Chapitre 6
Le coup de tonnerre réveilla Belle en sursaut et elle poussa un cri en s'asseyant dans son lit. Un éclair illumina la chambre et elle soupira en portant ses mains à son visage. Elle se rallongea et regarda le plafond. Elle avait encore fait ce rêve où elle se voyait déambulant dans un château apparemment abandonné, sans entretien. Elle sentait une présence qui la surveillait et à force de faire le même rêve chaque nuit ou presque, elle savait désormais ce que c'était.
— Je dois en avoir le cœur net, dit alors la jeune femme en repoussant ses couvertures.
Elle alluma sa bougie et quitta sa chambre pour aller boire un peu d'eau et jeta un coup d'œil dans la chambre de son père en passant. Il ronflait doucement sous ses couvertures et Belle sourit avant de retourner dans sa chambre. Là elle prit un livre sur sa table de chevet et entreprit de le feuilleter. C'était l'histoire du Prince Adam, le jeune homme qui vivait dans le grand château, de l'autre côté de la forêt. Ce livre venait d'être publié, par le prince lui-même, récemment libéré de la malédiction dont il avait été victime, et Belle retrouva rapidement le passage incriminé dans ses cauchemars.
— J'ai trop d'imagination, soupira-t-elle. Comment j'aurais pu aller dans ce château pendant que le prince était maudit ? C'est ce livre qui me fait imaginer des choses...
Un nouveau coup de tonnerre la fit sursauter et la jeune femme frissonna. Elle songea alors, quand son regard se posa sur le calendrier, que le lendemain, cela allait fait deux mois qu'elle sortait avec Gaston. Elle esquissa un sourire. Si elle avait su, à l'époque, alors qu'il la courtisait de cette manière aussi grossière, qu'elle allait passer outre sa révulsion pour sa personne et finir par l'apprécier...
Cependant, quelque chose demeurait étrange et elle ne savait pas quoi. Elle conservait quelques souvenirs d'un passé qui ne collait pas bien avec le présent, comme si quelqu'un avait fait un grossier raccord. En effet, elle se souvenait d'un Gaston fier-à-bras, misogyne, qui avait toujours une horde de jeunes filles à ses basques, ainsi que son meilleur ami, LeFou, ce petit bonhomme rond comme une barrique ; elle se souvenait d'un homme qui n'arrêtait pas de lui faire des avances parfois grossières et salaces, qu'elle avait toujours repoussées. Et pourtant, aujourd'hui, ils passaient leurs journées ensemble et elle appréciait sa présence, elle aimait voir sa tête surprise quand elle lui lisait l'un de ses auteurs favoris et qu'il ne comprenait pas un traître mot de la beauté de l'histoire !
Sentant le sommeil revenir, Belle se recoucha en soufflant sa bougie et ne tarda pas à se rendormir malgré le violent orage de printemps qui rugissait au-dehors.
.
— Et une livre de viande ! Ça sera tout ?
— Ouaip ! Tenez.
— Merci, Gaston. Bonjour aux parents !
Gaston hocha la tête et s'en alla avec ses commissions. Malgré ses airs de taureau, il restait un jeune homme de vingt-cinq ans qui devait se nourrir. Et accessoirement, prendre soin de ses vieux parents.
— Regardez qui voilà ! dit-il en relevant les yeux.
Belle le regarda avec surprise, occupée à fouiller des yeux un étal de fruits et lui sourit ensuite. Il s'approcha d'elle et la jeune femme lui présenta une pomme bien rouge dans laquelle il planta ses dents avant de jeter une pièce au marchand et de prendre Belle par les épaules.
— Pas de bonjour, ce matin ? demanda-t-il alors en mâchonnant son morceau de pomme.
— J'ai encore fait ce rêve bizarre où je suis dans ce château abandonné...
Gaston fronça les sourcils. Il posa son sac sur le sol et s'appuya contre un muret. Belle lui fit face, les mains dans la poche de son tablier.
— Hé... Ce n'est qu'un rêve provoqué par la lecture de ce nouveau livre, dit alors Gaston en posant une main sur son bras.
— Je sais, mais en même temps, c'est bizarre...
— Ah ? Et en quoi ?
— J'ai vraiment l'impression d'y être, Gaston... répondit Belle. Je me vois dans un miroir, je sens des regards sur moi, j'entends des chuchotements...
— Tu sais ce que je crois ?
— Hm, non, mais tu vas me le dire ? marmonna Belle.
— Moi, je pense que tu es un peu anxieuse et que tu aurais besoin d'un peu de solitude.
Belle haussa les sourcils.
— Tu veux dire...
Elle agita son index entre elle et Gaston regarda ailleurs en reniflant.
— J'ai bien réfléchi, dit-il alors.
— Non, Gaston, attend, je...
— Belle, ce n'est pas juste ce que je fais, dit alors le jeune homme.
— Quoi ? Gaston, je...
Belle secoua la tête. Elle entrevit alors une ombre à la périphérie de son champ de vision et tourna la tête brusquement, mais l'ombre avait disparu.
— Belle ?
— Je... J'ai cru voir une ombre, juste là...
Gaston regarda l'endroit désigné, mais ne vit qu'un chat en train de faire sa toilette, assis sur un tonneau.
— Belle, regarde-moi, dit-il alors. J'ai l'impression que tu n'es pas heureuse et je sais que c'est ma faute.
— Arrête, je t'en prie, soupira Belle en s'éloignant. Tu me dis ça depuis deux mois...
— Peut-être parce que c'est la vérité ?
— Et quoi ? Gaston, j'ai dix-sept ans et tu es le seul garçon du village qui veuille de moi ! répliqua Belle. Mon père a raison, je dois grandir et ne plus m'identifier aux princesses de mes romans, je suis une femme, je dois me trouver un mari et le rendre heureux.
Gaston serra les mâchoires. Effacer de la mémoire de tout le monde les derniers événements avait été une bonne idée, plus personne n'agissait bizarrement, on ne parlait plus du prince Adam qu'avec son futur bal et son éventuel mariage. Mais concernant Belle, les choses semblaient différentes.
— Belle... Écoute, je sais que je ne suis pas le garçon dont tu rêves, dit alors Gaston. Je suis loin d'être un prince charmant, mais pour toi...
— Pour moi tu as changé, oui je sais, je l'ai vu et j'en suis très touchée, mais...
Fermant les yeux, la jeune femme secoua la tête et s'en alla. Gaston la regarda disparaître dans la foule et plissa le nez. Cela faisait trois semaines qu'ils avaient rencontré la fée dans la forêt noire et depuis ce n'était plus pareil entre eux. Gaston sentait que Belle, même si elle ne le savait pas, avait changé de regard le concernant. Elle n'avait aucun souvenir de sa lettre, de venir le retrouver à Erfest, de lui sauter dans les bras en constatant qu'il était bel et bien vivant... Elle ne se souvenait pas de sa peine concernant le prince Adam...
Récupérant son sac, Gaston l'apporta à ses parents puis quitta la village, juché sur son grand étalon noir. Il se rendit d'abord chez Maurice pour lui demander si sa fille allait bien, et la réponse du vieil inventeur le conforta dans son idée. Non, Belle n'allait pas bien, mais il ne savait pas pourquoi. Il s'enfonça donc dans la forêt noire jusqu'à l'endroit où la fée leur était apparue.
— Hé la fée ! appela-t-il. Montre-toi !
Un oiseau s'envola, effrayé, et Gaston soupira.
— La fée ! Montre-toi, s'il te plaît !
— Ah, eh bien voilà, c'est mieux comme ça, non ?
Gaston sursauta et pivota. La fée se tenait devant lui, au milieu du chemin.
— Je sais pourquoi tu es là, Gaston, dit-elle alors. Et je ne peux rien y faire. Tu as fait ton choix.
— Et je ne veux pas revenir dessus, répondit Gaston. Seulement, j'ai l'impression que je suis en train de perdre Belle... Elle se comporte avec moi comme elle était à l'époque, alors que j'ai changé, que j'ai...
Gaston soupira en levant les mains.
— C'est normal... Tu m'as demandé de remonter au moment où tu l'as demandée en mariage, répondit la fée. Elle a donc tout oublié et pense que vous vous fréquentez depuis lors. Elle ne souvient pas que tu as trouvé la mort, ou peu s'en faut, en tombant des tours du château, que tu as survécu et que ta lettre lui a été remise au moment même où elle se sentait ignorée par le prince...
— Mais elle en souffre, et moi aussi. Elle fait ce rêve, je sais que c'est un souvenir, elle est dans le château du prince, la première fois. Elle croit que c'est un passage du livre que le prince a fait publier, mais moi je sais que c'est un souvenir, et...
— Tu as fait ton choix, répéta la fée. Tu n'as pas voulu qu'elle se sacrifie et qu'elle souffre toute sa vie de ce choix, alors tu l'as fait à sa place et tu dois assumer.
Gaston serra les mâchoires. Un bruissement dans son dos le fit pivoter et il pâlit en découvrant Belle.
— Assumer quoi, Gaston ? demanda-t-elle en approchant.
— Tu m'as suivi ?
Belle ne répondit rien. Elle s'approcha de la fée, l'observa, puis regarda le château du prince Adam qui se dressait au-dessus des arbres.
— Gaston, qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle ensuite. Qui est-ce ?
— Puis-je ? demanda la fée.
— Je vous en prie... De toute façon, au point où on en est...
Gaston s'éloigna vers son cheval et découvrit Philibert caché derrière un arbre. Il soupira et son étalon posa sa tête contre lui. Le jeune homme le flatta un moment puis s'éloigna et s'assit sur une souche. Il observa Belle et la fée s'éloigner en marchant. Belle s'arrêta alors et la fée lui fit face. Elle lui caressa le visage tendrement et la jeune femme prit un air choqué, avant de regarder Gaston. Il baissa le menton, s'attendant à ce qu'elle se jette sur lui pour le rouer de coups, mais à la place, elle se redressa et son visage se ferma. Elle recula et la fée tenta de lui prendre le bras, mais Belle esquiva et se détourna pour rejoindre Philibert.
— Belle ! s'exclama Gaston en bondissant sur ses pieds.
— Laisse-la.
— Quoi ? Mais...
— Elle... ne t'en veut pas, répondit la fée.
Gaston la regarda, un peu perdu.
— Comment ça, elle ne m'en veut pas ? Je viens de la trahir, je...
— Je lui ai rendu ses souvenirs, répondit alors la créature magique en posant ses mains sur sa taille.
— Bon sang, fée ! s'exclama Gaston. Tu viens de dire...
— Je sais, je sais ! Mais elle m'a fait de la peine et quand tu as mentionné ce rêve récurrent, j'ai compris que ma manipulation n'allait pas tenir sur elle.
— Le sort a échoué ?
— C'est rare, mais oui, répondit la fée. Je pense qu'elle a été trop exposée à la magie dans le château, pendant son séjour auprès de la bête, de ce fait, elle est plus ou moins immunisée.
Gaston serra les mâchoires et s'éloigna en marmonnant.
— Laisse-lui quelques jours, conseilla alors la fée. Il faut qu'elle digère ton acte.
— Elle était d'accord, rappela Gaston.
— Oui, elle l'était, mais elle a passé trois semaines sans rien se rappeler et tout lui est revenu. Elle va mettre quelques jours à replacer ses sentiments au bon endroit, puis elle reviendra vers toi.
Gaston renfila dédaigneusement.
— Je connais Belle, dit-il. Elle ne reviendra pas.
— Arrête un peu d'être aussi pessimiste, tu veux ? gronda alors la fée. C'est fatiguant.
— Mais je...
La fée haussa un sourcil et Gaston souffla avant de récupérer son étalon et de se hisser dessus.
— Si elle ne revient pas, Fée, je te promets, tu auras de me nouvelles !
La fée esquissa un sourire et Gaston s'en alla au petit trot dans les bois en direction du village.
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