Chapitre XXIV
Plusieurs coups contre la porte tirèrent le Maestro Salieri de sa composition, lui faisant lever la tête. Si c'était Wolfgang, l'homme n'hésiterait pas une seule seconde à l'envoyer voir ailleurs. Il partit donc ouvrir la porte de son bureau, l'air à la fois ennuyé et en colère. Sur le palier il découvrit deux hommes, un notaire en uniforme noir flanqué d'un officier. Fronçant les sourcils, il se contint de leur claquer la porte au nez, sachant très bien pourquoi ils étaient là.
« Monsieur Salieri, nous sommes venus vous voir pour...
-Je sais, pour l'héritage que mon maître me laisse, je sais. Mais croyez moi, je n'ai vraiment pas la tête à cela...
-Mes condoléances, Monsieur mais le temps presse, veuillez nous pardonner.
-L'on dit pourtant que l'administration est d'une lenteur abominable.. Soupira le compositeur
-Malheureusement, nous avons déjà un acheteur pour la maison de votre ami et cet acheteur exige que vous veuillez rapidement récupérer vos biens afin d'emménager le plus tôt possible... »
Partagé entre fureur et haine vis-à-vis de l'opportuniste ayant prévu d'acheter la demeure de Gassmann, l'Italien ravala une remarque cinglante et posa un regard à la fois ftriste et grave sur le notaire. Inspirant longuement, il dût se résigner et déglutit péniblement.
« Bien.. Que comporte l'héritage.. ?
-Eh bien.. Commença le juriste en ouvrant son porte document, cherchant une copie du testament. Monsieur Florian Gassmann vous lègue...hum.. Toute sa fortune..ses instruments..et ses œuvres.. Mais d'un point de vue juridique, je doute qui vous puissiez utiliser ses œuvres à votre nom. »
L'endeuillé retint un rire nerveux avant de lâcher un long soupir, hochant la tête. Le notaire et l'officier le conduisirent donc jusqu'à chez Gassmann en empruntant la calèche qui les avaient emmené. Durant tout le trajet, l'homme ne cessa de parler de l'héritage à Antonio, des quelques procédures à suivre, s'il comptait garder certaines choses ou non, tout un baratin auquel le musicien ne comprenait rien et qui était bien loin de l'intéresser. Ils arrivèrent finalement devant la demeure du défunt et y entrèrent avec calme et solennité. Le musicien se dirigea vers le bureau et y trouva la totalité des œuvres de Gassmann, les partitions manuscrites, les brouillons, les esquisses, des morceaux inachevés, absolument tout ce que l'Autrichien avait composé durant ces quarante longues années se trouvait ici, dans ce bureau et c'était celui qu'il aurait aimé avoir pour fils qui les possédait, qui avait tous les droits dessus. L'Italien ne montra pas son émoi mais un million de sentiments différents l'envahissaient : Tristesse, curiosité, nostalgie, souffrance dominaient mais en plusieurs centaines de milliers de combinaisons et de nuances tels qu'une douce mélancolie ou un profond désespoir. Certaines pièces lui rappelaient son adolescence auprès de feu son maître, d'autres lui étaient parfaitement inconnues, faisant naître en lui la frustration de ne jamais les entendre être jouées par Gassmann, le ramenant ainsi aux seules conséquences de cette situation : Une dépression puissante couplée à une éternelle solitude.
Le Maître de Chapelle fouilla un peu partout pour voir s'il trouvait autre chose qui lui appartiendrait, tombant nez à nez avec un petit écrin en bois blanc, son nom écrit sur un morceau de papier accroché. Il l'ouvrit précautionneusement et découvrit avec stupéfaction une chevalière en argent, dotée des armoiries de la famille Gassmann. À l'exact centre de l'anneau se trouvait une sublime pierre d'onyx, aussi noire que le costume du jeune homme, aussi brillant que son regard s'emplissant de larmes. Il n'osa pas la prendre ni la toucher pour le moment, ne s'en sentant simplement pas digne. Il referma tout doucement l'écrin et le rangea dans une de ses poches avec beaucoup de soin, des porte-documents pleins de partitions dans les bras.
Antonio ratissa la demeure en long en large et en travers, ne laissant rien au futur acheteur qui puisse lui appartenir, mettant la main sur une ou deux flûtes traversières, un violon, un violoncelle ainsi qu'une lyre et une grande harpe. Avec beaucoup de délicatesse, il laissa ses doigts glisser et pincer les cordes du grand instrument, produisant une douce mélodie qui retentit quelques secondes dans l'air avant de s'évanouir, la pièce où l'imposant instrument se trouvait retrouvant son calme. Bientôt, le compositeur trouva le coffre où Gassmann rangeait toutes économies, économies à l'échelle d'une vie entière, soit plus de dix mille et quelques florins. Il écarquilla les yeux devant tant de richesses, cillant. L'homme ne désirait pas utiliser cet argent mais en même temps il savait que ça l'aiderait à pallier aux dépenses faites ces derniers temps.
Après avoir rassemblé toutes les affaires qui lui appartenaient à présent, il lâcha un long soupir et jeta un œil à cette demeure dans laquelle il ne reviendrait plus jamais. Dehors, un chariot immense les attendait, prêt à charger tout ce qu'ils avaient déplacé. Rassemblant dans une valise tous les porte-documents, il aida à charger la harpe ainsi que le coffre, entassant ensuite les autres instruments en faisant attention à ne pas les abîmer. Alors qu'il s'apprêtait à demander au cocher du transport de partir, une voix s'éleva dans les airs, lui glaçant le sang.
« Est-ce que ma nouvelle maison est enfin débarrassée de ce qui appartenait à Gassmann ? Demanda Ludwig d'une voix méprisante, arrivant devant la porte où se trouvaient encore le notaire et l'officier
-Monsieur..Nous faisons le plus vite possible mais...comprenez que ce n'est pas facile pour l'héritier et que...
-L'héritier ? Parce que Gassmann a un héritier ! C'est nouveau. »
Ne supportant pas cet affront, l'Italien sauta du chariot, s'avançant vers Ludwig avant de le plaquer à un mur, serrant son col d'une poigne forte. Son regard s'était fait meurtrier, sa douleur et sa tristesse se lisant malheureusement au fond de ses yeux, le décrédibilisant quelque peu. Un sourire mauvais se dessina sur les lèvres de son ancien élève qui posa sa main sur le poignet de son aîné.
« Oh, alors c'est toi son héritier ? Quelle belle plaisanterie. Je me demande ce qu'il a bien pu t'offrir.
-Une éducation. Je ne bafoue pas l'honneur et le nom d'un mort, moi au moins. Il semblerait que tes parents et Haydn aient mal fait leur travail. Mais au fond, cela ne m'étonne guère. Cracha le brun, partagé entre haine et furie
-Rassurez-vous, Haydn ne veut plus de moi.
-Pourquoi donc ? Vous avez fait une fausse note ?
-Si ma vie est une partition, disons plutôt que j'ai dessiné un accord parfait ! Et Haydn n'a pas aimé la perfection de mon accord. »
Plissant les yeux, il lâcha Beethoven, lui adressant un regard noir. Puis il s'en alla alors que son cadet lui adressait un sourire mesquin, comme s'il préparait un mauvais coup.
L'endeuillé quitta le quartier sur le chariot qui l'emmena jusqu'à chez lui, la calèche du notaire le suivant. Une fois arrivés à destination, ils descendirent et le brun signa les différents papiers que le juriste lui présenta avant de ranger les différents instruments et autres documents chez lui, aménageant une salle inutilisée en grande salle de musique. Il y installa absolument tous les instruments récupérés, les mettant correctement en valeurs. Il déposa ensuite les porte-documents sur un meuble dans la pièce, avant de retourner composer son Requiem dans son bureau.
Les journées se succédèrent ainsi durant une longue semaine et le Maître de Chapelle fut contraint de reprendre ses fonctions. Un mariage très important se tenait à la Cour et il était chargé de diriger la musique durant la cérémonie à l'Église, bien contre son gré. Absolument toute la Cour viennoise fut invitée au mariage d'un Comte extrêmement proche de l'Empereur, et de sa promise. Wolfgang avait une place au dernier rang, ce qui ne l'empêchait pas d'écouter la marche nuptiale jouée par son amant à l'arrivée de la mariée. Les différents accords s'envolaient dans l'ambiance chaleureuse de la Cathédrale Saint-Etienne, malgré le froid mordant dû aux pierres des murs et à l'humidité ambiante. La cérémonie débuta réellement et seule la voix du prêtre brisa le silence. Les mariés prononcèrent leurs vœux et le compositeur recommença à jouer, à contrecœur. Il désirait simplement pouvoir faire son deuil et finir son Requiem pour Alarich et Gassmann, non célébrer l'union de deux personnes lui étant parfaitement inconnues, ne signifiant rien pour lui.
La totalité des personnes présentes dans le lieu de culte quittèrent l'endroit après la sortie des nouveaux mariés. Antonio s'approcha de Joseph II avec qui il discuta brièvement avant de prendre congé, se retirant dans une ruelle adjacente, le regard dépourvu de la moindre étincelle de vie. Son amant le rejoignit peu de temps après, caressant doucement son bras, dans le seul but de lui apporter ne fut-ce qu'un peu de réconfort. Le brun fut touché par l'attention, vain toucher qui ne lui apporta rien. L'Autrichien lui embrassa doucement le front, l'enlaçant en lui faisant poser sa tête sur son torse, contre son cœur.
« Rentre chez toi, Antonio... Tu...tu as sûrement besoin d'être seul et de repos.. Je ne serai jamais bien loin si tu veux quoi que ce soit.. N'hésite pas à passer à la maison, si jamais tu sens que ça ne va vraiment pas.. Lui souffla le cadet, d'une voix que la bienveillance et la tendresse guidaient
-Hm...merci..
-Prends soin de toi... Je passerai peut-être te voir, d'accord ?
-Je vais sûrement boire..alors ne te donne pas cette peine..je ne veux pas que tu perdes ton temps...
-Comme tu voudras...A plus tard.. »
Le plus âgé se décolla et reçut un bref baiser sur la joue, dernier cadeau du blondinet qu'il ne revit que durant la nuit. L'Italien s'était écroulé sur son bureau, jouant péniblement avec sa plume. La pièce était éclairée par une simple bougie, projetant une lumière chaude mais faible sur les partitions noircies par l'encre du musicien. La flamme dansait au gré des respirations de Salieri, se reflétant son regard devenu terne, presque noir. Des pupilles aux millions de nuances de marron et de noir alors qu'une goutte orangée fébrile tremblait devant elle, lui offrant sa lumière. De petites étoiles illusoires se créaient dans ses yeux, offrant ainsi plusieurs déclinaisons chaleureuses allant du rouge le plus vif au doré le plus clair, passant ainsi par les chatoyantes couleurs du crépuscule et les tendres lumières de l'aurore. Doux rayons de soleil factices dans un regard triste et maussade, créant une faible éclaircie lors d'un temps gris et pluvieux.
La mèche s'éteignit bientôt, consumée par la chaleur. La porte s'ouvrir sur Wolfgang, un chandelier à la main, éclairant doucement la pièce. Entendant des pas faire faiblement craquer le parquet, le compositeur se redressa et jeta un coup d'œil derrière lui, découvrant son amant qui arborait une mine inquiète. Il posa l'objet sur le bureau et une main sur l'épaule de son aîné. Celui-ci laissa échapper un soupir et reporta son regard sur sa dernière partition, parcourant les nombreuses notes, complètement découragé, incapable de pondre quelque chose d'audible. Le plus jeune s'accroupit près de lui, une main sur sa cuisse, son regard l'implorant de quitter cette chaise pour un lit. Le brun hocha simplement la tête et sortit de son bureau, l'échine courbée avant de se laisser mollement tomber sur son matelas une fois la porte ouverte. Le virtuose s'assit à ses côtés et caressa tendrement ses cheveux pour l'aider à rejoindre le monde de Morphée plus rapidement. Hélas, ce ne fut d'aucune efficacité et l'homme gagna simplement un monde de cauchemars si familier. Des voix lui reprochaient son manque de présence dans la vie d'Alarich, son manque de vigilance et de protection vis-à-vis de ce dernier alors que des paroles concernant la mort de Gassmann lui parvenaient, clamant haut et fort qu'il aurait pu éviter cela s'il avait pris soin de son père adoptif. Blessé, son esprit refusa de le laisser s'éveiller, son inconscient continuant de le faire culpabiliser au point que des larmes se mettent à couler sur ses joues. Commençant à s'inquiéter, le blond le secoua tout doucement puis de plus en plus fort jusqu'à le tirer de ses songes, le faisant se redresser. Encore et toujours la même routine, le même cercle vicieux, les mêmes problèmes et rien n'allait en s'arrangeant.
Antonio ouvrit les yeux et porta un regard fatigué sur son comparse, se redressant péniblement, sortant tout doucement de ses cauchemars.
« Je n'en peux plus.. Pourquoi ne puis-je pas être tranquille.. ? Pourquoi n'ai-je pas le droit de passer des nuits tranquilles.. ? Je ne cesse de m'en vouloir de ce qu'il s'est passé alors que ce n'est pas de ma faute.. Je n'y suis pour rien si...si Gassmann m'a quitté...
-N'y pense pas.. Je suis là, Antonio.. Je n'ai pas été présent, du moins pas assez, mais sache que tu peux compter sur moi.. Rendors toi, je suis là..
-Je ne veux pas... Je n'y arriverai pas, Wolfgang...
-Mais tu es épuisé ! Repose-toi au moins.. Tu..tu m'inquiètes vraiment. J'ai peur pour toi.
-On ne peut rien faire..je continuerai à m'en vouloir pour le restant de mes jours, je suppose... Je ne choisis pas de me faire autant de mal, et si je le pouvais j'oublierais ma douleur sur le champ ! Mais je ne peux pas.
-Ne sois pas aussi fataliste...
-Désolé... »
Le prodige de Salzbourg lâcha un léger soupir et offrit un baiser léger à son amant qui ne put s'empêcher d'y répondre, posant une main sur sa joue. L'échange ne s'éternisa pas et l'aîné le brisa rapidement, se rallongeant correctement en invitant l'Autrichien à en faire de même. Celui-ci accepta bien rapidement et se glissa sous les draps avant de gagner le pays des songes, son aimé le veillant avec calme, laissant ses doigts traîner sur sa joue ou ses cheveux pour noyer son ennui.
Le lendemain, ils se rendirent au palais pour reprendre leurs fonctions, le Maître de Chapelle s'enfermant dans son bureau avec les partitions du Requiem tandis que son cadet travaillait quelque symphonie ou concerto. Haydn rendit visite au jeune blondinet, prenant le soin de fermer la porte derrière lui. Il s'assit sur l'accoudoir du siège en souriant finement, prononçant un simple bonjour. Le père de la symphonie reçut une étreinte chaleureuse et affectueuse ainsi qu'une brève flatterie dans le dos. Il posa son regard sur les partitions déjà pleines de Mozart, fronçant légèrement les sourcils, posant un doigt sur un accord.
« Vous êtes sûr de vouloir jouer cela ? C'est assez disharmonieux, surtout pour un soliste. Ce serait pour plusieurs instruments, cela sonnerait moins faux mais là...
-Croyez-moi, cet accord est parfait. Nous l'avons déjà utilisé et il est...magique.
-'Nous' ?
-Salieri et moi avons écrit un duo pour piano et voix et cet accord se trouve dans les partitions.
-Mais tout de même... Jouer un Si et un Ré... Surtout au violon !
-Avez-vous lu la suite de l'accord ? Vous me décevez de vous arrêter à la lecture de ces deux notes.
-C'est un...Sol bémol ? Si les trois sont joués correctement, pourquoi pas mais...
-Écoutez, je sais parfaitement ce que je fais. Ne vous inquiétez donc pas pour moi.
-Je suis cependant inquiet à propos d'un fâcheux sujet. Soupira l'homme
-Lequel ?
-M'en voulez-vous pour ce qu'il s'est passé la dernière fois ?
-Mais non... Mon accueil ne vous a pas suffi à vous démontrer le contraire ? Voyons, si je vous en voulais, Haydn, je ne vous aurais pas fait un câlin !
-D'accord...tant mieux alors.. »
L'homme lâcha un petit soupir de soulagement et embrassa son ami sur la tempe avant de quitter son bureau, lui disant qu'il repasserait plus tard.
Le palais fut bien agité ce jour-ci, les serviteurs préparant l'arrivée d'une personne importante, un proche de l'Empereur de ce que disaient les bruits de couloirs. Les compositeurs n'en avaient évidemment que faire mais ces évènements poussaient le Maître de Chapelle à sortir de sa grotte, chose dont il n'avait nullement envie. Lorsque les trompettes retentirent à l'entrée du palais, Wolfgang courut à l'autre bout du couloir pour prévenir son amant mais en chemin il croisa Haydn qui l'attrapa par le bras pour l'emmener dans un autre couloir. Le blondinet, peu enclin à laisser le brun dans son bureau, gémit et le supplia de le laisser continuer sa route. Le père de la symphonie secoua doucement la tête en lâchant un soupir.
« Laissez-le dans son bureau, cela n'a aucune importance qu'il soit là ou non. Allons-y sans perdre de temps.
-Haydn, malgré tout le respect que j'ai pour vous, j'aimerai vous demander d'arrêter d'être aussi méchant avec lui. Il ne vous a rien fait, que je sache. C'est vous qui êtes venu le titiller en premier. Antonio n'avait rien contre vous, c'est après Beethoven qu'il en a.
-Il m'a tout de même frappé. Grogna-t-il avec une pointe de rancœur dans la gorge
-Vous l'avez étranglé !
-Je n'ai pas serré fort !
-Encore heureux ! Vous auriez pu le tuer !
-Il n'aurait manqué à personne.
-À moi. Et vous auriez causé mon malheur. Mais ce n'est pas ce que vous désirez, n'est-ce pas ? Demanda le jeune homme, ancrant un regard presque doux mais néanmoins un brin charmeur dans les yeux de son comparse
-Non en effet mais...mais peut-être puis-je...
-Pas question. Le coupa-t-il en secouant vivement la tête
-Comme vous voudrez. Mais, pour être tout à fait honnête, je me sens plus légitime que lui pour ce genre de choses.
-Et pour être tout à fait honnête, mon cher Haydn, vous n'êtes pas du tout mon genre. » Trancha Wolfgang en lui offrant cette fois-ci un regard bien plus dur
Les deux soupirèrent avant de partir chercher le Maître de Chapelle.
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