[Le lendemain, 14h]

***

"Celui qui gagne pourra poser trois questions au perdant, et il devra répondre honnêtement." C'est le pari que Johan m'a lancé, et un prétexte pour m'inviter sur ce terrain d'entraînement plat sur plusieurs mètres, où les mannequins ont été déplacés sur les côtés pour ne pas être gênants.

Nous avons été frères et sœurs d'armes du même champ de bataille, et il faisait partie du groupe qui est venu me sauver... Mais le voilà face à moi, en tant que rival, et qui veut me faire avouer mes douleurs intérieures.

Face à moi, il prend en main ses deux grosses épées et se met en position de combat. A mon tour, je sors mon épée du fourreau, en l'imprégnant de ma magie de foudre. Je remarque des fantassins et des soldats nous observer, chuchotant des mots que je n'entends pas car ils sont trop loin.

Une vive brise balaye ma robe et mes cheveux, en agitant brièvement les cheveux blonds de Johan, tout en soulevant de la poussière à certains endroits du terrain. Après un bref silence supplémentaire, je déploie des éclairs sous mes pieds pour me propulser vers Johan, ce dernier se met immédiatement en garde.

Le premier coup de lame que je lui assène, il le bloque en croisant ces lames, mais il se fait repousser en arrière. Il reprend rapidement appui, mais je le poursuis déjà en continuant ma course, avec des éclairs autour de ma lame.

Je plaque mon pied droit au sol et m'en sert d'appui pour tourner sur moi-même et envoyer une lame d'énergie électrique vers Johan, mais ce dernier réplique en chargeant une magie bleue dans une de ses lames, et envoyer la même attaque contre la mienne, produisant une explosion entre nous.

-{Trois questions, hein ?}

Johan sort de la brume et effectue un plongeon avec ces deux lames levées pour faire une double attaque verticale. Je place mon épée par-dessus ma tête en y chargeant mes éclairs, et l'impact de nos lames souffle la zone, avec de l'énergie jaune et bleue dans le souffle. On se fixe dans les yeux quelques instants avant de libérer des éclairs depuis ma botte pour créer un cercle magique où on est tous les deux dans le centre.

Il utilise le croisement de ses lames contre la mienne comme appui pour reculer, sauf que je libère déjà l'énergie du cercle, libérant des éclairs depuis le sol qui agissent comme une zone d'effet. Cela dit, Johan s'en sort assez vite, mais je sais qu'il a pris quelques éclairs.

-{J'en ai justement trois pour toi, Johan Talede...}

***

D'un bref mouvement avec mes bras, je fais flotter mes lames au-dessus le sol,et elles se dissipent par des particules bleues qui apparaissent d'abord à la pointe de la lame. Une seule seconde après, plusieurs lames bleues apparaissent autour de Mona, comme une cage mortelle.

-Barrage d'Exélion !

Alors que les premières lames partent, j'aperçois Mona envoyer son poing contre le sol pour libérer plusieurs éclairs qui partent dans toutes les directions, dont certains qui dévient les épées.

-{Quand j'ai vu la profondeur de ta colère dans tes yeux, cela m'a rappelé Zaira, car elle était comme toi.}

Mes épées reviennent dans mes mains, sauf que Mona avait déjà repris une charge, avec une aura d'éclair autour d'elle qui laisse une traînée sur son passage. Le premier coup de lame que je bloque me fait ressentir toute sa puissance magique, mais sa lame glisse le long de la mienne, et elle se retourne pour me claquer un coup de pied d'éclair directement à ma garde.

Le choc est tel qu'une onde de foudre se produit, et mes épées s'écartent suite au choc en même temps que je recule de trois pas, manquant de perdre l'équilibre.

-{J'ai bien plus que trois questions, car je t'ai connu uniquement il y a 4 ans, quand le primitif terrestre a attaqué Crieji... On m'a dit que tu étais venu il y a trois ans, sauf que je n'étais pas là.}

Je me remets en position, alors que devant moi, Mona est de profil, son arme devant elle abaissée où je peux voir toute la longueur de son épée qui émane une magie de lumière.

-{Tu dois penser que je ne suis qu'un étranger voulant te connaître pour te manipuler, mais je veux t'aider. Vouloir soutenir mes alliés est mon péché, depuis ma cérémonie d'intronisation en tant que chevalier.}

Mes épées brillent d'une lumière bleue, et je brandis celle à ma main droite vers le ciel, l'aura si forte que le sol du terrain prend cette même teinte à cause de l'intensité de l'aura.

-{Comment connais-tu ce "Ian" ?}

J'abats mon épée de haut en bas, libérant une vague d'énergie phénoménale qui grandit au fil de la distance qu'elle parcourt, autant en longueur qu'en hauteur.

***

Je charge mes éclairs dans mes jambes, et les libère sous l'apparence de rayons pour m'en servir de réacteurs et partir sur le côté, frôlant toute la longueur de cette attaque magique.

-{Tu es le plus loyal chevalier de Adelyne... Alors je veux te demander...}

L'attaque passée, je me propulse droit vers Johan, sauf que ce dernier utilise sa seconde lame pour faire une coupe horizontale qui rase le sol si près que je ne peux pas l'esquiver par le bas, m'obligeant à sauter. Je plaque mes deux pieds au sol et bondit dans les airs en libérant une onde de foudre, tout en chargeant mon épée de mes éclairs, en y ajoutant la magie de lumière.

-{Est-ce Adelyne qui t'a envoyé m'affronter ?!}

Je tends mon bras droit vers la gauche, et effectue un grand coup de lame horizontal, l'aura de mon épée libérant une boule d'énergie lumineuse entourée d'éclairs.

***

Je charge ma magie dans ma lame de gauche, sauf que j'aperçois Mona sortir de la boule magique, se trouvant désormais entre moi et son attaque, et sa lame prête à m'attaquer. j'abandonne ma magie pour faire une attaque bas-haut avec cette même attaque, mais c'est à ce moment que mon adversaire disparaît dans un effet de vitesse, me laissant face à la boule, et dans une position délicate.

-{Qu... ?}

La boule est trop proche, et je n'ai pas le temps de charger ma magie. Je prends une impulsion pour reculer, m'éloignant au mieux de l'épicentre de l'impact, mais la boule explose juste avant qu'elle rencontre le sol, et des particules de lumière mêlées à des éclairs partent dans toutes les directions.

Deux particules de lumière me frappent de plein fouet, me faisant presque perdre l'équilibre. Je me rattrape rapidement, mais Mona revient, toujours dans les airs, et son épée chargée. D'un coup, je comprends, car c'était comme lors de son affrontement avec Krom : les silhouettes de foudre lui permettent de revenir à son ancien emplacement.

Je place une de mes lames pour contrer le coup de lame que Mona me porte, soufflant une nouvelle fois la zone. Nos regards se mêlent, mais je remarque quelque chose de différent. Ce n'était pas sa colère habituelle, car j'y vois comme une sorte de compassion, où un regard d'excuse.

Je libère une aura bleue depuis mon épée et parvient à repousser Mona en arrière, mais elle se remet rapidement debout et en position de combat.

-{Quelle était cette tristesse dans ton regard ? Voilà ma deuxième question.}

***

-{J'ai vu de nombreux chevaliers se plier à l'autorité de leur souverain. Mais vous, chevaliers d'Avillon, vous êtes d'une bravoure et d'une loyauté infaillible envers votre monarque...}

Je reprends une charge vers Johan, et ce dernier fait la même chose, nos lames prêtent à se rencontrer une nouvelle fois. Je remarque un bref instant que le nombre de spectateurs est de plus en plus important, je dirais trois fois plus nombreux.

-{Et je veux l'entendre de ta bouche...}

Mon épée rencontre la lame droite de Johan, produisant un nouveau souffle mais moins fort que les précédents, sauf que retire ma lame pour enchaîner plusieurs attaques sans y ajouter ma magie, que Johan bloque à chaque fois sans riposter.

-{Quelle est la cause de cette loyauté inébranlable envers Adelyne ?}

***

Je libère ma magie bleue et effectue un coup de lame horizontal pour repousser Mona, sauf qu'avec ma seconde épée je fais un coup haut-bas qui libère une vague d'énergie qui va droit sur elle.

-{Ma dernière question... Hé bien, c'est juste ma loyauté envers Adelyne qui veut savoir, et ta façon de te comporter à son égard quand elle te donne les ordres...}

J'aperçois Mona envoyer une lame de lumière depuis son épée pour disperser ma vague magique, annulant nos deux attaques. Je peux voir son regard fermé et sérieux, prenant cet affrontement pour un duel à mort... Là me vient une question : s'est-elle seulement amusée à un entraînement ? Même amical ?

Ce ne sera pas ma troisième question, mais peut-être une question pour l'avenir. Mona libère une aura électrique, et cela me rappelle son duel contre Krom, ou plutôt le second affrontement.

-{Dis-moi...}

Mona écarte les bras, et 10 flèches électriques sont tirées, avec pour chacune un lien qui les lient à l'aura de la jeune femme. Cependant, la guerrière prend une impulsion vers moi, tout en conservant son aura, alors que les projectiles partent tout droit, vers le ciel.

-{Pourquoi détestes-tu Adelyne ?}

Elle m'assène un premier coup d'épée que je bloque, sauf qu'une des flèches arrive par le haut droit sur moi. Mona me repousse mais je manque de perdre l'équilibre, et la pointe du projectile frappe le sol entre nous, créant un souffle qui me repousse un peu plus.

Sauf que la guerrière continue de me courir dessus, mais avec deux autres flèches qui arrivent par les côtés pour me prendre en tenaille, et avec leur invocatrice devant moi. Je reste à ma position un bref instant, le temps que les flèches et Mona soient à portée, et je me décale tout en envoyant une lame d'énergie horizontale devant moi.

Mona arrive à l'éviter, mais les deux flèches sont brisées par l'attaque. Ce scénario continue, avec parfois une flèche qui m'attaque par un angle et mon adversaire qui m'oblige à rester concentré sur elle, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que deux flèches encore en lice.

Je suis repoussé par une nouvelle attaque de Mona, et en levant la tête, les dernières flèches dessinent des cercles dans le ciel au-dessus de nous. J'abaisse la tête, et mon adversaire court vers moi avec sa lame placée pour un coup d'estoc.

Au même moment, j'entends le bruit des deux flèches qui descendent. Je fais deux coups horizontaux avec mes lames tout en reculant, sauf que Mona garde son épée reculée, car les deux flèches électriques rejoignent son poing gauche fermée.

-{Bordel !}

Elle tend son poing vers moi, et libère un souffle semblable à un rayon droit vers moi assez grand pour m'envelopper complètement. Je peux sentir la force du souffle et les éclairs autour de moi me brûler peu à peu la peau, alors que je force sur mes pieds afin de rester debout, avec mes deux lames en X devant moi.

Cependant, j'aperçois l'épée de Mona dans le souffle qui va droit vers le milieu de ma garde, et je n'ai pas le temps de tenter quoi que ce soit. L'impact est si fort que mes lames se décroisent, et que mes bras s'écartent, me laissant sans défense.

Une seule seconde après, le souffle s'arrête d'un coup, et Mona se trouve devant moi, son poing droit chargé d'éclairs et un regard assassin dans ses yeux.

***

-{Qu'est-ce que tu sais de mon passé ?}

Voilà ma troisième et dernière question que je veux lui poser. Je lui envoie mon poing en plein dans son visage, libérant le tout dernier souffle qui libère une onde circulaire avec des petits éclairs qui se propagent sur le terrain.

Johan est violemment repoussé, lâchant ses épées et roulant sur le sol avant de rester allongé, face contre terre, et ses lunettes qui sont tombées, mais heureusement intactes. Depuis ma main droite, je crée une corde d'éclair pour ramener mon épée et la ranger dans mon fourreau.

-{En vérité, cela aurait pu finir en match nul...}

Je regarde autour de moi, et les soldats sont surpris de la fin de ce combat. A mon avis, ils devaient s'attendre à ce que Johan l'emporte, et pas une étrangère. Je m'abaisse pour récupérer les lunettes de Johan, et me rapproche de lui pour les lui rendre.

Le chevalier relève la tête et récupère ses lunettes, avec un sourire amusé sur le visage. Il se relève et récupère ses lames.

-Félicitations.

Sur l'instant, je ne réplique pas, baissant la tête sur le côté. Je finis par briser le silence.

-Tu es fort.

Johan rigole de bon cœur, levant la tête vers le ciel.

-Tu l'es aussi.

Après qu'on ait un peu récupéré, on se refait face, car il fallait tenir la promesse que l'on s'est faite au début du combat.

-Je suis prêt à répondre à tes questions.

Je mets une main au niveau de mon menton pour réfléchir. En repensant à mes trois questions, une me concerne directement, alors que les deux autres impliquent Adelyne...

-Pourquoi es-tu venu me défier ?

-J'ai l'habitude de demander un affrontement avec mes alliés, pour découvrir ma propre limite et aussi découvrir le style de combat de mes partenaires. Quand je t'ai vu sur le champ de bataille, contre Zaira et Krom, je voulais savoir jusqu'où s'étendait ta force.

-{Adelyne n'est donc pas impliquée...}

Je me retiens de poser la question dont la réponse risque de me blesser, donc j'opte pour la deuxième.

-La monarque d'Avillon n'a pas une once d'autorité, et pourtant vous êtes les chevaliers les plus loyaux qui n'hésitez pas à la servir... Quelle est la vraie raison de cette loyauté ?

C'est au tour de Johan d'amener une main vers son menton.

-C'est son empathie et sa gentillesse. Sa volonté de changer le monde cruel dans lequel on vit, et sa capacité à toujours se remettre en question afin de s'améliorer.

-{...}

-Il y avait d'autres prétendants au titre de monarque, et c'était à l'ancien monarque de décider de son successeur. Personne ne s'attendait à ce que ce soit Son Altesse qui soit désigné, car c'était la seule qui ne laissait aucune distance avec son peuple.

Je m'apprêtais à poser ma dernière question, mais j'en ai eu une nouvelle, sauf que je dois la garder pour Adelyne. En tournant une deuxième fois la langue dans ma bouche, je me rends compte que poser ma dernière question ne ferait que me blesser, et je refuse que ma colère reprenne surface.

-Je vois. Merci.

Johan relève la tête, l'air intrigué, alors que je détourne le regard.

-Tu n'as pas de troisième question ?

-Je n'ai pas envie de la poser.

Sans attendre, je m'en vais du terrain d'entraînement, après avoir salué Johan.

***

Dans ma salle d'audience, assis sur mon trône, je règle les dernières paperasses avec Rouin que je n'ai pas pu conclure hier.

-Au fait Rouin.

-Oui, Altesse ?

-Comment vont Lyn et Mu ?

-Mademoiselle Lyn arrive à s'occuper avec l'alchimie. Mu est dans la cuisine en train de prendre un dessert.

-Qu'en est-il d'Astrid ?

A ma question, Rouin baisse un instant la tête.

-Elle est injoignable. J'ai peur que son appareil de communication se soit cassé.

-Je vois, merci Rouin. Tu peux disposer.

-Tu vas quelque part ?

-Je dois passer voir la famille de forgeron en ville, j'ai une commande à leur donner, et cela fait longtemps que je ne suis pas allé les voir

-Dois-je demander une escorte ?

-Je n'en ai pas besoin.

[Un peu plus tard]

Je finis par sortir du château après que Mu m'ait connecté de sa propre initiative aux Chroniques pour me faire part de quelque chose d'étrange : L'Empire perd de l'efficacité à Giabax. Isola, la nation avec les moyens maritimes les plus développés et qui est actuellement en guerre, semble reprendre l'avantage par un souci de ravitaillement ennemi.

Ma première théorie serait que l'un des Héros de l'Aube se soit retrouvé à Isola et qu'il soit la raison de ce changement... Je ne peux pas découvrir grand chose sur les autres membres, mais en vue de leur réputation, on pourrait arriver à Isola quand ils s'apprêtent à gagner la guerre.

-{Mais cela veut dire que Helga et Walther ont éprouvé des difficultés avec l'Empire... Si c'est vraiment un membre de M.E.G.A, alors ce groupe serait plus fort que les membres des Douze Légendes ? Non, ça ne veut rien dire, si ce sont les routes d'approvisionnement de l'Empire qui se sont fait interrompre... Le membre de M.E.G.A aurait rejoint les pirates de Lodoss ?}

En réfléchissant, j'arrive aux portes de la citadelle, en haut des marches de l'escalier qui descend jusqu'à la ville où je peux l'apercevoir dans toute sa beauté.

-Altesse ?

J'arrête un bref instant mes pas pour me tourner vers la voix, et c'est Mona qui marche vers moi, visiblement surprise mais aussi sur ses gardes.

-Mona, que fais-tu là ?

-Je reviens d'un entraînement avec Johan, puis je suis allé faire un tour dans la citadelle jusqu'à ce que je vous vois. Où allez-vous ?

-Je vais en ville voir la famille de forgeron. Tu veux m'accompagner ? Nous n'avons pas passé de temps toutes les deux depuis que tu es ici.

Mona est d'abord hésitante, mais finit par accepter. On descend toutes les deux les marches sans se dire un seul mot, jusqu'à ce que nous arrivions dans une des grandes rues de la ville, avec les habitants qui nous saluent.

Je lance parfois des regards à l'attention de Mona, qui semble un peu mal à l'aise face aux habitants qui sont assez souriants et nous saluent un par un, mais c'est compréhensible pour ceux qui n'ont pas l'habitude. J'ai bien envie de lancer un sujet de discussion, mais les seules choses que je sais d'elle sont des détails qui peuvent la blesser et lui faire perdre le contrôle de ses émotions.

-Hé, Altesse... commence timidement Mona.

-Tu peux m'appeler par mon nom. Qu'y a-t-il ?

Mona ne répond pas sur l'instant, alors que nous continuons à marcher.

-Mon duel avec Johan avait une règle... Le gagnant pouvait poser trois questions, et le perdant devait répondre honnêtement... Il m'a parlé de sa loyauté et de celle des autres chevaliers envers vous...

-...

-Puis cela m'a rappelé il y a 7 ans, quand Mei m'a fait visiter le bidonville, qui était une des raisons de votre volonté à devenir monarque...

Je commence à savoir où elle veut en venir, mais je préfère qu'elle le dise elle-même.

-Quel était votre parcours, durant votre jeunesse ? Ou plutôt avant que vous montiez sur le trône.

Je commence à me remémorer mes souvenirs d'enfance dans l'ordre, en évitant de les confondre ou de les mélanger. Cela dure plusieurs secondes, où je continue de suivre le chemin vers la forge qui n'est plus très loin.

-Je suis née dans une famille issue de l'ancienne haute société d'Avillon, une famille riche en soi. Les seules personnes que mes parents m'autorisaient à fréquenter étaient uniquement d'autres familles de la haute société.

Mona ne dit rien, se contentant de me regarder.

-L'ancien monarque était très distant envers son peuple, et ne quittait jamais la citadelle, sauf dans des réunions avec d'autres dirigeants. Il est venu une fois quand je n'étais qu'une enfant, mais il n'est pas resté longtemps.

-...

-J'ai voulu me promener dans la ville, précisément à un marché nocturne, et mes parents m'avaient interdit de me rendre au niveau de la porte Ouest...

-Le bidonville ?

-Exactement. Ils ne voulaient pas que je côtoie des personnes qui n'étaient pas issus de la haute société... Mais j'ai profité d'un moment où ils n'étaient pas là pour y aller, et c'est là que j'ai découvert la vérité.

-Quelle vérité ?

-Sur la véritable identité de ce monde.

Sans prévenir, j'arrête mes pas, Mona fait de même. Je me tourne lentement pour lui faire face, avec un regard de compassion.

-J'ai connu une fille d'à peine 10 ans qui vivait dans les bas-quartiers... Elle était probablement la personne la plus gentille que j'ai rencontré, même jusqu'à aujourd'hui. Je voulais l'aider, ainsi que tous ceux des bidonvilles, car je refusais d'avoir été privilégié au détriment des vies de personnes moins fortunées...

-...

Cependant, mes souvenirs d'antan me font baisser la tête et je ferme les yeux.

-Mes parents m'ont vu revenir des bidonvilles, et m'ont surveillé pendant plusieurs jours. Quand j'ai pu de nouveau y aller, la fille que j'ai connu avait mis fin à ses jours d'une façon horrible, mais m'avait laissé une lettre. Elle me remerciait du regard de compassion que je lui ai lancé, et de mon envie de vouloir l'aider...

-...

-J'avais 12 ans à cette époque, et je me suis fait une promesse : je veux changer ce monde cruel envers les classes sociales les plus basses, où chacun peut vivre comme il le veut, un monde idéal pour tous. Je n'en ai pas parlé à mes parents, et mon entourage à l'école se sont moqués de moi, mais cela ne m'a pas empêché d'étudier l'utilisation de la langue et des formations pour être parmi les prétendants au titre de monarque.

Là où je voulais en venir en parlant de mon passé, c'est que je sais ce que ressent Mona en ce moment, malgré notre différence d'âge. Même si nos origines sont différentes, nous pouvons vivre des expériences similaires.

-Ton chagrin qui dure depuis trois ans, je t'ai dit que c'était à cause de moi, et c'est la vérité.

Mona a également baissé la tête, mais j'aperçois ses poings qui sont fermés de colère.

-Vous aimez bien tout ramener à vous, non ?

Je fus brièvement surpris de sa question, ne m'attendant pas à cela.

-Hein ?

Mona relève les yeux, mais avec un air fatigué et déprimé.

-J'ai déjà passé ma colère sur vous avant que l'on ne parte pour Rhodon, en m'emmenant derrière la citadelle. Vous avez peut être votre rôle à jouer, à cause de votre ancienne capacité, mais cela n'a aucune importance actuellement. Ma seule préoccupation, c'est ce Ian.

-Désolé...

-Il est trop tard désormais. Le passé ne peut pas être modifié, et même si on le pouvait, je refuse d'oublier ce qui fait la femme que je suis aujourd'hui.

On reste silencieuses quelques instants, avant que Mona ne se gratte l'arrière de la tête et décide de rompre le silence.

-On reprend le chemin vers la forge ?

-Oh, c'est vrai... en amenant une main vers mon menton.

Il me suffit de tourner la tête vers la gauche, et nous sommes déjà devant, c'est pour cela que je me suis arrêté ici. Les portes sont encore ouvertes et on peut entendre des coups de marteaux à l'intérieur, et de la fumée qui s'échappe de la grande cheminée qui sort du toit par le haut.

-Allez, suis-moi.

Devant la porte avec Mona, je toque deux fois à la porte, et une voix douce, féminine et accueillante m'autorise à entrer. Je pousse la vieille porte grinçante, et la laisse ouverte pour Mona, avant que l'on découvre cette grande salle coupée en deux par un long comptoir, et sur le côté droit du meuble des rails tournant dans le vide qui sont reliés vers le four situé au fond de la pièce.

Cela dit, je m'attarde surtout à la personne derrière le comptoir : une adolescente aux cheveux aussi noir que la nuit, avec des yeux d'un bleu éclatant, vêtus d'habits de tous les jours. Derrière elle, à proximité du fourneau et avec les tabliers, deux adultes, ses parents précisément, frappent le fer avec leurs marteaux.

L'adolescente me reconnait, et aborde un large sourire, se levant de sa chaise et ouvrant une trappe à gauche du comptoir pour me rejoindre.

-Altesse !

-Bonjour, Honori !

***

Voir une telle proximité entre une adolescente et la monarque me fait remonter des souvenirs de mon enfance, où mes parents n'étaient presque pas présents, et qu'ils m'ont mis en interne-pensionnaire à mon école... Ce système n'existe plus, mais quand il était présent, les élèves restaient constamment dans leur école, même le week-end et les vacances, mais au moins ils étaient libres. J'ai vécu hors de chez mes parents dès mes 12 ans, et j'ai coupé tous les ponts pour ne plus avoir de leurs nouvelles.

-{Elle fait assez jeune quand même...}

En regardant vers les deux adultes, ces derniers nous remarquent et posent leur marteau pour nous saluer. La monarque se relève pour les saluer également, serrant même la main au père de la famille.

-{On dirait plus des anciens amis qu'une visite d'une monarque...}

Honori s'approche de moi, et on se fait une poignée de main, bien que j'évite d'afficher un sourire, malgré le visage chaleureux de l'adolescente. La jeune fille retourne aux côtés de ses parents, et la mère de famille prend la parole.

-Vous êtes venue avec une nouvelle chevalière ?

Adelyne me lance un regard intrigué, mais je détourne le regard sur le côté.

-Ce n'est pas une chevalière d'Avillon. Elle vient d'une des nations où j'ai forgé un accord d'alliance, et elle m'aide dans le conflit actuel.

-Oh, je vois.

C'est au tour du père de prendre la parole, et va droit au but.

-Vous avez besoin de quelque chose, Altesse ?

-En effet.

La monarque sort de sa poche un plan sur une feuille orange légèrement sale, typique des feuilles où on dessine les plans. Elle le déplie et le tend à la famille.

-C'est semblable à la même épée que celle que je vous avais demandé pour le Comte Oswald, mais celle de ce plan est plus longue et épaisse.

-Je vois... enchaîne l'adolescente.

-Ah et... Il m'en faudrait deux exemplaires.

-{C'est vraiment la monarque d'Avillon qui vient en personne en tant que cliente en parlant de façon respectueuse envers les habitants ?}

Je reste en retrait et silencieuse pendant qu'ils discutent, mais l'adolescente s'approche de moi, bien qu'elle reste de l'autre côté du comptoir.

-Au fait, on a entendu parler de ton duel amical contre un des chevaliers d'Avillon, et tu utilises une épée de lumière alors que tu manies la foudre. Tu veux que l'on te crée une épée de foudre ou pas ?

Pendant un seul instant, mon poing droit se ferme et mon envie de tirer mon épée pour trancher la tête de cette fille passe en premier lieu, mais j'arrive à contenir ma colère. Après tout, cette fille m'a accueilli chaleureusement, et la monarque est présente.

Je pouffe sans grande discrétion puis sort immédiatement de la forge, sans même lancer un regard vers la famille de forgerons.

***

-{Je n'ai pas eu à dire un seul mot...}

-Que lui arrive-t-elle ? demande Honori.

-Je ne peux pas m'exprimer pour elle, mais son passé la hante depuis plusieurs mois et elle reste figée dans le passé.

-Peut-être devriez-vous trouver quelqu'un qui ressent la même chose qu'elle ?

-C'est plus compliqué que cela...

***

D'un côté, cette adolescente avait raison sur un point : sans une épée qui possède mon élément, je ne peux pas tirer le plein potentiel de ma magie.

Mais je refuse d'abandonner cette lame qui est le symbole de mon espoir, et qui m'empêche de devenir folle à cause de mes pensées ténébreuses. Je me secoue la tête pour me forcer à passer à autre chose, et ma première idée est Lumisade, où on part dans 4 jours.

Je me souviens encore de ma crise, et que j'ai attaqué aveuglément Ian, et qu'il m'a fait comprendre notre écart de force d'un vulgaire mouvement de bras. Je dois devenir plus forte si je veux espérer avoir une chance contre lui, car je suis certain qu'il va se remettre devant ma route...