Chapitre 10 - Elémentaliste primaire
Aux volutes orange révélant les pouvoirs pyromanes d'Ambre se mêlèrent d'autres teintes. Une vague de bleu envahit une partie de la sphère, rapidement suivie de vert, puis de blanc.
Captivée, Ambre observa les quatre volutes se mêler entre elles, de plus en plus vite. Si elle se souvenait correctement de ce que lui avait dit Lina, elle posséderait donc le contrôle des quatre éléments... Elle releva la tête pour en demander la confirmation à madame Quignon, mais les mots moururent dans sa gorge en voyant son expression.
Les yeux écarquillés, visiblement ébranlée, la directrice répétait pour elle-même :
« Une élémentaliste primaire... »
Ambre baissa à nouveau les yeux et fut surprise de constater que les couleurs à l'intérieur de la sphère s'étaient totalement fondues. À la place, une éclatante lumière blanche prenait de la vigueur de seconde en seconde.
Ambre, sentant la panique la gagner, reposa précipitamment la sphère dans son couffin. Instantanément, la pierre commença à perdre ses couleurs et la pièce ne fut plus éclairée que par la lumière qui émanait de la fenêtre.
Le cœur battant, elle déglutit et leva les yeux sur la directrice. Celle-ci paraissait sonnée, voire presque effrayée.
« Ambre... Je n'avais encore jamais vu ça, souffla-t-elle. La conjonction de quatre pouvoirs est tellement rare... »
Elle secoua la tête nerveusement et planta ses yeux translucides dans ceux d'Ambre, qui sentit une sueur glacée couler dans son dos.
« Qu'est-ce que ça signifie ? demanda-t-elle d'une voix étranglée. Qu'est-ce que je suis exactement ? »
En voyant la panique de l'adolescente, la vieille télékinépathe se radoucit instantanément. Elle contourna le bureau et posa les mains sur ses épaules.
« Chut, calme-toi, ce n'est rien. J'étais juste étonnée, c'est tout. Peu de mages possèdent deux pouvoirs, et ceux qui en ont trois sont extrêmement rares... Alors tu comprends que j'étais un peu surprise de découvrir que tu en possédais quatre... »
Elle sourit à l'adolescente et posa les doigts sur ses tempes. Une sensation de fraicheur et de calme envahit une nouvelle fois l'élémentaliste. Elle ferma les yeux et prit de grandes inspirations pour se calmer.
« Un élémentaliste primaire est un élémentaliste qui arrive à contrôler les quatre éléments, expliqua la directrice une fois Ambre remise de ses émotions. Une telle personne est extrêmement rare, il n'en a existé que trois au cours de l'Histoire. Du moins, c'est ce dont nous sommes sûrs. Il est très difficile de démêler le vrai du faux, surtout lorsque les faits sont ensevelis sous des milliers d'années d'extrapolation et de légendes... »
La vieille directrice sourit.
« Il y a des tas d'histoires à leur sujet. Par exemple, on raconte qu'ils seraient des cadeaux envoyés à l'aube de grands changements pour aider les humains et les mages à ne pas sombrer dans l'obscurité et la guerre... Mais ce ne sont que des légendes. Je suis sûre qu'Alya pourra t'en dire plus, elle est passionnée de mythologie. »
Ambre hocha la tête, confuse. La directrice la poussa gentiment vers la sortie en concluant :
« Va manger et repose-toi, je t'enverrai ton emploi du temps dans la soirée. Lina et Alya te feront visiter l'école, elle n'est pas bien grande. »
Un instant plus tard, la porte claqua dans le dos de l'adolescente. Hébétée, elle se passa la main dans les cheveux et fit quelques pas, ne sachant pas trop où aller.
Pourquoi fallait-il que les pires coïncidences tombent toujours sur elle ? Il lui semblait avoir vécu assez de bouleversements pour toute une vie, elle n'avait pas besoin d'apprendre que même chez les mages elle était différente...
Une vibration dans sa poche droite la tira de ses réflexions. Étonnée, elle glissa la main à l'intérieur.
Son téléphone portable ! Elle l'avait complètement oublié, pensant l'avoir perdu pendant le chaos de la veille. Une grosse fêlure le traversait désormais de part en part. Sans doute avait-elle dû tomber dessus lors de l'une de ses nombreuses chutes...
Pour l'instant, il ne cessait de vibrer. L'écran indiquait que l'une de ses amies, Mélissa, avait essayé de l'appeler à plusieurs reprises, et qu'elle tentait sa chance une nouvelle fois.
La jeune fille grimaça en se rappelant qu'elle lui avait promis de l'appeler hier soir avant de dormir et qu'avec tout ce qui s'était passé, elle avait complètement oublié...
Elle décrocha. Aussitôt, son amie la bombarda de reproches :
« Ambre, enfin ! Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi tu ne m'as pas répondu ? C'est au moins la dixième fois que je t'appelle !
- Excuse-moi Mélissa... Il s'est passé tellement de choses hier que j'ai complètement oublié !
- Vraiment ? répliqua son amie d'un ton sceptique. Qu'est-ce qu'il peut bien se passer de si extraordinaire dans un coin paumé au beau milieu de la cambrousse, entourée par une bande de vieux ? »
Ambre ne sut quoi répondre. C'était en effet ce qu'elle lui avait dit la veille au soir en sortant du lycée, quelques heures à peine avant d'arriver au manoir. Avant que tout ne bascule.
Que pouvait-elle bien répondre ? Il fallait aussi lui justifier son absence lundi, lorsque les cours reprendraient...
Prise d'une inspiration subite, elle expliqua :
« Tu ne vas pas le croire... En fait là-bas mes parents ont vu une école privée qui fait l'option grec ancien, tu sais ce truc qu'ils voulaient absolument que j'étudie !
- Euh, non, tu ne m'en avais jamais parlé ! bougonna Mélissa. Qu'est-ce que ça change ?
- Eh bah ils ont commencé les démarches pour me faire changer de lycée !
- Quoi ? Tu... Tu vas changer de lycée ? Comme ça, en cours d'année ?
- Oui, je vais même devoir déménager... »
Ambre attrapa une mèche de cheveux qui trainait sur son épaule et la tordit nerveusement autour de ses doigts. Chacun des mots de son mensonge la brûlait de l'intérieur. Une grosse boule de tristesse gonflait dans sa gorge de seconde en seconde ; elle savait qu'elle ne tiendrait plus très longtemps sans craquer.
« Mais enfin, Ambre ! Tu dois pouvoir faire quelque chose contre ça ! s'égosilla Mélissa dans l'appareil. Réagis ! Tes parents n'ont pas le droit de décider de ça pour toi ! »
À bout de souffle, Ambre lui murmura :
« Je n'ai vraiment pas le choix... Pardon Mélissa. »
Elle raccrocha avant que son amie ne puisse répliquer quoi que ce soit et mit son téléphone en mode avion. Puis, essuyant une larme qui s'était échappée avec sa manche, elle se remit en route.
********************
Allongée sur son lit, Lina finissait des exercices de mathématiques lorsque la porte de la chambre claqua. Une onde de tristesse et d'abattement envahit la pièce.
Ambre se tenait sur le seuil, la tête basse.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle.
- Rien, rien. T'occupe, répondit l'élémentaliste en se laissant tomber sur son propre lit.
- Si je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas à me le demander. »
Un grognement lui répondit. Sans plus insister, Lina se replongea dans ses devoirs.
Quelques minutes après, la voix de sa tutrice résonna dans sa tête :
« Lina, peux-tu amener Ambre au GISEM s'il te plaît ? Il faut que nous la ramenions chez elle pour qu'elle puisse faire ses valises.
- D'accord.
- Merci. »
Lina sentit l'esprit de sa tutrice s'éloigner. Elle hésita un instant puis demanda, avant d'avoir totalement perdu la connexion télépathique :
« Est-ce que je pourrais assister à l'interrogatoire des nécro-mages ?
- Lina, tu sais bien que tu...
- Je ne demande pas ça à la légère. J'ai pris toute cette histoire très au sérieux. Je veux simplement en savoir plus.
Elle sentit sa tutrice hésiter un instant.
« Je vais demander. Mais je ne suis pas sûre que ta requête obtienne de réponse favorable. »
Et pourtant, il le fallait. Il fallait qu'elle puisse parler aux nécro-mages pour leur demander ce qu'ils lui avaient fait. L'incertitude lui tordait les entrailles et brouillait sa concentration. Il fallait qu'elle sache.
L'adolescente se releva et lança :
« Ambre ? Tu es attendue au GISEM. Ils vont te ramener chez toi pour que tu puisses récupérer quelques affaires. »
L'intéressée se redressa.
« Je ne connais pas le chemin.
- Ce n'est pas grave, je vais t'accompagner. »
Toutes deux sortirent de la chambre et commencèrent à marcher dans les couloirs.
« C'est quoi le GISEM exactement ? demanda soudainement Ambre. Une espèce de police des mages ?
- À peu près. En fait, l'acronyme signifie « Groupe d'Intervention pour la Sécurité et l'Entraide des Mages ». Ce sont tous les mages chargés de veiller au respect du secret de notre existence et qui gèrent les problèmes liés à la magie.
- Et toi tu es apprentie là-bas, c'est ça ?
- Yep ! C'est une formation que je suis en plus de mon parcours scolaire. Ce n'est pas le seul que l'on peut faire pour y entrer mais c'est l'un des meilleurs.
- Pourquoi tu as envie de travailler là-bas ? Tu n'as pas envie de faire un métier normal ? Enfin par normal, je veux dire non-magique quoi... »
La question prit Lina de court.
« À vrai dire... je pense que c'est principalement grâce à mon grand-père, Rodolphe. C'est un télékinépathe très talentueux qui a voué sa vie à cet organisme, pour pouvoir aider les autres et voire parfois sauver des vies. »
Elle baissa soudain la voix, en se remémorant ce qu'on lui avait raconté.
« Malheureusement il s'est fait blesser pendant la Révolte et a dû prendre la retraite. Mais je vais le voir très souvent, il me donne des leçons de magie de l'esprit. C'est pour ça que je suis un peu en avance par rapport à ma classe... »
Elle détacha son regard de celui de l'élémentaliste pour le laisser errer dans le couloir, perdue dans ses pensées.
« C'est mon modèle, et aussi la seule famille qu'il me reste. Alors j'ai envie de marcher dans ses traces et de le rendre fier, tu comprends ? »
Elle se retourna. Ambre s'était stoppée et la dévisageait quelques pas en arrière. Un mélange de compassion et d'horreur pouvait se lire sur son visage.
« Tu... Tu as perdu tes parents ? demanda-t-elle d'une petite voix.
- Je ne les ai pas vraiment connus. Je ne suis pas la seule dans ce cas, il y a beaucoup de familles qui ont énormément souffert à cause de la Révolte... »
Elle vit le visage d'Ambre s'assombrir. Lina savait qu'elle devait à présent penser à ses propres parents, qui ne l'étaient pas vraiment. Elle devait se demander d'où elle venait, et quelle aurait pu être sa vie si elle avait vécu toute son enfance comme une mage, et non pas comme une simple humaine. Crier à l'injustice de la Révolte, comme tant d'autres l'avaient fait avant elle.
Elle revint sur ses pas et passa un bras autour de ses épaules pour la réconforter.
« Remettons-nous en route, murmura finalement Ambre d'une voix éteinte. Ils doivent m'attendre. »
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