Chapitre 12
Raby ne put parler pendant une bonne minute avant d'avancer finalement :
- Ton papa a mis au courant mes parents de ce que tu as fait, dans les moindres détails, précisant que c'est à cause de mes photos que je t'ai offertes. Ils m'ont demandée, ainsi, si on entretenait une relation. Je leur fis que oui.
- Ah bon ? fis-je. Et qu'est-ce qu'ils ont dit après ?
- Qu'il faut en arrêter là. De rompre notre relation, sinon ils me feront subir tous les supplices du monde.
J'eus l'impression que mon sang était glacé. Mince ! Raby parlait toujours, étant obligée d'avouer à ses parents tout ce dont ils ne se doutaient guère. J'avais eu vraiment de la peine pour elle, elle ne connaissait pas, peut-être, ou n'a-t-elle jamais connu ce que c'était la tristesse, ni la désolation, encore moins n'eut-elle jamais été très malheureuse comme elle le semblait en ce moment. J'avais pitié d'elle, de la souffrance interne qu'elle devait ressentir, ce qui me fit plus mal, et non notre relation qui allait se rompre. Désormais, il n'y avait que les bonnes nouvelles qui me surprenaient, c'était devenu une évidence journalière, pour ne pas dire une routine, ce qui se serait considéré comme une exagération. Son chagrin était incommensurable, sa voix hoquetait quasiment et ses mots entrecoupés. Je ne l'interrompis pas, la laissant se vider de son mal jusqu'à ce que je sentisse qu'elle s'était tue.
- S'il te plaît, calme-toi, lui dis-je. Toutefois, je pense que c'est la meilleure solution, ce que tes parents t'exigent. Il serait insoutenable pour moi de te mettre en mal avec eux. Arrête de pleurer, s'il te plaît. J'ai fauté, et j'en assume l'entière responsabilité.
- C'est moi qui suis désolée, fit-elle. Je ne t'ai pas porté chance depuis qu'on s'est connu.
- Que des balivernes ! Arrête de dire des bêtises. Ne te reproche d'aucun mal dont tu n'es pas sujette. Mais sache que tu fais partie de moi, tu seras une amie et une confidente pour moi, même étant obligés de nous conformer à notre sort.
- Oui, Salim, je te le promets.
Nous nous quittâmes ainsi, ce jour-là, dans un état d'âme malencontreux. Ce qui était écœurant est que mon oncle Mamady avait triomphé, quelle que fût la situation dans laquelle je l'avais entraîné. Sophie rentra dans la chambre, au moment où je souffrais de mon remords ; elle tenait un plat de mets, toute souriante et dans une bonne mine qui s'était formée dans l'instant même. Désormais habillée en mini-jupe noire et d'un tee-shirt rose collés à sa forme, et parée à son cou d'une chaîne argentée avec une croix de Jésus, sa démarche trahissait son naturel. Mais je ne voulais sembler, en rien, être enchanté par ce nouveau personnage, me contentant de lui adresser un sourire bienveillant et courtois.
- Vas-y, mange bien, mon cher, comme un affamé, taquina-t-elle.
Mais remarquant que j'avais la mine un peu triste, elle enchaîna :
- Quoi ? Tu ne te sens pas à l'aise ici ?
- Non, il ne s'agit pas de ça, répondis-je. Raby vient de raccrocher avec moi...
Et je lui fis part de la nouvelle. À ma grande surprise, son visage s'illuminait, son regard devint rayonnant et scintillant telle une matière astrale. Ce même regard que m'avait porté Saly. Ce même regard de Raby. Tout devint, alors, clair dans ma tête.
- Oh, je suis vraiment désolée pour toi, me dit-elle, d'une voix dont je sentis une hypocrisie flagrante. Elle doit se sentir on ne peut plus mal. Et dire que tous vos sacrifices n'ont rien servi ! Que le destin a bien des caprices compromettants ! Mais, il faut savoir une chose, la nature même n'est pas stable : le vent et la mer se meuvent dans des directions aléatoires et parfois imprévisibles. La vie humaine en est de même. Elle nous réserve des surprises qui sont parfois à l'encontre de nos attentes.
- Tu recommences tes prêches ! me moquais-je d'elle.
- Haha ! ricana-t-elle. Tu veux railler. Termine d'abord ton mets. Justin revient bientôt. Il est allé jouer chez un ami.
- D'accord.
Justin revint quelques instants après et me trouva en train de prier. Dès que j'eus terminé, on entama la discussion et il me demanda soudain :
- Dis-moi, que signifient les paroles magiques que vous récitez quand vous priez ?
- Ha ha ! Justin, toi aussi, comment peut-on poser ces genres de questions ? fit Sophie.
- Pourquoi pas ? Il a juste besoin de savoir, retorquais-je. Voilà, Justin. En fait ce sont les sourates du Coran qu'on récite. Le Coran, tu connais ? ... C'est, comme l'Evangile, le Livre Saint révélé au Prophète Mohamed qui se chargea de transmettre le message à sa communauté. Bref, c'est une longue histoire...
- Je connais beaucoup de cette histoire, dit Sophie.
- Ah bon ? fit Justin. Et pourquoi tu ne m'as pas conté ça ?
Et ça discutait. Et ça riait à tue-tête, jusqu'à la tombée de la nuit. Cette journée me parut interminable et j'oubliai, à cet instant, mes soucis qui m'avaient presque moralement abattu. Nourou et Sophie semblaient m'être plus proches que ma famille même.
Mon oncle était mort ou vivant ? Je ne savais pas, n'ayant aucune nouvelle depuis le coup de fil de papa. Toute ma vie semblait s'être réduite à cercle restreint d'amitié, car j'avais trouvé, ce jour-là, le salut en elle, quoique péniblement. Que devaient ressentir Mariétou et Diary ? Aucune idée de leur tristesse ou de leur haine que je ne saurais me délibérer. Je regrettai, certes d'avoir commis cet acte ignoble.
***
Le lendemain, tôt la matinée, Sophie vint dans la chambre et me trouva déjà éveillé – enfin, à peine fermé l'œil, l'esprit très préoccupé, la pensée cauchemardesque qui me hantait dans cet instant nocturne. À maintes reprises, je feuilletais lentement quelques pages de L'Assommoir jusqu'à avoir la vue floutée. Justin dormait à côté, d'un sommeil paisible et dans une seule position quasiment toute la nuit.
- Bonjour Salim, me salua Sophie. Tu n'as pas dormi on dirait ?
- Bonjour, pourtant si, répondis-je. J'ai l'habitude de me réveiller tôt, c'est pourquoi.
- Tu pouvais bien dormir encore. Ici, ce n'est pas très loin de l'école. Je fais le petit déjeuner avant d'y aller.
- D'accord, en attendant que je range mes bagages.
- Tu pouvais rester encore.
- Quoi ?! Non, merci quand même. Je dois rentrer à la descente.
Nous nous mîmes en route, avec Justin qui était en classe de troisième dans un collège au Point E. Une fois arrivé à l'école, Nourou semblait très étonné de me voir arrivé avec Sophie, mais ne me posa pas de question, se disant peut-être que nous nous étions croisés en cours de chemin. Remarquant, cependant que mon sac était aussi chargé que la veille, il me demanda lentement à l'oreille :
- Dis-moi, Salim, tu n'étais pas rentré à ce que je vois ?
- Je t'expliquerai à la pause, répondis-je.
- Hum, d'accord, fit-il.
C'était un lundi, et un jour parmi les plus chargés en emploi du temps, les cours étant prévus de 8h00 à 17h00. Et si j'ai bonne mémoire, il était ainsi programmé :
8h00 – 10h00 : Informatiques Appliquées
10h30 – 12h00 : Management
13h00 – 15h00 : Comptabilité Générale
15h30 – 17h00 : Algorithmiques et Langages C.
Je ne savais pas si je pourrai assister tous ces modules toute la journée, mais cette absence d'envie de rentrer fit que je décidai finalement de rester jusqu'à la fin. Sophie et moi étions assis côte à côte, tout à fait devant, près de la table du professeur qui, d'ailleurs, ne tarda pas à arriver qu'avec sa machine à la main.
Le cours se passa comme à son climat habituel, plus ou moins technique, pas très interactif. C'était quasi évident, des notions préliminaires que nous tous - peut-être - venions de découvrir. M. Diallo, notre professeur d'informatique, n'éprouvait pas trop de difficultés pour nous faire ingurgiter tout l'essentiel et les bases fondamentales qu'il voulait qu'on acquière. Il avait un caractère strict, la plupart du temps ; ainsi, les " perturbateurs de derrière " restaient indifférent et se concentraient à peine, mais restaient toutefois, aussi muets que sourds aux explications.
Le cours de Management faisait partie de mes favoris, non pas parce que c'était intéressant, mais l'ambiance vivante et la pédagogie sans faille du professeur, M. Mbaye. Ce qui me réconforta un peu ce jour-là, et je remarquais que Sophie s'en réjouissait, de même que Nourou qui était assis avec Yacine, la plus grande perturbatrice qui, pourtant se dispute les places du devant.
À l'heure de la grande pause, nous nous rendîmes à la Maison des Étudiants de l'école en attendant le prochain cours. Et là, j'expliquais à Nourou que j'étais finalement allé chez Sophie.
- Hum ! Je me disais bien que tu n'étais pas rentré, fit Nourou. Mais c'est sûr ça ? Renchérit-il.
Sophie éclata de rire. Moi idem.
- Quoi ? Je suis morte de rire. Tu penses qu'on va faire quoi ? fit Sophie, en rigolant et jetant sur moi un bref coup d'œil complice.
- Ah ! Je ne dis rien, moi, ricana Nourou.
- Haha, tu n'es pas sérieux, dis-je.
Ainsi, nous parlions du problème. Au fond de leurs dires, ils me reprochaient toutefois d'avoir mal agi, que c'était pas du tout la solution qu'il fallait. Il s'agissait d'une question de vie et de mort et de mon avenir que je pourrais enliser dans le pétrin en une fraction de seconde. On aurait dit qu'ils s'étaient ligués pour me dire la vérité telle qu'elle était et devrait être dite. Leurs remontrances furent un peu amères à mon égard, mais il ne fallait pas les prendre mal car quiconque les aurait entendus saurait que c'étaient de sages vérités. Ma poitrine se gonfla sensiblement sous l'effet du regret.
- Tu as failli ôter la vie à ton oncle juste à cause de simples photos, renchérit Sophie. Excuse-moi, je ne veux pas dire simples photos, mais ce n'était pas une raison de s'en prendre ainsi. Je sais que tu as bon cœur, mais il faut juste savoir garder la tête froide.
- Remercie Allah plutôt de n'avoir pas eu des oncles aussi chiants et tyranniques comme les miens, répartit Nourou. Tu as vu comment il m'a rabroué hier dans la cour, non ? Mais j'y suis habitué et il ne me fera jamais craquer.
On marqua une petite pause avant que je puisse enfin sortir de ma torpeur. Je m'excusais solennellement. Après quoi, on reprit notre climat jovial et faillit être en retard à l'heure du cours de 13h00, ne remarquant pas le temps filer. Les autres cours s'étaient déroulés comme à l'accoutumée, épuisant parfois. La classe formait un puzzle de groupes d'amis avec plus d'une dizaine de nationalités à savoir : congolaise dont Ursula qui s'asseyait derrière notre table avec Élisée, le togolais ; gabonaise dont Kevin ; Rakiatou, la malienne de souche ; Ayan, la djiboutienne ; Sébastien, le tchadien ; Anderson et Patricia, les deux ivoiriens ; Emmanuel, le béninois ; Rizla, la comorienne ; Hamidou, le guinéen de Conakry ; Josias, le burkinabé ; et le reste étant de nationalité sénégalaise. Patricia et Anderson venaient fréquentaient très souvent et vinrent en complément du trio qu'on s'était formé naturellement. Mais à leur présence, l'on ne parlait pas de notre vie intime. Ce jour-là, Patricia me trouvant plutôt calme que d'habitude, elle me demanda si tout allait bien. Je lui répondis que oui, que c'était juste la fatigue.
- Tu es sûr ? insista-t-elle.
- Sûr comme je sais qu'il fait jour actuellement, retorquais-je.
- D'accord. En tout cas, tu es un peu morne aujourd'hui.
Je me contentai d'un léger sourire seulement, pour ne pas étayer la discussion, mais sans amertume.
J'éprouvais une vive émotion en rentrant à la maison ce jour-là, ayant, quelquefois, de mauvais pressentiments. Sophie et moi nous étions séparés à l'arrêt bus, et un vide total m'envahit à la seconde qui suivit. Une légère sueur perlait mon visage graduellement sous l'effet de la chaleur et du stress.
Nous étions au mois de novembre 201... Le climat hivernal laissait embaumer dans l'air ses dernières odeurs de chaleur humide. Le ciel présentait, néanmoins, cette clarté d'azur et des nuages d'une blancheur écarlate de neige. Des hordes d'oiseaux voltigeaient çà et là, dans leurs chorégraphiques spectacles qui exprimaient une liesse humaine. Le bus était bondé de passagers et bruyant mais mon ouïe semblait se perdre dans un bourdonnement assourdissant.
Il faisait déjà un peu tard quand j'arrivai, trouvant la maison calme et semblant vide. Je m'introduis dans le salon où je trouvai grand-mère et ma tante Fama, agitant l'éventail à la main. Tandis que ma tante se contenta de me saluer froidement sans même me regarder ni en rajouter un mot de plus, grand-mère ne fit même attention à ma présence, se retenant de me rendre salut. Il n'était pas alors nécessaire d'ajouter mot, car tout ce que je dirais pourrait être retenu contre moi. Mieux valait m'en aller tranquillement dans ma chambre ; je croisai Diary dans la véranda qui me salua, à son tour, très froidement. Un rêve ? Absolument pas, rien de tel. Père était à l'hôpital avec mon oncle Mamady. Je savais qu'il ne me ratera pas à son retour, mais je m'étais psychologiquement préparé à encaisser ses sermons et injures.
Tout se passa comme je l'avais présagé. Mon père ne m'a pas manqué avec ses remontrances, mais ne leva pas la main sur moi. Il n'y était pas habitué, à ces genres de violence. Depuis le décès de maman et de mon accident avec Karim, il était plutôt tendre avec moi, plus qu'auparavant. Grand-mère, comme ma tante Fama, ne m'adressèrent pas la parole presque pendant une bonne semaine. Mon oncle Mamady était sorti de l'hôpital trois jours après, le mercredi soir ; et imaginez combien j'avais honte de le voir marcher péniblement avec des béquilles.
Mais les jours passèrent, et tout se remettait comme avant. Mon oncle s'était rétabli et se tenait confortablement sur ses deux jambes. Il devint, toutefois, moins haineux à mon égard et nous nous parlions très souvent. Et ce climat me permit d'avoir un nouvel élan.
Je commençais à avoir un peu rarement des nouvelles de Raby, mais pas plus que celles de Saly qui m'écrivait au moins tous les deux ou trois jours. Dans les mois qui suivirent, je ne vis pas de problèmes majeurs et cela impacta favorablement sur mes études. Il m'arrivait de passer une nuit entière à coder un exercice de site web avec le module de HTML - CSS ; quelquefois, un exercice de projet d'Algorithmiques et Langage de Programmation C ; d'autres fois, des travaux pratiques sur le cours d'infographie. Et ça roulait à merveille. Mais les nuits me hantaient à cause de cette peur de voir ce bonheur s'écrouler en pleine festivité. Je redoublais d'efforts sur mes pratiques religieuses, ce dans quoi je ne me consacrais pas trop de temps auparavant. Les péchés eurent été un fardeau invisible en mon âme, et tout semblait m'être débarrassé jusqu'à un jour, à l'approche des examens du premier semestre, où je tombai gravement malade.
Ce fut un vendredi matin. Au réveil, une forte nausée m'envahit, une sensation amère et âcre dans ma bouche, des maux de tête, des maux de ventre terrifiants. Autant de symptômes qui laissaient entrevoir un état dégradant de ma santé. Malgré la fraîcheur climatique qu'il faisait, la sueur se faisait sentir. Mais tout cela n'était que chimère, me disais-je. Je pris un bain, comme de coutume, et cela adouci un peu ce bref malaise.
Ce fut un vendredi matin. Nous avions, dans la première heure, à 8h00, le cours d'infographie. Pour rien au monde, je ne voulais absolument pas rater ce cours, vu qu'on ne notait presque pas avec le cahier et qu'on faisait plus de pratiques que de théories. Pire encore, le professeur, lui-même, se moquait de ceux qui notait sur leur bloc note tout ce qu'il expliquait oralement. C'était, d'une part, marrant, mais difficile comme méthode car on pouvait oublier, et très souvent, ses explications dans les minutes qui s'en suivirent. Il n'y avait qu'une seule et unique solution : se concentrer, non pas en ouvrant grand les yeux, mais en essayant de tout capter à l'esprit. L'effort psychique. Bon, revenons-en au fait. Durant les trente premières minutes, j'étais physiquement et moralement présent, quand, tout à coup, la vue devint floue et je ressentis, derechef, cette même nausée de la matinée. Alors, je fus fort convaincu que cela ne pourrait aller, qu'il fallait mieux rentrer sans délai. Je vins voir le professeur et lui soufflai à l'oreille que je ne me sentais pas bien.
- Ah bon ?! fit-il. D'accord. Mais patiente un peu.
Il ne comprenait pas alors ce que cela voulait dire être malade ? Sans même prendre la peine d'insister ou d'expliquer en détails d'où est-ce que j'avais mal – ce qui ne valait pas la peine d'ailleurs –, je rangeai tranquillement mes affaires et quittai la salle sans me soucier de ce que pensaient ou disaient mes camarades, encore moins le prof, nonobstant j'entendais des murmures. Sophie était assise à côté de moi, mais je n'avais pas pu lui dire que je ne me sentais pas bien, ni même le pourquoi je rentrais si promptement sans lui souffler mot.
J'avais peur de vomir dans le bus. La fièvre s'intensifiait et mes jambes s'alourdissaient. Mais un instant après, je somnolais profondément sur mon siège. Arrivé à la maison, je me jetai sur le lit, comme terrassé par un rude labeur. La fièvre s'aggrava et la sueur torrentielle. Mon corps était quasi inerte, dépourvu de toute mobilité. À cet instant, quelqu'un posa une main froide sur mon front. J'ouvris les yeux et je vis Mariétou assise à côté, les sourcils froncés. Me voyant dans un tel état, mes larmes coulèrent incontinent car j'étais convaincu que les jours m'étaient comptés et qu'il ne m'en restait plus beaucoup. La mort était inévitable. Ce n'était pas cette peur dont il s'agissait mais de ses affres ; au regard de toutes les atrocités que j'ai commises, je savais que Dieu, Bon soit-Il, me fera payer ici-bas avant de m'accorder sa Clémence dans l'au-delà.
Mariétou alerta grand-mère et on me fit embarquer dans un taxi où je perdis connaissance. Au réveil, je me trouvais en oxygénation, relié par plusieurs tubes et allongé sur un lit d'hôpital. La vue devint floue aux premières secondes et s'éclaircit sensiblement. Une silhouette qui m'était familière s'approcha et se dressa devant moi : c'était Mariétou. Je voulais parler, lui demander où ce qu'on était et pourquoi j'étais immobilisé ainsi. Mon visage était fixé au lit par une sorte de capsule à oxygène, la main gauche perfusée. Et d'après Mariétou, il paraît que cela faisait quarante-huit heures que je dormais – où plutôt que j'étais en coma.
- Oh Salim, s'écria-t-elle ! Tu m'as fait peur. Tu me vois n'est-ce pas ? poursuivit-elle en agitant sa main devant mes yeux ; me voyant les cligner, elle s'assura que j'étais bel et bien réveillé. Un instant, je reviens. J'appelle l'infirmier.
Elle revint avec un monsieur d'une forte corpulence, en blouse blanche et un stéthoscope autour du cou. Ce dernier approcha son visage du mien comme pour scruta mon âme et consulta un petit écran à fond noir que je n'avais pas remarqué jusque-là. Ce dernier affichait des zigzags à fréquences irrégulières et multiplies. L'odeur de l'oxygène qu'on me faisait respirer me semblait tout sauf naturelle mais ne donnait aucun dégoût. La pièce était fortement éclairée et on pouvait voir chaque coin et objet avec une déduction inéluctable que j'étais alité. Mariétou me souffla à l'oreille que j'avais de la visite. Sophie et Nourou apparurent au même instant, d'une haleine vivante et le sourire réconfortant. Comment ont-ils su que j'étais à l'hôpital ? Peut-être qu'ils avaient appelé sur mon téléphone et que Mariétou les avaient informés. Depuis que j'avais perdu connaissance dans le taxi, le vendredi, c'est au surlendemain que je me m'étais réveillé, c'est-à-dire le dimanche à 12 heures environ. Ils sentaient une certaine gaieté sur mes yeux en les voyant, me tinrent compagnie quasiment toute la journée jusqu'au soir avant de me quitter, me promettant de revenir le lendemain.
Papa était venu ce jour-là, en compagnie de ma tante Fama et de mon oncle Mamady. Mais ils rentrèrent le soir aux environs de 20 heures. Mariétou, par contre, était la dernière à rentrer et la première à revenir le lendemain, tôt le matin.
Sophie et Nourou revinrent me rendre visite le lundi, en uniforme, aux environs de 15 heures. J'avais compris alors qu'ils n'avaient pas fait les cours de l'après-midi. Cela me gênait mais ne savais pas comment leur dire. Et il en était ainsi presque pendant toute la semaine : soit c'était le matin, soit le soir. Au final, leur présence me réconfortait mais j'étais convaincu que leurs heures d'absence haussaient, et ceci par ma faute. Quoi ! Je dis du n'importe quoi. J'étais toujours obligé, sans mon propre gré, de partager mon malheur avec ceux qui me sont très proches et cette fois-ci, c'était au tour de mes fidèles amis.
Enfin, la capsule d'oxygène m'avait été retirée et je pus humecter l'air frais. Mariétou était toujours à mon chevet s'occupant de mes moindres besoins. Un jour, je sentis une certaine gêne sur son visage vis-à-vis de Sophie, mais je ne souhaitais pas que cette dernière s'en rendit compte.
Grand-mère et mon oncle était venus deux fois me rendre visite ; papa, lui, et ma tante Fama, tous les jours.
J'avais quasiment séjourné deux semaines à l'hôpital avant de pouvoir enfin rentrer chez moi. C'était un samedi soir, en compagnie de Mariétou, de mon père, de même que mes deux qui n'ont pas manqué un seul jour de me rendre visite.
J'étais déterminé à revoir mes cours le lendemain, dimanche, et reprendre le chemin de l'école même, vu que nous étions à une semaine des examens. Sophie, Nourou, y compris mon père ont, tant bien que mal, essayé de me dissuader pour que je me repose encore pour quelques jours ; mais ce fut peine perdue. Il y avait, certes, les examens de rattrapage après la session normale, mais il me fallait tenter cette première chance pour, éventuellement, pouvoir évacuer certains modules. Néanmoins, cette semaine était consacrée aux révisions et on fournit tout l'effort possible pour se mettre à jour du mieux que possible. Nourou et moi allions chaque soir chez Sophie pour réviser ensemble et je fus, à cet effet, persuadé que j'allais m'en sortir.
Encore une fois, tout se passa comme prévu : les épreuves étaient favorablement à ma portée. Sauf pour la comptabilité. Toutefois, après les examens de rattrapage, j'obtins miraculeusement la plus importante moyenne. J'y avais cru – et pas seulement y croire – et donné le maximum d'efforts pour y parvenir. Nonobstant je n'étais pas physiquement rétabli, mais mon esprit fonctionnait à merveille ; ce qui fut, pour moi, une force chanceuse à exploiter pour réussir les examens.
À cet exemple, voici ce qu'il faut en retenir – et d'ailleurs, c'est ce que je dois retenir avec vous, chers lecteurs : parmi tant d'obstacles qu'on rencontre dans la vie, certains constituent une issue. Ni la paralysie, ni la cécité, encore moins les conditions de vie ne doivent pas constituer une barrière infranchissable pour acquérir de la lumière. Or, tant que nous jouissons d'une bonne faculté mentale, il ne nous est demandé qu'un brin d'engagement et de foi pour notre réussite. Autres détails : s'entourer de personnes qui sont dans la même longueur d'onde que soi, tout en souffrant, toutefois, vos diversités humaines.
***
Mes trois années à l'ISM m'ont été prodigieuses, des années qui m'ont permis de me forger, d'acquérir des connaissances et des compétences fondamentales pour mon avenir professionnel. J'avais participé à diverses compétitions, passant des nuits entières devant la machine à coder ou à concevoir des supports d'infographie.
Raby avait obtenu son baccalauréat mais fut orientée à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis. Néanmoins, nous avons solidement gardé ce lien de cousinage sans pour autant mettre en avant ce qui nous liait plus profondément.
Mon oncle Mamady avait commencé à travailler dans une industrie de production de la place, et ma tante Fama s'est mariée à Tivaouane, avec un jeune marabout de la famille de la confrérie Tidiane. Ma jumelle Diary avait réussi son baccalauréat aussi, un an après Raby. Elle eut une bourse d'étude à Ensup Afrique et suivait une formation en Management des Ressources Humaines. Saly, elle, était revenue à Dakar pendant les deux grandes vacances. Mis à part cette beauté qui s'est accentuée, sa personnalité était telle que je l'avais connue et appréciée. Permettez que je ne la décrive pas, cette créature que j'ai connue gamine à grande fille. Un jour que nous étions allés nous balader au Monument de la Renaissance, elle me demanda des nouvelles de Raby ; je ne sus comment lui informer que j'étais en couple avec Sophie depuis ma première année, juste après ma maladie. Mais je ne pouvais pas lui cacher la vérité longtemps. Quelle fut sa surprise d'apprendre que Sophie était chrétienne. Cela était, pour elle, inconcevable. Étant convaincue que j'avais choisi de refaire un peu ma vie avec Sophie, elle y consentit malgré elle. Je me rendis compte que je m'étais fait un environnement romantique, une vie féerique où réside un prince convoité par une multitude de princesses. De là, je sus alors que j'ai franchi cette génération enfantine. Cependant, j'étais plus dans une posture estudiantine, me consacrant la plupart de mon temps à travailler m'exercer sur des projets ou à la lecture.
Et pour la première fois, je vais vous révéler une date. C'était le 7 juillet 2017. Le jour de la graduation de notre promotion dont le parrain était le Président fondateur Amadou Diaw. Je fus à la fois triste et soulagé, fier de moi-même et de Sophie et de Nourou. Une foule importante s'était rendue à la piscine olympique, parents et amis, cousins et frères, sœurs et voisins, tous au rendez-vous de l'événement où des fils et filles, frères et sœurs seront honorés. Je ne pus retenir mes larmes quand j'aperçus dans les tribunes mon père, mon oncle Mamady, ma jumelle Diary, et Mariétou, ma petite maman.
Nous répétions, en chœur, le serment. Et nous jurions de bien servir dans la dignité et l'honnêteté. Et là, je me rendis compte que tout était loin d'être fini, qu'une nouvelle phase de la vie s'annonce. Cette phase de la réalisation que Salim va vous conter dans les lignes qui vont suivre.
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