Chapitre 27
Un quart d'heure après, on s'accroche à nos jeux avec une concentration désespérée et la pièce a déjà pris des allures de tripot louche, malgré le décor chic au charme suranné.
Les garçons ont débouché une petite fiole de whisky trouvée dans le minibar, qu'ils mélangent avec un soft pétillant. Et moi, je termine lentement la bouteille de champagne, en veillant toutefois à garder ma lucidité.
Les forces s'équilibrent, ce qui veut dire qu'on a déjà tous quelques vêtements empilés sur le tapis vert.
J'ai peut-être accepté un peu légèrement cette partie. Je joue bien et je pensais risquer, au plus, une ou deux chaussettes. Mais mes adversaires s'avèrent redoutables. Simon triche et bluffe de manière éhontée, servi par une chance insolente. Quant à Noah, son visage fermé et son jeu agressif sont particulièrement difficiles à décrypter. Heureusement que je sais me défendre et que mon père m'a appris quelques trucs, cela m'évite de reproduire le Déjeuner sur l'Herbe, le tableau de Manet où les filles piquent-niquent à poil pendant que les messieurs ont tranquillou gardé leur redingote.
J'ai stratégiquement commencé par enlever le bas si bien que, même si je suis en petite culotte, j'ai conservé ma dignité en même temps que mon chemisier. Sans que ça me surprenne vraiment, les garçons ont procédé en sens inverse. Mais avec leur physique, c'est normal qu'ils aient peu d'hésitation à retirer le tee-shirt. Je me jure de les dépouiller de leur jean... et de tout ce qui va avec.
Je perds mon haut sur une bête histoire de brelan contre double paire. Et le jeu se trouble instantanément.
Simon distribue une nouvelle donne en feignant de ne pas trop s'attarder sur ma lingerie de coton ourlé d'une petite dentelle. Mais il finit par en s'interrompre en poussant un grand soupir excédé.
- Putain, ça nous ramène toujours au même point !
Noah regarde subrepticement son jeu, et s'interpose avec un ton innocent.
- Vous voulez pas qu'on termine ce tour, et on discute après ?
Simon et moi on rigole devant sa tentative de manipulation un peu trop flagrante, et on jette nos cartes dans un même mouvement.
- Je passe !
Noah se renfrogne, puis finit par se joindre à nos rires.
Ce moment nous fait du bien, mais il se prolonge par un long silence un peu nerveux qui jette un froid.
Simon, qui a horreur des vides, choisit de mettre les pieds dans le plat.
- Une aussi belle chambre... se lamente-t-il en feignant un long soupir.
Je sursaute devant une attaque aussi directe.
- Bravo Simon, très subtil !
Il feint de ne pas m'entendre et s'adresse à Noah.
- Tu as remarqué le lit immense ?
Comme de juste, son pote saisit l'allusion et enchaine sans attendre.
- Je suis sûr qu'il y a des draps en soie...
A quoi ils jouent là ? Certainement plus au poker... Quoique.
- Non mais vous vous entendez tous les deux ?
Ils se tournent vers moi dans un bel ensemble et, à ma grande surprise, c'est Noah qui ouvre les hostilités.
- Il serait peut-être temps qu'on ait, enfin, cette petite conversation...
Je réplique en évitant leur regard.
- On pourrait aussi se laisser vivre, et juste profiter de cette belle journée !
- Et regretter toute notre vie de n'être pas allé au bout ? Dans un lieu pareil ? s'indigne Simon.
Noah partage la même conviction.
- Si cette journée incroyable se termine sans qu'il ne se passe rien... autant dire qu'on n'est pas à la hauteur de nos propres vies !
Je les trouve malhonnêtes sur ce coup-là. Je me lève en manquant de renverser mon verre et je m'exclame, portée par une colère froide.
- Arrêtez de me demander de choisir entre vous ! Ça me rend dingue !
Les deux garçons échangent un rapide regard, puis Simon revient à la charge mais avec plus de légèreté.
- Il y a un bar très réputé en roof top... Il parait qu'il est fréquenté par toutes les nouvelles recrues de chez Élite... Noah sera pas malheureux, va !
L'autre contre-attaque immédiatement.
- Y'a aussi plein de jeunes héritières américaines et de riches familles du Golfe, c'est parfait pour Simon, non ?
Je souris malgré moi, mais je sens une sourde hostilité monter derrière leur ton anodin.
- Bon, arrête de nous renvoyer dos à dos, continue Noah en essayant de capter mon regard pour lui tout seul. J'arrangerai mes affaires avec Simon plus tard : ne t'inquiète pas, on va pas se fâcher pour ça !
Simon toise Noah avec irritation.
- Ne fais pas comme si c'était moi le problème, rétorque-t-il un peu agacé. Tu pourrais connaitre quelques désillusions...
Noah affiche un air buté pas très rassurant.
- On sait bien qu'il y en a un de nous deux qui n'est pas honnête, Simon. Putain, pour moi c'est pas une amourette !
Il dirige vers moi un regard presque dur.
- Puisqu'il faut tout te dire, princesse, je suis accroc.
- Arrête d'employer des grands mots, Noah, tu vas finir par y croire ! réplique Simon avec mépris. Que le meilleur gagne, c'est tout !
Je vois le poing de Noah se crisper de façon menaçante, et cela n'échappe pas non plus à son pote.
- Attends, tu veux me frapper ? Tu sais que je peux me défendre ! lâche sèchement Simon en faisant allusion à une absurde bataille rangée contre un établissement rival, dont tout le lycée avait parlé pendant des mois.
Puis il s'efforce de reprendre plus calmement.
- Écoute vieux, ça sert à rien de se bouffer le nez... Elle choisit, et on obéit. Point final ! C'est ce qu'on a convenu depuis le début !
Ils se retournent alors vers moi dans un même mouvement, et me dévisagent : avec un fol espoir dans le regard intense de Noah, et une lumière moqueuse mais pressante dans les yeux verts de Simon.
Depuis ce matin, depuis l'instant même où on s'est embarqués tous les trois dans cette équipée, je savais, j'avais le pressentiment que je finirais dans les cordes. Voilà.
Je voudrais qu'ils ne fassent qu'un à eux deux. Un mec idéal, comme il y a des montres suisses, des voitures allemandes et des fromages français. Mais je sais aussi que ce serait un peu ennuyeux. Que seraient-ils sans leurs défauts si criants ? Que serait Simon-Loup sans cette distance ironique, tellement agaçante qu'on a envie parfois de le frapper tant il est incapable d'échanger sérieusement. Et Noah si absurdement orgueilleux et entier, prêt à se cogner la tête contre tous les murs quand il suffirait d'ouvrir une porte.
Je connais la vérité. Depuis le début. Depuis toujours. Mais je ne sais pas comment la formuler car elle me parait déviante et presque inexcusable. Je ne veux pas d'un garçon idéal qui les contiendrait tous les deux. Je veux les deux.
Je le dis. Ce sont les mots les plus difficiles que j'ai jamais prononcés.
- Tous les trois...
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