5. En captivité
Lorsque Sage reprit pied dans la réalité, elle avait atrocement mal à la tête, à la cheville et à l'épaule gauche. Elle tenta d'émerger mais, encore un peu dans les vapes, la jeune femme avait du mal à se concentrer sur son environnement. Tout ce qu'elle percevait pour l'instant était une odeur de renfermé qui lui donnait sacrément la nausée. Ou peut-être était-ce simplement le choc qu'elle avait reçu à la tête ?
Elle tenta de percer le brouillard qui envahissait son esprit et de se rappeler les récents événements. Dans une série de flashs, elle entrevit le carrosse à moitié renversé, frappé du blason de la famille royale ; le visage de la reine, déformé par la colère ; la course poursuite dans les rues crasseuses ; sa chute et la douleur qui avait suivi.
Sous le choc, Sage ouvrit les yeux en grand, accompagné d'un long gémissement. Son regard ne rencontra qu'une pâle obscurité.
Elle prit peu à peu conscience de sa position et de son état. Son épaule était engourdie car elle était enchaînée au mur par d'épais maillons rouillés par les années. La chaîne était si courte qu'assise elle ne pouvait pas baisser complètement le bras, tant et si bien que son articulation prenait un angle étrange. Retroussant sa jupe, elle découvrit que sa cheville était rouge et boursouflée, elle ne parvenait même pas à bouger ses orteils tant la douleur était forte. Ses cheveux pendaient mollement sur son visage et ses vêtements étaient recouverts de boue, encore humides de sa tentative de fuite désastreuse.
Ainsi prostrée, Sage comprit que sa position était plus que précaire. Si elle était encore en vie, ce n'était que parce que son faux pas pourrait servir d'exemple et terroriser le peuple de Valdaren. Leur faire comprendre, une fois pour toute, qu'on ne manquait pas de respect à la famille royale sans en payer le prix fort.
La jeune femme ressenti la colère monter doucement en elle, comme à chaque fois qu'elle avait fait face à une quelconque injustice. Comme la fois où elle avait dû assister à l'exécution d'une domestique, sur la grand place, par un noble pour une faute insignifiante. Elle revoyait le visage déformé par la peur de la femme aux cheveux grisonnant. Elle entendait encore ses cris de protestations. Elle avait hurlé qu'elle n'avait fait que trébucher sur sa jupe trop longue. Elle avait geint que l'erreur était humaine et qu'elle faisait de son mieux. Avant que la longue hache du bourreau ne s'abatte sur sa nuque, elle avait fini par prier, les yeux mi-clos, un Dieu qui ne l'avait pas entendu. Ou peut-être que si. Peut-être que son Dieu était miséricordieux, qu'il l'avait délivré d'une existence qui était pire que la mort. D'une vie sans plaisir, ni joie.
Sage avait fait des cauchemars pendant des mois après cet événement. Dès le plus jeune âge, on les forçait à assister à ce genre de spectacles, où les castes supérieures mangent et boivent en rigolant, où les castes inférieures apprennent ce qu'il en coûte de ne pas être à la hauteur.
Elle regarda autour d'elle et distingua de la paille au sol, de grandes voûtes disparaissant dans l'ombre au-dessus de sa tête, et une porte en bois sombre, percée d'une lucarne aux barreaux rouillés. Dans cette atmosphère pesante, Sage frissonna et se mordit la lèvre pour ne pas craquer et laisser couler ses larmes.
Elle avait peur. Comme elle n'avait jamais eu peur auparavant.
Ses terminaisons nerveuses étaient secouées de spasmes incontrôlables et elle avait froid. Terriblement froid.
Est-ce qu'elle avait seulement une chance de s'en sortir vivante ? Pas vraiment, et Sage était beaucoup trop réaliste pour se bercer de fausses illusions. C'est d'ailleurs la seule chose qui l'avait raisonné quand, à de nombreuses occasions, elle avait eu envie de crier à l'injustice, de s'interposer dans la sanction qu'une caste supérieure appliquait à l'un des siens. Mais, bien que rongée par la colère, Sage avait toujours su voir la vérité en face : elle n'était qu'un moucheron face à l'immensité d'un système archaïque qui ne changerait jamais.
Depuis combien de temps était-elle là ? Elle avait l'impression que des heures avaient passées, mais la faible luminosité et le manque d'ouverture vers l'extérieur l'empêchait de le savoir avec précision.
Des pas résonnèrent dans les couloirs. Elle entendit les gémissements provenant d'autres cellules, comme si ce seul son les rendait complètement fous de douleur. Et quand elle entendit la clef tourner lentement dans la serrure de la porte, Sage sentit tous ses muscles se nouer. Dans un sursaut de fierté, malgré la douleur, la jeune femme se mit debout pour affronter ce qui l'attendait.
Le cœur battant la chamade, elle écouta le grincement des gonds quand le lourd battant en bois pivota enfin sur lui-même, découvrant un garde posté à sa porte et un autre qui entrait d'un pas ferme et décidé.
— Tu es réveillée, c'est bien.
La voix chaude et pourtant cassante la fit frissonner.
N'ayant plus rien à perdre, Sage se força à redresser le menton et à considérer le jeune homme qui se tenait devant elle la tête haute.
A travers la pénombre, elle arriva à distinguer une silhouette haute aux épaules carrées, mais pas autant que celles des personnes qui travaillent dans les champs. Le jeune homme, son geôlier, ne semblait pas avoir plus de quelques années de plus qu'elle. Avec ses cheveux blonds plaqués en arrière, ses yeux bleus qui la scrutait intensément, sa mâchoire carrée, il n'aurait pas fait peur à Sage si elle l'avait croisé dans la rue.
Sage se demanda ce qu'on avait pu faire pour en arriver à devenir gardien de prison. Quelles genres de qualités il fallait avoir pour qu'on vous assigne à la détention et à la torture d'êtres vivants ?
— Tu sais pourquoi tu es ici ? lui demanda-t-il en ne la quittant pas de ses yeux perçants.
Sage hésitait à répondre : son instinct lui hurlait de lui obéir, de ne pas opposer de résistance après tant d'années de soumission ... Mais, une petite voix dans sa tête, celle qui écoutait la rage qui bouillonnait depuis toujours dans son ventre, lui chuchotait qu'elle n'avait plus rien à gagner à jouer les pions soumis. Qu'elle allait mourir, qu'importe son comportement à venir.
Face à son manque de réponse et son obstination à le défier du regard, l'homme se rapprocha à grandes enjambées d'elle.
— J'ai des moyens beaucoup moins agréables de te faire parler gamine, souffla-t-il en lui attrapant le menton d'un geste ferme sans pour autant lui faire mal.
Sage aurait pu s'indigner du surnom qu'il lui avait donné mais elle était beaucoup trop fatiguée pour se mentir à elle-même : vu l'état dans lequel elle se trouvait, elle devait effectivement ressembler à une enfant têtue qui malgré ses efforts n'arrivait pas à cacher les lents spasmes de peur qui parcouraient son corps.
Elle fut tentée de lui répondre, son esprit hésitant encore entre la soumission et le dernier sursaut de fierté, mais elle avait peur de se mettre à pleurer si elle ouvrait la bouche.
L'homme soupira longuement en se détournant de son visage. Il secoua lentement la tête avant de replonger son regard dans le sien.
— Je vais te laisser un peu de temps pour réfléchir, mais sache que je préférerais que tu coopères, comme ça je pourrais en finir vite avec toi, crois-moi tu serais soulagée et moi aussi...
La sincérité dans sa voix frappa Sage. Elle le croyait quand il lui disait qu'il ne prendrait pas de plaisir à la voir souffrir, mais comment pouvait-on alors en arriver là ? Par choix ? Dépit ? Habitude ? La jeune femme aurait pu jurer que même pour assurer sa survie, elle n'aurait jamais pu faire du mal à un être humain.
— Je ne sais pas, souffla-t-elle enfin alors qu'il s'apprêtait à ouvrir la lourde porte de la cellule.
Il se figea sur place en entendant la voix tremblante de Sage. Elle aurait aimé garder le contrôle de ses cordes vocales mais elle était tellement épuisée par le choc et l'émotion, que ses mots étaient semblables aux bégaiements d'un enfant.
— De quoi te rappelles-tu ? lui demanda-t-il sans pour autant se retourner, comme s'il avait peur de l'effrayer s'il lui faisait face.
— Je sais ce que je faisais dans cette rue, une course pour ma maîtresse, cru-t-elle bon de préciser en se rendant compte que maintenant qu'elle s'était décidée à parler, les mots semblaient sortir tout seuls de sa bouche. Il avait beaucoup plu, reprit-elle, la chaussée était glissante et je suis tombée. Tout est allé très vite, un carrosse me fonçait dessus, je ne pouvais pas l'éviter alors j'ai fermé les yeux. Quelques secondes plus tard, il y a eu un grand bruit et quand j'ai compris que je n'étais pas blessée j'ai rouvert les yeux. Le carrosse était renversé et on me pointait du doigts, des gens criaient alors j'ai fait la seule chose que je pouvais faire : je me suis mise à courir.
La respiration de Sage s'était faite plus saccadée au fur et à mesure qu'elle se remémorait la scène.
— Je n'ai rien fait qui mérite de me retrouver ici, conclut-elle fermement.
C'était la seule certitude de la jeune femme. Mais à Valdaren, la justice n'avait aucun droit et il était vain de croire qu'on pouvait s'extirper d'une situation parce qu'on avait rien à voir dedans.
— Tu joues très bien à l'innocente.
La voix de l'homme n'était plus qu'un murmure et Sage frissonna.
— Je ne joue à rien du tout, la colère commençait à s'insinuer lentement dans son organisme se mêlant lentement à la faim, le froid et la peur. Je ne comprends pas ce que vous me voulez, la reine veut ma tête pour avoir été le caillou qui a fait chuter son carrosse, qu'on en finisse rapidement !
— Ce n'est pas la raison de ma présence ici et tu le sais.
Il fit volte face et se planta devant elle, les bras sur les hanches.
— Que faut-il que je fasse pour que tu avoues, que je te jette des pierres au visage, est-ce que tu les utiliseras à nouveau devant témoin ?
Ses paroles tournaient dans la tête de Sage à une vitesse improbable. Elle ne comprenait rien à ce qu'il disait.
— Je ne comprends pas, utiliser quoi ?
— Tes pouvoirs, répondit-il en plissant des yeux comme s'il tentait de trouver la clef de son esprit.
Sage avait l'impression que sa tête allait exploser, que son ventre jouait à cache cache dans sa gorge et que son cœur tambourinait si fort dans sa poitrine qu'on l'entendait dans le couloir.
— Vous êtes complètement cinglé, fut tout ce qu'elle pu murmurer. Je ne suis pas celle que vous pensez.
***** Bonjour Bonjour !
Voilà le chapitre 5 où la posture de notre pauvre Sage ne s'est pas vraiment améliorée depuis la fin du dernier chapitre !
Je me sens inspirée donc la suite ne devrait pas tarder !
Je vous laisse me partager votre avis et cliquer sur la petite étoile pour voter. Et si le cœur vous en dit partager cette histoire avec vos amis.
A très vite,
WSC.
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