Chapitre 3
- Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon, m'annonça papa.
Je m'étais accouru quand j'avais entendu les hurlements de ma tante Fama. Je l'avais trouvée qui s'arrachait déjà les cheveux. Papa me fit savoir la nouvelle avant même que je ne prononce mot. À la seconde qui suit, la vue devint floue et je me perdis dans des nuages aussi sombres que les ténèbres. De minuscules lumières scintillaient sensiblement, un silence total bourdonnant dans mes oreilles. Je me sentis immobile et intact. Rien ne vivait dans ce monde qui m'entourait. Le silence y régnait. Un bruit lugubre me parvenait parfois, et de petites étincelles traversaient et virevoltaient çà et là.
Je me rendis compte que je m'étais évanoui. Mon père et mon oncle Mamady me firent revenir à la conscience. Mon esprit chercha pendant une bonne minute ce qui s'était passé et ce qui m'était arrivé. Il était sans issue. Ils m'avaient allongé sur le lit mouillé à l'endroit où j'avais posé ma tête. Ma respiration revenait à la normale et le souvenir. Ce n'était plus une seule voix, celle de Tante Fama, qui criait, mais plutôt une voix plurielle. Et je me rappelai incontinent de la dernière phrase de papa.
Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon.
Non, encore non, vous dis-je. C'était le plus gros mensonge que je venais d'entendre de toute ma vie.
Maman allait de mieux en mieux. Me disait papa. Cela n'avait rien à voir avec la mort, mon Dieu. Même si c'était vrai, elle n'avait qu'à renoncer à ce jeu et revenir à la maison. J'avais beaucoup de choses à lui dire. Et elle devait m'écouter finir ce dont j'avais à lui confier. Je ne la pardonnerai jamais, jamais au plus grand jamais, de m'avoir trahi ainsi. Il me fallait la revoir encore une fois, même si ce serait pour la dernière fois. Dieu devrait m'aviser d'abord avant d'agir ainsi.
Non, encore non. Dieu, dites-moi que rien de tout cela n'était vrai et que papa s'était trompé, que je rêvais et que maman allait de mieux en mieux. Elle devait lire ma lettre, ou bien m'écouter lui raconter des histoires fabuleuses et la rendre heureuse au moins une fois dans ma vie, ou encore et encore.
Mon esprit chercha, en vain, à me convaincre que cela était bien faux. Il lâcha prise, mes larmes m'échappant à une fréquence torrentielle. Ma surface labiale tremblotait, les dents chevrotantes, ma motricité au comble de la paralysie. Une forte douleur névralgique m'assomma dans la discrétion la plus profonde. Je languis d'espoir. Les cris prirent de l'ampleur dans la maison. Les voisins s'y joignirent. Je me noyais dans mes larmes, mon cœur sur le point de céder, la gorge asséchée. Du sang gisait : ma langue saignait à force de la coincer entre mes dents. Je ne m'en rendais compte. La douleur était moins profonde que celle de mon cœur ; la respiration à la fréquence saccadée.
Quelqu'un se jeta sur moi, cria de toutes ses forces, s'agrippant sur mes épaules. Ses ongles s'enfonçaient dans ma peau.
C'était ma jumelle Diary. Elle était partie chez grand-mère, du côté de maman, qui habitait à quelques mètres de chez nous. Je ne sus comment elle apprit la nouvelle. Elle devait sûrement entendre les premiers cris de Tante Fama et s'était accourue. Que sais-je ? Elle m'étreignit par le cou en sanglotant affreusement ; néanmoins, je la laissais faire, ma circulation sanguine s'était quasi stagnée.
Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon.
La maison se remplissait du monde ; je ne le voyais pas, mais les pas et les voix en disaient bien clair. Diary s'était toujours accrochée à mon cou, on essaya de nous calmer, en vain. Je n'avais pas bougé d'un iota pendant presque une demi-heure. Étais-je parti pour de bon, moi aussi ? Je ne savais. Je suais atrocement.
Les obsèques étaient prévues le lendemain même.
Il m'était difficile de fermer l'œil cette nuit, l'esprit trop occupé à penser à notre chère maman. Les dernières images me revinrent, nos dernières paroles qu'on s'était échangé ; je ne savais plus c'était quoi exactement. Son ombre ne m'avait pas encore quitté, il me confia ses vœux et répartit. Le vide s'imposa, le vrai manque prit place ; l'affection fit ses dernières recommandations, le regard languissant. J'aurais dû être à sa place, je n'ai servi au monde que l'encombrer davantage de vices. Maman était une bâtisseuse, elle serait encore utile.
Il était 21h00.Papa passait toujours des coups de fil pour informer la famille. Diary s'était endormie. Mes paupières s'alourdissaient mais je ne voulus pas dormir.
Je déambulais dans un jardin garni d'oiseaux au plumage multicolore et rayonnant sous les rayons lactés du soleil. Une silhouette s'approcha de moi, et je reconnus ma mère. Je voulus l'enlacer de toute mes forces, mais mon corps s'était immobilisé. Elle resta un peu à l'écart et me parla d'une voix qui résonnait à vif écho.
- Salim, pourquoi tu hais ta sœur Diary ? Han, loutax ? me questionna-t-elle.
- Non maman, ce n'est pas ce que tu crois, lui répondis-je.
- En tout cas, tu as intérêt à prendre soin d'elle. Je ne vais pas me répéter.
- Mais maman, pourquoi pas toi ? Papa ne nous aime pas. Il va nous tuer si tu ne restes pas à la maison, j'en suis certain.
- Prends soin de ta sœur je te dis.
- Oui, mais...
Je ne pus terminer ma phrase. Je me rendis compte que m'étais endormi et que je rêvais profondément. La maison devint abondante au fur et à mesure qu'il faisait tard.
Ma lettre était toujours sur le lit, abîmé par je ne sais quoi. Je la défroissai et la relis. Mes larmes fortuites la mouillèrent ; elle me parut affreuse. Saly n'allait pas lire ma réponse, elle ne la verra jamais. Les mots s'entrechoquaient et perdirent de quintessence, devinrent superflus et dépouillés de toute vitalité. La feuille se déchira toute seule, sous mon regard gorgé de liquide lacrymale et impuissant. Je ne la reverrai plus. Je m'étais menti et le destin me prouva qu'il était plus vrai que mes souhaits. Pourquoi diable n'avais-je pas pu me confesser, fuir le cours et rejoindre maman à d'hôpital ? Le courage et le leadership m'avaient manqué. Le jugement des autres et la peur s'étaient imposés. Ma personne impuissante était la cause de tout cela et ce crime ne saurait être pardonné.
L'estomac grognait, mais la faim se dissipa. De temps à autres, papa entrait dans la chambre pour voir si tout se passait bien ; je restais éveillé, les jambes croisées sur le lit, l'air évasif et somnolant aux yeux ouverts. Grand-mère me rejoignit, et ma tante Fama. Leurs visages s'étaient enflés. Je me mis derechef à sangloter et ma tante me serra contre elle pour me consoler.
- Gëmël Yalla !!! (Crois en Dieu)
- Bayileen joy yi !!! (Cessez vos pleurs !).
Non, pas question. Dieu ne pouvait pas nous causer tant de malheurs et nous demander de croire en Lui. S'Il m'aimait vraiment, comme Il le prétend, pourquoi m'empêche-t-Il de vivre ne serait-ce qu'une journée sans malheur ni déception ? Non, encore non.
Pourquoi ma mère et non celles des autres ? Était-ce là une récompense de mes innombrables péchés qu'Il n'a pas pu me pardonner ? Ne m'aurait-Il pas dit ce qu'Il voudrait que je fasse pour me dénuder de toute souillure ? Oh Dieu ! Je ne Te demande qu'un seul instant de joie, quoique éphémère. Mon bonheur est une chimère, mon sourire rassure les amis, mais mon cœur souffre de cette apparence.
Je blasphémais, et j'eus tort. La Loi Divine est séculaire, et Sa décision irrévocable.
Ma douleur était profonde et inapercevable.
Mon instinct avait senti cela et me l'avait laissé présager. Tout devint bien clair dans ma tête. J'avais raison d'être triste et nerveux. Mon mal était invisible, vous dis-je. Nous sentons parfois certains événements venir, nous feignons de les ignorer. Le choc devint terrible. Le désespoir prit place et le sourire amer. Le désarroi pesait lourd, et la gaieté s'enlisa dans les ténèbres.
La vie a trahi et trahira.
Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon.
Maman m'avait trahi. Son ombre disparut dans quelques lieux inconnus et mystérieux. Mais j'entendais toujours sa voix qui me perçaient l'ouïe. Elle me parlait, ... me parlait. J'entendais qui me répétait sans relâche :
Prends soin de Diary, je te dis.
Diary dormait profondément. Grand-mère et tante Fama avaient rejoint les voisins dans la cour. Le bruit du silence résonnait, des hurlements saccadés s'amplifiaient.
Nous craignons la mort, et non la vie. Or, cette dernière est le pire ennemi quelquefois. Elle nous conduit aux vices et façonne notre propre perte dans l'au-delà. Elle nous mène dans une voie bénie qui enjolive notre destinée future. Le hasard sourit aux ignorants qui ne savent pas ce qui se cache derrière les horizons nocturnes. Du bout des doigts nous lâchent l'espoir et la félicité.
L'humanité a sa mission. Chaque personne qui surgit dans notre existence est soit constructeur, soit un destructeur de notre bonne volonté. Nous ignorons ceux qui nous étaient d'une utilité grandiose, et d'autres qui nous rendaient grandiloquents.
Certains se créent des ennemis qu'ils n'ont pas, des amis qui s'immiscent dans leur vie. L'ennemi est le mauvais et le diable, se dit-on souvent. Or, il nous blesse parfois par là où nous refusons de soigner. Il donne de l'importance à l'ami ; le malheur fait connaître l'intérêt du bonheur, les faibles nous montrent la force des tyrans, le pauvre fait luire la richesse des nantis. Et bref, j'en passe.
Mon esprit rêvassa. Quel sort m'était réservé à cet instant ? L'espoir était parti pour de bon. Maman était ma seule protectrice malgré ses sermons perpétuels, ma seule réelle confidente et mon seul véritable amour. Une femme on ne peut plus brave dont je ne saurai jamais trouver une autre pareille. Les souvenirs de nos parties de marché ma traversèrent l'esprit. Ses petits commerces partirent pour de bon avec elle. Elle me souriait, me consolait et me donnait de la force quand ma foi et mon courage empruntaient le chemin du déclin. Sa voix rassurante me revint.
- Salim, que veux-tu devenir quand tu vas finir tes études ? me demanda-t-elle un jour sur le chemin du marché.
- Moi, je veux faire la guerre comme ce que vois à la télé. Je veux être un militaire comme ceux qui font les défilés lors du 4 avril.
- Moyeenam !!! Loula dal yaw ? (Quoi !!! Qu'est-ce qui t'arrive ?). Tu ne veux pas devenir Président ou bien Ministre, comme ça je te verrai tous les jours ? Et ainsi, tu pourras construire une belle maison pour nous et m'emmener à la Mecque ?
- Ah waw waw Yaye !!! (Bien sûr maman). Mais la maison sera pour toi seulement. Mon père et Diary n'ont qu'à trouver une autre maison.
- Ah donc je suis ta seule amie ? Diary est ta jumelle, tu dois partager avec elle tout ce que tu auras. D'accord ? C'est aussi Papa qui paie tes études ; donc tu dois l'honorer et aussi faire idem sur tout ce que tu voudras faire pour moi. D'accord ?
- D'accord maman. Mais Diary, elle ne t'aide même pas quand tu vas au marché ou quand tu fais la cuisine. C'est une fainéante. En sus, elle ne t'approche même de toi quand tu es malade. Elle est méchante ; c'est comme si tu n'es pas sa maman. Elle est vraiment inutile et ne fait que chicoter.
- Non Salim, il ne faut pas dire ça. C'est ta jumelle. C'est juste qu'elle s'attache plus à son père comme toi tu es mon ami. Vous devez arrêter de vous chamailler comme des ennemis. Tu es garçon et c'est à toi d'avoir l'esprit de dépassement, il faut savoir tolérer.
- D'accord maman.
- Quand vous aurez un petit frère ou une petite sœur, il ou elle sera mon amour, je ne vais pas laisser ça à papa.
- Ha ha, waay !!! Maman, fais que ça soit un garçon. Une fille, elle sera trop satanique comme Diary.
- Waa ! C'est Dieu qui donne selon ce qui Lui plaît. Fille ou garçon, ça Lui revient.
- Je sais, mais demande-Lui un garçon, ou bien des jumeaux. Notre Oustaz (maître coranique) nous avait dit que tout ce qu'on Lui demande, Il nous l'octroie.
- Ay xale bii, bulma jommal !!! Oui, je sais, mais ce n'est pas toujours ainsi. Donc tu maîtrises bien ce que Oustaz vous apprend ? C'est bien.
Et après un long silence, je poursuis :
- Tu sais maman, l'autre jour, il y a un camarade de classe qui me disait qu'il n'avait pas de mère. J'ai tellement rigolé ... Comment peut-on ne pas avoir de maman ? Donc il voulait dire qu'il est tombé comme ça du ciel ? Mon Dieu !
- Lan (Quoi) ? Non Salim, il ne faut plus jamais rigoler pour ça. C'est soit ses parents sont divorcés depuis qu'il est encore trop jeune, soit sa maman est décédée, ou bien c'était pour une autre raison. Ce n'est pas tout le monde qui a la chance de vivre avec ses parents. Ceux qui ont très tôt perdu soit leur papa, soit leur maman, ou bien les deux à la fois, on les appelle des orphelins. Il est formellement interdit de leur causer du tort ou les maltraiter. Dieu interdit aussi à qui que ce soit d'exploiter leur héritage et que, eux, ils n'en profitent pas. Quand tu vois ces genres de personne, il ne faut pas se moquer d'eux, parce que tu as ta maman, ou ton papa, que, eux, ils n'ont pas. Tu m'entends ?
- D'accord maman. Je ne savais pas que c'était ça. En plus, il me dit parfois qu'il n'a pas pris son petit déjeuner.
- Et j'espère bien que tu partages avec lui ton goûter ?
- Oui bien sûr Yaye. En plus, il est trop gentil. Je le taquine seulement parfois. Il est toujours seul et ne parle presque à personne.
- C'est quasi normal. Tu vois que toi, tu es tout le temps avec moi ta maman. Quand je suis malade, tu deviens mon infirmier et je prends soin de toi tous les jours. Tu es toujours à mes côtés à me raconter tes histoires drôles. Et quand tu fais des bêtises, je te tire par les oreilles. Peut-être que lui, il ne connaît pas cette tendresse.
- Donc maman, cela veut dire qu'il ne pourra pas être Président, ni Ministre, encore moins un Député ?
- Hay !!! Bien sûr que si. Cela n'a aucun rapport. Quand tu veux réussir dans la vie, tu te bats toi-même pour y arriver. Cela ne dépend pas de ta richesse ni de tes proches. Beaucoup de Présidents et de Ministres que tu vois aujourd'hui étaient des pauvres et vivaient dans des maisons rustiques. Leurs parents n'étaient pas nantis. Ce n'est pas aussi parce qu'on vit avec un handicap physique ou mental qu'on ne va jamais réussir dans la vie. Tout est question de volonté. Il n'y a que le courage, la foi et le dur labeur qui paient.
- Donc je vais me battre sans relâche pour devenir le Président du Sénégal, comme ça je pourrai t'emmener à la Mecque.
- Amiine waay !!! Que le Bon Dieu exauce tes vœux. Mais sache une chose aussi : réussir dans la vie ne veut pas forcément dire être Président de la République ou Ministre. C'est des postes qu'on acquiert d'habitude très tard et ça ne dure pas longtemps. Ta vraie réussite sera ce que tu feras par toi-même, ce dans quoi tu t'exerces et qui te passionne profondément. Personne ne viendra te l'arracher parce que c'est dans toi, dans ton cœur. Pourvu que ça soit licite, c'est-à-dire accepté par la morale collective. Tu peux être un Directeur, ou bien être un employé avec un bon salaire et vivre aisément.
- Mais, moi, je ne sais pas ce que je veux faire après, quand je serai grand. Donc cela veut dire que je ne vais pas réussir ?
- Ha ha ! Toi, déjà, avec tes questions, tu seras sûrement un avocat ou un policier enquêteur. Non, tu ne peux pas savoir exactement ce que tu veux faire dans le futur, tu es encore trop jeune pour le savoir. Tu vas découvrir d'autres choses qui t'intéresseront plus que ce que tu avais envisagé de faire dans le passé. Laisse le temps faire les choses, mais quand même, ne néglige pas tes études, elles sont prioritaires et la richesse viendra à point si Dieu le veut InchAllah.
- Je vois maman. En tout cas, j'aimerai être riche comme ceux qui ont de belles voitures. Il y a une camarade de classe, Saly, elle, parfois c'est une belle voiture qui l'emmène jusqu'à l'école et vient la chercher à la descente.
- Ne te préoccupe pas de ce que les autres ont comme richesse ou autre, contente-toi de ce que tu as. N'estime personne, et non plus, ne sous-estime personne. La Loi Divine est ainsi faite. Ne t'approche même pas de ce qui ne t'appartient pas, encore moins le prendre. Reste humble et respectueux envers toute le monde, pas seulement avec les vieux, mais même envers les enfants. Il faut éviter les fréquentations en à jamais finir, il y a parfois des mauvaises personnes qui font semblant d'être des amis alors qu'elles ne sont là que pour leur propre intérêt, pouvant ainsi te nuire.
- D'accord maman. Et dis-moi, que voulais-tu devenir quand tu étais une jeune fille ?
- Qui moi ? Une femme d'affaires. Mais, malheureusement, je n'étais pas trop brillante. Je ne faisais que créer des histoires en classe avec mes camarades. J'étais trop belliqueuse.
- Ha ha ha ! Waa Yaye ! Pourquoi ? Toi, une bagarreuse ? Je ne te crois pas du tout ! Ha ha haa !
- Waa ! C'est normal. Maintenant, je suis une grande dame c'est pourquoi je suis devenue plutôt calme et sereine.
- Et j'imagine que tu fatiguais trop grand-mère, Mame Coumba.
- Qui ça ? Ma mère ? Elle m'emmenait jusqu'à la porte de la classe et venait me chercher à la descente très souvent.
- J'imagine.
- Même à la maison, je me battais souvent avec mes frères. J'étais une vraie rebelle. Pour un rien, je pouvais te lacérer la peau sans gêne.
- Te voyant aujourd'hui, on pense que tu étais une poltronne.
- Chaque chose a son temps. Mon comportement quand j'étais enfant n'était peut-être pas ma vraie personnalité. Ce que je suis devenue aujourd'hui est ma vraie nature.
- Diary aurait dû être comme toi maman. Elle ne tient rien de toi.
- Laisse-la tranquille. Elle saura se défendre à sa guise.
- Moi en tout cas, j'aimerais être comme toi si j'étais une fille.
- Ha ha ! Salim, tu vas me tuer. Mais non, on peut vouloir être comme quelqu'un d'autre même si cette personne est de sexe opposé. Il n'y a pas de qualité ou défaut spécifique à l'homme ou à la femme. Tu peux te dire que tu dois être courageux comme ta maman, ou bien Diary peut se dire qu'elle veut être comme Papa pour telle ou telle raison. L'essentiel c'est qu'il faut copier les bonnes attitudes. Être ta maman ne veut pas dire que tu ne seras jamais mieux que moi.
- Comment est-ce possible ?
- Tu m'étonnes vraiment. Mais c'est simple. Je peux t'interdire ce que je faisais moi, non pas parce que je suis injuste, mais c'est tout simplement parce que c'était mauvais et je ne veux pas que tu fasses la même chose. Je t'inculque tout ce que faisais de bien, de ce fait, tu auras plus de chance que moi à être une bonne personne.
- Ça aussi c'est vrai.
- Voilà. Tu entends mieux alors.
- Parfaitement.
Nos discussions étaient vivantes lors de nos excursions au marché de Thiaroye. Nous allions très souvent là-bas pour nous approvisionner en marchandises telles que des mangues, des oranges, de l'arachide, et consort. Elle vendait un peu de tout : des produits pour nettoyage et lessive, et des poissons au marché central. Je l'assommais avec mes mille et une questions. Elle répondait à certaines, et faisait semblant de ne pas m'entendre pour d'autres.
Vous convenez avec moi alors qu'elle m'avait tout appris. Ses leçons me réconfortaient et me donnaient du cœur. L'école ne suffit pas pour nous faire connaître le vrai enseignement de la vie. Elle ne nous inculque pas les tenants et aboutissants de nos valeurs ni de la morale sociétale. Ni le savoir-vivre dans toute sa globalité. Le foyer nous enseigne l'intelligence, et l'école la connaissance. La jeunesse d'aujourd'hui sombre dans l'ignorance ignorée, le cadre social dépourvu d'authenticité et de son essence.
Sa voix résonnait toujours dans mon esprit avec un vaste écho illusoire.
Tu ne veux pas devenir Président ou bien Ministre, comme ça je te verrai tous les jours ? Et ainsi, tu pourras construire une belle maison pour nous et m'emmener à la Mecque ?
Bien sûr que si, maman. Hélas, je ne saurai jamais tenir ma promesse, sans conteste. J'aurai dû être Président, Ministre, ou autre, et très tôt. Et tu savais que je ne le serais jamais devant tes yeux. Nos souhaits se sont trahis, l'heure sonna sans une seconde de plus ni de moins.
Diary est ta jumelle, tu dois partager avec elle tout ce que tu auras.
Je ne compris le sens de ces mots qu'à cet instant où Diary se jeta à mon cou, sanglotant et oubliant ainsi le jumeau qui était son ennemi juré. Maman avait vu ce moment sans m'en dire on ne peut plus clair. J'étais toujours assis sur le lit, les jambes croisées comme un disciple de Bouddha en pleine méditation, les yeux fixés dans le vide.
Il fallait désormais prendre en main son propre destin, tirer profit des enseignements et des conseils de ma mère. Donc, avait-elle accompli sa mission envers ma personne. Elle était là pour moi, et partit sur la pointe des pieds. Dans un silence absolu. Diary était ma jumelle ; je venais d'en avoir le cœur net. La tendresse naquit et la haine disparut dans le désert de l'oubli. Nos ombres s'enlacèrent, et le sourire rassura. L'amitié se rajeunit de ses plus belles formes, mais la tristesse était passagère. Nous devînmes, dès lors, les vrais jumeaux, tel que la société l'avait conçu et tel que maman l'avait convoité.
Ceux qui ont très tôt perdu soit leur papa, soit leur maman, ou bien les deux à la fois, on les appelle des orphelins. Il est formellement interdit de leur causer du tort ou les maltraiter.
Je devins orphelin. Diary implorait protection, maman avait présagé ce jour. Ma situation s'empira, je maigris furieusement le jour-même, visité par une spontanée forte fièvre. J'étais en sueur, j'avais peur ; et je savais pourquoi à cet instant. J'avais peur d'affronter seul, et si tôt, la vie. Le hasard me sourit, et les portes de l'horizon s'ouvrirent. J'étais en face de ma destinée aux issues compromettantes.
Ce jour résume ma jeunesse. C'est un jour qui a bien existé, et vous donne la nette conviction que, quoique sommes-nous heureux, la surprise peut surgir d'un instant ou d'un autre ; quoique sommes-nous malheureux, des personnes qui nous aiment nous auraient tenus en liesse. On se détruit à petit feu, car nous refusons d'apprendre des aléas de la société, nous nous recroquevillons dans notre restreinte sphère. La communauté nous apprend à survivre où à mourir, et à exister. La société agit à sa fantaisie.
Mais la vie continue, et le passé n'offre que regrets, leçons et bonne prise de conscience. On s'accroche aux études, elles offrent la félicité chez certains. D'autres se fraient un autre sentier de délivrance.
Ta vraie réussite sera ce que tu feras par toi-même, ce dans quoi tu t'exerces et qui te passionne profondément. Personne ne viendra te l'arracher parce que c'est dans toi, dans ton cœur.
Chaque phrase me revint à l'esprit avec une prise de conscience de son essence. Et la vie reprend son chemin. Saly ne reçut jamais le lettre. Nos bonnes relations durèrent pour un moment assez long. Les souvenirs prirent place, et les blessures se cicatrisèrent.
Loin d'être un dénouement, chaque événement de la vie nous sert de flambeau pour notre destinée. De nouvelles rencontres surgissent dans notre existence. Ainsi, nous allons de charybde en scylla. La société nous réserve d'autres épreuves qu'il faudra subir ; d'autres personnes qui vont à la fois chambouler et réajuster notre quotidien.
Et notre odyssée ne fait que commencer.
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