Chapitre 10
Assise devant la maison, à l'ombre, Belle observait le morceau de bois posé sur la table devant elle. Un hennissement se fit alors entendre et elle tourna la tête pour voir le grand étalon noir de Gaston qui approchait.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il en descendant de cheval et en passant le portillon du jardin.
— Rien de grave, répondit Belle. Je suis allée voir la fée.
Gaston haussa les sourcils et Belle lui expliqua pourquoi. Quand son compagnon hocha la tête et regarda le bout de bois entre eux, elle soupira.
— J'étais mal à l'aise face au tavernier, dit-elle. Gaston, nous devons savoir ce que les gens savent sur nous, je n'ai pas envie de faire une gaffe au bal, ou même au marché, ou encore devant mon père.
— Je comprends. De toute façon, ça ne peut pas être terrible, sinon les gens ne nous regarderaient pas avec ces sourires dégoulinants de miel quand ils nous voient ensemble.
Belle rigola.
— Tu t'en es rendu compte aussi ? dit-elle, amusée. C'est perturbant surtout quand on nous connaît, tu ne crois pas ? On fait tous les deux de gros efforts, toi bien plus que moi, et...
La jeune femme se tut. Gaston hocha la tête et esquissa un sourire. Il porta son regard sur le bâton puis tendit la main.
— Allons-y.
Belle inclina le menton et, dans un parfait ensemble, ils touchèrent chacun le morceau de bois. Aussitôt, la magie de la fée s'infusa en eux et, fermant les yeux, Belle eut l'impression de voir sa vie en accéléré jusqu'à ce que les images ralentissent et se fixent sur un moment donné, celui où, elle s'en souvenait parfaitement, Gaston l'avait demandée en mariage devant tout le monde, et qu'elle lui avait répondu en lui offrant un plongeon dans la mare aux cochons...
Se sentant rougir, la jeune femme sentit les doigts de Gaston sur les siens et elle esquissa un sourire. Il ne lui en voulait pas, il le lui avait dit et prouvé depuis deux mois, mais elle savait qu'elle en aurait toujours plus ou moins honte... Cela ferait une parfaite anecdote pour leurs enfants.
Quand les souvenirs des villageois en vinrent au moment de libération du Prince de sa malédiction, cependant, Belle se crispa. Dans sa tête, elle était la responsable, mais elle découvrit douloureusement que le Prince Adam avait été libéré par une jeune femme blonde qui avait répondu à un appel de Madame Samovar dans tous les journaux des environs, cherchant désespérément une épouse pour son jeune Maître. Les faits en eux-mêmes étaient plus ou moins identiques à la version de l'histoire avec Belle, sinon que les villageois n'avaient jamais attaqué le château. Par contre Gaston attaquant la Bête sur les toits du château avait été remplacé par une solide bataille qui s'était terminée par la mort de l'homme, un chasseur apparemment. La Bête était ensuite redevenu humain suite au départ de la jeune Princesse, arrachée de force au château par son père qui refusait qu'elle épouse un monstre. Elle n'avait plus jamais été revue par la suite et certains disaient qu'elle était même morte...
Lâchant le bâton, Belle quitta soudain la table d'un bond et Gaston la suivit aussitôt. Il la saisit à bras le corps alors qu'elle jaillissait dans le jardin, et quand elle tomba sur les genoux, il l'accompagna et l'entoura de ses bras en la laissant haleter et sangloter.
— Pourquoi est-ce que c'est si dur ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
— Parce que tu l'aimes encore.
Belle se dégagea aussitôt des bras de Gaston et lui fit face, à genoux dans l'herbe fraîche.
— Gaston, non... Ne dis pas ça.
— C'est la vérité, non ? demanda-t-il en s'asseyant en tailleur. Depuis que tu es venue me retrouver à Erfest, je t'ai dit que je t'aimais plusieurs fois, mais je n'ai jamais eu de retour. Je me suis donc fait une raison, tu es avec moi parce que c'est ce qui sied à ton rang. Je suis la solution de facilité, comme on dit.
Belle fronça les sourcils et se mordit la lèvre. Elle se pencha alors et embrassa le jeune homme une longue seconde avant de poser son front contre le sien.
— C'est toi que je veux, Gaston LeGume, souffla-t-elle. Tu es l'exemple parfait de l'homme injuste et ingrat qui peut changer par sa propre volonté. Adam n'en a pas été capable. Je n'ai rien oublié des horreurs que tu as commises, mais aujourd'hui, j'ai l'impression que tu n'en es même plus capable.
Gaston baissa le nez.
— Si, dit-il alors se relevant. Si, j'en suis toujours capable, mais pour toi, je ne le ferais plus. La jalousie m'aveuglait, Belle, je t'aime depuis que nous sommes enfants et te voir partir pour un autre homme, pour une bête, c'était au-delà de ma capacité à accepter !
— Oh, Gaston...
La jeune femme se releva et se coula contre son large torse. Il l'entoura de ses bras et elle releva la tête avec un sourire. Il l'embrassa doucement puis recula et lui prit la main. Quand il s'agenouilla, Belle sentit son cœur s'emballer et manqua d'air.
— Gaston... lâcha-t-elle dans un souffle.
— Belle, me ferais-tu l'honneur de m'épouser ? Je te fais la promesse de ne jamais t'entraver, tu pourras continuer à lire et à flâner dans les champs, et je...
— Oui, Gaston, le coupa Belle. Oui, j'en serais honorée.
Gaston haussa les sourcils puis sourit et se releva en prenant la jeune femme dans ses bras. Il la fit tournoyer et elle rigola avant qu'il ne la repose au sol et ne l'embrasse vivement.
— Eh ben voilà ! s'exclama soudain le vieux Maurice. C'était pas si compliqué !
Belle rougit aussitôt en s'écartant de Gaston et son père s'approcha.
— Fais-lui du mal, fiston, et tu auras à faire à une de mes inventions, gronda-t-il en serrant la main du géant.
— Papa... marmonna Belle, gênée.
— J'ai compris la leçon, le vieux, dit alors Gaston. Vous en faites pas, je l'attends depuis bien trop longtemps pour gâcher ma chance encore une fois.
— Comment ça encore une fois ? demanda Maurice.
— Ce n'est rien, papa, répondit Belle. Il est tard, tu devrais rentrer Gaston, on se revoit demain.
— Entendu.
Le jeune homme tourna les talons et laissa échapper une petite exclamation de joie en passant le portillon du jardin sur un pas de danse. Belle rigola et Maurice passa son bras autour de sa taille. Elle le regarda avec un sourire et ils rentrèrent dans la maison.
.
Les fiançailles de Belle et Gaston passèrent cependant inaperçu avec le bal donné par le Prince Adam dans l'espoir de revoir celle qui avait brisé sa malédiction, et Belle craignait que la magie de la fée ne fonctionne pas aussi bien qu'elle le pensait et que le Prince finisse par la reconnaître.
Lorsque le jour arriva, la jeune femme était dans tous ses états et à deux doigts de refuser d'y aller.
— Ma chérie, allons, il est inutile d'angoisser ainsi, dit Maurice. Le Prince Adam n'est plus une bête et il...
— Arrête, papa, s'il te plaît...
— D'accord. Si tu me cherches, je suis dans le labo...
La cloche de la porte résonna au même moment et Maurice jeta un œil par la fenêtre.
— Ah, c'est Gaston, dit-il. Tu devrais te dépêcher, Belle.
— Tu peux le faire entrer, s'il te plaît, j'ai quelque chose à lui demander, répondit la jeune femme.
— Alors que tu es en robe de chambre ?
— Il n'y en a que pour deux minutes...
Maurice fronça ses sourcils broussailleux puis soupira. Il alla ouvrir à Gaston, tiré à quatre épingles dans un costume rouge et noir.
— Belle n'est pas encore prête, annonça le vieil inventeur.
— Ah, dans ce cas je vais...
— Gaston, peux-tu venir un instant, s'il te plaît ? demanda alors la voix de Belle.
Le jeune homme hésita et regarda Maurice qui lui jeta un regard avant de tourner les talons et d'aller dans sa chambre. Gaston regarda ensuite vers la porte entrouverte de celle de sa fiancée et s'approcha. Il poussa la porte et trouva Belle assise sur son lit, encore en robe de chambre.
— Tu n'es pas du tout prête ? s'étonna-t-il en entrant.
— J'ai peur qu'il me reconnaisse, répondit la jeune femme en tortillant le cordon de satin de sa robe.
Gaston s'assit au bord du lit près d'elle et lui frotta le dos. Elle appuya sa tête contre son épaule, soupira, puis se redressa.
— Et si la magie de la fée n'était pas assez puissante ? demanda-t-elle en bondissant sur ses pieds. Et s'il me reconnaissait, si tous les souvenirs factices disparaissaient tout d'un coup ?
Gaston serra les mâchoires. Il tendit les mains, prit celles de Belle et la ramena vers lui. Il l'entoura de ses bras et posa sa tête contre son ventre un instant avant de la regarder d'en bas.
— Quand bien même, tu crois que je le laisserai t'approcher ? demanda-t-il. Ce petit prince de pacotille ne fait pas le poids face à moi.
Belle haussa un sourcil puis sourit. Gaston se releva alors et l'embrassa vivement en la serrant contre lui. La jeune femme se laissa faire et exhala un soupir quand il l'embrassa sur l'épaule, avant de se reprendre et de le repousser.
— Même si j'apprécie tes marques d'affection, Gaston, il n'est pas question de ça avant le mariage, dit-elle en le repoussant. À présent, à moins que tu veuilles m'aider à m'habiller, ouste.
— Non, mais je ne dirais pas non pour t'aider à délacer ton corset, par contre... souffla le jeune homme.
Belle rougit et se mit à rire en le poussant hors de la chambre. Il rigola en s'éloignant et la jeune femme ferma la porte.
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