La patiente charogne
Quatre jours passés, je n'arrivais toujours pas à me remettre en évidence que l'homme de ma vie avait trépassé. Il m'était carrément impossible de réprimer ces larmes amères qui m'envahissaient les yeux qu'ils en étaient devenus gonflés et mon visage empreint de cernes. Depuis sa mort, je me levai très tôt à chaque petit matin pour venir acheter un ticket dans cette plage privée et je m'asseyais sur le sable pendant des heures en contemplant la mer le regard maussade, sans m'en départir. Qui d'autre était coupable de cette tragédie si ce n'était-elle, la mer ? Je me souvenais parfaitement des histoires suspicieuses que mon père me narrait avec tout le sérieux du monde, celles parlant de leurs esprits en conflit avec la mer ; ces paroles me revenaient dorénavant en boucle et je me surpris de commencer à les croire. Je m'en voulais à moi aussi de lui avoir suggéré de partir à la plage ; C'était comme si je l'avais involontairement conduit vers la mort et je me sentais comme une traîtresse. Et si ces vitres, à l'hôtel que mon défunt père avait réservé, ne s'étaient pas cassées ; il aurait été toujours en vie.
Le soleil était sirupeux et le temps se faisait beau, j'enlevai mes ballerines puis avançai vers la mer. Au premier contact avec l'eau, mon corps se vibra d'effroi ; je m'affaissai au sol et me mis à sangloter sans pouvoir me calmer. Un homme vint me tirer et me serra contre lui ; j'arrivai à le reconnaitre. C'était un gérant de la plage, il m'avait connue depuis l'accident et me soutenait beaucoup malgré que je me sois montrée très ordurière au début avec lui. D'ailleurs je l'étais avec tout le monde à ce jour ; ils m'avaient exagérément tarabustée. Ils m'interdisaient tous de monter dans l'ambulance qui acheminait mon papa. Comment avaient-ils osé me prohiber d'accompagner et d'assister mon père ? J'étais bien consciente qu'il était mort, j'avais au moins un reste de foi en Dieu. Mais je jugeais nécessaire de l'assister dans ces derniers moments pour me sentir bien et reconnaissante pour tout ce qu'il avait fait pour moi dans la vie. Je les avais traités de tous les noms d'oiseaux ces enfoirés sans cœur qui m'avaient prise de force pour m'empêcher de partir, quel était le souci que cela pouvait engendrer en échéance ? Je le repoussai brutalement sans l'intention préméditée et lui rassurai que j'allais bien. Je me dessablai puis pris congé de ce lieu de malheur, le cœur plein d'amertume. Je sentais un vide ineffable sur tout mon corps fébrile, je notifiai un amaigrissement important sur mon poids à ce petit intervalle ; bien que je n'aie rien mangé depuis cette catastrophe, la tristesse dont je faisais proie me tuait à petit feu et intérieurement je ne vivais plus. J'appris sommairement pour ses funérailles et il paraissait que l'inhumation avait été faite dans son village natal et qu'il y'avait, pour sa famille, un cimetière privé. Je ne doutais pas du repos paisible de son âme, j'aurais donné ma main à couper que notre seigneur l'ait agréé au paradis ; il était un fervent musulman, une personne qui prenait soin de n'heurter personne, quelqu'un de candide frôlant l'ingénuité ; je l'horripilais tout le temps avec mes insupportables caprices et pourtant jamais je ne me souvenais d'avoir eu droit à sa main. Qu'adviendrait ma vie désormais ? J'ignorais mais je savais bien que cela allait devenir très différent sans mon père, je me sentais orpheline à cent pour cent et ce sentiment devenait de plus en plus pesant. Je n'étais littéralement pas prête à ce coup ; mes pensées commencèrent à devenir sombres, noires. Je ne ressentais plus de culpabilité à mon égard, mais un sentiment d'avoir été la seule victime dans l'histoire ; car si cela se trouvait mon père, lui, était déjà au paradis. Je l'imaginais dans une tenue blanche en soie parsemée de rayures d'or pur. Et quant à moi, j'avais été impitoyablement abandonnée toute seule dans ce pays qui commençait à me paraitre étranger. J'essayai d'éconduire ces pensées injustes ; je me devais de me montrer forte. Le taximan me fit une tape pour me faire signe que l'on était arrivé ; je descendis et j'aperçus une silhouette qui ne m'était pas inconnue même si sa tenue la trahissait Elle s'était mise dans un boubou très ample avec un voile qui lui serrait péniblement la tête. D'un geste saccadé, elle avança vers moi le visage terne et les yeux embués de larmes et me fit une accolade.
- Hawa, comment t'as fait pour connaitre chez moi ? Lui demandai-je la voix entrecoupée
- Le directeur m'a donnée ton adresse quand je suis parti lui demander de tes nouvelles ; Depuis ton premier jour de classe je ne t'avais plus revue. J'ai appris la tragédie, Mariana ; j'en suis très navrée je t'assure.
Cette fille était un ange, dans son regard elle était plus consternée que moi ; au final c'était moi qui essayais de la réconforter en la prenant entre mes bras. Elle sortit dans un sachet qu'elle tenait dans sa main deux cornets de glace qu'elle m'avait dite avoir acheté au cours de chemin pour nous deux. D'après elle, la crème au chocolat était capable de réparer les peines du cœur et que c'était pratique. Je me mis à rigoler nerveusement de cette conjecture assez drôle ; Peut-être que la crème glace pouvait effacer la tristesse d'un enfant qui s'est fait chicoté par ses parents ou une fille qui a été victime d'une trahison par son amour de jeunesse. Mais pour mon cas, il s'agissait de la perte d'une personne d'un être qui m'était cher, qui représentait le monde pour moi. Il n'y avait rien qui pouvait m'épargner de cette affliction peut être le temps. Peu importe mes pensées absurdes, j'avais beaucoup apprécié ce geste qui témoignait sa grande empathie envers moi. Je la fis entrer chez moi et nous longeâmes le couloir pour prendre les escaliers. Avant d'atteindre le fond du couloir, je fus heurtée par un bruit d'éclat de rires qui provenait du salon ; je restai figée d'angoisse. Depuis la veille, la maison n'avait rien d'une atmosphère funèbre ; on aurait imaginé que c'était un mariage qui se préparait. J'entrai dans le salon et je vis ma mère assise en croisant indécemment ses jambes dont sa jupe courte moulait et son rajout de cheveux en extinction qui lui arrivait jusqu'au giron qu'elle renvoyait en désinvolte derrière elle. A côté d'elle des femmes à la même stature qu'elles se trouvaient et quelques hommes aux yeux brillants de perversité animaient les lieux de balivernes. Je me sentis très indignée, décidemment ma mère n'avait aucune tâche de scrupule dans son corps ; comment pouvait-elle se permettre cette ignominie ? Avait-elle réellement aimé mon papa ? Je m'en douterai fort sinon l'on ne pourrait pas se permettre tant de bassesse. N'importe quelle veuve serait, dans ces circonstances, anéantie et plongée dans une profonde réclusion. Pour sa part, elle n'avait rien d'une femme qui venait de perdre son mari ; je me rappelais le soir où j'étais venue lui annoncer en pleurs que mon papa s'était noyé , d'une voix indifférente elle m'avait simplement questionnée en me disant « Il n'a pas été sauvé ? » ; j'en restai bouche-bée face à sa réaction que je jugeais très arrogante et neutre et si j'avais force de lui rétorquer, elle aurait regretté le jour où elle m'avait donnée vie ; j'émis quelques jurons et j'avais décidé d'aller me morfondre toute seule.
- Mariana, viens saluer mes amis, me dit-elle d'une voix assez gaie
« Tes amis ? Ils n'ont qu'à aller se faire voir» avais-je envie de lui crier ; mais dans ces moments j'évitais toute confrontation mais en aucune façon je ne pensais l'obéir. Quoi ? A mon avis, j'avais lieu de croire que je ne devais octroyer aucun gramme de respect à ces personnes qui n'en avaient une bribe pour mon père. Cette maison, à la dernière information, appartenait à mon papa ; Et dans les normes les plus évidentes elle devait ressembler à un lieu de deuil car son propriétaire avait quitté la terre. Je rebroussai chemin en rejoignant Hawa puis nous partîmes dans ma chambre. Je n'imaginais pas une seule seconde si elle n'avait pas été là en ces moments, sa présence m'avait faite tant de bien. Avec ses anecdotes ; j'étais prise de temps en temps à faire de fous rires. Et tantôt, une partie de moi me ramenait à la réalité et je me sentis traîtresse de m'égayer alors que cela ne faisait même pas une semaine que j'avais perdu mon papa. Finalement, elle décida de prendre congé et me promit de repasser le lendemain ; je la remerciai sincèrement et la raccompagnai jusqu'à la porte. En revenant, je croisai ma mère qui me bloquait le chemin en me fustigeant colèreusement du regard les deux mains jointes sur ses hanches.
- Si c'est pour me tancer, ce n'est pas le moment ; on peut reporter la discussion plus tard, dis-je en partant.
Elle me tint de manière incisive les cheveux puis me ramena devant elle tandis que je grognai de peine.
- Tu vas ouvrir grand tes oreilles et m'écouter religieusement. Je ne suis pas ton égal et en guise de rappel, C'est toi qui est sortie de mon trou et non pas moi du tien ... affirma-t-elle en me désignant du doigt son sexe... Mais qu'est-ce qui te prend à manifester tant de dédain à mon égard ? Tu as intérêt à me respecter sinon je vais te tuer domoukharam*, articula-t-elle
J'eus peur et je me sentis indignée et prise d'un froid glacial. Je n'avais pas rêvé, elle venait de me lancer des menaces et m'avait bien traitée de batard. J'acquiesçai pour lui signifier que je l'avais bien ouïe ; dans notre tradition il a été toujours tenu d'avoir des égards envers nos ainés et de penser en bien d'eux mais je devrais enfreindre cette loi en ce qui concernait la deuxième option : cette femme qui me servait de mère était une véritable chipie de la plus belle eau et je commençais à la détester sans le vouloir. Je partis dans mon dortoir en pleurant à chaudes larmes, je me rappelais quand j'avais ces genres d'afflictions ; je courais voir mon papa et il m'aidait à dissiper mes maux mais là je n'avais personne vers qui tourner. Je me levai et fis mes ablutions puis me mis à prier sans respecter les normes rituelles ; d'ailleurs je ne les connaissais pas toutes exhaustivement je n'avais été jamais intéressée par la religion que je jugeais assez rebarbative. Mon père m'y contraignait et toujours j'avais un prétexte assez capricieux pour feinter cette pratique ; là je regrettais amèrement. Pourtant j'avais la foi et je savais pertinemment que Dieu existait, qu'il pouvait écouter nos confidences même si rien ne lui échappait, et qu'il pouvait nous aider sans peine si ça lui chantait. Mais comment pouvait-il me venir en aide si je ne savais même pas faire le minimum. Je me laissai tomber sur le tapis en m'éclatant de sanglots je n'en pouvais plus, ceci était trop pour moi. Je me relevai puis suppliai à Dieu de me protéger et lui promis que dès demain j'irais demander à Hawa de m'apprendre beaucoup de choses sur la religion surtout les bases, elle qui est voilée.
Le lendemain, je m'étais réveillée tardivement environ vers 12h. Je trouvai dans mon couloir un homme en torse nu circulé aisément dans la maison en me dévorant du regard ; je n'en donnai pas beaucoup d'attention. J'entendis la sonnerie retentir en sortant, le gardien s'était déjà chargé d'ouvrir. Un homme que je reconnaissais de mon père venait d'entrer ; je l'avais connu en France, j'accompagnais mon papa souvent dans son bureau. Une femme vint couper net nos salutations, je me rendis compte qu'il était accompagnée de Sarah, ma tante. Je souris de joie, je partis la serrer toute extasiée. Je me relevai et je vis dans son regard l'indifférence ; je la relâchai puis elle soupira de soulagement teinté d'arrogance en demandant au monsieur d'un air désintéressé de l'accompagner à l'intérieur. Mon sang se glaça, je restai seul sous la voûte de la cour pour essayer de savoir si je n'étais pas dans un rêve ; ma tante qui était toujours très sensible et amène avec moi m'avait traitée à cet instant comme une vulgaire inconnue. Je les suivis jusqu'au salon et ma mère se leva rageusement du canapé d'où elle s'était couchée en tapant ses mains. Elles se regardaient en chien de faïence.
- Comment oses-tu poser à nouveau tes sales pattes de chez moi ? articula ma mère
- Chez toi ? Laisse-moi rire ; on verra si dans quelques temps tu tiendras ce discours. Si cela ne tenait qu'à moi je ne reverrais pas ta tête de nègre là, dit-elle d'une voix teintée de sarcasme.
J'étais toujours dans mon nuage et je n'arrivais pas à croire que la femme qui se trouvait devant moi était ma tante Sarah. Elle avait sans retenue un air de sadique, comme une guerrière prête à attaquer son adversaire et j'ignorai qu'elles s'étaient une fois rencontrées.
- Chères dames, je vous en prie de vous calmer. Je suis le notaire du feu Monsieur Docanto, et sa femme ici présente m'avait demandé le lendemain de sa mort de faire la lecture de son testament.
Elles daignèrent enfin s'asseoir chacune sur un canapé, éloignées en se jetant de regards pour s'intimider mutuellement. Je restai impassible debout, les bras croisés. Personne ne fit attention à moi, toutes regardant le notaire ouvrant nonchalamment une enveloppe.
- Moi Monsieur Moctar Docanto, en ce jour, je lègue tous mes biens à ma femme Madame Jeanne Sarah Ferrez Docanto...
Ma mère le coupa net en se levant enragée
- Vous mentez, monsieur ! Comment mon mari pourrait-il agir ainsi ? Je suppose que cette femme vous a fait honneur d'une nuit torride de sexe afin de vous corrompre.
- Haha, Joséphine ! Vous me faites rire, vous savez ? Tout le contraire de vous, je garde peu de pudeur. Je ne suis pas la traînée que vous, vous êtes. Et pour ta gouverne, ton mari n'a eu jamais confiance en vous. Il revenait toujours du Sénégal très exaspéré, il te soupçonnait de le tromper par les ambassades qu'il voyait sur ton téléphone et d'autres détails que je me garde de citer pour le peu d'estime que je garde pour ta fille. Et vu qu'il souffrait d'une tumeur très avancée au cerveau, il avait décidé de transférer tout son patrimoine en mon nom car à cette période ta fille n'avait pas la majorité et il me demandait de s'occuper de sa fille si la mort venait de le frapper. A ton avis, pourquoi ne t'avait-il pas demandée ce service ?
Mon papa avait une tumeur ? Jamais de la vie, il m'en avait touchée mot même s'il lui arrivait toujours de gémir et de glapir sans arrêt. Mais il me rassurait toujours que tout allait bien ; je l'avais cru à l'emporte-pièce pourtant cela devenait répétitif et je n'avais pas trop cherché à savoir. Je demandai à ma tante de lui parler en privé et elle céda d'une voix revêche. Arrivées dans le square de la maison, elle me toisa pendant des secondes d'un œil rempli de dédain.
- Bon tata tout d'abord je voudrais te dire que je n'ai aucune envie de rester dans cette maison, je dois me trouver un appartement.
- Tu as l'argent pour t'en procurer ? me demanda-t-elle d'une voix aigre
- Mais ...
- Ecoute Mariana, je ne vais pas tourner autour du pot. Si tu espères un euro de l'héritage de Moctar tu te fourres le doigt droit dans l'œil. Et pour être franche, je ne t'ai jamais aimée dans ma vie surtout je pense que cela avait été réciproque par les coups bas que tu me faisais vivre. Je notais tout cela, chère Marina.
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