Épilogue
3 ans plus tard...
Il est sept heures du matin et un ciel un peu gris se lève sur Paris. Vivement le printemps ! Je devrais mettre mon réveil plus tôt, on finit toujours par partir en retard avec ces deux zouaves.
Heureusement, je me rappelle que j'ai cours à neuf heures aujourd'hui. Je n'ai jamais regretté d'avoir choisi l'École du Louvre, même si mon père aurait préféré une université plus classique. Je serai conservatrice dans un musée, ou commissaire-priseur, ou peut-être galeriste. Tous ces métiers m'attirent mais j'ai encore le temps de statuer. D'ailleurs la galerie photo du Passage du Désir m'a confirmé hier qu'elle m'acceptait en stage. C'est peut-être le signe qui va décider de mon destin ! Je lui ai promis de convaincre Dimitri de nous accorder une exposition, même s'il a maintenant une galerie qui le représente à New-York. Notre photo a été très admirée, et il nous a offert un tirage plus petit qui orne l'appartement.
Je me lève rapidement, sors dans le couloir et frappe à la porte à côté de la mienne. Simon-Loup passe une tête ébouriffée et encore ensommeillée.
- Dépêche-toi Simon, tu vas être en retard !
- On aurait dû dormir ensemble, j'aime pas me réveiller seul, maugréé-t-il d'une humeur maussade.
- Chacun sa chambre, tu connais la règle ! je réplique, en me dirigeant vers la cuisine.
Ça fait rigoler mon idiot de loustic qui sait bien comment contourner cette règle là.
C'est à mon tour de préparer le petit-déjeuner. On a une liste bien précise de tâches et je veille à ce que tout le monde accomplisse sa juste part de corvées, même Simon qui aurait tendance à s'esquiver.
Je l'entends qui gagne la salle de bain en trainant les pieds. Il ouvre grand la porte : Noah sort de la douche au moment où Simon entre en baillant.
- T'es déjà prêt ma poule ? demande Simon en fourrageant dans ses boucles folles d'un air endormi.
Noah est un lève-tôt. J'imagine qu'il a dû aller courir comme tous les matins. Il n'a jamais réussi à trainer Simon avec lui, malgré ses exhortations.
Noah se plante devant la glace et commence à se brosser les dents. Simon passe derrière et lui claque malicieusement les fesses. Noah sursaute et l'injurie la bouche pleine de dentifrice. Il défait la serviette autour de sa taille, l'enroule en l'air et s'en sert comme d'un fouet menaçant.
Simon se réfugie en riant dans la douche, bien planqué derrière la paroi de verre.
Noah maugrée, en faisant saillir les muscles de ses fesses.
- Uniquement quand il y a la princesse avec nous, sinon pas touche !
- Héé... tu veux pas aller la chercher, s'il te plait ? le provoque Simon.
Les deux garçons éclatent de rire. Le sexe entre eux n'est jamais allé plus loin que quelques jeux de langue et quelques caresses appuyées, malgré mes propositions indécentes. En revanche, on arrive maintenant tous les trois à de petits miracles de virtuosité. "Ouvre tes chakras", m'a conseillé Simon, mais j'ai vite compris qu'il pensait à autre chose. On s'est perfectionnés à force de pratique, et d'expérimentations plus ou moins loufoques mais toujours irrésistibles. J'avoue que je n'ai pas souvent quitté le septième ciel depuis nos premiers essais maladroits, et il faut vraiment les partiels ou un souci passager pour me faire retomber à terre.
- Putain Noah, t'as encore pris du muscle, c'est indécent !
Noah s'examine avec réticence. Ça le complexe d'être aussi baraqué mais il a toujours peur de prendre du bide, alors il se défonce dans tous les sports qu'il pratique. Il est dans l'équipe de hockey de sa fac et on va le soutenir en chœur lors des matchs importants. Je crois qu'ils nous ont bien repérés : les trois inséparables.
Simon, lui, a toujours le même corps harmonieux et proportionné : ça ne vieillit pas les statues grecques, ça se patine.
Ils continuent à papoter comme deux commères. Je n'ai jamais vu deux mecs qui aient autant de choses à se dire. Je finis par passer une tête impatiente.
- Les gars, on va être à la bourre ! Le petit-déj est prêt !
Simon termine sa douche, Noah est en train de passer un caleçon. Ils me regardent tous les deux d'un air ambivalent et je sens qu'il ne faudrait qu'un tout petit signe d'encouragement de ma part pour qu'on se mette définitivement très en retard.
- N'y pensez même pas, je réplique en claquant la porte.
Notre petit arrangement tient depuis bientôt trois ans, sans jamais se démentir. La coloc a été une solution toute trouvée dans la mesure où on poursuivait tous les trois nos études à Paris. Mais cette organisation cache une réalité moins avouable : l'amour passionné et absolu qu'on se porte et l'impossibilité qu'on aurait à ne pas vivre ensemble.
Noah en est persuadé, nous trois, c'est pour toujours. Pour Simon, c'est un petit bout de chemin qui dure. Pour moi... je laisse venir chaque journée en essayant de me montrer confiante.
Cet équilibre ne nous a pas trop mal réussi jusqu'à présent.
Noah entre enfin dans la cuisine et m'attrape par le cou pour m'embrasser goulûment.
On entend Simon crier, par la porte de la salle de bain ouverte.
- Je sais ce que tu fais Noah, je te vois !
Noah continue à me mordiller l'oreille tout en chuchotant.
- N'importe quoi, il nous voit pas...
Je me dégage en riant, parce que j'ai "Symbolique des couleurs" de neuf à onze et qu'il est hors de question que je loupe ce cours passionnant.
- Il y a donc que moi sois pressée d'aller en cours ?
Noah hausse les épaules et s'assoit à table. Je ne crois pas que ses études de droit le passionnent mais il les suit consciencieusement, comme il le fait pour tout. Il a finalement écrit une seconde lettre aux parents du petit bébé corse. Ils n'ont pas répondu, mais je ne pense pas qu'il attendait une réponse. C'est un peu le seul moyen qu'il ait trouvé pour aller de l'avant. Ça... et nous, bien sûr. Notre trio attentif et l'amour qu'on partage sont le meilleur pansement sur ses blessures ouvertes.
Simon entre brusquement dans la cuisine, avec un grand bond théâtral, encore en train de boutonner sa chemise et d'ajuster son pantalon. J'imagine qu'il espérait nous surprendre.
- Vous vous embrassez pas ?
Il regarde Noah avec incompréhension.
- Tu préfères bouffer ?
Il se tourne vers moi d'un air dépité.
- Franchement, ce garçon ne te mérite pas !
Noah avale posément sa tartine de fromage et réplique tranquillement.
- Viens courir quinze bornes avec moi, et on verra tes priorités.
Simon me vole un baiser et m'enlace d'une main, tout en attrapant le paquet de céréales.
- Mais pourquoi tu crois que je courre pas quinze bornes gros malin... exactement pour ça !
Je me dégage en riant.
Simon a intégré une école assez réputée, Sciences Po, dont il suit les cours avec une certaine facilité. J'ai cru comprendre qu'il y faisait aussi quelques ravages, mais ça reste très chaste puisque nous sommes exclusifs. Enfin... exclusifs à trois.
Noah lui montre le calendrier des Postes affiché sur un mur de la cuisine, qui représente notre Tour Eiffel.
- Quand t'auras créé quelque chose comme ça, tu pourras te la péter, lui rappelle-t-il d'un ton sans réplique.
- Putain, j'aurais dû faire une école d'ingénieur pour que vous me lâchiez avec cette histoire !
Je m'assieds à mon tour, avec mes tartines parfaitement grillées et mon bol de thé vert. Simon renverse un demi-litre de lait dans deux kilos de Chocopops.
- Fiesta ce soir ? Y'a Dimitri qui me tanne pour qu'on se voit ! demande-t-il en se frottant les mains.
Les yeux de Noah brillent aussitôt : il est toujours le premier partant, malgré sa discipline sportive du matin. J'ai l'impression qu'il a du bon temps à rattraper.
Quant à moi, c'est mon destin, je les suivrais au bout du monde.
Soudain, la lumière s'éteint. La porte de la cuisine se referme sur nous, dans un claquement brutal et presque effrayant. Je la fixe avec un regard implorant, car je sais ce qui va se passer après.
Je me retourne vers les garçons, mais ils ne sont déjà plus là. Je me lève. Tout est noir comme dans un long sommeil. J'erre dans l'appartement en cherchant mes fantômes.
Ayako ouvre la porte de sa chambre et sursaute en me voyant debout.
- Ah, t'es flippante des fois ! C'est bon, je suis réveillée !
Pourquoi mon amie d'enfance ouvre-t-elle cette porte sans autre explication ? Que fait-elle dans la chambre de Simon ? Pourquoi je ne vois pas le sourire embrumé et les boucles emmêlées du garcon aux yeux verts ?
Mon cœur bat plus vite et je commence à éprouver des difficultés à respirer.
Ayako lit la détresse dans mon regard et fait un geste dans ma direction. Mes jambes ne me portent plus. Je m'affaisse doucement.
Elle se précipite pour me retenir. J'entends, lointaine, déformée, grotesque, sa voix qui appelle à l'aide.
- Kadia ! Elle fait une crise !
La porte de la salle de bain s'ouvre précipitamment. Kadia en sort, affolée, encore en petite culotte. Noah, où es-tu ? Pourquoi ce n'est pas toi dans cette salle de bain ? Peut-être n'es-tu pas encore rentré de tes quinze kilomètres ? C'est Simon qui va te chambrer...
J'observe mes deux copines se pencher au-dessus de moi, je vois leur affolement. Je pars. Je suis déjà loin.
Kadia me crie quelque chose, pendant qu'Ayako me secoue avec force.
- Ça va aller, ça va passer ma belle !
Pardonnez-moi les filles, mais si vous saviez comme la vie est plus douce loin d'ici.
Kadia hésite un instant. Puis il me semble qu'elle essaye de me gifler pour me ramener, tandis qu'elle me caresse avec la même main.
Je vois bien leurs regards alarmés, mais je n'entends pas les mots qu'elles prononcent.
Tiens ? Noah et Simon sont présents aussi, tous les deux. Noah m'examine avec inquiétude. Simon me fixe d'un air interrogateur, en fronçant les sourcils sur son regard émeraude.
Lentement, je m'enfonce dans un océan bleu où nagent ces deux poissons d'or et d'argent. Je voudrais ne jamais remonter de ces profondeurs.
Et puis Simon passe son bras autour du cou de son pote et tous les deux se redressent. Simon fait une blague que je n'entends pas. Cela fait rire Noah. Ils me regardent encore avec un amour infini. Puis ils font demi-tour et s'éloignent à regret.
Leur image se dissipe, sans que j'arrive à les rattraper, tandis que je reprends peu à peu mes esprits. J'entends plus distinctement la voix de mes deux colocs, qui me rappellent à la réalité. Elles ont l'air totalement paniquées. Ayako a des larmes dans les yeux, tandis que Kadia lui demande si elle doit appeler un médecin.
Je voudrais les rassurer, mais je suis loin encore.
Je m'efforce de respirer plus calmement. Je dois revenir seule.
J'aspire brutalement une goulée d'air frais, en hurlant un cri qui déchire nos oreilles. Il parait que les bébés poussent le même à la naissance.
Ayako se jette sur moi, encore folle d'inquiétude, et me serre dans ses bras pour me rassurer. Tandis que Kadia se précipite à la cuisine pour chercher un verre d'eau, une serviette humide, tout ce qu'elle peut pour m'aider à me rétablir.
Je regagne le monde réel peu à peu, en abandonnant le pays de mes rêves enfuis.
Je n'ai jamais raconté à personne ma journée de princesse. Pas même à mes plus proches amies. Je la garde bien cachée tout au fond de mon cœur, mais je me souviens de chaque seconde. Moi seule sait que votre amour était éternel.
Noah, Simon, comme deux vrais chevaliers, comme un seul homme, vous vous êtes précipités devant moi pour faire rempart de votre corps. Et ce soir-là, vous m'avez sauvée.
Simon, Noah.
Mon elfe et mon guerrier.
Je vous aime.
Dormez en paix, mes doux princes.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro