Chapitre 15 - Stéphanie
« Le feu ne doit pas être considéré à la légère, Ambre, » expliqua mademoiselle Feuer à sa nouvelle élève.
Cette dernière baissa la tête, consciente de ce qu'elle avait déjà provoqué par le passé.
Elle se trouvait à présent dans une salle sombre, aux fenêtres couvertes de suie et dans laquelle tous les meubles, ainsi que le sol, les murs et le plafond étaient noirs, couverts d'une matière ignifugée. Une grande vasque où brûlait un feu bleu éclairait la pièce de lueurs tremblotantes depuis le bureau du professeur.
Depuis qu'ils avaient commencé leurs travaux pratiques, les élèves avaient tous enfermé leurs affaires dans des casiers au fond de la classe, pour éviter de les faire accidentellement brûler. La lueur de leurs flammèches s'ajoutait à celle de la vasque pour former une ambiance mystique dans la salle de classe.
Comme lors de l'heure précédente, la professeure, une grande jeune femme au teint bronzé et au cheveux auburn, était venue la voir pour lui enseigner les rudiments de la matière.
« La magie du feu est celle qui a causé le plus d'accidents par le passé, expliqua-t-elle. Enfin, si l'on excepte la magie du vide. Tu dois donc la manipuler avec d'infinies précautions, d'accord ? »
L'adolescente hocha la tête.
« À ce que l'on m'a dit, tu as déjà invoqué la magie du feu une fois. Ce devrait être plus facile de recommencer. Prends une branche de bois assez longue sous ta table, et essaie de l'enflammer.
Ambre recula sa chaise et ouvrit le tiroir sous son pupitre. Elle put y voir toutes sortes de combustibles, de l'alcool et des récipients de verre ou de terre cuite mais aussi une grande bouteille d'eau.
Elle en tira une longue branche et la présenta à sa professeure.
Celle-ci attrapa l'une de ses extrémités et expliqua, en suivant la ligne du bâton de l'autre main :
« Tu le sais déjà, le feu est le résultat d'une combustion. Ton combustible, c'est ce bâton, et ton comburant, c'est l'oxygène autour de toi. Tout ce que tu as à faire, c'est apporter l'énergie nécessaire pour débuter cette combustion. Cette énergie est en toi, et tu dois la faire remonter de ton bras jusque dans le bâton. Tu me suis ? »
Ambre hocha la tête. Elle se souvint de la sensation qu'elle avait éprouvé lorsque qu'elle avait embrasé une partie de la forêt. De son cri libérateur qui l'avait laissé vidée de toutes ses forces.
Elle récupéra la branche et essaya de retrouver la sensation qu'elle avait eu, mais les images montrées par monsieur Machon se mirent à flotter dans son esprit.
Et si elle déclenchait à nouveau un incendie ? Et si elle blessait l'un de ses camarades ? Elle avait été impatiente d'apprendre à contrôler ses nouveaux pouvoirs mais à présent elle craignait de ne pas y parvenir...
Sa main trembla.
« Il n'y a aucune raison d'avoir peur. Toute la salle est à l'épreuve du feu et la seconde chose que l'on enseigne dans cette classe est de stopper instantanément la combustion. Personne ici ne court le moindre risque. »
Ambre se mordit la lèvre et hocha la tête. Elle prit une grande inspiration et se concentra à nouveau. Cette fois, elle essaya de retrouver les sensations qu'elle avait ressenti en travaillant la magie de l'eau.
Elle avait réussi à soulever de l'eau deux autres fois lors de l'heure précédente. Alors elle ferma les yeux pour ne plus voir la professeure qui l'observait de ses yeux sombres, ni sa voisine de classe qui avait délaissé son exercice pour la dévisager.
Au bout d'un moment, elle ressentit à nouveau une vague de chaleur à peine perceptible affluer dans son bras et remonter le long de son coude jusque dans ses doigts.
Elle retint un cri de victoire : la moindre déconcentration lui ferait instantanément perdre le peu de magie qu'elle arrivait à déclencher.
Elle concentra la chaleur au bout du bâton. Au bout d'un moment, un peu de chaleur caressa son visage déjà luisant de la chaleur dégagée dans la pièce. Alors, elle ouvrit les yeux. Une mince flamme brillait à l'extrémité de son bâton.
« Génial ! s'enthousiasma la professeure. C'est très bien ! »
Ambre sentit son cœur se gonfler de fierté. Il était rare que ses professeurs lui fassent des compliments d'ordinaire.
D'un geste de la main, mademoiselle Feuer éteignit la flamme et se releva. L'adolescente sentit une bouffée d'agacement monter en elle en voyant plusieurs minutes d'efforts réduits en cendre en un dixième de seconde, mais elle la réprima.
« Tu es sur la bonne voie ! Continue comme ça ! C'est par la répétition que l'on acquiert des automatismes ! Stéphanie, tu pourras te charger d'éteindre sa flamme lorsqu'elle l'aura allumée s'il te plaît ? »
La voisine d'Ambre hocha la tête. La professeure se releva et partit faire le tour de la classe.
« Comment ça se fait que tu aies autant de mal pour allumer un simple bout de bois ? demanda Stéphanie en se tournant vers elle.
- C'est une longue histoire, » fit Ambre, gênée.
L'adolescente repoussa une mèche flamboyante derrière son oreille. L'autre la dévisageait toujours de ses grands yeux bleus. Elle attendait visiblement une réponse plus détaillée.
« Je n'ai appris que récemment que j'étais élémentaliste du feu, » lâcha-t-elle finalement.
L'espace d'un instant, Stéphanie fronça les sourcils. Puis son visage s'illumina.
« T'avais un pouvoir latent c'est ça ? Genre qui était là mais qui ne s'était pas manifesté !
- Oui, c'est ça, répondit Ambre, soulagée de ne pas avoir à révéler qu'elle ne savait même pas que la magie existait il y a à peine quelques jours.
- Je vais pouvoir t'aider si tu veux ! Regarde un peu ! »
Stéphanie repoussa la bougie dont elle devait amener la flamme à combustion complète, plaça ses doigts en sphère et se concentra.
Ses cheveux dorés virèrent au roux violent. Une petite flamme naquit au creux de ses paumes tandis qu'elle les écartait doucement l'une de l'autre.
« Ta daaa ! Une flamme sans support ! Juste alimentée par mon énergie !
- C'est impressionnant... souffla Ambre, qui la comparait mentalement aux magiciens des dessins animés qui créaient des boules de feu pour s'éclairer dans les cavernes.
- C'est beaucoup plus fatigant aussi. Mais attends, regarde ! »
Ses doigts s'agitèrent un instant dans le vide, puis la flamme, comme avec réticence, se scinda en deux, puis en trois. Stéphanie, le visage luisant par la concentration, les déplaça au-dessus de leur tête et les fit tourner doucement.
« T'as vu ç...
- Stéphanie ! hurla soudain mademoiselle Feuer. Éteins-moi ça tout de suite ! »
La concernée sursauta. Les trois flammèches se dissipèrent presque instantanément, ne laissant dans l'air qu'un peu de fumée blanchâtre.
La professeure alla se planter devant elle et demanda furieusement :
« Qu'est-ce qui t'as pris de faire ça ?
- Je voulais juste montr...
- Je m'en contre-fiche ! Tu sais très bien pourquoi il est interdit d'allumer des flammes au-dessus du niveau des yeux ! Allez, dis-le ! »
Stéphanie baissa la tête et murmura :
« C'est parce que des étincelles peuvent en tomber et se prendre dans les cheveux des élèves en dessous, ou, si on perd sa concentration, retomber sur nous-même avant de s'éteindre...
- Très bien ! Je ne veux plus t'y reprendre ! conclut mademoiselle Feuer. Tu viendras me voir à la fin du cours ! »
La professeure s'éloigna. Stéphanie garda la tête baissée en signe de regret, mais Ambre s'aperçut avec surprise qu'un petit sourire ironique ornait ses lèvres derrière son rideau de cheveux blonds.
À la fin de l'heure, Ambre récupéra ses affaires et agita discrètement la main en signe d'encouragement à sa nouvelle amie avant de quitter la salle.
Tout son corps lui semblait étrangement lourd et fatigué. Elle se surprit également à frissonner sans pouvoir s'arrêter. Un froid intense l'envahit petit à petit alors qu'elle quittait la chaleur de la salle.
Se pouvait-il qu'il s'agisse des effets dus à une trop grande utilisation de ses pouvoirs, à l'instar de Lina et de ses maux de tête ?
Trainant les pieds à travers les couloirs, elle sortit son emploi du temps.
Histoire avec monsieur Grosjean en salle 112. Super, encore une volée d'escaliers et puis elle pourrait dormir.
Elle ouvrit son sac pour y ranger la petite feuille et se heurta brutalement contre quelqu'un. Déséquilibrée, elle tomba à la renverse. Le contenu de son sac ouvert se répandit sur le sol.
« Oh, excuse-moi ! Je ne t'avais pas vu... » s'excusa précipitamment une voix.
Ambre se massa un coude puis brièvement les tempes. Le sol semblait tanguer légèrement. Malgré tout, elle releva la tête vers son mystérieux interlocuteur. Gabriel, le nouvel élémentaliste de l'eau, avait le visage rouge de confusion. Il s'était précipité au sol pour rassembler les divers cahiers d'Ambre éparpillés dans le couloir.
« Oh, ce n'est rien... bredouilla l'élémentaliste. C'est ma faute. Je ne t'avais pas vu arriver. »
Elle se pencha à son tour et commença à fourrer ses affaires dans son sac. Gabriel lui tendit celles qu'il avait ramassé. L'adolescente s'en saisit, et ses doigts se posèrent ceux du jeune homme.
Embarrassée, elle tira ses cahiers à elle et les remit dans son sac.
« Merci, lâcha-t-elle, les yeux rivés sur ses lanières.
- Au fait, continua Gabriel, j'ai vu tout à l'heure que tu avais quelques difficultés à manier l'eau, alors... »
Je n'ai aucune difficulté particulière ! voulut s'écrier Ambre. C'est seulement la première fois !
Elle resta muette.
« ... Je me disais que je pourrais t'aider si tu veux ! T'en penses quoi ?
- Euh... »
L'adolescente resta un instant interdite. Son emploi du temps était déjà très chargé, alourdi par ses quatre nouvelles matières alors que la plupart des mages n'en avaient qu'une ou deux, et elle allait bientôt être en retard à son cours suivant. D'un autre côté, elle avait grand besoin de s'améliorer en magie, et vite, pour éviter que ses camarades ne s'en rendent compte et ne la traitent de demeurée...
« Peut-être... Pourquoi pas ? répondit-elle vaguement. Mais là, ce n'est pas le moment d'en discuter, je vais être en retard...
- On se voit après les cours alors ? lui demanda Gabriel.
- Oui oui, fit l'adolescente avec un signe de la main en s'éloignant à grands pas.
- Devant la bibliothèque, à 18h ! » entendit-elle au loin avant de tourner dans l'angle du couloir.
Ambre toqua à la porte de la salle 112 avec appréhension. Elle espérait ne pas se faire exclure de cours dès sa première journée, cela renverrait une très mauvaise image... D'autant qu'elle était dispensée de tous frais d'inscriptions, de cantine et de dortoir, qui étaient payés par le GISEM.
« Oui ? C'est pour quoi ? » demanda un homme corpulent dont le double-menton flasque débordait de son col de chemise de manière pas très ragoûtante.
Ambre fut prise d'un frisson en sentant son haleine fétide, mais s'obligea à ne pas grimacer.
- Bonjour monsieur... Je suis nouvelle et je viens suivre votre cours, comme indiqué dans mon emploi du temps... »
Elle tendit la petite feuille au professeur. Celui-ci l'observa pendant de longues secondes, l'air de plus en plus surpris. L'un de ses sourcils montait dangereusement haut vers sa calvitie. Finalement, il lui ouvrit la porte.
« Vas-y, entre. Nous n'avions pas encore commencé. »
L'adolescente s'exécuta, se demandant ce qui avait bien pu provoquer une telle réaction chez son professeur. Elle jeta un œil à son emploi du temps, puis comprit. Comme chez tous les mages qu'elle avait fait entrer la confidence, c'était toujours le nombre de ses pouvoirs qui impressionnait.
Elle se trouva une table libre au fond contre le mur et sortit son cahier d'histoire de son sac. Maintenant que l'adrénaline était retombée, elle sentait de nouveau cette langueur envahir son corps et l'endormir doucement.
Elle sortit un stylo rouge et entreprit de tracer une grosse ligne de séparation à la suite des cours qu'elle avait eu dans son ancien lycée.
Stéphanie entra à son tour peu de temps après avec un mot d'excuse de la professeure de magie du feu et alla rejoindre Ambre au fond de la salle. Elle balança son sac sur la table voisine et s'affala sur sa chaise en grommelant des choses inintelligibles.
« Alors ? chuchota Ambre, tandis que le cours d'histoire démarrait doucement.
- La prof m'a mis un avertissement... Encore un et je suis collée.
- Aïe... Je suis désolée que tu...
- Nan t'inquiète, la coupa Stéphanie. C'est moi qui ai voulu te montrer ça. C'était idiot de ma part. Mais j'espère que tu as quand même apprécié le spectacle, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
- Bien sûr que oui ! C'était fantastique ! »
Elle jeta un œil au professeur. Celui-ci, plongé dans un texte d'Erasme, les ignorait totalement. Tant mieux.
Elle se tourna à nouveau vers son amie, en train de lui présenter ses camarades de classe.
« ... Et ici, on a Alexandre et Mathéo. Ces deux-là passent leur temps à comploter ensemble pour jouer des tours aux profs... »
Ambre reconnu l'adolescent qui avait arrosé ses camarades quelques heures plus tôt.
« Et juste après, il y a...
- Alya et Lina ! »
Le cœur d'Ambre fit un bond dans sa poitrine. Elle ne s'était même pas aperçue que ses deux colocataires partageaient également leur classe avec elle.
« Tu les connais déjà ?
- Oui, on partage la même chambre.
- Attends, quoi ? Tu es à l'internat avec l'intello ? » s'offusqua Stéphanie.
Ambre fronça les sourcils, sans comprendre.
« L'intello ?
- Lina... lâcha Stéphanie avec mépris. Une meuf pas fréquentable, si tu veux mon avis. Quand elle n'est pas en train de faire religieusement ses devoirs comme s'il s'agissait d'un don du ciel, elle passe son temps à lécher les basques de sa tutrice, au GISEM... Je parie qu'elle ne s'intéresse à ces flics uniquement pour se faire bien voir des autres et ajouter un tiret de plus à son CV déjà impeccable...
- Tu es sûre de ce que tu dis ? Parce que je n'en ai pas eu l'impression...
- Ah nan mais crois moi... Là elle ne fait que te caresser dans le sens du poil pour obtenir des faveurs plus tard... Tu devrais l'éviter, je te dis. »
Douchée, Ambre jeta un œil à la télékinépathe, concentrée sur le cours, et elle murmura un « Ah bon... » signifiant clairement que la conversation était terminée. Elle posa son menton sur sa paume de main et se mit à tracer quelques doodles dans les marges de son cahier.
L'heure allait être longue...
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