Chapitre 31 - L'infiltration
Lina se rua hors du pensionnat et s'arrêta dans la rue. Ambre et Gabriel n'étaient déjà que deux silhouettes qui couraient pour attraper un bus. Dans ces conditions, elle n'arriverait jamais à arrêter l'élémentaliste à temps.
Elle chercha un moyen de les rattraper, paniquée. Après son échec de la veille, il était hors de question qu'elle se rate une nouvelle fois !
Son regard s'arrêta sur le local à vélo. Elle s'y précipita et fouilla frénétiquement parmi les trottinettes et les bicyclettes entreposées. Ambre leur avait donné le code de son cadenas au cas où Alya et elle auraient eu besoin de l'emprunter un jour.
Eh bien ce jour était venu.
Elle forma le code de ses mains moites et monta sur le vélo de son amie, puis sortit dans la rue.
Le bus avait disparu. Lina se mordit la lèvre un instant, puis se résolut à utiliser ses pouvoirs. Elle sonda la rue avec son esprit, et, dès qu'elle eut repéré le véhicule, tourna pour se lancer à sa poursuite.
Si seulement elle pouvait envoyer un message télépathique à Ambre... Malheureusement, les habitants commençaient à ressortir de chez eux après l'averse. Et elle ne pouvait pas décemment utiliser ses pouvoirs en public de cette façon.
Plus tard, elle se teindrait les cheveux, comme sa tutrice. Elle pourrait ainsi utiliser ses pouvoirs même devant des non-mages, qui ne verraient pas leur couleur changer.
Rongeant rageusement son frein, elle poussa sur ses pédales et accéléra encore. Elle vit le bus au loin tourner au coin d'une rue.
Bien. Elle le rattrapait.
Ses jambes et sa gorge commençaient à la brûler, mais elle gardait toute son attention rivée sur son objectif. Elle ne laisserait pas Ambre subir une quelconque opération de la part des nécro-mages.
Cinq silhouettes descendirent du bus à la lisière de la ville. Les deux élémentalistes étaient-ils dans le lot ? Impossible de le voir à cette distance. Elle relâcha son attention pour se concentrer sur les passagers.
Ambre en était. Il n'y avait aucun doute. Elle se mit à crier :
« Aaaambre ! Ambre, arrête-toi s'il te plaît ! »
Malheureusement, l'adolescente ne sembla pas l'entendre et disparut entre deux habitations, à la suite de celui que Lina devinait être Gabriel.
Elle s'arrêta devant la ruelle et laissa le vélo contre un mur avant de courir à sa suite en l'appelant. Mais à l'autre bout de la ruelle, elle pila net.
Ces maisons étaient les dernières de la ville. Elle se tenait à l'orée d'un champ de blé. L'adolescente se retourna pour faire face aux habitations.
Par où aller, à présent ? Toutes les façades des maisons qui s'y trouvaient se ressemblaient. Vieilles, sales, voire délabrées pour certaines...
Ils n'ont pas pu aller bien loin, réfléchit Lina. Elle ferma les yeux et se concentra pour sonder encore une fois les environs.
Un choc sourd résonna sur sa gauche. Elle se tourna vivement vers l'origine du bruit et scruta les vieilles maisons.
Plus rien. Elle fit quelques pas sur le chemin caillouteux. Avait-elle rêvé ?
Un deuxième choc résonna, suivi d'un troisième, plus faible. Un cri résonna dans le lointain.
Ambre !
Elle se mit à courir, et s'arrêta devant la maison d'où venaient les cris. Tout était redevenu silencieux, mais la télékinépathe pouvait toujours sentir l'angoisse, et plus que tout, une rage folle émaner de la vieille bâtisse.
Le cœur battant, elle fit quelques pas pour s'approcher de la porte. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire, seule, dans une maison qui devait compter au moins vingt personnes ?
Elle sentit quelque chose de froid pénétrer dans sa chaussure. Surprise, elle baissa les yeux : une mare d'eau filtrait sous la porte d'entrée et se répandait sur le perron et ses alentours.
Des pas.
Pétrifiée, l'adolescente releva la tête. Ils venaient vers elle. Sûrement pour vérifier que tout ce grabuge n'avait pas alerté le voisinage.
Sans réfléchir, elle se jeta dans les broussailles desséchées qui envahissaient le mur adjacent à la façade de la maison. Elle posa sa tête contre le mur et se pinça les lèvres, priant silencieusement pour le mage ne vienne pas par ici.
D'où elle était, elle ne voyait pas la porte d'entrée, mais elle l'entendit grincer lorsque quelqu'un sortit et descendit les marches humides du perron.
Il fit quelques pas, grommela une injure à voix basse puis retourna à l'intérieur. Lina relâcha son souffle, qu'elle avait inconsciemment retenu, et se redressa.
De toute évidence, Ambre s'était débattue, mais avait été dépassée par le nombre. L'opération n'allait sans doute pas tarder. Que pouvait-elle faire, seule comme elle l'était ?
Elle regrettait de plus en plus sa décision de ne rien avoir dit aux membres du GISEM. Elle aurait sans doute passé un sale quart-d'heure, voire été supprimée de la liste des apprentis, mais au moins Ambre serait sauve... Peut-être.
Qu'avait-elle dit à Alya déjà ?
Si je ne suis pas revenue d'ici une demi-heure, préviens le GISEM !
Elle sortit son smartphone. Ça devait déjà faire vingt bonnes minutes qu'elle était partie. D'ici dix minutes, avec un peu de chance, peut-être un peu moins, Alya irait prévenir Monsieur Machon, ou sa tutrice si elle était rentrée.
Elle espérait vraiment qu'Alya s'exécuterait, et vite.
Parce qu'elle allait devoir faire diversion.
Une fois cette résolution prise, l'adolescente se sentit étrangement beaucoup plus calme. Elle allait enfin pouvoir mettre en application ce que sa tutrice lui avait enseigné.
Premièrement, réussir à s'infiltrer à l'intérieur de la bâtisse. Deuxièmement, trouver un disjoncteur, des fils ou quoi que ce soit, et couper l'électricité.
Pour ce qu'elle avait vu de la machine au GISEM, elle devait être branchée au courant. Une coupure devrait donc les retenir un moment.
Mais le plus dur, ça allait être de ne pas se faire voir. Car cette fois, ce n'était ni un entrainement, ni un jeu. La santé d'Ambre en dépendait peut-être.
Lina prit une grande inspiration, et se mit à sonder la maison, cherchant une quelconque entrée, et les endroits d'où elle pourrait agir. Elle laissa également son esprit en alerte au cas où sa tutrice tenterait de la contacter. Elle pourrait ainsi les guider jusqu'à la maison plus rapidement.
Si elle le pouvait, elle l'aurait contactée elle-même, d'ici. Mais elle était beaucoup trop loin du pensionnat à présent. Et ses pouvoirs n'étaient pas encore totalement développés.
Il y avait un vieux vélux entrouvert pas très loin au-dessus d'elle. Et personne dans les étages supérieurs.
Peut-être qu'en grimpant sur ce vieil arbre, elle avait une chance d'atteindre le toit...
Lina s'approcha du tronc et tira un peu sur une branche basse pour tester sa solidité.
« Touchons du bois », marmonna-t-elle pour elle-même en grimaçant.
Elle agrippa la plus haute branche qu'elle put, et se hissa en s'appuyant contre l'écorce rugueuse pour atteindre une autre branche assez épaisse, prenant soin de toujours poser ses mains et ses pieds près du tronc.
Surmontant le sentiment d'irréalité qui l'envahissait, elle continua son ascension jusqu'à parvenir à hauteur du toit.
Maintenant arrivait la partie la plus difficile. Il fallait qu'elle se déplace jusqu'au bout de la branche desséchée sur laquelle elle s'était assise et saute pour atteindre le toit.
Elle jeta un œil en bas, et le regretta aussitôt. Si elle se ratait, ce n'étaient pas des tapis d'entraînement qui allaient l'accueillir, mais un brancard d'ambulance qui devrait la ramasser.
Si quelqu'un la trouvait.
Elle prit une grande inspiration, et se redressa. Elle batailla quelques secondes pour retrouver son équilibre, prit son élan, et courut sur la branche en bois.
Deux pas, trois pas...
Un gros craquement retentit. Lina sauta.
La branche s'écrasa plusieurs mètres plus bas.
Tremblante, l'adolescente regarda le morceau de bois brisé au sol. Elle avait le cœur au bord des lèvres, et posa son front sur la surface métallique qui la soutenait pour tenter de se calmer.
Elle n'avait pas eu le toit. Ses doigts avaient juste eu le temps d'attraper une canalisation verticale pour s'accrocher avant de chuter. Les pointes de ses chaussures tenaient tant bien que mal sur les maigres boulons qui la tenaient fixée contre le mur.
Boulons qui n'étaient pas faits pour soutenir une personne.
L'adolescente s'interdit de penser à quoi que ce soit avant d'avoir atteint le toit, où elle serait en relative sécurité.
Soudain, elle entendit quelqu'un ouvrir une fenêtre juste en-dessous d'elle et une question lointaine qu'elle n'arriva pas à comprendre. Une tête brune sortit de la maison et regarda autour d'elle, avant de soupirer :
« Ce n'est rien, juste une vieille branche qui s'est cassée. De toute façon, tout tombe en ruine ici. Tu t'affoles pour rien. »
Lina attendit que la fenêtre se soit bien refermée pour oser bouger ne serait-ce qu'un orteil. Ce n'était pas passé loin. Elle tendit un bras au-dessus d'elle, et saisit le bord de la gouttière avec ses doigts.
Pourvu qu'elle tienne bon...
Elle mit un peu de poids dessus, puis y déplaça sa deuxième main. S'aidant du mur, elle hissa ses pieds jusqu'aux prochains boulons, se redressa et passa sa première jambe sur le toit. Un deuxième craquement retentit.
Terrifiée, Lina se précipita sur le toit et s'y allongea de tout son long, le cœur battant. Elle avait une furieuse envie de tout laisser tomber et de rentrer dans sa chambre.
Malgré tout, elle se mit à quatre pattes et commença à remonter lentement le toit jusqu'au velux. Toujours personne au premier étage.
Elle ouvrit délicatement la fenêtre entrouverte et se glissa à l'intérieur. Par chance, il n'était pas très haut et l'adolescente put toucher le sol sans avoir besoin de sauter, ce qui, elle en était sûre, aurait alerté tous les nécro-mages en contrebas.
Elle se trouvait dans une pièce assez sombre, qui devait servir de débarras au vu de tous les vieux objets poussiéreux, dont certains recouverts d'un linge, qui jonchaient le sol.
Lina traversa la pièce d'un pas de loup et tourna délicatement la poignée. Elle n'était pas verrouillée. Elle ouvrit doucement la porte et se glissa dans le couloir.
Elle entendit des voix filtrer du rez-de-chaussée.
« C'est bon ? »
- Oui, tout est en place maintenant. On peut commencer.
- On ferait mieux, à vrai dire, déclara un troisième sur le ton de la plaisanterie, parce que cette gamine est une vraie furie ! Et je n'ai vraiment pas envie qu'elle se réveille tout de suite ! »
- C'est bon, avec le calmant qu'on lui a administré, on devrait avoir encore une petite heure de tranquillité ! »
Lina frissonna. Il fallait qu'elle agisse vite ! Où étaient les disjoncteurs déjà ?
À la cave. Evidemment.
Il fallait qu'elle descende l'escalier, et passe en-dessous. C'était là que se trouvait la porte qui y menait.
Heureusement pour elle, tout le monde semblait occupé à l'opposé, dans le salon. Elle posa doucement un pied sur la première marche, en priant pour qu'elle ne craque pas trop. Pour plus de sécurité, elle la figea au moment de mettre son poids dessus, comme elle l'avait fait dans le manoir.
À chacun de ses pas, elle retenait son souffle, longeant le mur.
Il était étrange de se tenir juste en face de la porte close, d'où filtrait un peu de lumière, où se trouvaient tous ces nécro-mages. Elle n'avait que quelques pas à faire pour s'y rendre. Seulement quelques pas la séparaient d'Ambre.
Elle descendit la dernière marche et se détourna de la porte. Celle de la cave était juste là, devant elle. Elle posa sa main sur la poignée. Fermée.
L'adolescente se mordit la lèvre.
Comment faire à présent ?
Elle réfléchit. Il s'agissait d'une vieille serrure, qui s'ouvrait mécaniquement...
Peut-être pouvait-elle essayer de la crocheter. Elle n'avait jamais essayé, mais avait entendu dire que c'était possible. Evidemment, ce n'était pas au programme des apprentis, les instructeurs n'étaient pas idiots...
Mais ça valait le coup d'essayer.
Elle posa sa main sur la serrure et ferma les yeux.
Son esprit, guidé par son bras, parcourut les recoins du mécanisme, tentant de comprendre son fonctionnement.
Peut-être qu'en poussant ici, et en tournant là, elle devrait pouvoir...
Des doigts froids se posèrent sur ses tempes, la figeant instantanément.
« Ne bouge plus. »
Lina avala sa salive. Elle avait été repérée.
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