6. Prophétie
-Quand je pense que t'avais l'occasion de pas faire la même erreur deux fois, soupira Tsukishima.
Oikawa, qui jouait paisiblement aux échecs version sorcier avec Kai un peu plus loin dans la salle commune, se retourna en haussant un sourcil devant ce commentaire inattendu. Il n'eut pas le temps de répondre que Kita, assis dans un fauteuil à lire, commenta :
-Franchement Tsukishima, à persifler comme ça, on devrait te réorienter à Serpentard.
-Vas-y, exprime-toi, Tsukki, lança Tooru en lui adressant un regard foudroyant, va au bout de ta pensée. Qu'est-ce que tu veux dire ?
Tsukishima, installé à une table individuelle et que tout le monde croyait absorbé dans ses devoirs jusqu'à ce qu'il lance cette pique, posa sa plume :
-Eh bien, avec ton amnésie très ciblée, t'aurais pu te débarrasser de Kageyama et trouver quelqu'un à ta hauteur intellectuelle et spirituelle. Sauf que là, visiblement, t'es retombé dans le même panneau.
Oikawa fut tellement suffoqué d'indignation qu'Akaashi eut une fenêtre pour répondre à sa place :
-Les sentiments, ça ne se contrôle pas, c'est pas une question de rationalité.
-Exactement ! s'écria finalement Tooru. Je trouve bien présomptueux de la part d'un petit cinquième année de venir charrier son préfet-en-chef sur les sentiments délicats et naissants qu'il a avoué à ses condisciples avec une totale confiance en eux ! Sans suspecter des réflexions aussi mesquines de leur part !
-Il t'enlèverait des points si vous étiez pas dans la même maison, commenta Yaku.
Yachi faisait signe à Tsukishima de s'excuser, mais celui-ci semblait toujours très fier de sa sortie et affichait même un petit sourire qu'Oikawa se hâta d'effacer par une contre-attaque tout aussi personnelle :
-D'ailleurs, tu peux parler hein ! Toi aussi tu fréquentes un Gryffondor de cinquième année, et qui est dans le même dortoir que Tobio d'ailleurs !
-Qui, Yamaguchi ?
Kenma et Akaashi échangèrent un regard entendu, puis le dernier objecta :
-En fait, je crois qu'il lorgne plutôt sur un septième année de Serpentard...
-Kuroo ? s'ébahit Oikawa.
-Qu'est-ce que tu racontes ? répliqua froidement Tsukishima, se tournant vers le dénonciateur : et toi, tu veux que je parle de ce que tu penses d'un certain septième année de Poufsouffle ?
Ils en étaient là dans leur querelle quand la porte s'ouvrit soudain en grand et que Tendou entra, écartant les bras comme si son arrivée était attendue :
-Eh ben alors, qu'est-ce qui se passe ici ?
Il posa son regard sur Akaashi et ses joues rouges, Tsukki dont les lunettes étaient embuées, et Oikawa qui avait franchement l'air de jeter un sortilège interdit. Kita se leva de son fauteuil, et avec autant de calme et de fermeté que si l'insigne de préfet-en-chef avait été accroché sur sa propre poitrine, il décréta :
-Allez, tout le monde au lit, il est tard.
Tendou se cala devant l'âtre pour se réchauffer les mains pendant que les autres élèves de Serdaigle rangeaient leurs affaires et rejoignaient leurs dortoirs en râlant. Seul Oikawa demeura assis à table, et ils se retrouvèrent bientôt seuls dans la salle commune vide.
-Qu'est-ce qui se passe, Oikawa, t'as l'air tout chafouin ? Oh, laisse-moi deviner...
« Laisse-moi deviner » était l'expression préférée de Tendou. Il fallait dire qu'il était expert en Divination : à en croire le prof, il n'avait jamais vu élève plus doué dans cette matière, c'était un don pur et simple. Parfois très utiles, mais plus souvent très agaçantes, ses petites prédictions ne manquaient jamais de se réaliser ; le seul problème, c'était qu'elles étaient complètement aléatoires et que si l'on s'avisait de lui demander le sujet d'un examen important ou la réponse de notre crush quand on lui demanderait de sortir avec, il n'en savait pas grand-chose.
-... C'est encore Kageyama, hein ? Tu n'arrives pas à remettre tes souvenirs en place ?
-Non, soupira Tooru. J'essaye, mais impossible.
-C'est vraiment un problème ? demanda Tendou en s'asseyant face à lui, occupant le fauteuil que Kai avait laissé vacant. Dans quelques mois, avec la potion, ce sera résolu.
-Et si la potion ne marche pas ? Si on m'avait jeté un sort pour que j'oublie Tobio ?
Tendou renversa la tête en arrière et sembla réfléchir un instant tandis qu'Oikawa poursuivait, de plus en plus agité :
-Avec toutes les filles qui me suivent dans les couloirs et m'attendent à la sortie des cours ou du Quidditch, et les philtres d'amour qui imbibent toute la nourriture qu'elles m'offrent... Peut-être que l'une d'elle a voulu m'ensorceler et que ça a mal tourné ! Peut-être que c'était à ce match... Et si c'était ça qui m'avait fait tomber de mon balai, et pas le Cognard ? A moins que l'une d'elles en ait profité quand j'étais inconscient et qu'on m'emmenait à l'infirmerie et...
-Quelle importance ? l'interrompit Tendou. Tu retombes amoureux de Kageyama malgré tout ça, alors la finalité est la même.
Oikawa s'arrêta en pleine phrase, un index en l'air pour appuyer sa démonstration, et se tourna vers Satori en plissant les yeux :
-Mais... t'étais pas là quand j'ai dit que j'avais des sentiments pour lui tout à l'heure.
Tendou lui adressa un sourire de connivence :
-Pas besoin, il n'y a qu'à voir comment tu le regardes.
Tooru leva les yeux au ciel pour détourner l'attention de ses joues soudain roses ; mais son condisciple lui fit grâce de commentaires supplémentaires et le laissa méditer ses paroles.
-Tiens, au fait, lança-t-il négligemment pour changer de sujet, t'as fait combien de rouleaux de parchemin pour la dissert de métamorphose ? Je crois que-
Les lèvres de Tendou continuèrent à bouger quelques secondes, mais plus aucun son n'en sortit. Oikawa fronça les sourcils, intrigué d'abord, puis inquiet en voyant que les grands yeux de Satori étaient encore plus écarquillés que d'habitude, et étaient devenus vitreux, comme concentrés sur quelque chose qu'il ne pouvait pas voir :
-Tendou ?
Pas de réponse. Il se leva précipitamment pour aller chercher de l'aide, craignant que Tendou soit en train de faire un malaise, mais à peine avait-il fait un pas que les doigts de son condisciple se refermèrent brutalement autour de son poignet et le serrèrent à lui faire mal. Oikawa ne cria pas -il resta figé, soudain terrifié, tandis qu'une voix gutturale qui ne ressemblait pas à celle de Satori s'élevait soudain :
-Celui qui a perdu ce qu'il a de plus cher, le cherchera...
Le cœur de Tooru manqua un battement.
-Et le retrouvera.
Un souffle. Et puis, toujours de cette voix rauque :
-Mais de ses dernières larmes inondera leur étreinte.
Il y eut un silence, un affreux silence que Tooru entendit à peine par-dessus le bourdonnement qui emplissait ses oreilles. Le retrouvera -à ces mots, une immense joie l'avait envahi, mais... Dernières larmes ? Tout bonheur s'était dissipé, et l'angoisse lui étreignait la gorge tandis que Tendou se mettait à tousser :
-Hm ! Ha ! Pardon, tu disais ? Combien de parchemins du coup ?
Satori cligna plusieurs fois des yeux, puis se rendit compte avec surprise qu'il agrippait le poignet d'Oikawa, qu'il lâcha aussitôt sans comprendre ; et en relevant son regard sur son condisciple pour lui demander ce qui venait de se passer, il le trouva pâle comme la mort :
-Oikawa ? Euh... Qu'est-ce qu'il y a ?
-Tu..., répondit lentement Oikawa, je crois que tu viens de faire une prophétie.
Ma prophétie, songea-t-il. Celui qui a perdu ce qu'il a de plus cher, le cherchera... Oui, c'était lui, pas de doute possible ! Il avait perdu ce qu'il chérissait plus que tout, ses souvenirs avec son petit-ami, tout une relation d'amour qui avait disparue de sa mémoire d'une heure à l'autre ! Et il l'avait cherché, il avait fait tout son possible pour réveiller sa mémoire endormie, il avait suivi Tobio sur les lieux de leur premier baiser, il était allé le voir au Quidditch, avait passé du temps avec lui, avait, des heures durant, sondé les recoins de son cerveau en quête de la pièce manquante... et il l'avait retrouvé, oui, il avait retrouvé Tobio, le Tobio qu'il aimait, ses sentiments s'étaient éveillés tout comme ils avaient dû le faire dans ce passé dont il était privé...
Mais la fin de la prophétie le glaçait d'effroi. Mais de ses dernières larmes inondera leur étreinte. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'il serrerait Tobio contre lui en pleurant, au moment... de le quitter ? de lui dire au revoir ? Au moment même où il le retrouvait ? Dernières larmes de quoi, de leur relation, ou... pire encore... ? Il n'en savait rien. La tête plus confuse encore que les jours précédents, il abandonna là Tendou encore tout hébété et se réfugia dans son dortoir où il ne ferma pas l'œil de la nuit.
Le lendemain à la première occasion, il voulut se confier à Iwaizumi. Mais en s'approchant de la table des Gryffondors, impossible de ne pas éveiller l'attention de Tobio, qui lui adressa un petit signe de main. Il semblait se tirer sans séquelles de l'incident de la semaine passée avec le Capelobo ; même s'il avait couru un grave danger et que le prof de Défense contre les Forces du Mal était étrangement absent depuis, la situation avait permis à Oikawa de se rendre compte d'à quel point il était attaché à Tobio, à quelles extrémités il était prêt pour le protéger. Et, tandis qu'ils étaient assis côte à côte sur le lit d'infirmerie, les doigts entremêlés, il avait ressenti avec netteté combien ses sentiments -peu importe qu'ils appartiennent au Tooru amnésique où qu'ils resurgissent d'une expérience passée- étaient forts. Oui, il n'avait pas menti : tel qu'il était aujourd'hui, il avait des sentiments pour Tobio, des sentiments bien réels.
Tout ça pour quoi ? Mais de ses dernières larmes inondera leur étreinte... Son amour pour Tobio avait été plus fort que son amnésie, ses sentiments avaient grandi à nouveau malgré sa perte de souvenirs, il l'avait retrouvé, ils s'étaient retrouvés... pour que leur histoire finisse dans les larmes ? Il répondit par un signe identique, tâchant de ne pas paraître trop anxieux, et tira Iwaizumi de son banc :
-Eh, tu fais quoi là ? protesta le Gryffondor en renversant la moitié de son jus de citrouille sur sa robe de sorcier.
-Je dois te parler, lui chuchota Oikawa.
L'urgence dans sa voix convainquit Iwaizumi que c'était quelque chose de sérieux. Ils sortirent pour discuter, et le temps que Tooru ait raconté toute l'histoire, et répété plusieurs fois la prophétie, ils s'étaient assis sur les marches menant à la tour d'astronomie, dans le soleil clair de la fin de printemps.
-Celui qui a perdu ce qu'il a de plus cher, le cherchera... répéta Hajime en essayant de donner sens aux mots. Et le retrouvera. Mais de ses dernières larmes inondera leur étreinte. Tu sais, la divination c'est pas mon point fort... Mais t'as pensé que ces fameuses larmes pourraient être des larmes de joie ?
-C'est encore plus déprimant de penser qu'elles seraient les dernières larmes de joie de toute ma vie, tu sais ? En fait, qu'il s'agisse de larmes de tristesse ou de joie, j'ai pas envie que ce soient les toutes dernières au moment où je retrouve Tobio, parce que... ça voudrait dire que je pleurerai plus jamais après ce moment...
-Et vu comment tu chiales pour rien, autant dire que tu crèverais dans la seconde, marmonna Iwaizumi.
-Super encourageant. Merci, Iwa. Tendou m'a peut-être prédit une mort précoce et ça ne te fait ni chaud ni froid.
Le Gryffondor leva les yeux au ciel :
-Les prophéties jouent toujours sur les mots. Je pense qu'on a compris quelque chose de travers, mais je ne sais pas quoi.
Un long silence songeur suivit ses paroles ; tous les deux se répétaient les mots, cherchaient à voir où était la faille, mais Oikawa ne pouvait pas s'empêcher de se voir agonisant et faisant ses adieux à Tobio en sanglotant. D'ailleurs, devait-il en parler à Tobio ? Et si ça lui faisait peur ? Et si ça précipitait cette séparation ?
Il résolut finalement de cacher la prophétie à Kageyama, au moins dans un premier temps : les examens commençaient dans dix jours, autant que Tobio puisse se concentrer là-dessus ; ensuite seulement ils réfléchiraient à ces quelques mots obsédants, et tâcheraient d'y trouver un sens caché qui réveillerait, sinon la mémoire, du moins un peu d'espoir.
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