
Chapitre 4 - L'exploration
Lina sortit de la camionnette et frissonna en sentant l'air nocturne lui geler les tempes. Elle frotta ses mains l'une contre l'autre pour tenter de les réchauffer un minimum, et leva la tête sur l'immense bâtisse qui lui faisait face.
Les plantes grimpantes avaient envahi toute sa façade et certaines des pierres qui la composaient semblaient prêtes à tomber en poussière au moindre souffle de vent.
Autour d'elle, chacun était déjà en position, sachant exactement ce qu'il avait à faire. Certains bidouillaient elle ne savait quoi sur divers engins tandis que d'autres, sans doute les élémentalistes, s'étaient élancés vers la porte et tentaient de l'enfoncer à coup de rochers et de jets de flamme. Elle avait l'impression que l'anticipation du danger et la peur enfouie en chacun des intervenants fourmillaient dans l'air autour d'elle.
Mme Rita, elle, avait fermé les yeux. Ses racines grises avaient viré au mauve et une puissante aura se dégageait d'elle pour se répandre à travers les environs en bloquant, Lina le devinait, la magie d'éventuels nécro-mages.
Elle se plaça aux côtés de sa tutrice et joignit son esprit au sien, l'aidant à élargir, petit à petit, le champ d'action de leur sort. Ses cheveux se tintèrent d'une couleur similaire à celle de sa tutrice. Elle grimaça en constatant l'énergie que cela lui prenait, d'autant qu'elle n'était pas au top de sa forme. Son grand-père l'avait beaucoup fait travailler lorsqu'elle lui avait rendu visite, un peu plus tôt dans la soirée.
Un grand craquement l'avertit que l'entrée était désormais ouverte. Elle relâcha sa concentration et ouvrit les yeux. Son crâne commença à pulser, signe qu'elle avait un peu trop tiré sur ses réserves.
Mais elle ignora cet avertissement, se maudissant d'être encore aussi peu résistante. Elle gravit le perron et franchit l'entrée du manoir. Le hall était plongé dans l'ombre, et les autres avaient déjà disparu. Elle posa son sac au sol et fouilla à l'intérieur, jusqu'à y trouver une petite lampe-torche.
Elle l'utilisa pour balayer son environnement. Il y a quelques années, la bâtisse devait être vraiment belle. Mais aujourd'hui, elle semblait avoir été un peu laissée à l'abandon.
Tout était immense et les coins sombres ne manquaient pas. N'importe qui aurait pu s'y cacher et l'attaquer par derrière. Un flot d'adrénaline se déversa en elle, accélérant les battements de son cœur. Elle eut l'impression que celui-ci résonnait à travers toute la pièce pour indiquer sa présence.
Alors, elle usa de sa magie pour élargir son champ de perception aux alentours. Dans son esprit, elle se créa un « plan » - si l'on pouvait appeler ça comme ça – des lieux. Les formes des pièces et des objets s'y trouvant se détachèrent dans son esprit. Elle sentait même chacune des petites breloques pendant d'un grand lustre au centre de la pièce. De cette manière, elle pourrait sentir tout qui bougerait, et anticiper les mouvements d'éventuels adversaires.
Elle n'avait même plus besoin de lampe-torche pour éviter de rentrer dans les murs. Tant mieux, elle serait sans doute beaucoup plus discrète.
Elle parcourut ainsi, dans le noir complet, le grand hall d'entrée. Elle sentit, à sa gauche, la présence de ses collègues qui avaient découvert ce qui ressemblait à un escalier en colimaçon descendant vers la cave, caché derrière une porte.
Mais ce qui l'intriguait le plus, elle, c'était l'escalier principal qui se dressait, imposant, devant elle. Elle ferma ses yeux devenus inutiles pour mieux se concentrer, et posa la main sur la rampe de bois verni, rendue douce et lisse par le passage de centaines de mains avant la sienne.
Lorsqu'elle posa le pied sur la première marche, celle-ci craqua violemment. Le bruit, résonnant d'autant plus fort que le silence était quasi-absolu, avait dû prévenir toute la maisonnée de sa présence. Agacée envers elle-même, Lina figea les marches suivantes avec son esprit au moment de marcher dessus.
Cette deuxième tâche mentale, qui devait être effectuée en simultané avec la première, amplifia son mal de tête.
Lina parcourut ainsi la fin du grand escalier. Parvenue en haut, elle fit une pause, le temps de sonder l'étage.
Rien ne bougeait.
Soulagée, et un peu déçue à la fois, l'adolescente avança dans le couloir et le parcourut de bout en bout. Sans étonnement, elle ne vit rien de particulier. Malgré tout, elle jeta un œil à chacune des portes qu'elle croisa. Les quelques fenêtres lui permirent de distinguer du mobilier ancien et poussiéreux, mais rien d'intéressant.
L'adolescente atteignit finalement la dernière porte, au fond. Elle n'y sentit rien de différent mais y entra tout de même, par souci d'exactitude. Ainsi, elle pourrait affirmer à sa tutrice qu'il n'y avait rien à signaler au premier étage.
La porte lui opposa quelques résistances, qui s'avérèrent provenir d'une fenêtre grande ouverte à l'autre bout. Le vent s'engouffrait furieusement à l'intérieur en y apportant son froid mordant, soulevant de larges rideaux et secouant les mèches rebelles de l'adolescente.
Cette dernière traversa la pièce à grands pas et la referma. Les grands voiles diaphanes retombèrent souplement sur sa tête et ses épaules. L'adolescente les repoussa doucement puis se retourna, pour observer la pièce plus attentivement. Son regard passa sur le grand lit à baldaquin avant de tomber sur un imposant bureau acajou. Elle s'en approcha et caressa sa surface du doigt.
Aucune poussière. Bizarre pour une pièce qui semblait abandonnée depuis plusieurs mois.
La jeune fille le sonda plus attentivement et découvrit, sous le premier tiroir, un double fond accessible depuis le dessous du bureau. Elle se mit à quatre pattes et en tâta la surface.
Soudain, quelque chose lui frappa l'arrière du crâne et envoya sa tête cogner contre le mur, la laissant complètement sonnée. Un élan de douleur descendit jusque dans ses épaules.
Désorientée, elle mit un moment avant de comprendre que ce n'était pas quelque chose, qui l'avait frappée, mais bien quelqu'un !
Mais comment était-ce possible ? Elle avait pourtant tout analysé avec précision !
Elle se releva, le cœur battant, et grimaça en frottant ses membres endoloris. Le sol tangua sous ses pieds alors qu'un violent vertige la prit, l'obligeant à se rattraper au bureau.
« J'y crois pas, lança une voix dédaigneuse. Le GISEM n'a pas jugé utile de nous envoyer plus qu'une... Qu'une gamine ? »
Haletante, Lina se força à relever la tête. Son regard croisa celui, empli d'une fureur sans pareille, d'une femme aux courts cheveux auburn. Celle-ci pinça ses lèvres sombres et continua en avançant vers Lina :
« Vous, les mages du GISEM, vous êtes toujours là à prôner votre bienveillance, et la protection de notre « petite communauté » (elle fit des guillemets avec ses doigts sur ces deux derniers mots), mais en fait, tout ce que vous faites, c'est voler nos droits et notre liberté ! »
Ses cheveux virèrent au noir tandis qu'elle joignait les doigts en un arc de cercle, d'où grossit une masse sombre et pulsante, qui semblait absorber la maigre lumière de la pièce.
Ainsi, c'était donc vrai ! Il existait encore des nécro-mages cachés ! Et pourquoi cette fille arrivait-elle encore à utiliser ses pouvoirs ? Madame Rita n'aurait pas interrompu son sort tout de même ! À moins qu'il ne lui soit arrivé malheur...
Les yeux écarquillés par la surprise et la peur, Lina se déplaça doucement vers la porte, de manière à ne pas quitter son interlocutrice des yeux.
« Et encore une fois, vous êtes venus tout gâcher ! cracha encore l'autre. Eh bien vous allez le regretter ! »
Elle soutint un instant sa sphère noire du bout des doigts, puis l'envoya violement contre Lina. Celle-ci, par reflexe, croisa les bras devant son visage en poussant un petit cri. D'un coup, elle se sentit projetée en arrière et heurta une nouvelle fois le mur.
Elle tomba à genoux en serrant ses bras contre elle. Ils la démangeaient horriblement. Elle gémit un instant et s'aperçut qu'ils avaient violemment rougis. Les manches de son vêtement avaient été totalement arrachés, en laissant pendre quelques lambeaux déchiquetés.
Leur absence découvrit deux imposants bracelets argentés sertis de multiples pierres blanches, ornant ses poignets.
Les luminographes ! Mais pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt !
Elle se redressa difficilement et tendit le bras devant son adversaire, qui s'était figée en les apercevant. Elle recula de quelques pas, une lueur affolée dans le regard.
« Rendez-vous ! Nous voulons seulement vous interroger sur vos activités ! » lui lança Lina, essayant de cacher les tremblements de sa voix.
En entendant ces mots, l'autre s'arrêta. Sa peur semblait se muer en détermination.
Elle prépara une autre de ses sphères vaporeuses, mais avant qu'elle n'ait pu la lancer, Lina utilisa ses bracelets. Ses pierres se mirent à briller, faisant naître au creux de sa paume un rayon de lumière qui frappa son adversaire au poignet.
Le sort de cette dernière se désagrégea, et elle recula jusqu'au mur en poussant un cri de douleur.
« Espèce de sale... » siffla-t-elle.
Elle fut interrompue par l'apparition d'une épaisse brume noire mouvante se glissant dans la pièce. Alors elle fixa Lina de son regard haineux et lui sourit.
« Maintenant les forces sont plus équilibrées. »
Trois autres nécro-mages venaient de faire leur apparition.
Affolée, Lina palpa de sa main moite le mur derrière elle en espérant trouver la poignée de la porte. Son esprit commençait à s'embrouiller à cause de la peur et de la fatigue. Elle ne parvenait plus à réfléchir correctement.
Elle entendit comme dans un brouillard les voix des nécro-mages qui parlaient entre eux tout en gardant un œil sur elle.
Sa main trouva soudain la poignée. Un rayon noir fusa. La jeune fille la relâcha vivement avec un cri de douleur. Elle fusilla ses adversaires du regard, les yeux embués de larmes de dépit. Les poignets la brûlaient franchement maintenant. Elle les frictionna nerveusement.
« Tu n'allais pas nous fausser compagnie maintenant quand même ? plaisanta un des mages.
- Bon, on la prend avec nous ou pas ? demanda un deuxième.
- Allons-y. Ça nous permettra peut-être de mener le GISEM sur une mauvaise piste pendant quelques temps.
- Faites gaffe, les avertit la femme qui l'avait attaquée en première. C'est une télékinépathe.
- Laissez, je m'en charge », lança le dernier.
Il s'avança vers Lina, qui s'aplatit contre le mur, et lança un rayon noir vers elle. Celle-ci créa de justesse une onde mentale pour dévier le trait, qui s'écrasa en une énorme explosion à quelques centimètres de ses cheveux redevenus violets.
« T'es débile ? lança la femme. Tu vas ameuter tout le quartier !
- Alors raison de plus pour en finir au plus vite ! »
Lina ne put que subir les assauts suivants, se protégeant avec un bouclier mental de plus en plus vacillant à chaque impact. Sa tête semblait sur le point d'exploser. Et ses poignets la brûlaient...
Elle voyait trouble désormais. Un énième assaut fusa vers elle. Son bouclier vola en éclats. Elle encaissa une partie du coup et tomba au sol en sifflant de douleur. Fermant les yeux, elle attendit le coup fatal...
Une chose déferla soudain dans son esprit, emportant tout sur son passage.
Une magiela traversant de part en part. Différente. Se tordant. Gonflant. Des cris étouffés.Une explosion. Des bruits de cavalcade. Une voix criant son nom. Et le silence.
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