Chapitre 1
Submergée par les plans étalés sur mon bureau dans mon appartement du centre-ville, je me décidais finalement à prendre un verre de vin blanc. Le liquide doré tourbillonna dans mon verre, reflétant les derniers rayons d'un soleil couchant. Mon regard se perdit dans la vue qu'offraient mes fenêtres : la lumière déclinante glissait sur les toits d'ardoise, illuminant les bâtiments anciens qui bordaient la rue. Ce quartier, avec ses façades en pierre, ses balcons fleuris et ses petites ruelles pavées, semblait figé dans le temps, épargné par la modernité galopante.
C'était d'ailleurs ce charme un peu désuet qui m'avait séduite lorsque j'avais choisi cet appartement. Il représentait un havre de paix dans l'agitation quotidienne, un refuge où je pouvais me ressourcer entre deux projets exigeants.
Je m'appelle Emma, j'ai 35 ans, et je suis architecte d'intérieur. Mon métier, c'est ma passion. Après des années à gravir les échelons dans des agences où je ne faisais qu'exécuter les idées des autres, j'ai enfin réussi, avec Mathilde, à monter notre propre cabinet. Une vraie consécration. Pourtant, cette aventure entrepreneuriale n'est pas de tout repos.
Les responsabilités sont plus nombreuses, les horaires toujours aussi interminables, mais il y a une satisfaction unique à voir un projet naître et s'épanouir sous nos mains expertes. Parfois, je me demande pourquoi je m'inflige une telle pression. Mais chaque fois que j'entre dans un espace terminé, que je vois un client ému ou surpris par le résultat, je me rappelle pourquoi je fais ce métier.
Avec Mathilde, que j'ai rencontrée sur les bancs de la fac, nous formons une équipe soudée et complémentaire. Là où elle excelle dans le minimalisme chic, aux lignes épurées, je préfère jouer avec les contrastes, marier le moderne et l'ancien pour créer des intérieurs chaleureux et pleins de caractère. Ce duo fonctionne à merveille. Nos sensibilités artistiques sont différentes, mais nous avons une confiance absolue l'une en l'autre.
Cette amitié et ce partenariat professionnel sont précieux, d'autant plus que ma vie personnelle est un peu en pointillés depuis ma séparation avec Lucie. Nous étions ensemble depuis cinq ans, mais nos carrières respectives ont fini par creuser un fossé entre nous. Elle, chirurgienne, vivait pour ses interventions et les urgences, tandis que moi, je m'investissais corps et âme dans mon cabinet.
Nous nous sommes quittées en bons termes, mais il nous arrive parfois de nous retrouver pour une nuit, sans grandes perspectives, mais avec une sorte de nostalgie douce-amère.
Je posai mon verre vide sur la table, rassemblant la motivation nécessaire pour m'attaquer au dernier plan sur lequel je travaillais depuis trois heures. Ce projet, un aménagement d'un loft industriel pour un jeune couple, m'enthousiasmait particulièrement. La transformation d'espaces bruts en lieux de vie fonctionnels et élégants était ma spécialité, et je savais déjà quels matériaux et quelles couleurs allaient insuffler une âme à cet endroit.
Mais mes pensées furent interrompues par une vibration sur la table. Un message de Mathilde :
"On se voit demain matin à 9h pour faire le point sur le dossier Peretti ?"
Un sourire s'esquissa sur mes lèvres. Mathilde, toujours aussi rigoureuse. Même si je savais que son humeur pouvait parfois être volcanique, elle avait cette capacité à me motiver même dans les moments de doute.
Lundi matin arriva plus vite que prévu. Comme à mon habitude, je rejoignis notre cabinet à pied. La promenade de quinze minutes était mon moment de décompression avant une journée bien remplie. En entrant dans notre bureau, j'appréciai une fois de plus cet espace qui reflétait si bien notre collaboration : un mélange d'ancien et de moderne, des murs immaculés rehaussés par des illustrations contemporaines, des meubles minimalistes côtoyant des pièces vintage. C'était un lieu où nous pouvions recevoir les clients dans une atmosphère conviviale, et où chaque recoin semblait raconter une partie de notre histoire commune.
Je m'installai à mon bureau, prête à m'attaquer à une montagne de mails, quand la porte s'ouvrit brusquement.
Mathilde entra directement dans mon bureau, son pas assuré trahissant une excitation inhabituelle. Elle s'appuya contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, un étrange sourire illuminant son visage. Son regard pétillait d'une lueur mystérieuse, comme si elle était sur le point d'annoncer un secret longtemps gardé.
« Bonjour, ma belle ! » lança-t-elle d'une voix chantante.
Je relevai les yeux de mes dossiers, intriguée par son enthousiasme. Ce n'était pas dans ses habitudes d'arriver si théâtralement, encore moins avec cet air espiègle.
« Bonjour, toi. Que me vaut ce beau sourire ? » répondis-je, tout en posant mon stylo et en me redressant sur ma chaise.
Mathilde fit quelques pas dans mon bureau, un léger rire échappant de ses lèvres. Elle semblait chercher ses mots, comme si elle pesait la meilleure façon de m'annoncer une nouvelle importante.
« Hmmm... il faut que je t'annonce quelque chose », commença-t-elle en jouant avec une mèche de ses cheveux. Elle inspira profondément avant de lâcher dans un souffle : « Hier, j'ai appris que j'étais enceinte ! »
Je restai bouche bée, la fixant sans rien dire. Les mots flottaient dans l'air, mais leur sens peinait à s'imprimer dans mon esprit.
« Je sais, c'est soudain et pas vraiment prévu, mais je suis avec Mathieu depuis six ans, après tout ! » ajouta-t-elle en haussant les épaules, comme pour minimiser l'impact de sa révélation.
Enceinte ? Mathilde ? Une avalanche de pensées me submergea. Nous venions à peine d'ouvrir notre cabinet il y a moins d'un an ! Comment allions-nous gérer cela ? Et elle, avait-elle vraiment mesuré ce que cela impliquait pour nous deux ?
« Et le cabinet ? » parvins-je finalement à dire, ma voix légèrement tremblante. À cet instant précis, je regrettai ma question. Cela sonnait tellement froid, presque égoïste.
Mathilde esquissa un sourire doux, comprenant probablement mon trouble.
« Emma, je sais, ça n'était pas prévu. Mais j'ai 36 ans, et c'est une bonne nouvelle, non ? On se réorganisera pour quelques mois. Je partirai au septième mois et je reviendrai vite, promis. Sauf si ce sont des triplés ! » plaisanta-t-elle avec une lueur malicieuse.
Malgré moi, un sourire étira mes lèvres. La légèreté de sa remarque dissipa un peu de la tension que je ressentais.
« Parfois, je suis vraiment hors sujet... Félicitations ! » m'exclamai-je, le cœur plus léger. « Je suis tellement heureuse pour toi et Mathieu. C'est pour quand ? »
« Trois mois et demi déjà », répondit-elle, une main effleurant son ventre comme pour réaliser pleinement ce qui s'y préparait. « Je ne l'ai pas vu venir, celui-là ! »
Nos rires s'entremêlèrent, un instant de complicité dans lequel je retrouvais l'amie précieuse qu'elle était.
Puis, Mathilde reprit un ton plus sérieux, son sourire s'effaçant légèrement.
« Bon, je garde les projets qui se terminent dans les quatre prochains mois, mais... il y a un dossier que tu vas devoir reprendre. »
Je sentis mon estomac se nouer. Sans qu'elle n'ait besoin d'en dire davantage, je savais exactement de quoi elle parlait.
« Oh, non, ne me dis pas que... »
« Si », confirma-t-elle, un brin d'excuse dans le regard.
Le dossier de Mme la Maire. Rien que d'y penser, une boule d'appréhension se forma dans ma gorge. Cette femme imposante rénovait plusieurs pièces de la maison qu'elle venait d'acquérir avec son mari, un avocat d'affaires réputé. L'argent ne manquait pas, mais ce n'était pas ce qui rendait ce projet complexe. Non, le problème, c'était ma petite incursion dans la politique locale. Lors des dernières élections municipales, j'avais figuré sur la liste d'opposition. Pas en position de tête, certes, mais assez visible pour qu'elle s'en souvienne.
Et cette femme... Elle était tout ce que je n'étais pas : grande, avec de longs cheveux bruns et des yeux verts perçants, un port altier et une assurance intimidante. Moi, en revanche, petite, avec mes cheveux bruns coupés courts et mes yeux marron discrets, je me sentais presque invisible face à elle.
« Hmm, Mathilde, je pense que Mme la Maire ne va pas apprécier cette idée. Tu sais que j'étais sur la liste d'opposition aux dernières élections... Et puis, d'après ce que tu m'as dit, elle veut un style super minimaliste – pas vraiment ma tasse de thé ! »
Mathilde haussa un sourcil, un sourire en coin.
« Emma, tout le monde sait que tu t'adaptes à tout. Tu es une caméléon quand il s'agit de style. Sois simplement professionnelle et agréable, c'est tout ce qu'elle attendra de toi. Je vais organiser une réunion à trois cette semaine pour poser les bases, d'accord ? Elle comprendra. »
Je laissai échapper un soupir, mes épaules s'affaissant légèrement.
« Très bien... mais je ne sais pas où ça va nous mener. »
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