Chapitre 19 - L'enfant animiste
Lina jeta machinalement les restes de son assiette et son pot de yaourt dans les différentes poubelles prévues à cet effet puis débarrassa son plateau. Du coin de l'œil, elle regardait Ambre discuter avec entrain avec un jeune homme aux cheveux blond pâle, qui se voyait de loin dans la foule de têtes brunes ou châtaines du réfectoire. Il devait sans doute s'agir de Gabriel, l'élémentaliste d'eau dont elle lui avait tant parlé.
Elle était heureuse, voire soulagée que sa colocataire s'intègre bien dans son nouvel environnement. Elle avait craint de devoir s'en occuper et de tout lui expliquer, mais l'élémentaliste se faisait petit à petit sa propre place dans le monde des mages.
Sa tête était un peu lourde, mais son grand-père lui avait fait la grâce de ne pas la faire trop travailler, après les deux migraines qu'elle avait subi pendant la semaine. Trois, si l'on comptait le dimanche où elle s'était cachée dans l'aile de détention du GISEM. Mais ça, il était hors de question de le révéler à qui que ce soit.
Elle sortit de la cantine et traversait un couloir en direction de sa chambre lorsque la voix de sa tutrice l'interpella. Elle se retourna.
« As-tu un peu de temps libre ? lui demanda madame Rita une fois parvenue à sa hauteur.
- Oui, pourquoi ? »
Lina sentit son cœur battre plus vite.
Pourvu qu'elle ne veuille pas rattraper ce cours sur les luminographes ! songea-t-elle.
Heureusement, l'agente du GISEM semblait avoir oublié ce petit exercice.
« J'ai un cas particulièrement intéressant juste à côté, et je dois y être au plus vite. Ça te dirait de m'accompagner ?
- Bien sûr ! s'exclama l'adolescente, soulagée. De quoi s'agit-il ?
- Va chercher ton manteau et rejoins-moi dans le hall du GISEM, je t'expliquerai en route.
- D'accord ! »
Lina courut jusqu'à sa chambre et l'ouvrit à la volée. Alya sursauta et une petite mésange affolée se mit à voleter à toute allure dans la pièce.
« Lina ! s'exclama l'autre d'un ton désapprobateur. Tu sais combien de temps j'ai mis à la calmer ? Elle était enfin sur le point de me dire d'où elle venait pour que je puisse la ramener chez elle !
- Désolée Alya, fit Lina en saisissant sa veste et son écharpe beige à la volée. Je ne te dérange pas plus ! À toutes ! »
Elle claqua la porte, s'attirant quelques injures de l'animiste. L'adolescente ne doutait pas qu'Alya ne réussisse à calmer à nouveau le petit oiseau. Après tout, les volatiles avaient toujours été son domaine de prédilection.
Un léger sourire aux lèvres, Lina dévala les escaliers et les couloirs vers le GISEM, manquant de bousculer plusieurs adolescents au passage.
« Je suis là ! » lança-t-elle à sa tutrice en se plantant dans le hall d'entrée du bâtiment, où monsieur Machon finissait de lui donner quelques instructions.
Un jeune homme blond entra dans la pièce et retira le casque de moto qui cachait ses yeux chocolat.
« Tiens, salut Lina ! Comment tu vas depuis la dernière fois ? demanda-t-il en apercevant l'apprentie.
- Très bien et toi ? répondit celle-ci à Mathieu, plus pour la forme qu'autre chose.
- Un peu fatigué mais ça va. Madame Robert va mieux, lança-t-il à l'administratif derrière le bureau, mais franchement, elle devrait arrêter d'utiliser ses pouvoirs pour créer des mélanges de minéraux soi-disant « rajeunissant » ! Elle va vraiment finir par s'empoisonner sérieusement ! »
Monsieur Machon grommela son accord et sortit de la pièce chercher « une autre tasse de café pour tenir le coup ».
Madame Rita se tourna vers son apprentie et lui fit signe de la suivre.
« On va y aller à pied, lui dit-elle. Ce n'est pas loin. »
Lina salua son ancien camarade et lui emboita le pas.
« Il s'agit d'un cas assez spécial, commença madame Rita. Monsieur Armant, qui nous a appelé, est élémentaliste de l'air. Il s'est marié il y a quelques années, mais n'a pas révélé sa condition de mage à sa femme, même s'il en avait le droit après la cérémonie. Ils ont vécu quelques années ensemble et ont eu un fils, Nicolas. Le problème, c'est que Nicolas a développé des pouvoirs d'animiste, et que la dernière personne de sa famille à avoir possédé un tel pouvoir est la grand-mère de monsieur Armant, qui est décédée il y a une quinzaine d'années.
- Aïe... Donc le petit Nicolas se retrouve sans personne pour pouvoir lui apprendre à maîtriser les bases de son pouvoir alors qu'il ne savait même pas que la magie existait ? comprit Lina.
- C'est ça. Et la situation a totalement dégénéré quand sa mère l'a vu se couvrir de fourrure il y a quelques heures... Je crois qu'elle n'est pas loin de faire une crise de nerf.
- Comment on va agir exactement ? On aurait bien besoin de l'aide d'un animiste, non ?
- Oui, c'est ce que j'ai dit à monsieur Machon, mais il y en a une en congé maternité, un deuxième à l'infirmerie à cause des blessures qu'il a reçu dans la forêt pendant qu'il pourchassait les nécro-mages, et les autres sont sur une affaire à deux heures de route d'ici.
- Génial... »
Les deux mages traversèrent la ville d'un pas rapide jusqu'à une petite maison en lisière de forêt. L'homme qui leur ouvrit était grand, avec des cheveux noirs et une barbe naissante qui lui mangeait les joues. De grosses poches violacées sous ses yeux dénotaient son état de fatigue avancée.
Sa lassitude poignante s'abattit sur les épaules de l'adolescente avec beaucoup de force, et elle dut faire des efforts pour ne pas se courber sous son poids.
« Bonjour... ?
- Je suis madame Rita, du GISEM, et voici mon apprentie Lina, se présenta la télékinépathe. »
Les yeux de l'homme s'éclairèrent.
« Dieu soit loué, vous me sauvez la vie ! Entrez, je vous en prie... » s'écria-t-il en s'effaçant pour les laisser passer.
Les deux mages pénétrèrent dans un vestibule propre et bien éclairé. Quelques paires de chaussures étaient rangées sagement sur le côté, surplombées d'un miroir au cadre moderne et de quelques photos sur lesquelles on pouvait reconnaître leur hôte, accompagné d'une jolie jeune femme aux cheveux décolorés et un petit garçon dont l'âge variait entre deux et six ans.
L'âge à partir duquel les pouvoirs commençaient à se développer chez les mages.
Les deux femmes traversèrent le couloir puis pénétrèrent dans un vaste salon, agrémenté de tableaux divers et de fauteuils confortables. Quelques meubles, plantes en pot et un piano achevaient de remplir la pièce.
Lina se demanda un instant à quoi aurait ressemblé sa vie si ses parents avaient encore été là. Auraient-ils habité une belle et grande maison, comme celle-ci ? Lui auraient-ils appris à contrôler ses nouveaux pouvoirs avant d'entrer à l'école pour mages, lorsqu'elle aurait eu ses six ans ?
Elle cligna des yeux. Monsieur Armant expliquait :
« Ma femme est là-haut, et ne va pas bien du tout... Elle a voulu appeler la police, les urgences... J'ai pu l'en empêcher à temps mais elle s'est enfermée dans notre chambre et refuse de me parler. Quant à mon fils, Nicolas, cela fait quelques temps déjà qu'il comprend les animaux. Enfin c'est ce qu'il m'a laissé entendre. Il ne s'est pas rendu compte de sa métamorphose lorsque sa mère l'a trouvée et croit qu'elle ne l'aime plus, qu'il est devenu un monstre... Je ne sais plus quoi faire.
- Avez-vous pu expliquer la situation à votre femme ? »
Une grimace étira les lèvres de l'élémentaliste.
« Si seulement...
- Commençons par aller voir votre fils, si vous le voulez bien.
- Sa chambre est par ici. »
Monsieur Armant traversa un deuxième couloir et frappa à la dernière porte, tout au fond.
« Mon chéri, tu es là ? Papa voudrait te parler.
- Restons un peu à l'écart, chuchota madame Rita à son apprentie. Il ne faut pas le brusquer. »
Leur hôte entra doucement dans la pièce et se mit à chuchoter des paroles rassurantes à son garçon.
« Deux dames sont arrivées, elles sont là pour t'aider... Quoi ? Mais non tu n'es pas un monstre. Tu es incroyable. »
Lina vit sa tutrice lui faire un signe de tête et pénétrer à son tour dans la chambre. L'adolescente la suivit silencieusement, consciente que le moindre geste brusque pourrait effrayer le garçonnet.
En les voyant, Nicolas s'accrocha de plus belle à son père, comme un marin perdu s'accroche à un débris en pleine mer pour essayer de ne pas se noyer dans ses profondeurs.
« Tu n'as pas à avoir peur de nous, dit madame Rita d'une voix douce. Nous sommes venus t'aider. »
Le petit semblait terrifié. Son père le souleva de terre et le cala dans ses bras.
« Ton père m'a dit que tu comprenais ce que racontent les animaux ? »
Pas de réponse.
« Tu n'es pas le seul à avoir des capacités spéciales tu sais ? sourit la mage. Nous sommes comme toi. »
Un œil humide apparut sous la masse de cheveux brun de Nicolas.
« C'est vrai ? demanda-t-il d'une petite voix.
- Bien sûr. Regarde. »
Madame Rita fit un geste en direction d'une peluche en forme d'ourson qui traînait au sol. Celle-ci se releva et se mit à gambader à travers la pièce d'une démarche mal assurée qui arracha un petit rire à l'enfant.
« Ton Papa aussi sait faire des choses tu sais, fit-elle avec un sourire malicieux.
- C'est vrai Papa ? » demanda Nicolas en ouvrant de grands yeux étonnés.
Il semblait redécouvrir son père. Curieusement, ces nouvelles particularités semblaient lui plaire.
« Tu sais faire quoi Papa ?
- Moi ? Je sais faire murmurer le vent, lui répondit monsieur Armant, jouant le jeu.
- Trop fort ! Tu me montres ? S'il te plaît ! »
L'élémentaliste sourit, visiblement soulagé, et s'exécuta.
« Papa tes cheveux sont devenus tous blanc ! On dirait un grand-père ! »
Lina ne put s'empêcher de pouffer. Mais elle seressaisit vite. Les enfants étaient facilement impressionnables. Mais pour lafemme de l'élémentaliste, elle savait que ce serait une autre paire de manches.Il ne restait qu'à espérer que madame Armant pardonne à son mari le secretqu'il lui avait caché toutes ces années...
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