart, malades. Madeleine surprit quelques murmures envieux à son passage : ses vêtements à peu près propres contrastaient fortement avec la misère ambiante.
Elle prit son courage à deux mains et empreinta la rue principale. La foule était si nombreuses que les gens se marchaient les uns sur les autres, et bientôt ses vêtements furent eux aussi recouverts d'une couche de crasse et de poussière, ce qui lui valut une grimace de dégoût surtout dûe à l'odeur - au moins elle passerait inaperçue, ou presque. Elle continua néanmoins d'avancer, ou plutôt d'être poussée par la foule qui semblait se diriger uniformément vers un même endroit encore plus bruyant que le reste de la ville réunie.
La rue principale finit par déboucher sur une grande et large place où se trouvaient déjà des centaines de personnes. Madeleine, serrée de toutes parts par des habitants qui à chaque fois ne semblaient pas lui accorder la moindre importance, deposaient à chaque bousculade une couche de poussière supplémentaire si bien que Madeleine en venait à se demander quelle était à présent la couleur de ses cheveux. Les têtes se succédaient devant elle mais la jeune fille arriva néanmoins à apercevoir une estrade dressée au beau milieu de la place sur laquelle se trouvait un homme portant une tenue pourpre, éclat vif de couleur au milieu d'une foule sombre. Ses yeux étaient rivés sur une large bande de parchemin qu'il tenait bien tendue devant lui. Des hommes semblaient l'encadrer, mais de là où elle se tenait elle ne pouvait distinguer que les étendards représentant un dragon flamboyant, du feu jaillissant de ses mâchoires et les ailes grandes ouvertes. Elle tenta de s'intéresser au discours de l'homme en pourpre, mais ses lèvres ne semblaient déverser qu'on flot de borborygmes incompréhensibles. À sa grande surprise, les mots ne tardèrent pas à naître des sons et les paroles de l'homme prirent tout leur sens. Une fois que son cerveau les eût traduit, ses yeux s'écarquillèrent.
Il venait récupérer les impôts !
Les grondements qui montèrent de la foule lui indiquèrent que non seulement elle avait raison, mais qu'en plus les sommes qu'il demandait étaient énormes. Bientôt, toutes les personnes présentes exceptées Madeleine poussèrent des hurlements de fureur. L'homme, visiblement énervé d'avoir été interrompu dans sa lecture, leva une main et les porte-étendards quittèrent leurs drapeaux pour venir le rejoindre, fusil à la main. Ce fut là que Madeleine les reconnut.
Les soldats gris !
Cet homme était donc de mèche avec eux ?
Les soldats, sur ordre de celui qui semblait être leur supérieur, tirèrent un coup en l'air uniformément, ce qui eut pour effet de faire taire les clameurs. Un cri monta de l'assemblée et les villageois s'échangèrent des regards horrifiés avant de s'éparpiller, la mine sombre, à travers les petites ruelles qui perçaient de part et d'autres la place circulaire.
Madeleine en eut le cœur serré. Ces gens avaient l'air si abattus... Elle comprenait maintenant pourquoi une telle explosion de joie avait eu lieu chez les fées. Si ces hommes savaient qu'elle était là pour potentiellement les sauver de celui qui faisait régner la terreur, nul doute qu'eux aussi se seraient laissés transportés ! Elle comprit soudain l'importance de sa mission et eut l'impression qu'on venait de lui poser une charge énorme sur ses épaules. Elle constituait sans doute leur dernier espoir : si elle échouait, ils mourraient.
Perdue dans ses réflexions, elle ne remarqua pas le regard inquisiteur que l'homme en habit pourpre avait posé sur elle, qui contrairement aux autres habitants, excepté une femme en pleurs, n'était pas partie de la place. Il chuchota quelques mots au soldat à gauche et le rythme cardiaque de la jeune fille s'emballa.
Elle s'était faite repérer !
Le soldat se cabra en un salut militaire et fit signe à son camarade de le suivre. Paralysée par la peur, elle vit les hommes couverts de métal s'approcher vers elle en un pas uniforme de militaire, telles des machines, répandant un bruit de casseroles qui se percutent.
Ils étaient à deux doigts de la saisir quand ses neurones se reconnectèrent et ses jambes pivotèrent pivotèrent d'elles-mêmes pour commencer à courir. Les soldats, surpris par ce changement d'attitude, restèrent koi jusqu'à ce que leur supérieur leur aboie un ordre que Madeleine traduisit sans mal par : "Attrapez-la !"
La jeune fille courut du mieux qu'elle put pour échapper aux soldats désormais lancés à ses trousses. La fatigue accumulée avait disparu, remplacée par la décharge d'adrénaline que lui donnait la peur et qui poussait ses jambes vers l'avant. Mais les hommes étaient eux aussi rapides, malgré leur carcasse de métal. Et, contrairement à la jeune fille qui se faufilait entre les passants comme une anguille, les soldats expulsaient sans ménagement les habitants qui se trouvaient sur leur chemin. Des plaintes déchirantes ainsi que des exclamations indignées firent naître la colère dans le cœur de la jeune fille qui execra les soldats encore plus qu'à l'ordinaire.
Elle bifurqua à un coin de rue et s'arrêta net, les yeux rivés avec effroi sur le mur qui se dressait devant elle. Un cul-de-sac ! Elle entendait derrière elle les pas métalliques des soldats qui se rapprochaient. Elle analysa attentivement le mur et répéra plusieurs crevasses, mais elles étaient trop éloignées et rendaient son ascension impossible. Elle était bel et bien piégée.
Les silhouettes de ses deux poursuivants apparurent dans l'embouchure de l'impasse. Un coup d'œil jetait à la va-vite dans son dos l'informa qu'ils venaient d'interdire toute retraite. Mais ce qui eut pour effet de l'affoler plus qu'elle ne l'était déjà, ce furent les fusils pointés sur elle. Allaient-ils donc la tuer...?
- Par ici ! Vite !
Madeleine releva la tête. À sa grande stupéfaction, une silhouette encapuchonnée était était perchée en haut du mur et lui tendait la main. Devant l'absence de réaction de la jeune fille, elle soupira et l'agita plus vivement.
- Hé oh, j'te parle ! Grouille-toi, j'ai pas tellement envie de me faire tuer.
C'était plutôt une bonne idée. Madeleine n'eut même pas besoin de regarder derrière elle pour deviner qu'un des deux fusils était à présent pointé sur son sauveur potentiel. La main tendue de la capuche lui ouvrait un chemin qui comportait environ deux ou trois crevasses dont au moins une profonde. Ni une ni deux, elle fonça vers le mur et planta son pied droit dans la première faille, et se servir de son élan pour propulser son autre pied dans une deuxième. Sa main gauche se piègea dans une dernière fissure et elle tendit son membre restant à la silhouette. Celle-ci la tira à ses cotés, sur le haut du mur dont l'épaisseur pouvait lui permettait d'y poser les pieds. La jeune fille posa avec soulagement ses pieds sur la surface calcaire et regarda vivement leurs agresseurs : leurs doigts semblaient à tout moment pouvoir appuyer sur la détente. Elle se tourna alors vers son sauveur et vit qu'il avait la main fermement posée sur ce qui semblait être... Le canon d'un pistolet ! Mais pour une raison mystérieuse, il ne le sortait pas de son étui.
"Qu'est-ce qu'il attend ? C'est le moment !" pensa-t-elle.
Elle s'étonna de voir que ses mains tremblaient. Une vague de compassion assaillit soudain la jeune fille : tuer ne devait pas être une décision facile à prendre. Cependant, les soldats qui se trouvaient en bas avaient déjà fait leur choix : leurs armes pointées sur eux, Madeleine avait l'impression de déjà voir les balles sortir des fusils.
- Par ici ! lança-t-elle.
Sans même attendre son accord, elle lui prit la main gauche qu'elle trouva particulièrement chaude et l'entraîna sur les toits faits de tuiles pour certains, de chaume pour d'autres. Elle entendit derrière elle le sifflement des balles et comprit qu'un instant plus tard et elle ne serait plus de ce monde. Elle visualisa le haut des maisons comme s'il s'agissait des branches sur lesquelles elle avait eu bien des occasions de bondir. Les tuiles étaient plus inégales et glissantes que les branches, mais tout de même praticables. Très vite, ils franchirent les toits de trois maisons avant qu'elle n'entende de nouveau le sifflement, près de son oreille droite cette fois. Elle plongea sur le sol et força son équipier à faire de même d'une main derrière la tête, puis un bruit de détonation lui parvint d'un peu plus loin.
Elle risqua un regard sur le côté. Ses yeux lui apportèrent la confirmation que ses craintes étaient fondées.
Les soldats les poursuivaient !
Elle se rétablit immédiatement sur ses deux pieds et la lourdeur de ses jambes disparut aussitôt. Elle se mit à courir de toutes ses forces, traînant derrière elle celui qui l'avait aidé et qui à présent paraîssait totalement déboussolé.
"Pas très classe, comme chevalier servant" se dit-elle.
Elle s'abstient cependant de tout commentaire et continua d'escalader les toits jusqu'à ce que leurs poursuivants soient hors de portée. L'aide providentielle d'une cheminée dépassant d'un champ de tuiles les aida à disparaître complètement du champ de vision de leurs poursuivants. Madeleine risqua un coup d'œil derrière son abri et vit que les soldats tournaient la tête de tous côtés dans l'espoir de les apercevoir avant de prendre le chemin inverse, l'air sûr qu'ils s'étaient faits berner.
Ce ne fut que lorsqu'elle se fut assurée qu'ils avaient disparu de son angle de vue que la jeune fille blonde se laissa glisser le long de la paroi de pierre, le souffle court. À présent que l'adrénaline l'avait quittée, ses muscles ne semblaient plus pouvoir fournir le moindre effort. Devant elle, son sauveur n'était pas en meilleur état qu'elle. Elle allait l'apostropher quand un mouvement sur son doigt attira son attention. Elle baissa les yeux et les écarquilla aussitôt.
Sa bague brillait et vibrait en bleu de nouveau.
Son attention fixée sur la course-poursuite, elle ne l'avait remarqué que maintenant. Qu'est-ce qu'il se passait ? La dernière fois que son bijou avait eu une telle réaction, c'était...
Elle fut interrompue dans ses réflexions. Son aide mystérieuse venait d'ôter sa capuche d'où s'échappait une cascade de cheveux roux.
Et derrière ces cheveux roux pointait le bord rond d'une boucle d'oreille qui semblait connaître le même sort que sa bague.
À ce moment là, le doute n'était plus permis.
- Emma ?
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