Chapitre 2
Derrière le tronc d'arbre, elle observait l'entraînement quotidien des soldats à l'équipement tridimensionnel. Elle rigolait quand l'un se plantait. Elle s'accordait cette petite distraction qui lui permettait de retirer cette buée dans ses yeux et de redonner un peu d'éclat à son teint. Elle la retrouva en admirant la silhouette de cet homme à l'éternel regard déterminé. Les deux mains jointes dans le dos, il guettait la moindre imperfection de ses soldats. Il n'hésitait pas à les corriger avec une dureté dans la voix qui les obligeait à écouter. Il les traitait comme si ces hommes étaient l'espoir de l'humanité, alors qu'ils allaient tous finir comme des moustiques qu'on éclate en plein été. Il leur offrait ses discours motivants qui pouvaient toucher n'importe qui. Ceux qui faisaient naître des ailes à chaque homme et femme rêvant de liberté.
Ce grand blondinet aux yeux bleus. Cet être aux valeurs indétournables. Sa douceur avait raison du cœur de la soldate. S'il battait encore, c'était pour lui. Elle passa toute l'après-midi à le contempler dans son coin, entrecoupée de sieste foudroyante sous les ombres des feuilles vertes. Elle quitta sa cachette en se mêlant à la foule et aida aux rangements pour se faire pardonner. Même si au fond d'elle, elle ne l'était pas.
Puis, à la nuit tombée, après avoir shooté dans le même caillou depuis plusieurs mètres, elle s'installa au bord de la muraille. Même endroit. Même heure. C'était son emplacement interdit. Perchée à cinquante mètres de haut, elle dominait le monde. Elle refaisait sa vie là-bas près de cet arbre au loin en dehors de la forêt. Ce petit espace parfait...
— Vous devriez cesser vos habitudes avant que les sanctions ne vous tombent dessus.
Les jambes en tailleur, elle émit son premier rire depuis la visite du médecin. Elle détourna son champ de vision sur un autre paysage. Tout aussi beau et à la différence, réelle. Elle s'arrima à ces prunelles bleutées et au premier contact, elle se promit de ne jamais oublier l'effet qu'elles produisaient sur elle. Un sentiment réconfortant. Une bulle de sécurité. Une sensation d'être invincible. Elle en mémorisa cet air impassible qu'elle défiait tous les jours et arrivait à fissurer en se faufilant dans son esprit. Sa garde s'abaissait devant lui et elle en avait que faire, car il ne lui faisait aucun doute qu'il serait là éternellement pour la sauver.
— Puis-je connaître votre excuse pour votre absence de cet après-midi ?
— J'étais dispensée, répondit-elle d'une voix douce.
Erwin n'en crut pas ses oreilles et tiqua à cette phrase. Elle lui avait habitué à de plus longues excuses. Plus développées. Plus recherchées.
— Vous me montrerez une preuve sur mon bureau à la première heure demain matin, grogna-t-il
La soldate accepta en allongeant sa tête sur ses genoux remontés. Elle ne bronchait pas à l'ordre de son capitaine. Pas de mots incongrus. Pas d'envie de le déstabiliser. Ce soir, il avait le droit à un long silence et à un regard particulier auquel il n'en connaissait pas la signification. L'éclat qui brillait dans ses prunelles n'apportait en lui que de l'inquiétude, mais aussi une petite pointe d'attendrissement qui calmait ses angoisses. Il aurait aimé ne pas savoir réagir parce qu'elle lui aurait répondu d'une manière osée. Et non parce qu'elle se serait renfermée dans un mutisme inhabituel.
Il ne put qu'attendre. Il se disait que cette phrase qui coloriserait ses joues n'allait pas tarder à faire effet sur son cœur. Elle le sortirait de ses gonds et il ressentirait ce sentiment de gêne qu'il aimait au fond de lui. Lorsqu'il se rapprocha de cette femme, que la lumière de la Lune lui détailla son visage mince, le demi-sourire triste que dessinaient ses lèvres accroissait son anxiété. Attendre n'était plus possible.
— Que se passe-t-il ? la questionna-t-il de son timbre confiant malgré tout.
— Rien. Je n'ai pas le droit de te regarder ?
— Vous êtes triste, s'empressa-t-il d'ajouter.
— Amoureuse. Je préfère ce terme.
Son souffle s'échappa de ses poumons dans un long soupir de soulagement. Enfin, il la retrouvait ! Celle qui lui clouait le bec à chaque discussion et qui faisait grimper la chaleur autour de lui.
— Tu t'assois avec moi ?
Jamais elle ne le répétera deux fois. Le masque du capitaine tomba pour y libérer un simple citoyen au faible cœur devant sa dame. Il fit ce qu'il ne faisait que rarement. Il s'installa derrière elle et l'amena contre son corps en l'entourant de ses bras. (T/P) ne cacha pas la joie que cela lui procurait de pouvoir se blottir à l'intérieur de cette protection. Son sourire irradiait sur son visage.
— M'aimer te rend triste ? susurra Erwin au creux de son oreille.
(T/P) emmêla ses doigts à ceux du blondinet et les lorgna en pensant à la différence de taille. La chaleur qui émanait d'Erwin lui volait quelques frissons agréables. Ce dernier déboutonna l'unique bouton de sa cape verte et emprisonna la jeune femme avec lui. Une attention qui la fera fondre en larmes lorsqu'elle se retrouvera seule ce soir.
— Quand je dois faire semblant de rien devant les autres, oui. Quand j'imagine un avenir qui ne se fera jamais, oui. Je me dis que l'amour ne devrait pas exister... Puis, je te regarde et... je remercie le ciel de nous accorder au moins ce mérite.
— Je le remercie de t'avoir mise sur mon chemin, s'exprima Erwin
— Ce n'est pas le souvenir que j'ai, rigola-t-elle
Un cheval qui s'échappe de son enclos. La jeune recrue qui tente de le rattraper. L'animal qui percute Erwin. Son supérieur qui tombe dans une belle flaque boueuse. Aujourd'hui, ils en rigolaient, mais elle n'allait pas oublier le nombre d'heures de tâche domestique qu'elle avait dû endurer pour se faire pardonner. Son corps s'en rappelait toujours de ces courbatures.
Le calme soufflait dans leur tympan. Ils gardaient le silence, nostalgiques du passé, le regard planté sur ce paysage infini. Quelques rafales ordonnaient à Erwin de resserrer plus fort son étreinte autour de cette femme et cela lui permettait de humer cette odeur apaisante qui se dégageait de cette chevelure soyeuse. Il caressait ses frêles avant-bras, tandis que la soldate replongeait dans ses pensées face à cette étendue naturelle à perte de vue. Sans la moindre trace de titans.
— Tu le trouves comment cet emplacement là-bas ?
(T/P) pointait du doigt cet arbre. Erwin dériva son champ de vision sur lui et mit quelques secondes avant de comprendre ce dont elle faisait allusion.
— Ce serait un bel endroit pour construire une maison, ajouta-t-elle
Il détestait ces moments où elle partait dans un autre monde. Il ne comprenait pas pourquoi elle jouait à ça si ce n'était pour se faire du mal. Il n'entrait jamais dans son délire, mais il ne saurait dire pourquoi ce soir, il acceptait. Peut-être parce qu'il sentait qu'elle en avait tout simplement besoin. Ce soir plus qu'un autre.
— Tu ne voudrais pas qu'elle soit plus loin des murs ?
— Si..., mais de là où nous sommes, nous ne pouvons pas voir plus loin...
La prochaine fois, il se promit de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de regretter ses dires. Il se disait qu'il était plus préférable qu'il ne parle pas. Il excellait dans les discours pour motiver ses troupes, mais avec elle... il fourchait et il ne lui apportait rien d'autre que de la tristesse. Il s'en voulait terriblement. Ainsi, il se reprit et tenta de rentrer dans sa tête.
— À côté de l'arbre, on pourrait y installer un air de jeu.
Erwin ne l'aperçut pas, mais le sourire de (T/P) s'étirait jusqu'à ses oreilles. Sa poitrine battait plus fort à l'idée que lui aussi se projette.
— C'est une idée. J'aimerais un jardin aux multiples couleurs que nos filles auront créées.
Nos filles... Erwin en rigolait avec une énorme boule de stress dans le ventre. Qu'est-ce qu'il pouvait détester penser aux futurs. Le nombre d'années au sein du bataillon d'exploration lui avait appris à ne jamais voir au-delà du jour présent. Parfois, il pouvait s'accorder quelques jours de rêveries, mais réalisable... Des envies toutes bêtes. Là, elle allait bien trop loin. Erwin ne pensait pas être capable de suivre, mais il s'était promis que pour elle, son bonheur passerait avant tout ses principes. Ainsi, il inspira une bonne bouffée d'oxygène, ce parfum naturel sur sa peau douce, et entra dans le jeu.
— Nos filles ? releva-t-il amusé, pas de garçons ?
— Non... Deux filles. Une qui aura ta sagesse et une autre qui aura ma maladresse.
— Tu as déjà tout prévu.
— Je t'autorise à rajouter ta petite touche personnelle, ironisa-t-elle
— Parfait ! Voyons... Un petit chien pour compléter la famille ?
— Hum... Si tu t'en occupes, je n'y vois pas d'opposition.
Les deux amoureux rigolaient de leur folie. Erwin avouait qu'imaginer un avenir avec elle, même fictif, lui faisait du bien. Grâce à ça, il ne pensait à rien d'autre. Et le plus important, il l'entendait rire.
— Tu seras la première à le promener, se moqua Erwin
— Oh que non ! Je...
— Eh ! Vous là-bas ! Qu'est-ce que vous faites ici ?
Retour brutal à la réalité. Leurs têtes pivotèrent en direction de cette voix de baryton. (T/P) se redressa brusquement et visualisa une petite lanterne dans la main du veilleur. Il s'approchait par de grandes enjambées et de plus en plus précipitées quand les deux hors-la-loi se levèrent.
— Ta capuche ! s'écria-t-elle
Erwin la dressa sur sa tête avant que ce type arrive à le reconnaître. S'il se faisait prendre, il ne donnait pas cher de sa peau avec toutes ses infractions commises. Il pourrait dire adieu aux bataillons. Ainsi, main dans la main, ils effectuèrent la même routine chaque fois qu'on venait les embêter. Ils fuirent.
Ils coururent jusqu'à la passerelle la plus proche, grimpèrent dessus, l'activèrent avec un levier et descendirent cette muraille sous les menaces du soldat. À dix mètres au-dessus du sol, Erwin siffla son cheval. Celui-ci galopa à leur rencontre et attendit docilement qu'ils montent sur son dos. Ils filèrent dès lors que (T/P) eut mis ses bras autour de la taille d'Erwin. Ils empruntèrent les mêmes ruelles qu'à l'accoutumée pour perdre les autres soldats appelés en renfort. Puis, dans un petit chemin sombre à l'abri des regards, ils terminèrent à pied, le cheval à leur côté pour se diriger vers les écuries.
— Un jour, ils comprendront la combine, commenta Erwin en enfermant l'animal.
— En attendant, ils sont toujours à la ramasse.
— Je te ramène à ton dortoir. Et tu n'y en sors plus jusqu'au lever du soleil ! lui ordonna-t-il
Elle lui gratifiait d'un sourire compris pour apaiser une colère montante dans le comportement de son capitaine. Pour ne pas l'envenimer, elle ne parla pas durant le chemin. Ils arrivèrent au QG sur la pointe des pieds. Erwin guettait les alentours avec une (T/P) toute discrète. Ils s'engagèrent dans les couloirs vides, tandis que d'autres bouillaient de soldats sur le qui-vive. Derrière eux, un homme les intercepta. Le capitaine attrapa discrètement le poignet de la soldate dans un juron à peine audible et sans la prévenir, il l'entraîna à toute vitesse dans les couloirs. L'inconnu tenta de les rattraper, seulement Erwin réussit à le semer à mesure qu'il changeait de direction. Et lorsqu'ils arrivèrent à son bureau, ils se barricadèrent à l'intérieur.
La respiration saccadée poussa la jeune femme à s'appuyer contre une étagère. Elle peinait à reprendre son souffle alors que de l'autre côté des pas rapides passaient. Elle essayait de calmer son cœur en inspirant profondément, mais un coup à la porte l'empêcha de tout mener à bien. Erwin la somma de se cacher dans la chambre pendant qu'il se dévêtit de sa cape.
(T/P) obéit et s'y enferma. Erwin souffla un coup, reprit ses esprits et ouvrit sans montrer son angoisse.
— Capitaine, pardon de vous déranger, commença le soldat, son poignet sur son cœur, deux personnes ont été vues dans cette aile du couloir. Ce n'est pas la première fois qu'ils déambulent sans autorisation. Ils sont activement recherchés. Les avez-vous entendus ou aperçus ?
— Navré, je me trouvais dans ma chambre. Amenez-les-moi quand vous les aurez capturés.
— À vos ordres, capitaine.
Il verrouilla la porte avant de tomber son dos dessus. Il se disait que la prochaine fois, ils n'auraient pas autant de chances. De toute manière, il se promit qu'il n'y aurait pas d'autres fois. Il ne pouvait pas se permettre d'enfreindre les règles. Pas avant qu'il ne soit promu Major. Il devait adopter un comportement exemplaire. Montrer l'exemple aux fortes têtes. Mais comment faire avec cette femme dans sa chambre ?
Dans sa chambre... Elle n'avait pas fini de lui faire prendre des décisions à risque. Il se passa une main dans sa crinière et marcha vers la pièce voisine. Il s'enferma à double tour avec elle et lorsqu'il planta ses prunelles dans le regard désolé de sa bien-aimée, une tout autre peur se mêla à la première. Celle d'être séparé d'elle.
Il ne trouvait plus les mots qu'il devait lâcher pour la réprimander. Son rôle de capitaine semblait loin dans ses pensées, accaparé par la beauté de cette femme. Il ne pouvait qu'agir par des gestes. Ainsi, à sa hauteur, il arc-bouta sa main à sa joue rougie, caressa sa pommette et abandonna ses principes. Quitte à désobéir aux règles, autant le faire à fond. Il l'embrassa à perdre pied.
Ce corps frêle entre ses mains sauta dans ses bras, s'attacha à lui par tous les moyens. Leurs mains se baladaient sur l'autre, réapprenaient les contours de ce qu'on leur interdisait de connaître. Mais même la pire des sanctions ne pouvait les séparer en ce moment précis. Ils n'entendaient pas leur petite voix dans leur tête qui leur suppliait d'être au moins discret à défaut de défier les règles. Ils ignoraient le raffut des soldats à l'étage, toujours en quête des deux fugitifs. Ils n'écoutaient que leurs cœurs qui gonflaient d'un amour mutuel impossible à réfréner en cette nuit douce.
Les vêtements volaient. La lune éclairait leur visage. Le lit grinçait au poids de ses deux âmes perdues l'un dans l'autre.
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