3. Scolarité
Ça faisait une semaine depuis l'accident de Cognard, et Oikawa n'avait toujours pas recouvré la mémoire.
La situation commençait à devenir pesante pour Kageyama. Depuis l'échec de sa tentative pour que les souvenirs affluent à nouveau dans l'esprit de son petit-ami en l'emmenant sur les lieux de leur premier baiser, il n'avait pas eu d'idées et ruminait dans son coin des pensées sombres : et si Oikawa avait eu l'intention de le quitter, et que son cerveau avait saisi l'occasion d'un traumatisme crânien pour le dégager pour de bon de sa mémoire ? Et s'il tombait amoureux de quelqu'un d'autre, à présent qu'il réfléchissait comme un célibataire ? Tobio ne le supporterait pas, non -voir Tooru avec un autre que lui, ça le tuerait.
-Et si on lui faisait boire un philtre d'amour ? proposa Hinata un soir qu'ils étaient dans leur dortoir.
-Non, ce serait que du faux, soupira Tobio.
Il ne voulait pas de ça. Il voulait retrouver son Tooru d'avant, celui avec qui il sortait depuis des mois, personne d'autre.
-Ouais, t'as raison. Euh, j'y pense, t'as fait les devoirs de botanique ?
-On avait des devoirs en botanique ?
Yamaguchi, qui lisait tranquillement dans son lit, releva le nez :
-Quoi, vous avez zappé ? Ukai va vous défoncer.
-On peut recopier sur toi ? supplia Hinata après avoir laissé échapper un cri aigu d'effroi.
Yamaguchi les laissa faire pour cette fois, mais Tobio se rendait bien compte que depuis la semaine précédente, il avait l'esprit ailleurs et peinait à suivre ses cours. Lui qui n'était pas des plus attentifs habituellement se retrouvait maintenant à somnoler en classe après les insomnies de déprime et les nuits passées à se creuser la tête pour rendre Oikawa à lui-même. Résultats : il avait complètement foiré ses examens de la semaine et se retrouvait acculé devant une montagne de devoirs auxquels il était sûr de ne rien comprendre. Rajoutez à ça qu'il était en cinquième année, ce qui signifiait examens terminaux en juin, le mois prochain...
Le lundi fut affreux. Il s'excusa auprès d'Hibarida, le prof de sortilèges, de ne lui rendre que la moitié du devoir demandé (dans les faits, il n'avait rédigé qu'un quart dont la moitié elle-même était fausse) ; il fit exploser son chaudron en cours de potions parce que, distrait, il avait sauté une ligne de la recette et ajouté un ingrédient au mauvais moment ; un Snargalouf essaya de le dévorer pendant le cours de botanique, la plante vicieuse profitant d'un moment où il piquait du nez.
En soi, il n'y eut que deux profs qui lui témoignèrent un peu de sympathie : Takeda, le directeur de Serdaigle, qui lui parla après un cours d'Histoire de la magie pour lui dire qu'il voulait bien excuser ses faiblesses pour cette fois, qu'il se doutait bien de la complexité de la situation émotionnelle de Tobio, mais qu'il fallait se reprendre, que les examens de fin d'année ne pardonneraient pas, piquant mélange d'indulgence et d'exigence qui laissa Tobio à se demander s'il s'était fait consoler ou engueuler.
Le deuxième enseignant qui prit la peine de l'interpeller fut le professeur Romero. Celui-ci était une espèce d'anomalie dans le paysage de l'école. D'une, c'était un tout jeune prof de vingt-trois ans ; de deux, il était d'origine brésilienne. Il était joyeux, familier avec ses élèves qu'il appelait tous par leurs prénoms ; beaucoup d'étudiantes (et quelques étudiants) se pâmaient devant ses boucles brunes, ses yeux verts et son accent portugais, et il était connu pour être particulièrement talentueux. Ceci dit, on savait bien pourquoi le directeur de l'école était allé chercher un prof à peine diplômé, et d'une région du monde aussi lointaine : c'était pour lui refourguer le poste que personne ne voulait, celui de professeur de Défense contre les forces du Mal.
Le poste était en effet réputé maudit, et les enseignants s'y succédaient depuis des années. Tobio en avait connu trois en cinq ans : le premier avait disparu dans la Forêt Interdite et on ne l'avait jamais retrouvé ; le deuxième s'était fait manger par une des créatures maléfiques qu'il gardait dans son bureau ; et le troisième était devenu fou. Bref, pour autant que le professeur Romero suscitait la sympathie, les élèves ne se faisaient pas d'illusions, prenaient des paris sur son espérance de vie et attendaient de voir quel sort affreux allait s'abattre sur lui.
-Tobio ! héla-t-il son élève à la fin du cours. Je peux te parler une minute, s'il te plaît ?
Kageyama s'arrêta. Nous prétendrons qu'aucune pensée salace ne traversa l'esprit de cet adolescent de quinze ans en se retrouvant seul à seul avec son séduisant professeur, lequel était appuyé contre son bureau et, la baguette coincée derrière son oreille, recomptait les parchemins qu'il avait ramassés.
-Tu ne m'as pas rendu ton devoir, si ?
-Euh, non, monsieur. Mettez-moi zéro directement, s'il vous plaît.
-Comme ça, sans essayer ? répliqua Romero d'un air déçu. Non, allez, je comprends bien que tu passes une sale semaine, hier j'ai bu avec Ke- je veux dire, le professeur Ukai m'a expliqué, dans un contexte absolument professionnel, que tu avais eu des soucis de cœur.
Kageyama se sentit rougir à l'idée que sa vie privée ait été étalée jusqu'au corps enseignant, et se contenta de hausser les épaules avec malaise.
-Ça va s'arranger, tu sais. Le professeur Nekomata pourra refaire une potion de Retourne-Mémoire dès que les conditions seront remplies, c'est-à-dire à la prochaine lune d'été, et tout rentrera dans l'ordre. D'ici-là, il faut que tu penses à toi et à ta scolarité... Donc (il abattit sa main sur l'épaule de Tobio) je te laisse encore deux jours pour me rapporter ce devoir fini, d'accord ?
Honnêtement, Kageyama aurait préféré avoir un zéro tout rond et ne plus jamais entendre parler de ce devoir, puisque cela signifiait désormais qu'il lui faudrait travailler jour et nuit pour rendre ses travaux dans toutes les matières et dans les délais imposés. Mais impossible de refuser la proposition, et il répondit les dents serrées :
-Merci, professeur.
Il essayait de se faire un planning mental en sortant de la salle de classe, puis lista les personnes susceptibles de l'aider avec sa scolarité -Sugawara ? ou chez les Serdaigles, Tsukishima, ou peut-être Yachi ? A l'inverse, il lui faudrait se détacher de Hinata, qui était à peu près aussi idiot que lui et avec lequel il se déconcentrait beaucoup trop vite. Avant, il aurait pu demander à Oikawa, et celui-ci l'aurait aidé avec plaisir, mais au vu des circonstances... Depuis leur promenade sous la pluie, ils s'étaient reparlés quelques fois, mais jamais trop longtemps et seulement pour des banalités.
Kageyama arriva ainsi dans un lieu du château pour lequel il avait habituellement un dégoût profond, à savoir la bibliothèque. Il trouva un pupitre de libre, sortit sa plume, son encrier et une liasse de parchemins, et erra dans les rayons pour trouver des livres susceptibles de l'aider à traiter les sujets.
-Ben alors, Tobio, t'as de la fièvre ou quoi ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Il n'y avait pas besoin de se retourner pour savoir à qui appartenait cette voix -elle évoquait d'elle-même une robe à l'écusson vert et des cheveux blonds. Kageyama se retourna néanmoins vers le nouveau venu, et fut accueilli par le sourire narquois de Miya Atsumu, l'attrapeur rival de la maison Serpentard.
-Je bosse, répondit-il platement.
-Oui, j'ai vu, et c'est ça qui m'étonne. C'est comme voir Osamu jeûner.
Osamu était le frère jumeau d'Atsumu -mais ils avaient été répartis dans deux maisons différentes, et tandis qu'Atsumu incarnait les valeurs serpentardes, Osamu s'était quant à lui retrouvé à Poufsouffle. Kageyama n'émettait aucun jugement sur les maisons, et ne les évaluait qu'en termes de capacités au Quidditch : et il fallait reconnaître que Poufsouffle avait d'excellents joueurs, dont Bokuto et Ushijima, avec qui ça ne lui aurait pas déplu de jouer un peu.
-Désolé, Miya, j'ai du travail, déclara-t-il simplement en sortant le livre qui l'intéressait -Les Vampires, des légendes dix-septièmistes à Edward Cullen- de son étagère.
-Minute papillon, s'exclama Atsumu en tirant une chaise pour s'asseoir derrière son pupitre. Alors... t'es plus avec Oikawa, du coup ?
-C'est compliqué, s'impatienta Kageyama en ouvrant son livre.
-Il se souvient pas de toi, Tobio. Vois ça comme une libération ! Une rupture sans rompre. C'est quand même très avantageux.
-Mais j'avais pas envie de rompre !
-Alors c'est peut-être un signe du destin...
-Bon, tu me laisses bosser, oui ? se hérissa Tobio en écartant les doigts d'Atsumu posés sur son parchemin du bout de sa baguette magique.
-Mais Tobio-
-Excuse-moi, intervint alors une nouvelle voix, je crois qu'il veut que tu le laisses tranquille.
Oikawa Tooru apparut entre deux rangées de la bibliothèque, une pile de livres sur un bras, le menton haut, toisant Miya d'un air circonspect. Le cœur de Tobio rata un battement. Est-ce qu'il avait tout entendu ? Atsumu se leva et sembla vouloir répliquer, mais Tooru, de sa main libre, désigna la broche argentée qui ornait sa poitrine :
-Et avant que tu répondes quoi que soit, commence par te rappeler que je suis préfet-en-chef.
-Et toi, lança tout de même Atsumu, commence par te rappeler...
-J'enlève dix points à Serpentard, trancha Oikawa d'une voix glaciale.
Miya fila sans demander son reste, se doutant probablement que Tooru, en plus d'enlever des points à sa maison, avait un maléfice de Colle-Langue tout prêt au bout de sa baguette. Celui-ci ne se détendit que lorsque le Serpentard eut disparu à l'horizon, et se tourna vers Kageyama.
-Merci, marmonna celui-ci.
Il n'était pas sûr de la manière dont il devait parler à Oikawa, à présent. L'avoir là, juste à côté de lui, éveillait tout l'amour, toute la tendresse et tout le désir de leurs longs mois de couple... Mais la froide raison le rattrapait : si lui connaissait intimement son Tooru, ce n'était pas réciproque, et Oikawa ne le voyait que comme un quasi-inconnu.
-Pas de quoi, répondit celui-ci en se rapprochant pour jeter un œil sur le travail de Tobio. Tu travailles les potions ?
-Ouais, Nekomata m'a demandé un parchemin complet sur l'élixir que j'ai foiré cet aprem. Je crois que si je fais encore une connerie, en plus d'avoir (involontairement, et très indirectement) détruit une partie de sa réserve, c'est moi qu'il va transformer en liquide.
Oikawa sourit. Quelque chose s'alluma dans le cœur de Tobio, et aussitôt le pinça.
-C'est vrai, c'est toi qui as cassé la potion de Retourne-Mémoire. C'était vraiment un mauvais timing.
-Ouais, grommela Kageyama. Je suis dégoûté.
-Tu m'étonnes, plaisanta Tooru. Je devais être un petit-ami incroyable.
Tobio hocha tristement la tête. Les doigts d'Oikawa effleurèrent son épaule :
-Pardon, c'était de mauvais goût. Je voulais juste te taquiner. Moi aussi, j'ai hâte de retrouver mes souvenirs.
Peut-être que sa voix sonnait un peu trop sincère, car il se pencha de nouveau sur le pupitre et changea de sujet, pointant une illustration représentant ce qui ressemblait à un tapir mutant :
-Beurk, c'est quoi cette immondice ?
-Mon sujet de Défense contre les Forces du Mal, soupira Tobio.
-T'as l'air ravi. Je crois que j'ai pas besoin de potion de révélation pour voir que t'aimes pas trop les devoirs, hein ? Tu veux que je t'aide un peu ?
Kageyama cilla plusieurs fois d'affilée, comme pour être sûr qu'il avait bien entendu et que ce n'était pas une hallucination causée par la fatigue.
-Si ça ne te dérange pas, répondit-il presque timidement.
D'un mouvement leste de sa baguette, Oikawa fit venir une chaise à lui et Tobio se décala pour qu'il puisse s'asseoir à côté. Le pupitre n'était fait que pour une personne, ils devaient se serrer un peu ; et leurs coudes se touchaient, ce qui ne manquait pas de lui réveiller quelques papillons dans l'estomac -comme à l'époque où ils commençaient seulement à sortir ensemble...
-Alors, par quoi on commence ? demanda Tooru avec bonne humeur.
Tobio n'aurait jamais imaginé prendre un tant soit peu plaisir à rédiger ses devoirs. Mais il fallait pourtant avouer qu'il était bien, là, dans la lumière déclinante du soir et l'éclat des chandelles en lévitation au-dessus de sa tête, presque bercé par les murmures des autres élèves, le grattement de sa plume sur le papier et la voix mélodieuse d'Oikawa qui -ayant probablement cerné le niveau scolaire lamentable de Kageyama- lui dictait ce qu'il devait écrire :
-Les vampires peuvent revêtir des formes hybrides pour tromper leurs victimes ou les maîtriser plus facilement. Ainsi les Impundulu d'Afrique du Sud, les Capelobos amazoniens ou les Kappas japonais empruntent des caractéristiques animales diverses, même si on observe des différences majeures : tout d'abord...
Tobio recopiait, mais son regard déviait parfois de son parchemin pour se poser sur Oikawa assis à côté de lui, si près, plus près qu'ils ne l'avaient été depuis la perte de mémoire ; et ses yeux dévoraient les reflets dans ses cheveux, la concentration dans son regard, les mouvements de ses lèvres, au point qu'il lui arrivait de mêler ses pensées à sa prise de notes et d'écrire Capelobeau et Oikappa.
Ils restèrent à la bibliothèque jusqu'à l'heure du dîner, mais Kageyama, et à 90% Oikawa en vérité, vinrent finalement à bout des devoirs de Défense contre les Forces du Mal et de potions. Tobio n'était pas encore tiré d'affaires, mais son horizon commençait au moins à s'éclaircir.
-Merci infiniment, Tooru, euh, je veux dire, Oikawa, dit-il précipitamment en rangeant ses affaires.
-C'est normal, répondit Tooru. Je te dois bien ça.
Ils s'étaient levés ; d'un geste, Oikawa envoya les livres se ranger d'eux-mêmes à la bonne étagère.
-Tu ne me dois rien, répondit Tobio un peu confus.
-Laisse-moi rectifier, alors : je le dois bien à moi-même.
Tobio s'apprêtait à dire qu'il avait le cerveau trop cramé après tant d'heures de travail pour comprendre des phrases obscures lancées par un Serdaigle de septième année, mais Oikawa eut la bonté d'expliciter pour lui :
-Je le dois au vrai moi-même, à celui qui te connaît et qui t'aime. Je ne sais pas où il se cache en ce moment, mais je crois que si je te laissais tomber, il m'en voudrait terriblement pour ça. Je m'en voudrais terriblement pour ça.
Il inclina légèrement la tête, et l'espace d'un instant, Tobio pensa retrouver dans ses yeux une lueur d'attendrissement.
-Je le sens, tu sais, dit lentement Tooru. C'est très curieux. Je me sens à l'aise en ta présence. Je pense que mon corps se souvient de... Euh...
Il s'interrompit, remarquant certainement le sous-entendu au moment où il prononçait les mots, et regarda ailleurs, les pommettes roses. Kageyama n'était pas dans un meilleur état. Il se dit que c'était peut-être le moment de se confier un peu plus sur la relation qu'ils avaient ; que certes la visite au kiosque n'avait pas eu l'effet escompté, mais que peut-être que raconter certains épisodes de leur relation pourrait ranimer les souvenirs dans l'esprit d'Oikawa. Lui dire qu'ils avaient passé une partie de l'été l'un chez l'autre, qu'ils étaient allés voir la Coupe du monde de Quidditch ensemble avec sa famille, que...
-Kageyama, t'es là ! cria soudain la voix de Hinata, dont le volume sonore n'était absolument pas adapté à une bibliothèque scolaire. Allez viens, j'ai la dalle !
Son visage se figea en voyant que Tobio n'était pas seul, et il recula aussitôt vers la sortie :
-Bah, je t'attends dans la grande salle !
Kageyama se tourna vers Oikawa, mortifié, mais celui-ci se contenta de rire :
-Allez, vas-y.
Tobio n'avait, à la vérité, pas très envie de le quitter. Il y avait tant de choses qu'il voulait lui dire... Mais il se mit à la place d'Oikawa, se dit qu'il était embarrassant, que ses anecdotes n'évoqueraient rien, et il préféra prendre congé sans oublier de remercier une fois encore. Il était presque sorti de la bibliothèque quand Oikawa l'appela une dernière fois :
-Tobio ?
Kageyama fit volte-face, tâchant de réprimer l'espoir qui lui mangeait le ventre. Oikawa sourit :
-Je serai ici demain à partir de cinq heures.
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