Chapitre 6
Je me mordais la langue pour avoir le cœur net que je n'étais pas dans des illusions nocturnes, qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Il n'en était rien. Il fallait s'attendre à une telle déception, les choses étaient d'une facilité inquiétante - très beau pour se réaliser ainsi et sans le moindre obstacle. Toutefois, le retour de mon oncle Mamady n'y était pas aussi blanc que le neige. Je l'abhorrais et une panoplie de raisons pouvaient l'expliquer.
Mon père s'était si gratuitement laissé hypnotiser et influencer sans se douter d'une éventuelle haine. Rien ne saurait se justifier comme une raison tangible, rien. Les promesses devenaient affreuses et sans âme saine. Elles sont laïques car leur croyance n'était que chimère et fausseté. Quoi qu'il en soit, elles peuvent être venimeuses et mortelles ; elles trahissent plus qu'elles ne redonnent espoir.
- Mais Papa, pourquoi ? lui demandais-je, quelques secondes après, sous le choc.
- Non, tu ne peux pas partir avec Saly. Il y a ta tante Astou de Louga qui voudrait que tu viennes séjourner chez elle pendant les vacances. Et je ne peux pas lui refuser ça et te laisser partir avec une inconnue.
- Mais Papa, toi aussi, pourquoi attendre au dernier moment... Saly n'est pas une inconnue, c'est mon amie. Et ce sont ses parents même qui m'ont invité à prendre part à ce voyage avec elle, je ne vois rien d'ignoble dans tout ça...
- Tu ne pars pas, et ne je vais pas me réitérer. Je vais appeler M. Le Maire et lui dire moi-même. Il faut savoir que la famille vient avant tout. Voilà. Prépare-toi, vous allez partir, Diary et toi, chez ta tante Astou à Louga, semaine prochaine. Et depuis quand tu vois une amitié entre fille et garçon ? Je ne vais pas revenir sur mes dires. Et ne me pousse pas à gâcher tes vacances, voilà.
Et il ressortit, laissant derrière lui une âme quasi sans vie qui abritait en moi. Ma personne en était-on ne peut plus abattue et courroucée. Je ne lui en voulais pas, ce n'était pas son œuvre cette décision. Sa nature était outre que cela ; la créature endiablée avait réussi sa compromettante ruse.
Et depuis quand tu vois une amitié entre fille et garçon ?
Cette fausse idée n'était pas de lui et il était sans conteste sûr que mon oncle Mamady y était pour quelque chose. Il ne me parlait que pour me réprimander ou me crier dessus, mais il trouvait d'autres moyens pour obstruer ma bonne haleine. J'eus beaucoup de craintes à son retour de Thiès car mon instinct avait prévu ce sale tour qu'il allait encore me jouer. Ennemi n'est pas aussi nuisible qu'un parent qui déteste à cœur ouvert.
Il faut savoir que la famille vient avant tout.
Balivernes !
Pourtant Saly était venue me sauver avant la famille ; elle me proposa de visiter les États-Unis, avant la famille ; elle m'avait redonné l'espoir avant la famille ; elle sacrifia son temps pour m'assister moralement après mon accident avec mon ami Karim, et avant la famille. Dire la famille avant tout était la chose la plus absurde et infondée que je n'ai jamais entendue.
L'amour et l'affection ne connaissent nullement la couleur ou le parfum des êtres qui nous sont légalement proches. Qu'importe le lien de parenté qui nous maintient dans l'asservissement, ce que tu représentes de bien pour moi me suffit largement. Papa n'avait pas compris cela de moi, et j'étais incapable de lui faire savoir ma position par rapport à cette notion de famille.
Notre mal est parfois d'une source si proche qu'on ne puisse l'imaginer. Tant de faux espoirs m'accablent, la compassion déchiquetée en menu morceaux, le chagrin qui submerge. On sent qu'on va haïr, haïr tout de nous. En qui nous fier alors si ceux qui devraient nous faire jouir l'allégresse sont les auteurs de nos douleurs invisibles et perpétuelles ? Nos légaux protecteurs nous offensent, nous rechignons sans justice faite. Justice aveugle et impotente. Justice qui nous incrimine dans une position où nous faisons justice par nous-même. Voilà qu'une injustice justifiée se manifeste. Elle bannit le courage du faible, se soumet à la tyrannie de l'hypocrisie et des intérêts mondains.
Je ne sus comment annoncer une telle affreuse décision à Saly. Elle en aurait mille pensées, mille déductions : nous nous étions montrés grossiers, y compris moi et tout ce qui ont favorisé ce refus infondé. La société me mit mal à l'aise face à cette situation. Je ne pouvais discuter davantage avec papa, ce serait lui manquer un respect qu'il se devait. Je ne sus non plus comment me retirer de ma chambre et regarder ma jumelle Diary droit dans les yeux, ma tante Fama idem. Le cœur n'y était plus en cet instant.
J'avais promis à grand-mère mille et un présent à mon retour, je me voyais en train de marchander toute sorte d'objets qui pourraient satisfaire Diary. Les rues de New York luisaient et paraient mes dernières nuits. Mon cou se tordait déjà à force de scruter exagérément les immenses tours verrées qui scintillaient depuis les horizons de l'Atlantique. Et tout cela n'était encore une fois que chimère, un rêve absurde et intangible pour moi, et il se peut qu'il soit ainsi pour toujours. Que sais-je ? Rien ne me l'avait prédit et il serait plus commode de laisser le hasard nous mener selon sa fantaisie.
Je refermais mon livre ; l'envie de la lecture me quitta provisoirement. Je m'efforçais de ne pas pleurer, et j'y parvins. Et je rigolais ironiquement et narquoisement de ce cinéma pas très taquin et sans fin. Le courage reprit place. Il fallait mettre au parfum Saly des nouvelles et avec la plus grande sérénité et assurance que cela l'exigeait.
***
Elle était assise dans le salon avec leur bonne. Cette dernière nous laissa seuls après nous être échangés le salamalec. Je trouvais Saly dans une bonne mine qui pourrait s'expliquer si facilement. J'eus beau essayé de rester serein, mais elle remarqua mon visage renfrogné sitôt que je ne pus l'imaginer, avant même qu'elle m'ait invité à m'asseoir.
- Salim, ça va ? Tu as l'air triste, on dirait. J'espère que jámm lë (c'est la paix) ? Assoie-toi.
- J'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer. Mon père a finalement refusé que je parte avec toi en vacances.
- Quoi ? Non, mais tu es sérieux là ? Avoue-moi juste que tu blagues. Si c'est le cas, c'est pas du tout drôle. Trouve une autre blague mon frère. Tu ne pourras rien dire davantage pour que je puisse te croire.
- Je sais que tu refuses d'y croire seulement, mais je suis très sérieux.
- Non, mais, je rêve ou quoi ? Ce n'est pas possible. C'est inimaginable ! Mais, qu'est-ce qu'il y a de mal à ce qu'on aille ensemble en vacances ? De toute façon, nous serons chez ma tante, la sœur à papa, qui vit à Washington. Et ça ne sera même pas pour deux mois. Maximum un mois et quinze jours.
- Moi, en tout cas, je ne comprends plus. J'ai l'impression de ne pas être au bout de mes peines. À chaque fois que je me dis que maintenant je peux me réjouir, c'est là que recommencent encore, et encore, les ennuis.
- Je suis sûre que c'est encore ton oncle qui est l'auteur de tout cela. À peine est-il revenu, et ton papa change d'avis. Cette peste de Mamady ! S'il savait à quel point je le déteste !
- Mon père m'a fait savoir qu'il y a ma tante vivant à Louga qui voudrait que je passe les vacances chez elle. Comme si, moi, je le voulais.
- Dire que tu es sérieux dans ce que tu dis ! C'est vraiment décourageant. Que vais-je dire à mes parents ? Je veux dire, comment leur expliquer tout ça. Je vais dire à papa d'appeler ton père pour essayer de le convaincre à nouveau.
- Non, ce n'est pas la peine. Ce sera peine perdue. Je suis convaincu maintenant que je ne serai jamais heureux de toute ma vie.
- Non, Salim, il est hors de question que tu penses de toi ainsi. Il ne faut jamais perdre espoir dans la vie. Les torts que te causent les gens ne doivent pas te fléchir. Vivre, c'est s'engager dans une perpétuelle bataille sur tous les plans. Et la bataille la plus noble est psychologique. Tôt ou tard, les portes de la félicité s'ouvriront pour toi.
- Mais, moi, je n'ai rien fait de mal à qui que ce soit pour mériter toutes ces souffrances, dis-je au bord des larmes. Qu'ai-je fait ?
- Salim, il ne faut te comporter ainsi. Notre voyage c'était juste pour des vacances, Dieu te réserve beaucoup mieux, j'en ai la franche certitude. Quoi qui puisse t'arriver dans la vie, il ne faut jamais remettre en question les positions de tes parents. Peut-être que ton papa a ses raisons qu'il ne peut pas t'expliquer. Et je le comprends. Ta tante aurait mal vu le fait que tu refuses de s'séjourner chez elle.
- C'est sûr et certain que mon oncle Mamady y est pour quelque chose.
- Sans doute. Mais ne change en rien de tes bonnes habitudes. Quoi qu'il en soit, les gens diront que c'est toi qui es indiscipliné. Que personne ne te pousse à être quelqu'un que tu n'es pas. L'ennemi aura tout tenté pour te détruire. Reste-toi, un jour viendra, tu marcheras droit sur un chemin où il te fuira du regard, affligé par les maux qu'il t'aurait causé sans justice saine.
Tout mon projet partit en fumée, mais mon esprit ne lâcha pas. J'étais convaincu qu'un de ces jours, j'emprunterai le chemin lointain. Je mènerai ma vie selon ma fantaisie. Papa n'était pas revenu sur sa décision et Saly était partie, pour je ne sais combien de jours, de semaines, de mois, ...
Le lendemain, Diary me fit savoir qu'elle avait entendu mon oncle Mamady parler avec mon père à propos de mon voyage. Il aurait soutenu que Saly était ma fiancée et qu'elle me fréquentait à n'importe quelle heure, de jour comme de nuit. Et cela ne suffisait pas pour combler sa diffamation ; pour lui, je n'étais pas fier de notre condition de vie et j'étais allé mendier chez M. Le Maire pour bénéficier de tous les avantages que sa fortune pouvait honorer. Saly lui aurait manqué de respect un jour et que cela ne m'avait pas dérangé en elle. Il calomniait et, je vous dis, dans toute la prestance qu'il en pouvait.
- C'est lui qui a dit tout ça de moi à papa ? demandai-je à Diary, l'air ahuri.
- Oui, je faisais semblant de dormir dans le salon et je l'ai entendu qui te dénigrait. Et papa le crut comme un saint esprit. Ce que je te suggère, c'est d'en parler à ma tante Fama ou à grand-mère. Je déteste cette vermine.
- Non, ce n'est pas grave. Dieu l'a voulu ainsi. Cela se réalisera au moment propice qu'Il me réserve...
Diary n'avait pas totalement lâché sa vielle habitude, mais cette fois-ci, elle m'était d'une utilité inouïe. Nous étions devenus très complices depuis le décès de maman ; j'avais cette rage furieuse quand j'entendais mon oncle Mamady lui faire la peau. Je n'avais pas la force physique pour la défendre et ma langue ne me suffisait pas pour déverser ma bile. Tante Fama intervenait quelques fois quand elle n'en pouvait plus de cette attitude rude de son frère. Le climat de la maison était toujours ainsi depuis que maman est partie. Et je m'y habituais.
Je me préparais pour aller à Louga avec Diary, deux jours après que Saly ait quitté le climat sénégalais. Elle m'avait promis mille présents à son retour.
***
- Ah Salim ! Diary ! Comment vous allez ? ...Je suis vraiment honorée de vous voir... Soyez les bienvenus... Installez-vous... Et la famille ?... Elle va bien j'espère ? Pas trop fatigués ?... Comme vous avez grandi, mes jumeaux !... Raby, Racky, venez aider mes enfants à descendre leurs valises... Et votre papa, comment va-t-il ?... Et votre grand-mère, elle va mieux maintenant ?... Je croyais que votre tante Fama allait venir avec vous. Heureusement que vous avez des téléphones, sinon ça allait être compliqué pour vous... Raby doucement avant que tu ne fasses tomber la valise, ... Waa Diary, maintenant tu es voilée ?! Ah MachAllah, je suis trop contente de toi. Raby, je te présente tes cousins, les enfants de ton oncle Souleymane de Dakar. Tu vois combien ils se ressemblent ?! On dirait deux gouttes d'eau.
Tante Astou nous accueillit chaleureusement et nous pouvions remarquer combien elle était ravie de nous recevoir chez elle. Sa concession - ou celle de son mari Badara - était aussi large qu'une moitié de champ de course, avec deux appartements établis au milieu de la parcelle et un mini jardin garni d'arbres fruitiers. Le sol bien tamisé laissait voir sa vraie pureté tel une jeune âme. Les deux appartements étaient d'une même architecture et bien bâtis selon les standards modernes. Des plantes décoratives longeaient la clôture. Je me crus dans un grand château féerique tellement l'espace était vaste et vivant.
Ma tante avait aussi une fille, Rabiatou - mais on le surnommait Raby tout simplement -, qui avait le même âge que moi. Elle était d'une beauté indescriptible et sa personnalité en témoignait fort bien. Joviale et très serviable à la fois. Son sourire laissait parler une joie de vie d'une belle âme. Elle nous accueillit avec une gaieté surhumaine et nous invita à nous sentir chez nous dans cette nouvelle découverte. Ses tresses luisaient sous le soleil au zénith projetant ses rayons lactés.
Il y avait aussi la bonne, Racky, qui s'occupait de tout le ménage de la maison. Elle se montra serviable dans les premiers jours. Sa nature témoignait plutôt un caractère réservé et elle ne parlait que quand le besoin se faisait sentir. Ma tante avait aménagé une chambre pour elle pour lui éviter les longs trajets tous les jours ; ainsi, elle ne rentrait chez elle que les dimanches et revenait le même jour ou le lendemain tôt le matin. Nous avions séjourné là-bas depuis trois semaines et je remarquai qu'elle n'était pas allée chez elle les deux derniers dimanches. Elle s'était liée amitié avec Diary et cette dernière l'aidait dans les tâches domestiques ; rigolant à tue-tête, chantant à la volée de leur voix de rossignol.
Pour ma part, je m'étais beaucoup familiarisé avec Raby ; elle me fit visiter quelques lieux historiques et importants de la ville. Les monuments, les daaras (écoles coraniques), et d'autres lieux de culte où nos figures historiques religieuses avaient marqué leur empreinte. Aussi bien le grand centre culturel et les lieux périphériques fréquentés quasiment par les jeunes. Nous faisions de temps en temps, une escale dans un jardin public pour discuter de tout et de rien, de notre vie personnelle et de nos ambitions. Et ça riait, ça souriait, ça s'attristait. Je lui parlais de temps en temps de Saly ; mais j'eus la sensation que mes récits à propos de ma meilleure amie la gênaient et m'invitait à changer de sujet d'une façon indirecte.
Saly m'écrivait fréquemment sur WhatsApp ; on s'échangeait de photos et de vidéos ; elle me fit découvrir les rues de Washington. Raby avait remarqué que j'étais tout le temps en train de manipuler mon téléphone, et je lisais de moins en moins mes romans que je n'avais pas manqué d'en apporter quelques. Elle m'emprunta le Nini Mulâtresse du Sénégal dès que je l'eus terminé. Néanmoins, elle se préoccupait à vouloir découvrir avec qui je discutais sans cesse sur WhatsApp. Elle ne devait pas douter que c'était bien Saly, mais n'avait aucune preuve.
Tous les soirs, elle m'invita, et Diary aussi, sur la terrasse pour regarder un film ou des vidéos avec son ordinateur portable. Nous étions parfois nous deux seuls, à discuter, sans Diary. Et on était tout le temps ensemble comme de vrais potes.
Les jours passèrent ainsi, je parlais de moins en moins avec Saly, m'habituant à errer et gambader avec Raby. Les préoccupations changèrent de tournure ; il m'arrivait quelques fois de ne pas me connecter pendant toute une journée, et au lendemain, je trouvais une panoplie de messages de Saly : "Hello, tu dors ?" ; "Coucou Salim, tout va bien ?" ; "Et tes vacances, j'espère que tu t'amuses bien là-bas ?" ; etc. Je me sentis gêné de l'avoir négligé ainsi, c'était la personne qui m'était la plus chère au monde. Il n'y avait aucune raison de ne pas penser à elle pendant toute une journée, c'était ingrat de ma part. Elle m'en voudrait et cette faute était bien grave. Ma personne se réprimandait, en vain. Quelque chose m'éloignait d'elle de plus en plus. Et je ne sus, ou fis-je semblant de ne pas savoir.
Raby avait lu en moi un manque inexprimable malgré les efforts qu'elle faisait pour que je puisse m'épanouir. Je fis l'effort de la rassurer tant bien que mal. Un jour, je lui racontai l'histoire de mon voyage avec Saly avorté.
- C'est vraiment dommage, me dit-elle. Mais dis-moi, tu aurais préféré aller aux États-Unis avec elle au lieu de passer les vacances chez nous, qui est chez toi aussi ?
- Non, non, non ! En fait, il ne s'agit pas de ça. Mais c'était la manière. Imagine que mon père change d'avis à la dernière minute.
Le ton de ma voix me trahissait. Ma réplique défendait Saly, celle qu'on avait mal accueillie et déçue sans raison plausible. Celle qui m'a sauvé la vie. Et Raby fut au parfum de tout notre parcours jusqu'au moment de nous séparer pour les vacances. Le cœur s'exprimait ouvertement comme pour expulser la forte douleur qui l'accablait. Et cette question me fit revenir à la conscience sereine :
- Saly te manque ? me demanda-t-elle.
Chers lecteurs, cette fois-ci, j'implore votre secours. Que me conseillez-vous comme réponse ? L'affirmatif blesserait sans doute, et le négatif en serait sujet de mensonge. D'une part, ma personne n'en serait pas reconnaissante envers Raby qui s'était battue entre vents et marées pour mon aisance et me fit oublier les ennuis. D'autre part, Salim ne saurait être assez coupable d'avoir nier la nostalgie de la personne qui lui offrit une seconde chance de vivre. Sacrée impasse ! Il va falloir ne répondre ni par oui, ni par non. Je fus dans le hic et il était impossible de rester neutre, faire justice s'imposait. Je balançais pendant quelques secondes et je lui répondis hic et nunc que oui.
- D'accord. Je vois.
Et après un long silence, elle poursuivit.
- Je vais te faire te la faire oublier.
- Ha ha ! Je n'ai pas bien compris ?! C'est-à-dire ?
- C'est-à-dire que je suis amoureuse de toi, Salim.
Rassurez-vous, cela ne m'a nullement surpris. Ce n'était pas la première fois et ce ne serait pas la dernière fois. Salim était aussi amoureux et n'avait pas osé se déclarer en premier. Il avait peur d'abuser de l'hospitalité de sa tante Astou, et ne souhaitais nullement choquer le moral de Raby qu'il croyait être une simple cousine, et rien d'autre. Salim ne souhaitait pas derechef commettre des étourderies qui lui causeraient des ennuis dont il se vit s'en débarrasser pour un moment. Nous étions assis dans un jardin public, à deux cent mètres de la maison. Je fis la mine d'être surpris, un peu choqué. Et c'est à peine que je pus répondre finalement.
- Ah ça ! Mon instinct ne m'a pas trompé alors cette fois-ci.
- Ha ha ha ! C'est-à-dire ? rigola-t-elle. Salim, je suis très sérieuse. Donc tu ne m'aimes pas ?
- Bon, je ne sais pas, moi ... À quoi bon s'engager dans ces relations si nous sommes appelés à nous séparer dans un futur proche ? Tu es adorable, j'avoue, mais il n'y a pas d'espoir qui tienne en moi. Je ne sais même plus ce que cela veut dire aimer, c'est devenu pure fable pour moi. Je me sens bien seul et c'est déjà quelque chose de sacré.
- Tu n'as rien dit de sensé...
- ...ou plutôt de ce que tu veux entendre, lui répondis-je.
- Donc tu es amoureux de ta prétendue amie ?
- Non, ce n'est qu'une amie. Il n'y a rien d'autre entre nous.
Au moment de finir ma phrase, elle me prit par la main et me fixait du regard obsédant. Je reconnus cette attitude de je ne sais d'où. Raby s'approcha de moi de plus près comme m'embrasser. Elle insista d'une voix qui implorait secours :
- Salim, je t'aime et je suis prête à tout pour toi.
- J'avoue que c'est réciproque...
Elle ne me laissa même pas terminer, m'étreignant le cou de toute ses forces. Ma réponse l'avait fortement titillée et je sentis son cœur qui battait la chamade, avec frénésie. C'était vraiment incroyable, j'eus l'impression d'aimer pour la première fois de toute ma vie, faisant fi des regards et des jugements venimeux. On profitait d'un instant de distraction et joie qui nous étaient nostalgiques.
On se laissait embarquer par l'allégresse sans se rendre compte du temps qui filait, le disque d'or s'accentuait et prenait sensiblement son aspect orangé du crépuscule. Le vent manifestait sa fraîcheur limpide ; tout voltigeait et psalmodiait de doux airs au-dessus de nos têtes.
Raby souriait de toute haleine et je ne me savais pas être capable de rendre aussi heureux que ce qui s'offrait à mes yeux. J'épiais son comportement. Son visage rayonnait plus qu'il ne l'était et ses yeux laissait voir une pensée qui valsait. Elle devint taquine et rigolote à l'instant et sa bonne humeur en disait-on ne peut plus long. Sa physionomie me rappelait celle de Maïmouna qui habitait aussi à Louga, selon la fiction d'Abdoulaye Sadji. Sa noirceur avait aussi pris de ces éclats inhabituels dont seule mon affection pouvait en être sujet. Elle jouait et me pris comme une poupée qu'elle tira les oreilles et le nez en même temps. Mes rêveries se dissipèrent dans le vent qui annonçait le proche crépuscule.
Il était temps de plier bagages. Sitôt que nous levions pour partir, je remarquais une silhouette qui semblait nous guettait depuis longtemps et qui se cacha en un clin d'œil. Cette silhouette m'était bien familière et ma mémoire n'arrivait pas en à avoir le souvenir. Je voulais courir dans sa direction pour savoir qui était-ce. Quelque chose m'en empêcha et j'étais resté évasif un moment.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu regardes par là-bas ? me demanda Raby, constatant mon état.
- Heu... En fait, ... Rien... Rien. Je pensais juste à quelque chose, mentis-je pour ne pas l'inquiéter.
- Ah bon ?! Tu as eu l'air un peu bizarre en tout cas.
- Ne t'inquiète pas, ça m'arrive très souvent.
- Allez ! Viens mon petit chéri, je n'aime pas te voir ainsi, dans cet état. Tu lis trop, c'est pourquoi. Désormais, c'est moi que tu vas lire, tu auras de quoi rêver.
- Ha ha ! Tu parles !
Tout en disant cela, elle me tirait par le bras et mena comme de force là où elle souhaitait. Je me laissais faire tel un automate. Je jetais un coup d'œil par derrière de temps à autres pour m'assurer que personne ne nous suivait.
La silhouette me hantait l'esprit car on ne sut point s'il s'agissait d'un esprit ou d'un démon qui nous enviait et jalousait la vie rose de ce jeune couple. Elle n'était pas humaine saine d'esprit, cela était fort bien vrai. J'essayais, en vain, de chasser cette pensée, elle revint au rebond et devint de plus en plus horrifiante. Ma respiration s'alourdit et mes jambes quasi paralysées avançaient à peine.
Nous arrivâmes enfin à la maison juste avant l'appel à la prière du muezzin. Mon oncle Badara était descendu. Ma tante Astou, Diary et Racky étaient dans le salon en train de regarder une série télévisée dont je ne me rappelle plus. Je fis mes ablutions et accomplis la prière du Timis (crépuscule), dans la chambre qui m'était réservé.
Après le dîner, je me baladais un peu dans le jardin de la maison, histoire de me rafraîchir la mémoire concernant la silhouette que j'avais aperçu et dont j'étais fort convaincu l'avoir reconnue quelque part. Je passais à côté de la fenêtre de ma tante Astou qui réprimandait Raby.
Ce que j'entendis mepétrifia furieusement.
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