Chan revenait vers le camp après avoir à nouveau rencontré Changbin. Ses rangers s'enfonçaient dans la boue et dans la glace, les premières gelées étant arrivées durant la nuit, alors que son blouson remontait jusqu'à son cou.

Ses doigts rougis n'étaient pas protégés par ses mitaines et s'engourdissaient petit à petit, essayant de se réchauffer dans ses poches. Le silence l'entourait, donnant une atmosphère lourde à l'air sec. Quelques rafales de tirs se faisaient entendre de temps à autre, mais rien de bien méchant, de simple broutilles dans cette mascarade qu'était cette situation.

Le camp fut rapidement atteint et Chan entra discrètement pour éviter qu'on lui pose trop de questions. Il sortait de plus en plus souvent en plus de ses patrouilles. Même si ses rencontres avec Changbin restaient assez hasardeuses, il ne voulait pas qu'on le soupçonne de trahison ou autre connerie dans le genre.

En plus, sa conversation d'aujourd'hui avec le noiraud l'avait beaucoup fait réfléchir et tournait dans sa tête. Le jeune homme s'était étendu sur sa vie en Corée du Nord, le traitement qu'il subissait et Chan s'était demandé comment il pouvait encore trouver la force de se battre. Il n'avait eu qu'une envie, le prendre dans ses bras. Surtout quand il avait vu un sourire triste s'étendre sur ses lèvres.

Il devait être midi car les rations se faisaient distribuer et Chan sentit son estomac se nouer, il avait bien de la chance d'avoir trois repas par jour. Il voyait encore le visage un peu trop fin de Changbin qui lui parlait de ses propres repas. Même pour dormir, ils n'étaient pas à égalité.

La Corée du Nord avait peut-être un très bon armement, mais à quoi cela servait entre les mains de soldats épuisés et en sous-nutrition ? Chan savait bien que la famine était l'un des plus grands fléaux qui touchait le pays adverse et cette remarque lui coupa une fois de plus l'appétit.

Cette discussion le faisait énormément réfléchir, il la retournait dans tous les sens dans sa tête comme si une évidence ou un éclair de génie allait le traverser soudainement. Malheureusement, rien ne lui vint en tête mis à part les idées qu'il se faisait de la situation de Changbin.

Le pauvre homme n'avait pas vu sa famille depuis des mois voir même quelques années, bloqué dans le travail à l'usine un peu partout dans le pays. Il n'avait qu'un seul ami dont il était vraiment proche et il le voyait rarement aussi et heureusement qu'il avait Jeongin avec lui pour tenir.

Yang Jeongin était un jeune soldat au même titre que Changbin qu'il avait rencontré lors de son enrôlement pour cette bataille. Ce n'étaient pas les meilleurs amis du monde, mais ils étaient là pour se soutenir dans les moments difficiles et partageaient la même idée. Mais le noiraud s'était abstenu de la partager à Chan, ne le connaissant pas assez pour cela.

Les premières neiges commencèrent à chuter sur le champ de bataille, d'abord de tout petits flocons, puis de plus en plus gros qui rejoignirent le sol. Les soldats s'étaient tous arrêtés quelques instants pour observer ce phénomène avant de reprendre leurs activités, piétinant sans vergogne la fine pellicule de neige qui peinait déjà à tenir.

Chan ébouriffa ses cheveux, geste inutile puisque des flocons revinrent s'y nicher aussitôt, et reprit ce qu'il avait commencé. Écrire des rapports n'était pas vraiment une partie de plaisir mais c'était toujours mieux que de faire les stocks des provisions.

Leur camp se trouvait bien caché derrière une butte entourée d'arbres et le reste du terrain avait été aménagé en pseudo tranchées avec des galeries pour les protéger des diverses intempéries. Chan se trouvait dans un petit renfoncement, laissant l'intérieur aux blessés, bien blottis dans son blouson. Ses pauvres doigts n'avaient toujours pas réussi à se réchauffer alors qu'ils frappaient les touches du clavier de son petit ordinateur.

L'homme mettait un point d'honneur à omettre ses différentes rencontres avec le Nord-Coréen, ne voulant pas lui apporter de problèmes ainsi qu'à lui-même, certaines choses se devaient de rester caché.

Alors qu'il était concentré sur la formulation d'une phrase, un thermos se plaça dans son champ de vision et une odeur amère de café s'en échappait. Chan releva les yeux et tomba dans le regard d'un grand châtain, un léger sourire aux lèvres.

Ce soldat, Chan le connaissait bien, après tout, il l'avait lui-même formé. Hwang Hyunjin était un très bon combattant âgé de vingt-trois ans qui risquait d'être nommé lieutenant junior sous peu tout comme Chan allait probablement être gradé capitaine. L'élève n'avait pas encore dépassé le maître.

Le brun le remercia et prit le thermos entre ses mains qui lui infligea directement une sensation de brûlure à cause du choc thermique. Chan laissa pourtant ses mains se réchauffer contre alors que Hyunjin s'assit à ses côtés en regardant l'écran.

- Vous faites quoi lieutenant ?

Le plus vieux leva les yeux au ciel face aux termes employés par le jeune homme, mais décida de ne pas entrer dans son jeu et prit une gorgée de café, le laissant lui brûler la gorge.

- Mes rapports...

- Ouch... Pas drôle...

Chan fit une petite moue désespérée avant de reprendre son travail alors que Hyunjin restait avec lui, collé à lui pour se tenir chaud, aiguisant la lame de son couteau qui commençait à un peu trop s'émousser.

- Au fait, comment va ta blessure ?

Hyunjin venait de rompre le silence qui s'était installé et regardait son supérieur en attente d'une réponse.

- Je pense que je vais retirer le pansement, il me gêne plus qu'autre chose et ça a déjà pas mal cicatrisé.

- Tu vas encore te retrouver avec une cicatrice toute boursouflée à faire ça...

- Une de plus ou de moins...

Le châtain abandonna, sachant qu'il était presque impossible de faire changer Chan d'avis, surtout quand cela le concernait principalement. Il avait aussi un peu la flemme de trouver des arguments n'ayant pas envie de perdre son temps, du moins, pour le peu qu'il l'utilisait.

- C'est vrai que pas mal de femmes trouvent ça sexy les blessures de guerre !

Le brun lui jeta un regard noir, non seulement car Hyunjin se fichait de lui, mais aussi car il savait très bien que les poitrines n'étaient pas vraiment sa tasse de thé. Le plus jeune afficha un sourire innocent avant de se lever et de détaler dans le camp, poursuivi de près par un lieutenant qui voulait se venger. Laissant derrière eux le pauvre ordinateur et les rapports toujours pas terminés.