Chapitre 15
Un mois plus tard.
.
— Allez, rentre chez toi maintenant.
— Un dernier, Léon.
— Non, tu as assez bu, rentre chez toi.
Léon passa un coup de chiffon sur le comptoir, insistant bien au niveau de Gaston qui grogna et quitta la taverne en marmonnant. Il était totalement ivre, mais il marchait droit et était encore lucide, de toute manière, vu la quantité d'alcool qu'il ingurgitait depuis un mois, n'importe quel autre homme serait déjà en train de rouler sous la table...
— Faut te raccompagner ? entendit-il soudain.
Gaston avisa LeFou, son sous-fifre et ami, assis sur un tonneau, agitant les jambes comme les enfants.
— Nan... hoqueta le chasseur. C'est tout droit... Enfin, je crois.
LeFou inspira puis sauta de son tonneau, prit le bras de Gaston et le jeta sur son épaule pour le remorquer jusqu'à son appartement, au-dessus de la boulangerie. Il l'aida à monter l'escalier de bois et le laissa se vautrer sur le lit de tout son long. Quand un ronflement sonore monta, LeFou soupira et jeta une couverture sur le dos du jeune homme avant de secouer la tête et de redescendre.
Alors que LeFou sortait dans la rue en prenant soin de bien tirer le loquet de la lourde porte en bois, il sentit une présence et poussa un cri pas très masculin quand il découvrit une silhouette encapuchonnée en se retournant.
— C'est moi...
La silhouette repoussa son capuchon et les longues mèches brunes de Belle dégringolèrent dans son dos.
— Tu n'as rien à faire ici, gronda LeFou en se détournant. Va-t'en, retourne au château, tu le fais déjà assez souffrir sans être là !
Belle serra les lèvres.
— Comme il va ?
— Mal, si tu veux savoir. Pourquoi est-ce que tu l'as repoussé comme ça, hein ? Après toutes ces semaines à le faire espérer, tu lui tournes le dos, comme ça ! Je suis sûr que tu n'es même pas heureuse avec l'autre trublion !
— Repoussé ? s'étonna Belle. Non, c'est lui qui m'a repoussée, il m'a dit qu'on n'avait rien à faire ensemble, qu'il n'avait rien à m'offrir, contrairement au prince... C'est ce qu'il t'a dit ?
LeFou renifla puis saisit la jeune femme par le poignet et l'attira ailleurs que sous les fenêtres de Gaston.
— C'est ce que dit toute la ville, parce qu'il n'y a que toi pour avoir rejeté Gaston comme ça, encore une fois.
Belle fronça les sourcils.
— Comment ça, encore une fois, je n'ai jamais...
— Fais pas ta mijaurée, tu veux ? grimaça LeFou. On se souvient, d'accord ? Les gens ont d'abord cru qu'ils rêvaient, puis petit à petit, les souvenirs sont revenus et maintenant, tout le monde a l'impression d'être réveillé, on se souvient tous de la Bête et de ton "échange" avec ton père pour lui sauver la vie, du fait que tu aies réussi à le libérer de la malédiction... Ce qu'il se passe entre présentement et ce moment est encore flou ; certains pensent que la magie de la sorcière a altéré nos mémoires quand tu as brisé la malédiction, après tout personne ne connaissait ce vieux château jusqu'à ce la Bête redevienne le prince Adam...
Belle déglutit et posa ses mains sur ses hanches en inspirant.
— C'est notre faute, avoua-t-elle alors. Un mois après avoir brisé la malédiction, je suis partie du château pour retourner chez mon père, j'avais besoin de réfléchir, Adam était infect, il n'avait pas appris, il n'a toujours pas appris, du reste ; j'avais besoin de paix.
— Et ?
LeFou fronça soudain les sourcils et regarda la jeune femme avec des yeux effarés.
— Mais, Gaston était mort ! s'exclama-t-il à voix basse. Il est tombé du toit, tu nous l'as dit quand... Comment c'est possible !
Passant une main dans ses cheveux, la jeune femme se détourna et LeFou la suivit jusqu'à la fontaine. Il était tard, tout le monde dormait et à part un chat, ils ne croisèrent personne. Ils s'assirent au bord de la fontaine et Belle raconta toute l'histoire à LeFou, comment elle avait reçu cette lettre de Gaston, environ deux semaines après avoir réintégré la maison de son père, comment elle avait urgemment éprouvé le besoin de savoir si c'était vrai, comment, en arrivant devant la maison de ce vieux couple, elle l'avait vu et enfin, comment son corps avait réagi en fondant en larmes...
— Je ne m'explique toujours pas pourquoi j'ai réagi comme ça en le voyant, il m'avait mené la vie dure quand nous étions enfants, et une fois adultes, il continue et envoie mon père dans un asile, il voulait tuer la Bête aussi ! Pourtant, l'air m'a manqué quand j'ai vu cette lettre, et quand je l'ai vu sur le ponton devant la maison...
— Tu l'aimes vraiment, alors ?
Belle opina en serrant les mâchoires. Une larme glissa sur sa joue, éclairée par la demi-lune accrochée dans le ciel.
— Le fardeau était trop lourd à porter, dit-elle, la voix chargée. Nous étions égoïstes, nous avions demandé à la Fée d'arranger les choses pour que je puisse être libérée de mon serment envers Adam, il n'avait pas appris, il n'avait pas changé, je lui avais laissé une chance, mais...
Elle renifla et passa sa main sur ses joues.
— Quand Gaston m'a repoussée, il y a un mois, j'ai cru que le monde autour de moi s'écroulait, je n'entendais plus rien, je ne pouvais plus respirer... Je ne sais pas combien de temps je suis restée à genoux sur l'herbe, ni comment je suis rentrée et me suis retrouvée dans mon lit, mais dès le lendemain, je prenais Philibert pour retourner auprès d'Adam. Je lui ai tout expliqué, Gaston, la Fée, le mensonge, tout. Oh, il a tempêté, il a menacé de me renvoyer chez mon père avec le déshonneur et tout le tralala... Pourtant, cela me passait au-dessus, je n'avais plus rien en tête, mon esprit était vide, j'étais prête à tout accepter, gentille poupée de chiffon qui bouge quand on le lui demande...
— Oh Belle, je suis désolé...
— Tu n'as pas à l'être, la Fée l'a dit, avec la magie, il y a toujours un prix à payer, et ce prix, c'est Gaston. J'ai perdu l'homme que j'aime au profit d'un qui me voit comme une chose, il est tout le contraire de la Bête, il ne s'occupe pas de moi, nous ne prenons pas nos repas ensemble, il ne me dit même pas quand il part...
— Je suppose qu'il est absent, ce soir ?
Belle opina.
— Il est parti quelques jours pour annoncer notre mariage à sa famille éloignée, c'est Madame Samovar qui me l'a dit le lendemain de son départ, je n'étais pas au courant...
Elle se tut un instant et leva les yeux vers la fenêtre supposée donnant sur l'appartement de Gaston.
— Je crois que c'est le fait que nous soyons séparés qui a brisé le sortilège de la Fée, dit-elle. Nous avons modifié les souvenirs des gens pour notre bien-être, pour être ensemble, pour que vous ne pensiez pas que j'étais si désespérée que je choisirais le dernier homme qui pourrait me rendre heureuse... Ce n'était pas supposé se passer comme ça, nous devions retrouver la Fée et lui demander d'annuler le sort, quitte à ce que nous perdions ce que nous avions, Gaston et moi.
Belle leva la main et un anneau d'or brilla à son annulaire droit.
— C'est l'alliance de la mère de Gaston, dit-elle en la retirant. Il me l'a donnée pour que je puisse le ramener à moi, lui remémorer que nous sommes fiancés et qu'il m'aime. J'imagine que ça ne sert plus à rien que je la garde, maintenant...
Elle la tendit vers LeFou.
— Tu pourras la lui rendre pour moi ? Je n'aurais pas la force de le faire...
LeFou hésita, prit la bague, l'observa un moment, puis prit la main de Belle et la lui posa dans la paume. Il replia les doigts dessus et secoua la tête.
— Garde-la, dit-il. Ça va te paraître bizarre, mais je pense que tu n'as rien à faire avec Adam, tu n'es pas comme lui, tu n'es pas une princesse, une poupée de chiffon qui obéit bêtement, comme tu dis. Tout le monde te connait ici, Belle, tu es la fille qui lit au milieu de la rue, qui salue les gens le nez dans ton bouquin sans se tromper de prénom, qui évite les flaques et les chevaux sans jamais lever les yeux... Gaston se trompe en disant que tu n'es pas pour lui, au contraire, il est amoureux de toi depuis toujours, mais tu n'as jamais voulu de lui parce que tu voulais être libre, mais l'es-tu, présentement ?
— Si je suis libre ?
Belle baissa le nez puis leva son visage vers la lune. LeFou posa une main sur son genou.
— Quand Adam rentrera, dis-lui que tu ne veux plus l'épouser, dis-lui ce que tu m'as dit, qu'il est trop différent de la Bête, que tu ne l'aimes pas.
— Il refusera de l'entendre et il fera arrêter Gaston, répondit la jeune femme en secouant la tête. La malédiction disait qu'il devait aimer et être aimé pour ce qu'il est avant ses vingt-et-un ans, c'est ce qu'il s'est passé.
— Vraiment ? Tu as aimé la Bête, Belle, mais Adam est trop différent, comme tu l'as dit, il n'a rien appris...
— Mais s'ils s'affrontent, Gaston... Il m'a repoussée, n'oublie pas.
— Tu ne le connais pas assez depuis le temps ? sourit LeFou. Gaston est celui qui a harangué la foule pour aller tuer la Bête, il s'est battu contre elle sur les toit du château et il a perdu. Cette fois, il ne perdra pas. Il a eu une seconde chance, peu importe qui l'a empêché de mourir cette nuit-là, mais il est là, et si je parviens à lui faire comprendre que Belle French lui appartient, alors il fera tout pour te récupérer.
Remontant sa capuche, Belle passa sa main sous son nez et secoua la tête.
— Ne lui dis pas que tu m'as vue, dit-elle en se levant. Quand j'aurais parlé avec Adam, vous serez tous au courant.
LeFou hocha la tête puis observa la jeune femme disparaître dans la nuit. Il soupira en jurant après l'amour, se félicitant d'être un nabot dont aucune femme ne voulait, et il rentra chez lui, les mains dans les poches, persuadé que Belle et Gaston avaient tout à gagner en étant ensemble. La preuve, leur brutale séparation avait brisé le sortilège de la Fée et rendu leurs souvenirs aux habitants du village... tout ça en les plongeant tous les deux dans la pire dépression qu'un couple pouvait subir. Si ça ce n'était pas un signe..
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