Chapitre 12 - Nécro-mage
La tête basse, Lina posa une main sur la porte de sortie de l'aile de détention. Elle la fit glisser jusqu'à la poignée et posa son front brûlant sur la surface métallique en soupirant.
Pourquoi avait-elle perdu le contrôle d'elle-même ? De ses émotions ? Elle avait laissé passer sa seule chance d'en apprendre plus de la bouche de cette fille ! Si elle n'était pas capable de calmer ses petites colères personnelles, comment pouvait-elle imaginer ensuite être capable de rester calme et lucide plus tard, si elle devenait télékinépathe au GISEM ?
Un léger goût métallique pointa sur le bout de sa langue. Sans s'en rendre compte, elle s'était mordue jusqu'au sang.
« 'Faut vraiment que je perde ce tic, » marmonna-t-elle pour elle-même avec un sourire amer.
Elle prit une longue inspiration, et se retourna à-demi pour contempler le couloir désert.
Il fallait qu'elle en ait le cœur net.
Avant de commencer à douter et de changer d'avis, elle reprit la direction qu'elle avait emprunté auparavant mais changea d'intersection jusqu'à se perdre totalement et déboucher sur un cul de sac, dans un couloir désaffecté. Priant pour que personne ne parvienne jusqu'ici, elle se laissa glisser au sol, le cœur battant, et posa son front sur ses genoux, les enserrant de ses mains tremblantes et moites.
Si Madame Rita apprenait ce qu'elle faisait, elle ne donnait pas cher de ses rêves d'intégrer un jour le GISEM pour reprendre le flambeau de son grand-père.
Elle ferma les yeux et se concentra sur les ondes cérébrales de son cerveau. Il ne fallait pas que d'autres télékinépathes puissent les remarquer, elles ou sa panique qui devait rayonner aux alentours, sinon elle se ferait repérer.
Elle se concentra pour les ralentir et les disperser lorsqu'elles franchissaient la frontière de son esprit. C'était un exercice que son grand-père avait insisté pour lui enseigner. Il avait été amené à le pratiquer de nombreuses fois durant ses années de services et jugeait qu'il n'était pas assez employé. Cependant, elle le maîtrisait encore mal et il pouvait s'avérer dangereux si elle ne le faisait pas correctement.
Son grand-père ne serait pas là pour l'aider à stopper le sortilège s'il lui échappait. Elle se devait donc d'être très prudente, ne tenant pas à tomber dans le coma ou à perdre la raison.
Elle commença à agir, doucement, prenant d'infinies précautions. Peu à peu, elle entra dans une sorte de transe, et se perdit complètement dans le lancement du sortilège. Plus rien d'autre n'existait à ses yeux. Ni la lumière des néons au-dessus de la tête, ni les lointains bruits de pas, ni même sa propre respiration, à présent lente et profonde.
Lorsqu'elle sortit enfin de sa léthargie, son premier réflexe fut de regarder l'heure. Près de deux heures s'étaient écoulées. Son sort interrompu, elle sentit une vague de douleur envahir son crâne. Il lui avait demandé énormément de magie, et elle l'avait prolongé un peu plus longtemps que ce qu'elle aurait dû... Elle espérait juste ne pas conserver ses cheveux mauves plus d'un quart d'heure.
Elle se releva doucement et sonda les environs en grimaçant lorsque la douleur s'intensifia. Dire que lundi, elle devrait remettre ça pendant les cours de magie de l'esprit du pensionnat...
Il n'y avait plus personne. Plus de personne mobile en tout cas. Et celles qui restaient étaient sûrement les nécro-mages.
La télékinépathe respira profondément pour lutter contre l'appréhension et l'adrénaline qui l'envahissaient. Elle se mit en route.
Peu de temps après, elle arriva dans le couloir contenant les cellules de détention. Les quelques chuchotements qu'elle avait perçus en arrivant s'évanouirent. Lina frissonna puis releva le menton, décidée à faire comme s'il était tout à fait normal qu'elle se trouve ici.
Chaque cellule contenait une ou deux personnes. Certaines faisaient les cent pas ou se tenaient nonchalamment appuyées contre un mur, mais la plupart restaient prostrées dans leur coin ou sur leur lit. Tous lui jetaient des regards noirs en la voyant passer.
Lina sentit son cœur se serrer. Elle jetait des regards à la dérobée à chacune des personnes. Finalement, elle trouva celle qu'elle cherchait dans la dernière cellule, tout au fond. La jeune femme aux courts cheveux auburn était assise dans un coin, la tête appuyée contre le mur.
Lina s'arrêta.
« Qu'est-ce que tu me veux ? » grogna la jeune femme sans bouger.
L'adolescente ouvrit la bouche. Pourtant, aucun son n'en sortit : sa gorge était trop nouée pour formuler quoi que ce soit.
« Tu es venue pour te moquer c'est ça ? »
Pour toute réponse, Lina releva l'une de ses manches et dénoua à nouveau le bandage qui lui couvrait les poignets.
La femme haussa un sourcil et se releva lentement, visiblement curieuse.
« Je veux savoir ce que vous m'avez fait, » répondit Lina d'une voix qu'elle voulait ferme.
Désormais proche, la jeune femme lâcha un petit rire interloqué.
« Whaou... Ce sont des sacrées brûlures dis donc ! »
Elle redevint soudainement sérieuse et, fixant Lina droit dans les yeux, elle affirma :
« Mais il faut arrêter de nous mettre tous vos problèmes sur le dos ! Ce n'est pas moi qui t'ai fait ça, ok ? »
L'adolescente frissonna devant ce regard lourd de reproches et d'exaspération. Mais la colère reprit vite le pas sur la peur. Pourquoi s'obstinait-elle à mentir ainsi ?
Ignorant son mal de crâne qui montait en flèche à cause des paroles de plus en plus fortes qu'elles échangeaient, elle reprit hargneusement :
« Je sais très bien que c'est toi qui m'as fait ça ! Ou l'un de tes acolytes, je m'en fiche ! Alors réponds-moi : quel sortilège m'avez-vous jeté ?
- Mais rien du tout, fous-moi la paix !
- Je peux jeter un coup d'œil ? »
Lina sursauta et se tourna vers la cellule d'à côté. Un homme, plutôt grand avec une barbe poivre et sel plutôt fournie était assis, adossé au mur près des barreaux et tendait la main dans sa direction. Elle se renfrogna. Était-ce un piège ?
« Aller, laisse-moi regarder si tu es si curieuse... Je suis incurateur, en plus d'être nécro-mage. Même si ici je n'ai pas accès à mes pouvoirs, j'ai fait des études de médecine... Un petit diagnostic est encore à ma portée. »
Lina hésita un instant avant de se résigner à obéir. Après tout, elle ne possédait pas la clef de leurs cellules et personne ne savait qu'elle était ici. Ils ne gagneraient rien à lui faire du mal... Et puis, elle pourrait bien lancer un dernier sortilège pour se défendre, elle en avait vu d'autres...
Elle tendit son poignet à travers les barreaux. L'autre se redressa contre le mur et s'en saisit délicatement. Il le palpa avec des gestes doux mais précis un instant.
Son front se fronça et il se mit à grommeler des choses inintelligibles dans sa barbe.
Il la lâcha. Lina s'empressa de ramener son bras vers elle, hors de portée du nécro-mage. Ce dernier bougeait les lèvres, mais aucun son n'en sortait. Il semblait en proie à un gros problème.
« Qu'y a-t-il ? » demanda Lina, se demandant si elle devait s'inquiéter ou s'énerver, sa concentration rendue plus difficile par ses tempes bourdonnantes.
Finalement, l'autre répondit :
« Ce sont des brûlures de luminographes, » répondit-il enfin.
Soudain blême, Lina recula d'un pas. Était-ce réellement possible ?
Non, ça n'avait aucun sens. Elle n'était pas une nécro-mage. Elle ne pouvait pas l'être. Elle n'était pas comme eux ! Et puis, si elle l'avait été, une sphère révélatrice le lui aurait déjà montré, non ? Et elle supportait très bien le contact des luminographes !
« Je ne suis pas nécro-mage, lança-t-elle hargneusement, en oubliant de vouvoyer. Arrêtez de mentir, tous autant que vous êtes ! je sais très bien que vous m'avez fait quelque chose, et je veux savoir quoi !
- Mais arrête de nous accuser comme ça ! lui lança la jeune femme aux cheveux auburn.
- Je ne te mens pas ! Regarde ! »
Le médecin remonta l'une de ses manches. Son bras possédait des traces de brûlures similaires à celle de la télékinépathe, bien que d'aspect moins important.
« Ce sont celles que le GISEM m'a faites avec ces fichus bracelets. Il n'y a que les nécro-mages pour ne pas supporter leur contact, je ne connais aucune autre chose capable de causer de tels effets !
- N-Non, c'est impossible... » bégaya Lina.
Il lui semblait que le sol tanguait sous ses pieds. Quelques points noirs dansaient devant ses yeux et sa respiration avait peine à franchir la barrière de ses lèvres.
« C'était la première fois que tu te trouvais en présence de magie du vide ? lui demanda l'autre, soudain curieux.
- Je... Oui...
- Il se peut que ça ait servi d'élément déclencheur... Te voilà dans la même galère que nous à présent, ricana-t-il. À ceci-près que toi, tu es libre comme l'air...
- Nan... c'est hors de question ! »
Sentant des larmes de dégoût et de dépit se masser sous ses paupières, Lina tituba en arrière et s'enfuit en courant dans le couloir, poursuivie par les derniers échos de la voix de la jeune femme lui criant :
« Tu nous prends pour des monstres mais tu ne sais rien de ce que nous avons subi tu m'entends ? Rien du tout ! »
Lina sortit de l'aile de détention du GISEM. Heureusement, personne ne se trouvait à proximité, même si la télékinépathe s'en fichait royalement. Son esprit douloureux peinait à aligner deux pensées cohérentes. C'est à peine si elle se rendit compte du trajet mécanique qu'elle fit pour revenir dans sa chambre en essuyant rageusement ses larmes.
Elle allait ouvrir la porte de sa chambre mais se ravisa, la main sur la poignée. Les rires d'Ambre et d'Alya montaient jusqu'à elle. Elle n'avait pas envie de s'attirer leurs questions et encore moins d'empêcher Ambre de s'amuser, elle qui avait déjà tant souffert.
De toute manière, elle ne pouvait pas se confier. Pouvait-elle seulement garder le secret ? Elle n'avait pas encore touché de luminographes depuis son réveil, mais dès qu'elle devrait à nouveau s'entraîner à les utiliser, elle serait découverte. Et alors...
Sa vue se brouilla une nouvelle fois. Elle lâcha la poignée et repartit en direction de la bibliothèque, avec la ferme intention d'y rester jusqu'au soir.
Sautant d'un rayonnage à l'autre, la télékinépathe se mit à chercher frénétiquement des livres sur les nécro-mages, la magie du vide et tout ce qui y était lié, de près ou de loin. Son esprit douloureux peinait à déchiffrer les titres des ouvrages, et encore plus à en tirer du sens.
Chargée d'une petite dizaine de livres, elle partit s'installer dans un coin reculé de la bibliothèque où personne ne venait jamais. D'habitude, elle s'installait ici simplement pour avoir un peu de calme pendant ses devoirs et ses révisions...
Tout ça lui paraissait bien futile à présent.
Elle prit le premier ouvrage, intitulé la magie du vide : un pouvoir différent, et commença à le feuilleter en quête d'éléments intéressants.
Mais, après avoir relu cinq fois une même phrase sans en tirer le moindre sens, elle se résolut à abandonner et se laissa aller contre sa chaise.
D'où provenaient ces pouvoirs ? Elle ne se connaissait aucun parent, de près ou de loin, qui l'ait été... Sa famille maternelle était totalement hors de cause. Son grand-père haïssait les nécro-mages. Il n'aurait jamais accepté une union avec sa grand-mère si elle possédait du sang de nécro-mage. Et, Lina le savait, il avait sans aucun doute soigneusement épluché son arbre généalogique en ce sens.
Restait alors le côté de son père et de sa famille paternelle. Elle ne connaissait pas grand-chose de son père, Rodolphe déviant habilement la conversation à chaque fois qu'elle lui posait la question.
De ce qu'elle savait, lui et son père ne s'étaient jamais bien entendus et sa propre fille, Juliette, s'était éloignée de lui parce qu'il ne consentait pas à cette union. Lorsque la Révolte avait éclaté, elle avait précipitamment confié sa fille nouvelle-né à Rodolphe, et plus personne ne l'avait jamais revue, ni elle, ni l'homme qu'elle aimait.
Et Lina s'était retrouvée orpheline.
Et si la raison de ce désaccord était justement parce que mon père était nécro-mage ? se demanda-t-elle soudain.
À cet instant, la cloche sonnant l'heure du dîner retentit. La télékinépathe se redressa sur sa chaise et grimaça en sentant le sol se mettre à tanguer sous ses pieds. À présent que l'adrénaline était retombée, la fatigue prenait le dessus, emportant tout sur son passage. Elle n'avait même plus la force de s'inquiéter.
Elle récupéra les livres éparpillés sur la table et se dirigea vers la professeure documentaliste.
« Bonjour Lina ! Comment vas-tu ? lui demanda celle-ci avec un grand sourire, qui s'estompa rapidement en la voyant. Il t'est arrivé quelque chose ?
- Je... J'ai simplement un peu trop forcé sur mes pouvoirs, répondit Lina en s'efforçant de sourire. Comme d'habitude. J'aimerais emprunter ces livres s'il vous plaît... »
La bibliothécaire s'empara de la pile et les compta.
« Les emprunts sont limités à cinq livres en même temps, tu le sais pourtant, s'étonna-t-elle.
- Ah, euh... J'avais oublié... bredouilla Lina, confuse, avant de se rendre compte que sa réponse n'était pas du tout crédible, puisqu'elle venait à la bibliothèque presque tous les jours, et ce, depuis plusieurs années.
- Mais si tu veux, je peux faire une petite exception... Tu es une élève sérieuse et qui a toujours soif de nouvelles connaissances. Si tu me les rapportes tous en bon état, je peux autoriser un petit écart... Ça restera entre nous ! reprit la bibliothécaire avec un clin d'œil en enregistrant les livres.
- Merci beaucoup madame, répondit Lina, un peu hébétée.
- Théorie et pratique de la magie du vide... Ce livre-là ne doit pas souvent sortir de son étagère. Ce sont des recherches pour le GISEM je suppose ?
- Oui... Des recherches pour le GISEM. C'est ça. »
La documentaliste tendit la pile à Lina et la dévisagea avec une petite moue.
« Tu as l'air fatiguée tu sais... J'ai appris que tu avais été légèrement blessée lors de la dernière intervention. Tu devrais penser à prendre du repos !
- Oui madame, vous avez raison. Bonne soirée.
- Bonne soirée à toi, Lina ! »
L'adolescente sortit de la bibliothèque d'un paschancelant et se dirigea tant bien que mal vers sa chambre.
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