Prologue
Elle courait sur les pavés crasseux, son souffle haché se perdant dans les bruits de luttes et les explosions de magie. Chacun de ses pas désespérés heurtaient le sol, éclaboussant ses bottines de boue ruisselant entre les dalles. La foule la pressait, la poussait de tous côté, mais il était hors de question qu'elle la laisse la submerger.
Elle essuya d'un geste rageur les larmes de frustration et d'inquiétude qui voilaient ses prunelles, avançant pas à pas à travers cette marée humaine déchaînée.
Elle put apercevoir à travers les nuages de fumée l'ombre de l'immense statue ornant le centre du square se dresser un peu plus loin, surplombant la scène en observatrice immobile. La place de la République était un lieu symbole de paix et d'union, d'ordinaire. Pourquoi avait-il fallu qu'elle se change aujourd'hui en un lieu de conflits et d'opposition ?
Elle pouvait presque voir la grande Marianne pleurer ce désastre.
Soudain, un homme imposant surgit dans son champ de vision et la prit par les épaules.
« Madame, ne restez pas là, c'est dangereux ! Veuillez rentrer chez vous ! »
Dans son regard brillait la lueur dangereuse d'une colère difficilement contenue. Non, plus que de la colère, c'était de la haine. Un violent frisson remonta le long de la colonne vertébrale de la mage. Elle lui saisit les poignets pour se dégager et lui hurla à son tour :
« Laissez-moi passer ! Il faut que je... »
Elle se figea en sentant le danger, et créa de justesse un bouclier mental. Le jet de magie qui fusait dans leur direction s'écrasa à sa surface avec violence, les projetant tous deux au sol.
Pendant de longues secondes, elle resta à terre, complètement sonnée, un sifflement aigu dans les oreilles. Puis, reprenant progressivement ses esprits, elle se redressa et toussa, crachant la poussière qu'elle avait inhalé. Un liquide chaud et poisseux coula de son front sur son arcade sourcilière. Par reflexe, elle l'essuya avec la manche de son manteau taché de boue.
Il était rouge sombre, s'accordant parfaitement avec cette journée noire.
Elle releva la tête et se remit péniblement sur ses jambes. Non-loin de là, l'agent du GISEM qui l'avait abordée gisait au sol, immobile.
La femme retint de justesse un haut-le-cœur et se détourna. Il fallait absolument qu'elle le retrouve ! Mais dans cette cohue, impossible de distinguer quoi que ce soit.
Elle ferma les yeux. Telle une onde, son esprit déferla aux alentours, sondant les personnes présentes, cherchant un chemin. La femme sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine.
Il était là ! Au pied de la statue ! Si proche et pourtant si loin...
La femme se remit à courir, hurlant son nom à s'en déchirer les poumons.
« Caaaaarl ! »
Sous le monument, un homme aux cheveux pâles qu'elle aurait reconnu entre mille était agenouillé, une main sur l'épaule de son amant. Ce dernier était avachi contre la pierre, les cheveux collés en mèches sombres par la sueur et les yeux emplis de douleur.
Ils s'écarquillèrent en voyant la mage approcher.
« Juliette ! lui cria-t-il. Va-t'en, va te mettre à l'abri !
- Non ! Non c'est fini, je ne te quitterai plus ! »
Les larmes aux yeux, elle se jeta dans ses bras. Carl étouffa un cri de douleur. En l'entendant, Juliette se redressa aussitôt.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce que tu as ?
- Ne t'inquiète pas, ce sont juste des brûlures de luminographes... »
Il baissa la tête et murmura d'une voix amère :
« Tu avais raison, Argon. On n'aurait jamais dû mettre cette idée à exécution. Tu as toujours été le plus sage de nous trois, on aurait dû savoir qu'il valait mieux t'écouter... »
Il releva soudain la tête.
« Et notre bébé, Juliette ? Notre fille, elle est en sécurité ? »
Juliette esquissa un sourire attendri à la mention de son enfant.
« Ne t'inquiète pas, Lina va bien. Je l'ai confiée à mon père.
- À... À ton père ? Mais enfin, tu sais bien que jamais il n'accepterait de...
- JULIETTE ! Écarte-toi de cet homme immédiatement ! »
La jeune femme sursauta et fit volte-face. Elle pâlit.
Rodolphe se dressait à quelques pas d'eux, le bras tendu dans leur direction. Un bras sur lequel on pouvait voir briller les pierres blanches caractéristiques des luminographes.
Juliette se jeta au cou de celui qu'elle aimait.
« Non ! Papa, arrête ! Ton comportement n'a pas de sens, Carl est un mage comme un autre ! »
Un rictus méprisant déforma les traits du télékinépathe.
« Écarte-toi immédiatement, c'est un ordre ! » gronda-t-il.
À côté d'eux, Argon se releva et écarta les bras en signe d'apaisement.
« Je vous en prie, monsieur, tout cela n'est qu'une épouvantable méprise ! Laissez-nous une chance de nous expliquer, nous n'avons jamais voulu que les choses se passent de cette façon !
- Eh bien c'est précisément de cette façon que les choses se sont passées, et pas d'une autre. Étrange, non ? répliqua le télékinépathe, avant de crier : Vous n'attirez que le chaos ! »
Cette dernière accusation ébranla le nécro-mage, qui recula d'un pas.
Plusieurs agents du GISEM sortirent du brouillard et se placèrent aux côtés de Rodolphe, sans doute guidés par une injonction mentale du télékinépathe.
Le mage jeta un dernier regard à sa fille, toujours accrochée à son amant, puis ses prunelles d'un bleu perçant se durcirent.
« Au nom de la loi des mages, je vous arrête ! »
Un rayon noir le frappa soudain au poignet, faisant voler son bracelet dans les airs. Rodolphe grogna de douleur en attrapant son bras, et fit volte-face. Plusieurs acolytes d'Argon les avaient rejoints.
Un autre préparait déjà un sortilège au creux de ses paumes. L'élémentaliste à la droite de Rodolphe y répondit instantanément par un jet de flamme dont la chaleur vaporisa la boue des pavés.
Le combat était engagé. De toutes parts, des jets flamboyants fusaient, des mages affrontant d'autres mages. Rodolphe parvint à se débarrasser de son adversaire en sapant sa conscience. L'homme s'effondra au sol, endormi.
Il avança, et se retrouva face-à-face avec Argon. Ce dernier écarquilla les yeux, puis lui renvoya un regard résigné. Il écarta les jambes et prépara à son tour un sortilège, qu'il lança de toutes ses forces sur Rodolphe.
Derrière lui, Juliette criait, désespérée. Mais il ne l'entendait plus, tout entier focalisé sur sa tâche. S'il perdait ce duel, alors ils auraient tous perdu. Et ses efforts, les recherches qu'il avait confiées à la famille Durez, son espoir de salut pour les nécro-mages deviendrait inutile.
L'œuvre d'une vie disparaitrait.
Alors il tint bon. Ils se raccrocha à cette lueur d'espoir, qu'il avait toujours gardée au fond de lui, et tint le rayon lumineux de Rodolphe à distance.
Un mage du GISEM se fraya un chemin jusqu'à son chef et, le voyant en difficulté, décida de lui prêter main forte. Il concentra le vent dans ses mains avant de le fondre dans le sortilège de Rodolphe, lui conférant plus de force.
Un autre se joignit à eux, laissant son adversaire groggy étendu sur les pavés, et une langue de feu se joignit au sortilège.
Argon suffoquait. Trop de force... Trop de puissance, trop de magies en même temps... Il ne tiendrait plus très longtemps. Il s'affaiblissait, et perdait du terrain à chaque seconde qui s'écoulait. Il serra les dents, les chaussures glissant dans la boue. Il sentit la pression s'accroître, encore et encore...
D'autres mages se joignirent encore à Rodolphe.
Alors, dans un mouvement désespéré, il interrompit son sortilège et dressa un immense absorbeur en face de lui afin d'absorber la magie qui l'assaillait.
Son nouveau sort avala leur magie. Mais cela n'eut pas l'effet escompté : l'absorbeur se mit à tourbillonner sur lui-même, de plus en plus vite. Argon essaya de stopper son sortilège, dont il sentait les rênes quitter sa possession, mais en vain.
Il recula de quelques pas, effrayé. Que se passait-il ? Il n'avait pourtant jamais perdu le contrôle d'un sort aussi basique... Il réessaya encore, mais en vain : la chose semblait à présent être dotée d'une conscience propre. Il recula encore, et se pinça les lèvres violemment.
Peut-être Rodolphe avait-il eu raison de penser que les nécro-mages n'apportaient que le désordre... Peut-être que s'il n'...
La sphère noire se contracta sur elle-même, et explosa.
***
Rodolphe se redressa péniblement parmi les décombres. Il toussa, et cracha quelques gouttes d'un liquide sombre. Les pavés dansaient sous ses yeux.
Péniblement, il releva la tête.
Il se trouvait au milieu d'un champ de dévastation. Il n'aurait pas su décrire le paysage apocalyptique qui l'entourait autrement. Partout, des nuages de poussières, des débris de toutes sortes, des pavés arrachés du sol s'étalaient. Au loin, les bâtiments avaient perdu leur toit ou une partie de leur façade. L'immense statue de la Marianne elle-même gisait sur le flanc, le bras portant son flambeau arraché.
Mais plus que cela, c'était le nombre de victimes qui retint son attention. Partout, des corps s'étalaient sur le sol. Certains tressautaient encore, ou se relevaient en titubant ; d'autres restaient immobiles, arborant de grotesques positions de pantins désarticulés.
Juliette.
Rodolphe se retourna. Qu'était-elle devenue ? Elle s'était trouvée bien plus proche du sort d'Argon que lui lorsqu'il avait explosé... Avait-elle eu le temps de se mettre à l'abri, ou de se dresser un bouclier mental ?
Il se précipita vers la statue aussi rapidement que le lui permirent ses jambes, dont l'une le lançait douloureusement
« Juliette... coassa-t-il. Juliette... »
Personne.
Le lieu où les trois mages s'étaient tenus était vide. Il sentit son souffle s'accélérer malgré lui, malgré les années d'entraînement et de pratique pour apprendre à garder son sang-froid.
« Non, non... Juliette... Juliette ! » appela-t-il.
Mais en vain. La jeune femme, son amant, ainsi que tous les nécro-mages s'étant tenus sur cette place avaient disparu.
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