Chapitre 6
— Retourne à la maison !
Laisse-moi, maman...
— Tu seras mieux à la maison, enfin...
Je dois l'attendre.
— Il doit déjà servir de repas à ces monstres ! Rentre maintenant !
Fous-moi la paix...
— Tu as besoin de te reposer. Viens à la maison, je vais te préparer ton repas préféré.
Je n'ai pas faim...
— Tu es en train de gâcher tes derniers moments à l'attendre alors qu'il ne voudra plus de toi à son retour !
Je cours le risque... Au moins, je l'aurai vu une dernière fois.
— Le soleil va se coucher, ils devraient déjà être là ! Tu vas attraper la crève à rester dehors.
....
Tous les habitants attendaient leur retour. La foule ne cessait de s'agrandir autour de la porte principale, tandis que (T/P) patientait à côté de sa fontaine. Elle n'apercevait plus le soleil, caché par la muraille. Elle fermait les yeux, les jambes remontées contre elle. Elle grelottait, claquait des dents en toussant. Son mouchoir n'avait plus sa couleur originelle. Son sang l'avait peint d'une couleur sombre. Ses médicaments ne servaient plus à rien. Juste à adoucir un petit peu ses douleurs. Le médecin leur avait annoncé qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. Moins d'une semaine. Une petite journée tout au plus lorsqu'elle n'arriverait plus à marcher. Pour l'instant, elle pouvait tenir debout et effectuer des pas lents entrecoupés de pauses pour qu'elle reprenne son souffle et qu'elle crache ses poumons.
Pour tenir, elle se forçait à manger. Elle pensait à Erwin qui l'engueulerait en voyant son assiette encore pleine. Les bouchées douloureuses qu'elle avalait étaient pour lui. Tout ce qu'elle faisait lui était destiné. Tout ça pour revoir ses beaux yeux bleus avant de fermer les siens.
Les rumeurs affluaient autour d'elle. Le bataillon ne reviendra pas. Ils sont tous morts. Une expédition de six jours était insensée. Du suicide ! La nuit tombait. Les habitants s'impatientaient. Leurs épaules s'abaissaient à mesure que les étoiles naissaient dans le ciel. Puis, soudain, une voix éclata tout en haut de la muraille. Ils arrivaient.
La porte s'ouvrit. (T/P) poussa sur ses bras, mais trébucha lorsqu'elle tenta de se mettre debout. Elle s'aida de ses avant-bras pour se redresser, doucement. Sur le bord de la fontaine, elle s'appuya et serra des dents en usant de toute sa force pour se lever.
Avec des jambes fébriles, elle marcha à son rythme jusqu'à la foule en apnée. Les mains jointes, le souffle coupé, les yeux figés sur l'entrée, ils appréhendaient les dégâts qu'avait causés cette longue sortie intra-muros.
(T/P) s'arrêta à côté d'une maison et s'y reposa. Elle avait une petite vue sur l'arrivée des chevaux jusqu'à ce que le monde s'active autour d'elle, s'excite et la pousse sur les pavés. Elle hurla en silence, une main sur sa bouche. Ses os la faisaient souffrir. Le choc avait provoqué une onde désagréable dans tous ses membres qui l'empêchait de bouger. Elle dut attendre que les tremblements ne cessent et même avec toute la volonté du monde, elle ne put se remettre debout. Alors, elle s'assit contre la façade de la maison, impuissante, les yeux trempés et ses oreilles à l'écoute des commentaires de la population.
Beaucoup de soldats avaient péri malgré ça, Erwin n'avait perdu aucun membre de son escouade. Juste un blessé léger. L'expédition, comme les autres précédentes, avait été un échec. Ils n'avaient rien trouvé. Pas avancé. Ils avaient juste pu compléter les plans de (T/P), maintenant remis à Hanji. Une bonne recrue, mais qui ne la remplaçait pas, se disait-il. Il n'avait fait que de penser à elle. Le premier jour, il n'avait fait qu'acte de présence sur son cheval. Un comportement inacceptable pour lui.
La fatigue traînait derrière ses paupières lourdes. Il ne pouvait dormir sans penser à (T/P). Il avait espéré la voir avant de partir. Il l'avait cherché parmi les habitants présents à leur départ. La déception l'avait suivi plusieurs jours. Puis, l'énervement en réalisant qu'elle lui avait caché sa maladie. Elle lui avait fait espérer tant de choses. Des choses qu'il se refusait de penser jusqu'à ce qu'il craque face à l'insistance de cette femme. Il avait pris tout ça pour acquis et avait commencé à tout préparer pour que les rêves de cette soldate se réalisent.
Il lui en voulait. Et ce soir encore plus. Car, elle n'était toujours pas là. Il avait cru que son amour serait plus fort que tout. Que frôler la mort serait plus fort qu'une querelle passagère. Il se trompait. Même après six jours à l'extérieur, elle ne se montrait pas. Son cœur se brisait sous les agacements des villageois, sous leurs larmes.
Il descendit de son cheval, parla aux parents endeuillés en leur servant son plus beau discours sur leur fils, mort au champ d'honneur. Lorsqu'il eut fini, il suivit son équipe jusqu'à l'écurie en passant à travers la foule. Il ne vit pas la jeune fille en boule dans son coin, immobilisée dans cette position.
Il se dirigea jusqu'à son bureau, déposa des lettres et en ouvrit des anciennes. Il les lut qu'à moitié. Ce soir, il n'avait pas la tête à la paperasse alors il prit sa veste et partit. Seulement, à peine eut-il mis un pied hors du bâtiment qu'une vieille femme hurla sur lui.
— Où est ma fille ? Qu'avez-vous fait de mon enfant ?
Erwin fit un pas en arrière pour ne pas perdre son équilibre. Les mains de la mère s'agitaient devant son visage et manquaient de le frapper. Le froncement de ses sourcils incita la femme à crier en larmes :
— Elle vous a attendu pendant ces six jours ! Pourquoi n'est-elle pas avec vous ? Vous l'avez jeté ?
— Elle était là ? l'interrogea-t-il, l'effroi défigurant ses traits.
— Je ne veux plus vous voir auprès d'elle ! Elle va rentrer à la maison et y rester ! C'est là où est sa place...
Erwin ne l'écoutait plus. Il était déjà parti loin. Il accourrait jusqu'à la porte principale. Les rues étaient désertes, la nuit bien noire. Il s'arrêta essoufflé, pivota sur ses pieds dans tous les sens à sa recherche jusqu'à ce qu'il entende une toux grasse résonner entre les ruelles. Il se précipita vers ce bruit et plissa les yeux pour découvrir une silhouette, penchée vers la façade d'une maison. Elle manquait de tomber à plusieurs reprises. Sa toux revenait. Même s'il ne la voyait pas, il savait que c'était elle. Il s'empressa de la rejoindre, ne contrôla plus ses enjambées, et dos à elle, il passa une main sur sa chute de reins, l'autre sous ses genoux et la décolla du sol pour l'amener contre son torse et cesser tout effort douloureux.
Les bras de (T/P) se nouèrent automatiquement à ce cou inconnu pendant deux secondes. Elle n'avait pas la force de se battre de toute façon. Elle accepterait de s'accrocher à n'importe quoi. Mais lorsqu'elle croisa le bleu de ses rêves, elle renforça sa prise et tomba sa tête sur sa clavicule.
— Erwin...
— Je suis là..., chuchota-t-il
Trois petits mots qui lui firent l'effet d'un anesthésiant. Elle hésitait entre rire et pleurer. Ainsi, elle fit les deux en le serrant le plus possible. Une caresse pour Erwin qui ne réalisait pas encore le poids plume de celle qu'il aimait.
Il marcha jusqu'au QG avec elle et s'enferma dans sa chambre. Il la déposa sur son lit et ce fut à cet instant qu'il put observer les traits creusés de cette jeune femme. Elle claquait des dents. Erwin lui retira son manteau, ses chaussures. (T/P) ne put rien dire. Elle ne put qu'être spectatrice d'un moment qu'elle ne voulait pas vivre avec lui.
Il l'allongea et la couvrit de sa couette jusqu'au menton pour la réchauffer le plus vite possible. Il frottait ses bras, légèrement. Il avait tellement peur de lui faire mal à chaque petite pression sur sa peau. (T/P) lui souriait tendrement. Elle espérait que son sourire effacerait cette barre sur le front de son homme.
Erwin quitta le lit et se dévêtit à son tour. Il s'allongea près d'elle sur la couverture et se perdit dans ses iris. Il n'avait pas envie de parler. Pas l'envie de lui annoncer la mort de Lia au deuxième jour. Il désirait juste la regarder après ces six longs jours loin d'elle. (T/P) l'imitait. Elle l'admirait sans pouvoir le toucher tandis que lui s'autorisait à caresser son profil de sa grande main chaude. Des frissons parcouraient son corps. Une belle envolée de petits tremblements qui lui procuraient un bien fou. Elle acceptait son silence. Elle pouvait tout autoriser de toute façon tant qu'il la gardait près de lui.
— Tu veux bien m'embrasser ? osa-t-elle demander d'une voix timide.
Un baiser sur ses lèvres. Juste une légère pression qui lui montrerait qu'il était toujours là. Que son amour ne s'était pas terni par la maladie. Elle n'espérait rien d'autre : donner tort à sa mère. Et Erwin donna raison à cette femme qui jouait avec son cœur.
— Je peux faire mieux.
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