Chapitre 23 - L'autorisation de sortie
Le samedi matin, Lina se réveilla avec la ferme intention d'obtenir une autorisation pour aller à la bibliothèque François Mitterrand. Elle s'était beaucoup entraînée le soir, et avait à présent hâte de pouvoir en apprendre plus sur ses nouvelles capacités.
Elle avait tout préparé minutieusement, jusqu'à la petite boite d'aspirine au cas où les émotions des passants du métro se révélaient trop envahissantes et impossibles à refouler.
Elle jeta un dernier regard à son dortoir, à Alya en train de grommeler dans son sommeil et à Ambre, en position fœtale et serrant son smartphone dans ses bras, avant de fermer doucement la porte et de sortir dans le couloir.
Alya lui avait raconté avec des airs de conspiratrice comment l'adolescente et Gabriel s'étaient petit à petit rapprochés, et comment son ami Bertrand le pigeon lui avait raconté leur câlin dans la rue et leur après-midi à batifoler ensemble. Elle se demandait même si l'élémentaliste n'avait pas oublié son rendez-vous au terrain de tennis hebdomadaire.
Lina traversa les couloirs encore déserts, un sourire en coin impossible à refouler en tentant d'imaginer la scène, puis s'arrêta devant la porte du bureau de la directrice. Elle prit une grande inspiration avant de frapper trois fois sur la lourde porte de bois.
Un « Entrez ! » étouffé lui parvint de l'autre côté. Lina s'exécuta et s'avança dans le bureau encombré de toutes sortes de babioles de la directrice. Elle trouva cette dernière en train de trier des piles de papiers jonchant son vaste bureau. La fenêtre était grande ouverte pour laisser entrer le soleil, mais la majorité de la lumière provenait néanmoins de la vieille lampe de bureau posée entre un pot à crayons et une agrafeuse.
« Bonjour Lina ! Qu'est-ce qui t'amène ? demanda la directrice sans quitter ses feuillets des yeux. Tu m'excuseras, mais j'ai pas mal de travail en ce moment, je ne peux pas me permettre de prendre du retard...
- Bonjour Madame. Je suis venue pour demander une autorisation pour aller à Paris, et...
- À Paris ? Pourquoi veux-tu aller à Paris ?
- J'aimerais visiter la Bibliothèque François Mitterrand. On dit qu'ils ont tout un tas de documents et de livres très intéressants sur la Révolte, l'histoire de la magie et toutes les disciplines associées et j'aimerais beaucoup pouvoir en apprendre plus sur tous ces sujets... »
Madame Quignon releva la tête de ses documents et la fixa de ses yeux translucides. Lina se mordilla légèrement la lèvre.
« Les ouvrages de la bibliothèque du pensionnat ne suffisent-ils pas à satisfaire ta curiosité ?
- Je les ai déjà presque tous lus ou feuilletés, et j'aimerais avoir des approches et des points de vue différents... S'il vous plaît... »
Pendant un temps qui lui sembla interminable, la directrice la regarda en silence. Puis elle sourit et annonça :
« C'est rare d'avoir des élèves aussi curieux de tout comme toi. Je ne vois pas pourquoi je devrais te l'interdire... Cependant, je veux m'assurer de quelques petites choses : premièrement, je veux que tu aies toujours ton smartphone chargé avec toi. Au moindre problème, tu appelles le secrétariat ou le GISEM. »
Lina hocha la tête, sentant déjà l'excitation du voyage à venir la gagner.
« Deuxièmement, est-ce que tu as repéré l'itinéraire aller et retour pour y aller ? Et est-ce que tu as de l'argent, pour t'acheter de quoi voyager ?
- Oui, j'ai tout préparé pendant la semaine.
- Emmènes-en un peu plus que tu n'en as besoin au cas où quelque chose ne fonctionnerait pas bien, ou que tu perdes ton billet.
- D'accord.
- Et troisièmement, tu peux t'acheter un pique-nique sur place si tu veux, mais je veux que tu sois rentrée pour le repas du soir. Ça te va ?
- Bien sûr !
- Bon, eh bien tu peux y aller alors. Fais attention à toi, c'est tout ce que je demande. »
Lina hocha la tête, un grand sourire aux lèvres, et se dirigea vers la porte.
« Une dernière chose, Lina... Pense à prévenir madame Rita, qu'elle ne se demande pas où est passée son apprentie quand elle a besoin d'elle...
- Je le ferai ! »
Peu de temps après, Lina franchit la lourde porte reliant l'école de mages au GISEM, se retenant à grand peine de sautiller de joie. Elle trouva sa tutrice en compagnie de monsieur Machon et de deux ou trois autres mages, tous penchés sur une liasse de documents. Si l'on en jugeait par leur expression et l'aura trouble qui émanait d'eux, le texte avait l'air particulièrement obscur.
« Bonjour ! lança Lina, en faisant sursauter certains d'entre eux. De quoi s'agit-il ?
- Bonjour Lina, lui répondit Monsieur Machon. On était en train de regarder les résultats de l'analyse de la machine des nécro-mages... »
Le cœur de l'adolescente fit un bond dans sa poitrine.
« Qu'est-ce que ça a donné alors ?
- Visiblement, cette machine sert à l'extraction d'un certain fluide hors du corps du mage visé, expliqua un autre mage vêtu d'une blouse blanche, visiblement l'analyste venu faire part des résultats de son équipe. Le problème, c'est que malgré toutes nos tentatives, nous avons été incapable de déterminer lequel exactement. Nous l'avons décortiquée de fond en comble, et passée au crible de quasiment tous les tests possibles. »
Il fit une pause, puis lâcha :
« La seule hypothèse qui tienne la route que nous avons, c'est qu'elle ait un impact sur les pouvoirs de la personne. »
Un concert de protestations lui répondit.
« Mais enfin, c'est impossible !
- La magie n'est pas mesurable, ce n'est pas un fluide !
- Comment une... Une machine aurait une prise dessus ? Seuls les télékinépathes savent créer des champs stoppant la magie ou des brouillards mentaux !
- Et pour en faire quoi exactement ? »
L'analyste se racla la gorge pour obtenir le silence et reprit :
« Je sais bien que ça peut paraître insensé, mais réfléchissez deux minutes : comment expliquez-vous que nous n'ayons pas pu identifier le fluide visé ? Il s'agit d'une substance que nous ne connaissons pas. Et d'après les informations obtenues pendant l'interrogatoire, ces recherches ont été menées par Argon avant sa mort. Vous savez comme moi ce qu'on disait de lui : il était versé dans tout un tas de disciplines, et plus que tout, c'était un alchimiste hors pair. Il est possible qu'il ait réussi à découvrir un moyen de mesurer la magie ! Vous vous rendez compte ? Ce serait une avancée formidable pour toutes les sciences magiques !
- C'est vrai... se mit à réfléchir un autre mage tout haut. Ça expliquerait aussi pourquoi est-ce qu'ils ont voulu la tester sur Ambre... Madame Quignon nous a rapporté qu'il s'agissait d'une élémentaliste primaire après tout. Non seulement elle possède un nombre très élevé de pouvoirs, mais en plus il s'agit de la conjonction des quatre éléments !
- Oui, c'est vrai, renchérit un troisième. Monsieur Grainvert m'a raconté qu'Ambre possédait une compréhension et une maîtrise très fine de la magie pour quelqu'un qui ne la pratique que depuis quelques semaines, et qu'il n'avait jamais vu quelqu'un faire des progrès si rapidement ! »
Lina, sentant que la discussion commençait à la dépasser un peu, autant par le sujet que par ses enjeux, s'approcha de sa tutrice sur la pointe des pieds.
« Madame ? murmura-t-elle une fois parvenue à sa hauteur.
- Oui Lina ?
- Je ne pourrai pas venir pour m'entraîner aujourd'hui, j'ai reçu l'autorisation d'aller à la bibliothèque François Mitterrand à Paris, pour faire des recherches.
- Ah... Bon eh bien j'en prend note, lui répondit madame Rita, prise de court. Passe une bonne journée.
- Est-ce qu'il y a des choses sur lesquelles vous voudriez que je me renseigne, tant que j'y suis ? »
Sa tutrice sembla réfléchir un instant puis révéla sur le ton de la confidence :
« Si tu pouvais me donner une définition claire de ce qu'est un fluide et ce que la magie a en rapport avec ça je t'en serais reconnaissante... La chimie et l'alchimie n'ont jamais été mon fort et je me sens un peu larguée... »
Elle lui fit un clin d'œil et se redressa. Lina pouffa et récita :
« Les fluides sont des corps capables de prendre la forme de leur contenant, qu'ils soient liquides ou gazeux. Pour le reste, je verrai sur place si je trouve quelque chose. Bonne journée ! »
Elle s'éloigna en faisant un grand signe de la main, enfila son long manteau et son écharpe puis sortit dans la rue.
Le ciel était couvert de lourds nuages noirs. L'adolescente pria pour ne pas trop se faire tremper pendant son voyage et se dirigea à grands pas vers la gare. Celle-ci se trouvait à plus de deux kilomètres de distance, mais Lina était prête à les faire à pied pour économiser l'argent qu'aurait couté un ticket de bus. En plus, marcher un peu ne pouvait pas lui faire de mal.
Elle traversa plusieurs rues humides et arriva sur la place de la ville. Le marché hebdomadaire battait son plein, et l'air était empli du brouhaha des conversations et de l'odeurs des fruits, miches chaudes, viandes diverses et poissons que l'on y vendait.
L'adolescente se pinça les lèvres et enfonça sa capuche sur sa tête.
Concentration. Focalisation. Barrière mentale, pensa-t-elle pour se préparer à sa confrontation avec la foule.
L'empathie était son plus gros problème en tant que télékinépathe, ainsi que le déplorait souvent son grand-père. Il s'agissait du pouvoir permettant de ressentir et comprendre les émotions d'autrui. Elle avait beaucoup de difficultés à les repousser. C'était principalement pour cette raison qu'elle ne mettait que rarement le nez dehors et préférait la compagnie d'une ou deux personnes plutôt que d'une bande d'amis.
Même les salles de classes devenaient parfois un problème. Heureusement, la plupart du temps, les élèves étaient soient concentrés sur le cours, soient en train de somnoler sur leurs chaises.
D'un pas décidé, elle longea les bâtiments bordant la place d'un pas rapide, focalisant ses pensées sur ses chaussures. Les émotions les plus prenantes des passants venaient effleurer son esprit, mais elle s'appliquait à les repousser.
Ça ne l'empêcha pas de découvrir entre autres la satisfaction d'un poissonnier pour avoir arnaqué un client, la culpabilité écrasante d'un enfant pour avoir laissé tomber par terre l'un des œufs qu'il venait d'acheter et la fureur d'un passant qui venait de se faire voler une partie de ses achats par un chien errant alors qu'il faisait ses lacets.
Lina soupira et continua son chemin, abandonnant le marché fourmillant derrière elle. Ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait réussir à maîtriser son empathie.
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