Il y a des choses et des sensations bien pires que la mort. C'est le constat auquel Sage put arriver après plusieurs jours de captivité.

Quand le jeune homme était venu la voir la première fois, prononçant des paroles incompréhensibles, parlant de pouvoirs magiques et autres fantasmes incohérents, elle avait cru qu'il se moquait d'elle, qu'il essayait de lui faire perdre la tête avant de lui ôter la vie. Elle avait pensé que ce n'était qu'un jeu malsain auquel s'adonnait son geôlier aux yeux froids pour le plaisir de la tourmenter.

Mais, alors qu'il revenait chaque jour, avec toujours les mêmes interrogations improbables, Sage avait fini par réaliser que si elle était restée saine d'esprit, lui, au contraire, semblait réellement croire que les questions qu'il lui posait étaient sérieuses et plausibles. Et plus elle répondait qu'elle ne comprenait pas ce qu'il voulait dire, ce qu'il voulait d'elle, plus il se faisait insistant et tranchant.

On avait commencé par l'affamer et la priver de sommeil. Le manque de nourriture, et la soif l'avait tant désorientée que Sage n'arrivait plus à distinguer le jour de la nuit et ce depuis bien trop longtemps maintenant. Elle pouvait cependant s'estimer heureuse d'une chose : elle n'avait pas été brutalisée, pas encore. Mais elle le savait, sa chance finirait bien par tourner et elle regretterait d'avoir survécu à la première partie de son interrogatoire.

Sage se sentait peu à peu perdre pied. Son esprit alternait entre périodes de lucidité et une inconscience peuplée de rêves étrangement réalistes, où elle avait la sensation d'être prisonnière de son propre corps et de n'être qu'une spectatrice.

Elle se retrouvait dans des lieux inconnus, mais, et elle ne saurait l'expliquer, elle avait la certitude d'avoir déjà été physiquement présente dans ces endroits. Elle voyait, entendait, sentait et ressentait tout, chaque détail, avec une précision et une acuité omniprésente qui dépassaient son entendement.

Alors quand elle reprenait enfin connaissance, à bout de souffle, elle ressentait comme un vide immense, et Sage ne pouvait pas accepter qu'elle n'eût fait que rêver.

Parfois, elle parcourait une grotte aux parois presque aussi rouges que le sang. Dans ces couloirs, il faisait chaud et moite, des gouttes de transpiration lui couraient sur les tempes, et pourtant elle avait le sentiment réconfortant d'être à sa place. Elle pouvait presque se rappeler la sensation de la pierre sous ses doigts, comme si elle connaissait par cœur la façon dont elle s'effriterait à son contact en une poudre orangée qui lui collerait à la peau.

Elle se retrouva aussi à plusieurs reprises dans une vaste salle circulaire au centre de laquelle une cuvette creusée à même la roche était remplie de l'eau la plus pure et la plus lumineuse qu'elle n'avait jamais vue. Sage avait parfaitement conscience de la présence de personnes dans son dos. Elle entendait leurs litanies, dans une langue qui lui était inconnue : ancienne et mystérieuse. Elle n'aurait jamais dû la comprendre, elle le savait et pourtant, instinctivement, le sens de ces mots lui venait naturellement. Elle viendra, auréolée de lumière, et purifiée dans la souffrance, renaîtra l'âge d'or du peuple instruit.

Mais le plus souvent, et c'était le plus perturbant, elle rêvait de son geôlier. Il avait les cheveux en bataille, l'ombre naissante d'une barbe sur la mâchoire et au niveau de son cœur, sous sa chemise, un rougeoiement éclairait sa chemise. Il lui souriait ou tendait les bras dans sa direction, une expression indéchiffrable sur le visage. Parfois il semblait lui parler sans qu'elle ne puisse l'entendre, et Sage se sentait poussée vers lui, comme s'il était le centre de son existence.

Sage avait peur à chaque fois qu'elle rêvait de lui. Peur de développer une sorte de passion malsaine pour la seule personne qu'elle voyait depuis ce qui lui semblait être des mois. Peur de lui être reconnaissante quand il lui accordait une gorgée d'eau alors qu'il était précisément la personne qui l'en privait. Peur d'aimer le moindre geste d'humanité qu'il avait pour elle.

La porte tourna sur ses gonds, le souffle de la jeune fille se bloqua et son cœur rata un battement dans sa poitrine quand elle reconnut la silhouette qui se glissa dans la pièce. Elle arrivait à reconnaître sa façon de se mouvoir, elle connaissait chacun de ses gestes.

— Je ne sais plus quoi faire Sagittaire, souffla-t-il la tête baissée, le visage toujours dans l'ombre. Je ne veux pas te faire de mal, mais si tu n'avoues pas la vérité et que tu ne mets pas tes pouvoirs au service du roi, je ne pourrais plus repousser l'échéance.

Un frisson la parcourut alors que la peur lui tordait l'estomac, elle serra les dents pour ne pas le supplier de la laisser partir. Il avança d'un pas et elle put enfin discerner l'expression de son visage avant qu'il ne se remette à parler dans un murmure.

— Je t'en prie, supplia-t-il, ne m'oblige pas à te faire du mal.

Dans un autre contexte, si Sage avait pu être certaine de se faire confiance à propos de lui, elle aurait presque pu croire qu'il était sincère et qu'il ne voulait vraiment pas en arriver là.

— Je n'ai aucun pouvoir, cracha Sage, et si j'en avais, jamais je ne les utiliserais pour vous !

Les épaules du jeune homme s'affaissèrent. Il fit courir un doigt lentement dans son cou qui laissa un sillon anormalement brulant sur sa peau et déplaça quelques mèches collées par la sueur.

— Je suis vraiment désolé.

Et avec ces mots, commencèrent de longues heures de souffrance.

On introduisit dans sa cellule un nouveau personnage. Imposant était le mot qui le décrivait le mieux.

— Je te présente Milou, ne te fie pas à son patronyme, il n'est pas aussi tendre qu'il n'y paraît.

Sage ne pourrait lister tout ce qu'on lui fit subir. Elle attendait la fin des séances de torture avec impatience car à chaque fois, son geôlier aux yeux bleus s'attardait, lui caressait la joue et c'était comme si toute souffrance s'envolait, la laissant dans un état de bien être qui la faisait sombrer dans l'inconscience.

Mais la jeune femme savait que la fin approchait. Plus le temps passait, moins les coups de Milou lui arrachait de cris et plus celui-ci semblait frustré. Arriva un moment où Sage ne réagissait même plus et où toute souffrance physique n'avait plus d'emprise sur elle.

Alors que l'homme restait quelques instants seul dans sa cellule avec elle comme à chaque fois, son visage exprimait une infinie tristesse qui tranchait avec l'ordre des tortures qu'il avait donné quelques heures auparavant.

— C'est la fin n'est-ce pas ? demanda Sage en redressant le menton autant qu'elle put.

— Oui, répondit-il en évitant son regard. Ils ont fixé la date de ton exécution.

— Quand ? demanda-t-elle simplement.

— Demain, sur la Grand Place.

Sage aurait cru qu'après tout ce qu'on lui avait infligé, plus rien ne pourrait faire s'emballer son cœur comme il réagit à cette annonce. Et pourtant, son muscle cardiaque se mit à se contracter plus rapidement, après tout on n'apprend qu'une fois dans sa vie que l'on va mourir. Le plus étrange fut en revanche qu'elle ressenti un regain d'instinct de survie et Sage comprit qu'elle n'avait pas envie que ça s'arrête là.

— J'ai peur, murmura-t-elle finalement.

Le visage de l'homme en face d'elle sembla s'illuminer, un reflet argenté se peignit sur son visage et Sage crut rêver. Il fut sur elle en un instant, plaçant sa paume droite sur ses yeux.

— Ne refais jamais ça, gronda-t-il d'une voix sourde.

Sage cligna des yeux et quand il retira lentement sa main, la pièce était à nouveau plongée dans la pénombre.

Il fit deux pas en arrière et refusant de la regarder une dernière fois, il disparut. 

***** Bonjour Bonjour !
Je suis vraiment désolée pour le temps d'attente entre ces deux chapitres. J'ai perdu un membre de ma famille tout début septembre et entre la reprise, le travail et l'organisation d'un déménagement, je n'ai pas eu le cœur à me connecter sur WP plus que ça. Mais ça va mieux et me revoilà plus motivée que jamais !J'espère que ce chapitre vous plaira et que vous continuerez à me suivre.
L'intrigue va bientôt s'accélérer, j'ai hâte d'avoir votre avis la dessus.
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A très vite,
WSC.