Chapitre 34 - Le labyrinthe
« Mais qu'est-ce que tu me racontes encore ? gronda Raphaël en fronçant les sourcils.
- Regardez à vos pieds, expliqua Lina. Vous voyez le nombre d'empreintes que vous avez laissées au sol ? Il y en a bien trop pour que nous ne soyons que neuf à être passés.
- Et qui te dit que d'autres personnes ne sont pas passées ici avant nous ?
- C'est ce que j'ai pensé aussi, au début. Mais la croix, là-bas, c'est moi qui l'ai faite avant que nous ne repartions. »
Des murmures inquiets se propagèrent parmi les nécro-mages. Raphaël baissa les yeux sur la croix, visiblement énervé.
« Et comment devrions-nous nous y prendre, selon toi, pour atteindre les montagnes ?
- Je ne sais pas, avoua Lina. Mais il va falloir accepter le fait que les lois de la physique ne soient pas les mêmes ici... »
Elle se tut. Elle venait de penser à quelque chose de plus terrible que le fait de ne pas pouvoir atteindre une chaîne de montagne sur laquelle elle n'avait pas envie d'aller.
Et si le temps lui-même s'écoulait différemment ici ? Et si, après avoir passé quelques heures, voire une journée dans ce monde ils se rendaient compte en revenant qu'ils avaient été absents pendant un an entier ? Voire plus ?
L'adolescente se força à respirer profondément pour calmer son cœur qui battait la chamade.
À quelques pas de là, les autres mages s'étaient lancés dans un débat. Certains pensaient que les dimensions de cet univers ne s'étalaient pas de la même manière que sur Terre, et qu'en avançant perpendiculairement à leur ancienne trajectoire ils devraient obtenir des résultats. D'autres soutenaient que ce phénomène était indépendant, et que c'était leur magie, phénomène humain, qui ne fonctionnait pas.
L'adolescente se souvint que ces mages étaient presque tous de brillants chercheurs, dont certains avaient collaborés avec Argon et qui avaient réussi l'exploit de créer de la magie artificiellement, puis de l'extraire avec succès du corps d'un être vivant.
Par reflexe, elle ferma les yeux et étendit son esprit autour d'elle. La chappe cotonneuse qui entourait son esprit l'empêcha d'avancer, brouillant sa sonde.
Elle grogna. Elle avait oublié ce fichu brouillard mental. Depuis combien de temps était-il actif ? Il devait avoir déjà bien diminué. Peut-être qu'en forçant un peu, elle devrait pouvoir y créer une brèche...
Elle s'assit en tailleur, le dos bien droit, et ferma à nouveau les yeux.
Elle tenta de se frayer un passage, en vain. Mais pas à pas, elle gagnait du terrain. Elle le sentait !
Pourtant... Quelque chose n'allait pas. Ce qu'elle ressentait était différent de l'habitude c'était... Comme son opposé. Au lieu de sentir là où se trouvaient les choses, elle sentait là où il n'y avait rien. Le répulseur qui emprisonnait ses poignets, au lieu de paraître dans son esprit comme une zone de vide, était plein comme l'aurait été du plastique, du bois ou du métal.
Elle ouvrit les yeux, confuse. Était-ce vraiment la magie de l'esprit qu'elle était en train d'utiliser ?
Ou plutôt la magie du vide qui l'avait remplacée ?
Elle ne connaissait pas encore très bien l'étendue des capacités de ce pouvoir, mais était prête à parier que c'était lui qui lui permettait de sonder son environnement. Elle sentait toujours le brouillard autour de son esprit.
Si ses cheveux s'étaient teintés, elle aurait pu en avoir le cœur net. Mais à moins d'interagir avec le monde extérieur, ils resteraient bruns.
Lina referma les yeux et se concentra à nouveau. Bien vite, elle passa outre le brouillard et retrouva une faculté de sonder son environnement similaire à celle qu'elle utilisait habituellement.
Elle étendit sa vision. Le plus surprenant, c'était que cette nouvelle vision lui paraissait plus fine que l'ancienne : elle sentait également le vide se trouvant dans la matière.
Le vide entre les molécules d'air, mais également le vide entre les molécules composant son corps, et celles composant les autres mages. Le vide qui composait ses vêtements, et le sol sur lequel elle était assise.
Elle en vint même à se demander comment est-ce qu'elle pouvait ne pas passer au travers de ce sol, tant il était poreux.
L'adolescente continua d'étendre sa vision. Ce qu'elle découvrit la stupéfia. Ce n'était pas un problème physique qui les avait fait tourner en rond, mais un labyrinthe.
Un sortilège extrêmement vaste et complexe, dans lequel avaient été placé des milliers de téléporteurs invisible à l'œil nu, s'étendait partout autour d'eux. Qu'ils fassent un pas dans la mauvaise direction, et ils revenaient à leur point de départ. Voire plus loin encore.
Mais avoir trouvé la solution à leur problème n'était pas forcément une bonne nouvelle aux yeux de l'adolescente.
Car, si à présent, Lina savait qu'ils ne resteraient pas coincés au milieu du désert, un sortilège de cette ampleur et de cette puissance ne pouvait avoir été créé que pour protéger quelque chose de très précieux.
Ou de très dangereux.
« Tu as déjà dissous le brouillard mental ? »
Lina rouvrit les yeux, se releva et épousseta son jean comme elle put. Nicolas, le télékinépathe du groupe, s'était approché d'elle.
« Non, j'en ai encore pour un bout de temps, grommela-t-elle.
- Mais tu as trouvé un moyen d'avancer. »
Lina le regarda, surprise. Comment avait-il fait pour deviner ?
Elle réfléchit. Si elle ne leur donnait pas la solution, peut-être les mages finiraient-ils par abandonner et quitter cet univers ? Non, Raphaël ne renoncerait pas. Si elle voulait retrouver de l'herbe sous ses pieds, elle ferait mieux de les aider.
« Ça se pourrait bien. Je vais vous montrer, ce sera plus efficace. »
Le mage s'approcha, curieux, et plaça ses doigts sur les tempes de Lina.
« Le brouillard a déjà bien diminué, commenta-t-il, étonné. À cette vitesse-là, il devrait se dissoudre totalement dans une demi-heure, grand max. Pour une adolescente, ton esprit est déjà fort. »
Lina sourit intérieurement au compliment. Sans ses pouvoirs, elle se sentait vulnérable, comme mise à nu, alors savoir qu'elle les retrouverait bientôt la soulagea.
Puis elle montra au nécro-mage ce qu'elle avait pu voir à l'instant. Celui-ci fut d'abord surpris par sa démarche, puis admiratif.
« Je n'aurais jamais pensé à utiliser la magie du vide d'une telle façon, lui dit-il directement par la pensée. C'est la même méthode que celle de la visualisation utilisée en magie de l'esprit, mais appliquée différemment. »
Puis il continua, plus inquiet, faisant écho aux pensées de Lina :
« Je me demande qui a bien pu placer un piège de cette ampleur ici. Un homme seul, même dix, vingt hommes n'auraient pas suffi. Quelles que soient les choses qui vivent, ou qui ont vécu ici, nous nous devons d'être prudents. »
Il se détacha de Lina et se tourna vers les autres.
« Je sais comment traverser ce désert, lança-t-il, ce qui fit immédiatement taire tous les débats. C'est un truc de télékinépathe qui vous demandera peut-être quelques difficultés au début, mais nous devrions tous être capable de le voir. »
Il passa parmi ses acolytes et leur expliqua la méthode. En balayant le petit groupe du regard, Lina surprit celui de Raphaël à nouveau posé sur elle. Il lui articula silencieusement : « C'est toi qui as trouvé ».
L'adolescente préféra détourner les yeux.
Une fois tous les mages capables de visualiser grossièrement le labyrinthe, la petite troupe se remit en route. Bien vite, ils traversèrent la longue distance qui leur paraissait auparavant infinie et arrivèrent au pied d'une immense falaise.
Aucune ombre ne s'étendait à ses pieds, puisque ce lieu étrange ne possédait aucune source de lumière unique. Elle s'élevait, droite, à perte de vue devant le petit groupe, protégeant de sa haute muraille la tour repérée par Raphaël, qui s'était révélée être une forteresse entière.
Ce dernier semblait confiant dans le fait que c'était l'endroit où il allait retrouver son père, et Lina pouvait sentir de l'excitation difficilement contenue dans chacune de ses paroles.
La falaise étant percée de dizaines de galeries, le nécro-mage avait proposé d'emprunter l'une d'entre elles, qui les mènerait peut-être de l'autre côté.
« Et si ce n'est pas le cas, eh bien nous nous taillerons notre propre chemin, » avait-il décrété.
Tous s'engagèrent à l'intérieur du tunnel le plus proche. Raphaël avait tenu à ce que Lina passe la première, et marchait juste derrière elle. L'adolescente, pas très rassurée, guettait silencieusement dans son esprit le moment où le brouillard cèderait sous ses attaques.
Elle commençait à avoir mal à la tête mais s'en fichait.
Le tunnel était circulaire et assez large, de sorte que le plus grand des mages n'eut que rarement à baisser la tête pour éviter de se cogner. Mais le plus étonnant, c'était que les parois étaient extrêmement lisses, comme taillées avec soin. Jamais une érosion naturelle n'aurait pu parvenir à ce résultat.
La lumière, également, resta constante tout le long de leur trajet. Ils avaient beau s'enfoncer de plus en plus profondément sous la falaise, jamais ils n'eurent besoin de lampe-torche ou de flamme pour s'éclairer.
Lina s'arrêta un instant à la sortie du tunnel, sidérée, avant qu'on ne la pousse en avant. Le petit groupe venait de déboucher dans une immense caverne, dont les parois étaient tapissées de trous ronds comme celui par lequel ils venaient d'arriver.
Mais le plus impressionnant s'étalait devant eux. Tout un pan de paroi parfaitement rectiligne s'élevait, en face d'eux. Il était couvert de sculptures, et de bas-reliefs si détaillés que l'on aurait dit que les personnages dépeints allaient s'arracher de la façade pour évoluer en toute liberté dans la salle.
Mais ce n'étaient pas des scènes joyeuses. L'on voyait des humains, prosternés face contre terre, devant une unique personne. Grand, le port fier, le visage fin et possédant de longues mains osseuses, il émanait de ce portrait à l'expression hautaine et dédaigneuse une aura sombre et froide. À ses pieds, d'autres hommes, lui ayant sans doute déplu, se faisaient torturer pour son bon plaisir.
Une porte d'entrée en ogive, immense, s'ouvrait au pied du mur, surmontée d'un motif en forme d'anneau.
Pas de doute possible, ils avaient trouvé l'entrée de la forteresse.
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