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17- Dans l'antre des lions ...

And the stars gather by, by your side
Sayin' rise up
To the light in the sky, yeah
Let the light lift your heart up
Burn your flame through the night, yeah
Spirit, watch the heavens open
Yeah
Spirit, can you hear it callin'? (Callin')
Yeah
Your destiny is comin' close
Stand up and fight

Spirit, Beyonce

« Sevgili geçmiş bana öğrettiğin her şey için teşekkür ederim."
Cher passé, pour toutes les choses que tu m'as apprises, je te remercie .

                 ~ Réplique tirée de sevgili geçmis~
                 



PS: Peut-être que relire les grandes lignes du dernier chapitre vous permettra de mieux saisir le fil de l'histoire. ( Encore désolé pour la longue absence!)

C'était vraiment le bal des hypocrites. On tenait une soirée caritative où juste une de ces robes hautes coutures, un de ces lustres majestueux, aurait pu payer la scolarité annuelle de trois enfants autistes. les belles-mères et les belles filles se souriaient pour mieux se détester intérieurement. Les bienfaiteurs ne donnaient que si la caméra leur accordait un "zoom" et lucifer en personne appelait à la bonté.

Deux ennemis jurés s'étaient donc lancés dans une langoureuse et intense danse. Ils tournoyaient comme si le monde n'était plus, comme si le temps s'était tu, tels les plus fougueux des amants. Et dans la froideur de la nuit, la foule subjuguée par une valse si torride.

Par quelques procédés mystiques, avait-on désempli la terre de son oxygène? En effet, Nour ne se sentait plus respirer. Juste pour une valse, juste l'instant d'un regard, les notions « d'espace » et de « temps » avaient perdu toute significativité.
Juste pour une valse, juste l'instant d'un regard, le cortège de riches dignitaires et d'humbles bénéficiaires, ainsi que le parquet somptueux du King Fahd Palace s'étaient volatilisés. Le plafond de marbre s'était ouvert et donc Nour avait volé, bercée par un rythme mélancolique, bercée par la haine, dans les bras de son bourreau aux allures d'archange. Cependant quand la main coupable eut fini de caresser outrageusement la peau qui s'échappait de sa fente et que cette bouche pleine et cruelle eut frôlé sa nuque, Nour Sadiyah Sarr avait suffoqué.

Descendu de son nuage, elle les voyait désormais. Elle voyait le « beau monde », le « monde raffiné » la détaillait , puis chuchotait comme s'il s'agissait d'une bête foire! Il y'en avait eu ce soir-là des faces déconfites, des actionnaires interdits et des anciennes amantes piquées au vif. Toutefois la réaction la plus mémorable fut celle de Monsieur Abdallah Aïdara, lui qui dans un excès de colère agrippa la main de sa femme - qui ma foi n'était pas moins frustrée- et quitta rapidement l'hôtel.

Non pas que la scène fut trop remplie de langueur, point du tout! On avait à peine remarqué la main sur la cuisse de Nour tant elle avait savamment et furtivement glissé. Et puis c'était le « Dakar moderne et branché » et donc tristement européanisé, cette valse n'avait donc rien d'inapproprié, ce n'était que romantisme de la part d'un homme qu'on n'attendait pas romantique.

Les journalistes n'en avaient plus que faire de ces pauvres autistes qui pouvaient
bien mourir dans un coin, ils l'avaient eu leur scoop! Tout le monde murmurait, tout le monde se demandait qui était cette jeune fille à qui l'illustre Chemsseddine Aïdara avait témoigné tant d'intérêt. Jamais auparavant, le milliardaire ne s'était étalé sur ses relations même lorsqu'elles étaient malencontreusement découvertes. Ce n'était pas une fille de leur monde, cela se voyait à son attirail, à son port, à la broche qui coiffait ses cheveux et au flux d'émotion qui plissait ses yeux et qu'elle ne se peinait pas à camoufler. Puis « le beau monde » reconnut peu à peu, celle qui avait fait la une des journaux deux mois plutôt au près de Mr Aïdara fils au cœur d'un scandale pétrolier. Plus « le beau monde » analysait la situation, plus elle lui paraissait insolite, incongrue.

Le cœur de Nour battait très fort, elle souhaita fondre comme du yëll dans de la soupe sous l'effet du bicarbonate. Elle entendit Chemsseddine rire doucement contre elle.

« Mon Dieu! Pourquoi l'ai je laissé faire? Je vois bien que nous mettre sous le feu des projecteurs, c'est exactement ce qu'il a prévu. Mais dans quel but? » Songea- t-elle.

- Il suffit d'inspirer puis d'expirer, Mlle Sadiyah!. Respirer, c'est tout ce qu'il y'a de plus élémentaire ou est-ce ma présence dans les parages qui vous fait perdre tes réflexes les plus primaires? lança Chemseddine sur un ton léger qui était bien plus celui de la défiance que de la plaisanterie.

Nour le dévisagea d'un regard courroucé tandis qu'il la tenait fermement par les épaules.

- Vous avez toujours le cœur à rire? Voyez comment les journalistes s'en donnent à coeur joie? Etes-vous trop bête pour comprendre que ce que vous venez de faire est puéril et que cela nous porte préjudice à tous les deux? Vous venez de ruiner ma réputation un peu plus avec votre danse ridicule. Quel âge croyez vous avoir? gronda- t-elle rageusement sans oser hausser la voix.

- Ah et voilà que nous retournons au vouvoiement.Ta réputation, tu dis? Le monde te détestes parce que tu m'as quelque peu irrité et que j'ai  décrété que pour expier ta faute tu devais être méprisée! Par conséquent, si je désire que le monde t'aime à nouveau alors il sera à tes pieds.

Après avoir repris son souffle, il renchérit:
- Mlle Sadiyah, tu n'as donc toujours pas compris ce qui se déroule sous tes yeux ébahis. Je t'introduis à la haute société comme ma fiancée.

- Vous parlez comme si vous étiez un roi et tous ces gens, votre cour. Gardez vos dessins pour vous, quels qu'ils soient et ôtez vos salles pattes de moi! Je me suis assez embarrassée pour ce soir alors laissez-moi partir! ordonna-t-elle.

- Pendre congés de moi? Répéta -il en arquant ses sourcils. Si tôt? Alors qu'il m'a fallu organiser tout un gala pour t'avoir à mes côtés? Ce serait bien dommage, tu ne trouves pas?

«  Ah cela t'amuses connard! »

Alors que Nour préparait une rétorque des plus acerbes, quelqu'un vint les interrompre. Sa délivrance n'était personne d'autre qu'un homme noir, grand, ayant fier allure dans son costume gris. Avec ses lèvres charnues et ses yeux ténébreux, il avait ce charme propre aux étalons africains. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait, il avait même l'air plutôt familier.
« Mais oui! Je le connais lui! Fenkatt bi, le vil menteur. C'est l'avocat de Chemsseddine. ».

- Désolé de couper court à votre charmante parade nuptiale, toutefois, (...) avait entamé le jeune avocat, amusé.

Ses dents trop blanches donnaient limite la migraine à Nour . Et puis elle trouvait ses blagues déplacées.

- Ai-je l'air d'un pigeon? Parade nuptiale et puis quoi encore? lança Nour en essayant de libérer ses épaules de l'étreinte de Chemsseddine comme pour se donner plus de crédibilité.

- C'est que sembliez roucouler! Excusez mes paroles Mademoiselle, si je vous aie offensé.

Il s'inclina de manière théâtrale en étouffant un rire puis se retourna vers Chemsseddine:

- Mademoiselle Clara De Azevedo est arrivée. Elle t'attend au quatrième étage! annonça-t-il d'un ton faussement solennel.

- Enfin, souffla Chemsseddine, j'ai faillit croire que « sa majesté » ne viendrait jamais! Quant à toi, - il avait replongé son regard dans celui de sa promise - ne sois soit pas trop jalouse. Il s'agit juste de la fille du directeur de la FMI, c'est pour les affaires, je te reviens bientôt !

Les mains de notre téméraire milliardaire quittèrent le satin soyeux qui couvrait la demoiselle. Ainsi, il saisit sa paume délicate et en s'inclinant légèrement lui fit un baise-main. C'est qu'il connaît bien les gestes galants, le Chemsseddine. Nour sentit ses joues chauffer.

On murmurait toujours mais surtout on dévisageait son étrange cavalière.
La jeune femme, plus humiliée que son égo ne pouvait le concevoir retira furtivement sa main et saisi l'occasion pour se soustraire des griffes de son bourreau. Et tandis qu'elle marchait très vite pour s'éloigner de cette aura qui lui compressait le cœur, un sourire cruel bordait le coin des lèvres de Chemsseddine,  lui était fort satisfait de l'avoir tant troublée.

Nour Sadiyah manqua de trébucher à deux reprises. Diantre! Pourquoi diable avait-elle chaussé des talons aussi haut?
Et en plus de son « fiancé », toute la salle l'observait ainsi évoluer. Misérable, ridicule, une frêle petite lumière qui risquait de mourir à la première intempérie, à la prochaine nue. Il aurait pu rester là, toute la soirée durant, à contempler son embarras mais pour une raison inconnu Chemsseddine décida finalement qu'il en était assez. Il ne voulait quand même pas que sa futur-femme passe définitivement pour une cruche. L'observant se frayer un chemin entre les gourgandines tirées à êtres épingles et les hommes d'affaires hauts perchés, il glissa à son fidèle et presque seul ami Djamil: « Conduis la dans un endroit isolé pour moi et fais en sorte qu'elle ne quitte l'hôtel avant mon retour sous aucun prétexte. ».

Djamil fidèle à lui-même même entreprit de faire de l'esprit. En effet, tout tourner en dérision était sa philosophie de vie, son ancrage. Cependant Chemsseddine ne lui laissa pas le temps de glisser une autre blague inconvenante qu'il s'était déjà détourné de lui. Marchant le port droit. Le regard fier. Le pas nonchalant comme s'il demandait à l'univers de s'incliner devant sa prestance. Et pourtant il ne faisait aucun effort. Devenait-il naturel de dégager un aura aussi subjuguant et hypnotique à force de trop être Chemsseddine?
Qui sait?

Les regards admiratifs, les moues d'incompréhension, le bruit des flashs, ce soir, plus que jamais, il les aimait. Il aimait que cette soirée se déroula au détail prés comme il l'eut désiré. Il aimait être le chef d'orchestre, le scénariste, l'architecte et le seul metteur en scène pour toutes ces marionnettes vides, trop vides pour voir tous ses fils auxquels ils étaient attachés. C'était la consécration. Tout rentrait dans l'ordre. Son retour à la tête d'AMC ne lui avait jamais semblé aussi proche. Ainsi, cette impertinente Mlle Sadiyah avait-elle donc raison? C'était un roi et ce monde opulent sa cour . Toutefois elle ignorait une chose, et pas des moindres, elle était la seule clef pour que son trône, à tout jamais puisse resplendir.
Quand il eut atteint la fin de l'allée, le jeune ingénieur disparu finalement dans un ascenseur, laissant la salle en apothéose.








*
Si le commun des sénégalais attribuait le prestige de l'établissement à ses longues  colonnes de marbre somptueuses, à ses suites luxuriantes et à ses dorures nacrées; les cinq étoiles du king fahd Palace gravitaient autour de quelque chose de bien plus grand, de bien plus subtil, de bien plus sombre... Il y'avait cette pièce baptisée la salle 401. Elle se situait au cœur de l'hôtel, insoupçonnée, impénétrable.

Tant de décisions d'Etat importantes, tant d'alliances controversées, tant de billets de toutes les couleurs et de toutes les devises échangées , tant de dipustes exacerbées. On parlait même de poudre et de sang. La salle 401 avait déjà tant entendu mais n'avait jamais parlé, insoupçonnée, impénétrable. Toutefois il fallait débourser et être des gens « d'influence » pour pouvoir à l'abris, lui chuchoter nos secrets. On venait de partout. On pouvait être n'importe qui...

Et la salle 401 en avait reçu des invités distingués, mais jamais son sol, toute son histoire durant, n'avait été foulé avec tant de grâce. Jamais de si belles jambes ne s'étaient croisées sur ses fauteuils de cuirs italiens. Jamais ni chez les femmes d'orients, ni chez les blanches, ni dans l'effluve d'aucune sénégalaise, elle n'avait senti un parfum à la fois si doux, si saisissant et si exotique.
Des ongles d'une délicatesse enivrante tambourinaient nerveusement sur son unique table basse, toute de verre et d'ébène faite.
Même ainsi paresseusement avachie, Carla De Azevedo était le saut de l'élégance et restait follement désirable. Et comme la nature l'avait tant gâtée, il était légitime qu'elle aie une grande considération d'elle-même.
Cela l'irriter donc que du haut de son impudente beauté, on  la fasse ainsi attendre.

Elle souffla de lassitude lorsque la porte s'ouvrît sur Cheikh Ahmed Tidiane Chemsseddine Aïdara. Cette dernière coulissa aussitôt pour disparaître comme si elle n'avait jamais existé. Carla tentait de se tempérer mais était, à vrai dire, plutôt à bout de nerfs.

« Est-ce parce qu'il est beau et milliardaire qu'il se permet de me faire poireauter? »

- Je savais bien que je n'aurais pas dû vous témoigner tant d'intérêt, c'est que vous prenez vos aises désormais! dit-elle sans daigner se retourner ni même se redresser.

La vérité c'était qu'elle se languissait de son regard, de ses lèvres et de tout ce qu'il représentait.

- C'est que je vous aie trouvée insolente de ne vous pointer qu'à ce stade de la soirée, il fallait que je vous punisse un peu... Eh bien cela ne vous aura pas tuer de patienter!rétorqua son interlocuteur avec un ton d'autant plus désinvolte que le sien.

Les interminables jambes dorées s'étaient tout d'un coup décroisées. Il y'avait quelque chose qui l'émoustillait beaucoup chez Chemsseddine: il était imprévisible! Un jour il vous traitait comme la huitième merveille du monde et le lendemain il était déjà las de vous. Mademoiselle Azevedo savait bien que si elle le voulait tant c'est parce qu'il était insaisissable. C'est à dire qu'il était plutôt séduisant avec ses cheveux noirs épais ressemblant à une mer d'ondulations coupées au court, vestige de son métissage. Sa chemise mettait en relief sa belle carrure d'autant plus que sa veste de smoking qu'il trouvait fort encombrante pendait désormais à son avant-bras.

« Ose t-il feindre l'indifférence après m'avoir foutue dans les mauvaises grâces de mon père! Quel salop! » S'énerva intérieurement la top-model.
Elle ne laissa cependant rien transparaître de l'étendue de sa frustration. Sûrement parce qu'elle était trop fière... Aussi elle se disait qu'une femme aussi captivante qu'elle le ferait ployer en quelques minutes. Même si c'était Chemsseddine Aïdara, il ne payait rien pour attendre.

Elle se leva de son siège avec toute la grâce requise et caressa du bout du doigt  le cuir brillant du canapé.  Elle glissa sur le parquet, à chacun de ses pas, ses pieds semblèrent couverts par des fleurs de lotus. Ainsi fit-elle face à Chemsseddine Aïdara plongeant ses grands yeux verts au coeur des perles bleues ténébreuses du jeune homme.  
Elle tordit sa bouche pulpeuse teintée de rouge en un sourire insolent, ravageur. Ensuit se laissa-t-elle rougir comme si elle trouvait embarrassant d'être aussi belle. Cette parfaite fusion entre son image de femme fatale et son aspect virginal faisait tout son charme.

Malgré qu'elle fut très grande - environ un mètre soixante dix-sept- sa robe d'un blanc immaculé traînait jusqu'au sol. Que dis-je? Une robe? Non! Cette chose là était une oeuvre d'art signée par la minutie des artisans Dior. Elle lui collait le haut de son corps comme une seconde peau et malgré qu'elle fut très fine, sa silhouette était féminine et ses seins ronds. Il n'y avait qu'une seule manche agrémentée d'un drapé élégant et avant-gardiste, instaurée en diagonale jusqu'à sa taille. Au niveau de ces cuisses, le vêtement prenait une coupe sirène avec une fente très haute. Et pour mieux mettre en exergue sa tenue, ses cheveux bruns ombrés mi-longs étaient rabattu sur son épaule. La couleur miel de sa peau rappelait alors le soleil de son Brésil natal.

L'égérie de Dior toisa longuement Chemsseddine.
Lui se tenait là, les mains dans les poches, adossé à une bibliothèque, la regardant avec d'autant plus de désinvolture. Carla, agacée mit de l'ordre dans ses beach waves en feignant un sourire. Un sourire sur lequel avait construit sa carrière, un sourire ravissant.
Hélas, pour celui qui sait bien lire, malgré sa bouche gourmande et ses dents blanches, son sourire avait quelque chose de froid. Et à chaque fois qu'il se profilait, elle préparait quelque choses de mesquin, de mauvais...
Elle attaqua alors de sa voix de velour aux sonorités fortement sud-américaines:

- Oh, ne vous inquiétez pas Mr Aïdara. Malgré mon retard je n'ai pas raté une miette du « spectacle ». Au fait cette fille avec laquelle vous dansiez, renchérit-elle faussement enthousiaste, elle était tout à fait charmante!  Quoiqu'un peu ronde... Puis-je vous demander Mr Aïdara de qui s'agit-il? Votre père avait l'air contrarié de la situation en s'en allant tout à l'heure...

- Eh bien, je suis content d'avoir ravi vos yeux, Mlle de Azevedo! Mon père, cette face de constipé, c'est son expression naturelle. Et puis vous vous doutez bien que je n'ai pas pris le temps de vous amenez ici pour traiter de sujets aussi légers, répondit-il en jetant un coup d'œil à sa montre Philippe Plein.

Carla ne sut retenir un rire nerveux, insatisfaite. Et d'une voix plus douce elle rétorqua:

- Dans ce cas veuillez excuser mon impertinence, Mr Aïdara, mais je brûle de savoir. Pourquoi m'avoir faire venir depuis L.A pour me faire voir ça? Si j'ai bien compris, il y'a quelque chose que vous attendez de moi, pensez vous qu'il est donc sage de me rendre jalouse si vous voulez arriver à vos fins?

- Vous rendre jalouse? ria Chemsseddine en arquant les sourcils. Désolé de vous apprendre que le monde ne tourne pas autour de vous Mlle De Azevedo.

Carla perdit son sourire et aussi sa patience, définitivement.

- Dites-moi alors à quoi rime ce qui s'est passé ce soir! Vous n'avez jamais accepté qu'une seule image de nous puisse passer dans la presse lorsque nous avions une aventure. Vous avez toujours été ainsi, pourquoi vous exposer tout d'un coup, surtout avec cette femme?  Demande t-elle la voix emplie de dédain.

La réponse que Chemsseddine Aïdara lui donna, Carla aurait préféré recevoir un coup de massue plutôt que de l'entendre:

- Il s'agit de ma fiancée! Avait-il calmement déclaré.
On aurait dit qu'il parlait de la pluie et du beau temps. Carla, elle, espérait déceler une pointe d'ironie dans sa voix, l'ombre d'un sourire en coin, une lueur taquine dans ses yeux. Il n'en fit rien.

- Quoi? Vous? Fiancé? ricana Clara. Mr Aïdara, les hommes comme vous ça ne se marie pas, ça ne croit pas en l'amour, c'est beaucoup plus ambitieux que ça! Le Chemsseddine que je connais ne sacrifierait jamais sa liberté auprès d'une femme, de surcroît il ne confesserait jamais une faiblesse pareil.

Elle pencha la tête en avant semblant réfléchir avant de renchérir d'un air sournois :

- À moins que vous n'ayez derrière un intérêt plus précieux que votre liberté. Cependant, je me demande bien qu'est-ce que diable de si précieux pourriez-vous obtenir d'une moins que rien pareil?

La réaction de son interlocuteur, Mademoiselle de Azevedo ne s'y attendait pas le moins du monde. En moins de temps qu'il faut pour le dire, elle se retrouva plaquée sur le mur, la main de Chemsseddine Aïdara autour de son cou. Il semblait presque fou, étrangement nerveux, lui qui avait toujours une parfaite maîtrise de ses émotions. Suite à cela, dans un moment de recul comme s'il regrettait de s'être montré violent envers elle, il relâcha son étreinte et s'écarta de Carla. Ses yeux étaient remplis de remords, enfin ça, c'était ce que le mannequin croyait...

- Je... Carla, veuillez m'excuser mais je vous prie, ne parlez plus d'elle en ces termes. *dans un murmure* C'est la femme que j'aime et vous avez le droit de ne pas y croire mais ne lui manquez plus de respect...

Carla se massa anxieusement le cou, elle n'y comprenait plus trop rien!

- Comment osez-vous déclarer aimer cette femme qui se pointe à une soirée de gala habillée comme une lycéenne à son bal de promo? Je pensais que si par extraordinaire il vous arrivait de vous marier, ce serait avec une femme charismatique, ambitieuse, avec une bonne position, quelqu'un qui ...

- Quelqu'un comme vous? Demanda t-il en lui coupant la parole. Je me demande moi même quand en suis-je arrivé à des extrémités pareilles... Faut croire que les opposés s'attirent!

- Et si je vous disiez que je n'en crois pas un mots, votre histoire soudaine d'attraction des charges contraires? Questionna-t elle en s'approchant de lui.

- Eh bien ça ne changera rien au fait que j'aime Nour.

Clara souffla d'exaspération.

- Ah! Nour, c'est donc ça le nom de cette paysanne. Monsieur Aïdara, vous êtes ma plus grosse déception. Mais soit, les hommes sont tous de la même fadeur, aussi riches et séduisants soient-ils !

- Je ne vous ai jamais rien promis mais si cette désillusion vous atteint tant, parlons donc affaire!

- Ne vous donnez pas une importance que n'avez pas. Que puis-je faire pour vous?

Chemsseddine pointa de son index un document posé sur la seule table de la pièce au décor on ne peut plus minimaliste. Carla s'en empara et le parcouru longuement. Elle saisissait parfaitement l'enjeu de la situation car avant de se lancer dans le mannequinat, la jeune femme avait fait des études de commerce international dans une prestigieuse université américaine.
Le top-model fronça ses sourcils, perplexe, ébahie ...

- Ce que j'attends de vous, c'est que convainquiez votre père de signer cet accord, déclara Chemsseddine en anticipant sa question.

- Mais c'est de la folie! S'insurgea Carla. Les américains vont lui faire la peau s'il s'engage dans ça. Ils pourraient même compromettre ma carrière pour une connerie pareil!

Chemsseddine jeta un énième coup d'œil à sa montre. La discussion n'avait que trop duré.

Et si Mlle Sadiyah était déjà partie! Cette pétasse de bourgeoise « trop parfaite » commence à sérieusement me casser les burnes...

- Mr Aïdara , c'est incorrect de tout le temps consulter l'heure alors que nous parlons. Et comment voulez que je persuade mon père de faire quoi que ce soit alors que vous avez détruit l'image de « petite catho exemplaire » qu'il avait de sa fille en lui racontant notre aventure?

- Écoutez Carla, je ne vous ai jamais demandé de jouer à la vierge effarouchée. Et puis ça lui passera à votre vieux, après tout, cette aventure comme vous aimez le dire, c'était surtout pour lui sauver les fesses, rétorqua Chemsseddine. Votre père l'ignore peut-être, mais vous, vous le savez bien qu'il a plus à gagner avec moi qu'avec ces politiciens véreux qui n'hésiteront pas à lui la mettre à l'envers.

-Et moi, qu'est-ce que j'ai à gagner dans tout ça? Je ne dépends plus de lui financièrement donc...répliqua Carla, égoïste.

- Je m'en doutais bien! Une augmentation chez Dior, ça vous chante?

Carla ramena une mèche de sa chevelure dense et disciplinée derrière son oreille. Contre toute attente, ses mirettes émeraudes se mirent à briller d'une lueur espiègle et un sourire effrayant vont tordre sa bouche.

Elle fit quelques pas vers le jeune milliardaire et le fit pencher légèrement en tirant doucement sur le col de sa chemise.
Sa voix était semblable à une caresse, une vibration emplie de séduction.

- Bien sûr que ça me chante! Eh bien, qui dirait non à cela? Et si pour fêter ce deal, nous allions nous commémorer le bon vieux temps dans l'une des suites de l'hôtel? Suggéra-t-elle.

Chemsseddine lui rendit son sourire mais le sien se voulait courtois, limite gêné mais non aguicheur. Il se défit de son étreinte.

- C'est quelque peu indécent de proposer cela à un homme qui vient de vous annoncer ses fiançailles. Est-ce si difficile de croire que je suis un Chemsseddine nouveau et que je suis amoureux? Veuillez donc oubliez notre intimité passée. Gronda-t-il avec tant de ferveur, tant de ferveur qu'on voulu presque croire à son histoire. Tant de ferveur que le cœur de Mademoiselle De Azevedo se serra. Elle s'obstina malgré tout, on ne l'avait jamais traitée ainsi. Au diable cette Nour!

- Oh, je ne remets pas en doute vos sentiments. Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que «  dans notre monde à nous » beaucoup de couples « s'aiment » mais se font à l'occasion quelques infidélités... Cette Nour ne vous en tiendra pas rigueur si vous agissez comme tous les hommes de votre classe sociale et personne d'autre d'ailleurs. Ceux qui vous connaissent vraiment savent à quel point vous êtes volage.

- Alors allez dire à toutes ses connaissances que la donne a changé. Et puis arrêtez de me proposer votre corps avec autant d'insistance, vous paressez désespérée! Ou bien est-ce le vin qui vous rend ainsi? Je vous laisse dessoûler avant que vous ne vous embarrassiez davantage. Ah, et n'oubliez pas notre accord mademoiselle De Azevedo!







                          *

Alors que le diable tissait sa toile invisible pour mieux posséder le monde, la belle Nour n'œuvrait qu'à une chose: retrouver cette traîtresse de Khadijah Aw afin que cette dernière mette fin à l'incompréhension qui lui torturait l'esprit.
Quoi? Il n'y avait que le mot « traîtrise » qui puisse qualifier les actes de cette « meilleure amie » ayant fini par la précipiter dans la gueule du loup.

Khadijah était l'une des ferventes disciples de Camille; elle savait tout de ce gourou de la mode. Alors comment aurait-elle pu ignorer son lien de parenté avec son patron , monsieur Aïdara? Nour était vachement remontée mais peinait à retrouver la table des « Ndao » pour aller tirer Khadijah par la peau des fesses et lui faire voir l'étendue de sa colère.
« Après tout, c'est à cause d'elle que j'étais à cette foutue soirée! Après m'avoir caché ses fiançailles avec l'autre incapable, c'est à se demander si elle tient à notre amitié » s'insurga-t-elle intérieurement.

Elle slaloma entre les tables bien garnies, les serveurs et les lustres dont le cristal pendait jusqu'au niveau de sa tête. Elle se concentra pour ne plus entendre ni la musique, ni le bavardage. Ainsi ses yeux noirs en forme d'amande purent afin reconnaître le vert satiné de la robe que portait Mlle Aw. Cependant plus elle s'approchait de la table des « Ndao », plus son désir ardent de se confronter à Khadijah mourait dans sa poitrine.

Il fallait la voir étouffer dans sa tenue émeraude tant elle refrénait sa frustration. Assise entre sa belle-mère qui redoublait d'ingéniosité pour toujours placer une remarque cinglante lui rappelant ses origines modestes et un beau-père la dévisageant comme s'il se retenait de vomir. Ibrahima Ndao n'en revenait pas que son fils voulu associer leur famille à cette mendiante qui n'était « la fille de personne ». En plus du regard pesant d'Ibrahima Ndao, Khadijah devait feindre de ne pas voir son futur mari reluquer la horde de mannequins présente aux festivités.
« C'est normal, tous les hommes font pareils, c'est inné... De toutes façons, il n'a fait que regarder, ça ne veut rien dire! » tenta-t-elle de se rassurer. De toutes manières, tous ce que Khadijah avait le droit de faire, c'était bien se tenir et sourire.

Cette scène serra le cœur de Nour qui rebroussa chemin. Elle ne ferait pas d'histoire ce jour-là, Dieu punissait déjà assez bien son amie...
Il fallait qu'elle s'en aille d'ici et cela au plus vite. Cette surenchère d'émotions n'avait que trop duré. Elle marcha jusqu'à la sortie de la salle qui semblait aussi vaste que l'univers puis arpenta les halls de l'hôtel, il y'avait plein de gens: des résidents et d'autres qui n'étaient là que pour le gala. Elle tourna en rond un quart d'heure, se perdit dans le grand jardin où traînait une fontaine majestueuse et bien des piscines avant d'atteindre l'entrée de l'hôtel.

Devant l'immense portail se tenaient deux body guards qui avec leurs oreillettes et leurs costumes semblaient tous droits sortis d'un James bond. Aux salutations de Nour, à ses supplications puis à ses injures, ils répondirent tous deux en boucle la même phrase comme si leurs vies en dépendaient: «  Nous avons reçu pour ordre de ne laisser entrer ou sortir personne! ».

Mademoiselle Sarr en proie à une nouvelle crise d'impulsivité faillit bien leur chercher palabres quand se dressa devant elle, l'homme au teint ébène de tout à l'heure:
- Qu'est-ce qu'il me veut l'autre mariole d'avocat? Laissez-moi sortir ou j'appelle la police, menaça-t-elle.

- Si vous voulez un autre procès, allez-y! Je suis votre homme, plaisanta-t-il.
Se rendant compte que Nour n'était pas d'humeur « bon-enfant », Djamil s'éclaircit la voix et prit un air plus sérieux.

- Veuillez excuser la rudesse de nos agents de sécurité mais comme ils vous l'ont déjà dit, nous ne pouvons pas vous laisser partir. Je comprends que vous soyez contrariée cependant Mr Aïdara a beaucoup insisté pour que vous patientiez jusqu'à son retour. Il désire à nouveau s'entretenir avec vous. Suite à cela, vous pourrez bien sûr retourner chez vous et ... tenta-t-il d'expliquer avec pédagogie, un grand sourire et beaucoup de politesse.

- Eh bien, je trouverai une autre sortie! Je n'ai aucune envie de m'entretenir avec ce très cher monsieur Aïdara. De plus je me contrebalance de ce qu'il désire! rétorqua Nour, placide.

Ensuite releva t-elle les pans de sa robe pour ne pas trébucher et s'en alla à la recherche d'une hypothétique autre sortie. L'hôtel était grand, elle ne savait où aller. Et puis il y'avait ce gros lard d'avocat - quoiqu'il fut fort bien bâti- qui la suivait partout comme une ombre.

- Mlle Nour! Ne vous fatiguez pas en vain. Toutes les portes sont clauses. Et puis vous ne devriez pas faire courir un gentleman de ma dimension. disait-il.

Décidément, Djamil ne savait guère quand couper court à la rigolade. Lasse de l'entendre jacasser, Nour s'engouffra dans le premier ascenseur. La capricieuse machine ne se referma cependant qu'après avoir laissé l'avocat ainsi qu'un couple de septuagénaires monter à bord . Nour roula des yeux puis fixa son regard  sur ses pieds. Elle aurait pu s'en tenir là si le mari après avoir appuyé sur le bouton trois n'avait pas glissé à sa femme: « Ne serait-ce pas la fille qui dansait avec Mr Aïdara fils? On dit que c'est sa fiancée... Grand Dieu! Est-ce de la sueur qui perle sur son front? Et puis cette robe, vraiment .... Que c'est dégradant pour la famille Aïdara! »

- Parlez donc un peu plus fort monsieur! Ne vous gênez pas, elle ne frappe pas les vielles commères atteintes d'arthrose. Mr Aïdara, lui aussi sera ravi d'entendre les compliments que vous avez faits à sa promise. Confia Djamil à l'homme comme pour défendre Nour face à la cruauté de ses mots.

Le vieillard allait se fondre en excuse, soudainement conscient de son manque de tact et de civisme. Cependant l'ascenseur s'ouvrît et sa femme tira vite sur son smoking en l'attirant dehors. Il était urgent d'éviter que son simplet d'époux ne commette une autre bêtise!

Une chose dégradante...
La fiancée d'Aïdara Fils ...
Une bête de foire...
Un souffle douleur, le personnage d'une tragédie n'ayant aucune emprise sur son destin. Voilà ce qu'elle était devenue, malgré elle. Tout allait mal dans le pire des mondes. Elle voulait changer son sort mais comme l'avait dit Djamil plus tôt, toutes les portes étaient clauses.

Les larmes qu'elle avait retenu toute la soirée coulèrent. Elle était impuissante et fatiguée. De plus elle avait terriblement honte et ses chaussures lui faisaient mal aux pieds. Djamil n'en revenait pas. Cela lui faisait mal de la voir ainsi.
« J'avais dis à ce con de Chemsseddine d'arrêter de s'anarcher sur elle. »
Nour sanglotait en silence, adossée contre la paroi froide de l'ascenseur. Et lui ne savait pas où se mettre. Il referma les portes de l'ascenseur et appuya sur un autre bouton.

- Qu'attendez-vous vous pour rire?

- Quoi? Hoquetta difficilement Djamil.

- Vous ne faites que vous marrez depuis tout à l'heure alors pourquoi se taire maintenant? Ça y'est! J'ai craqué, je pleure devant un putain d'inconnu comme une madeleine, vous avez donc matière à rire! Glissa- t-elle d'une voix entrecoupée de sanglot.

- Je ne rirai jamais devant une femme en détresse mademoiselle! Je ne cautionne pas que Chemsseddine vous pousse autant à boût...

L'ascenseur s'ouvrît. Se dressait devant eux une belle terrasse où seul vivait l'âme de quelques plantes chlorophylliennes. Mademoiselle Sarr s'y aventura, toujours chaperonnée par l'avocat. Elle s'appuya sur la rambarde du balcon. Le vent frais lui fit du bien.

- Là mademoiselle, vous pourrez être triste  sans que l'on vous voit. C'est calme et les invités du gala n'y ont pas accès. Voulez-vous que je vous laisse attendre Mr Aïdara , seule ici? S'enquiert Djamil d'une voix qui se voulait avenante.

- Vous êtes comme lui, vous savez! dit Nour sans aucune colère, sans se retourner, entre deux hoquets.

- Pardon? S'exclama Djamil.

- Vous me parlez gentiment, vous souriez tout le temps. Je suis sure que quand vous êtes seul avec Mr Aïdara, vous lui dites même ses tords.

Djamil l'observa sans savoir où elle voulait en venir. Elle reprit son monologue:

- Tout ça pour vous convaincre que vous êtes une bonne personne.  Et s'il ne s'agissait que de moi, mais pour qu'AMC puisse pomper quelques litres de pétroles, beaucoup de personnes à la situation déjà très précaire vont perdre leurs terrains, leur océan, leurs rizicultures. Vous n'avez pas mené un procès contre moi, vous l'avez fait contre ces gens! La vérité, c'est que si vous arrivez à vous lier d'amitié à une pourriture comme Chemsseddine Aïdara et que vous soutenez toutes ses entreprises malsaines, vous êtes carrément le même type de dégénéré.

Pour la première fois depuis longtemps, Djamil était à court de blague et même de réplique. Pourquoi ses paroles ont-elles l'air si profonde?
« C'est du Bullshit! Je suis quelqu'un de bien! Chemsseddine lui aussi est ... euh,cool »

Heureusement, de cette situation gênante, il fut sauvé par le gong. Son meilleur ami était revenu. Djamil lui fit une tape dans le dos agrémenté d'un sourire taquin avant de se retirer.

Nour sécha aussitôt ses larmes.
Si ses yeux étaient des mitraillettes, elle aurait criblé de balles l'homme à chemise blanche. Et tandis qu'il se faisait foudroyer du regard, il vint se tenir près d'elle, son dos contre la rambarde.

- À ce que je vois, tu apprécies la vue! Commença-t-il en se penchant vers Nour.

- Je veux rentrer chez moi. Répondit-elle sèchement fixant droit devant elle.

Chemsseddine soupira. Avec beaucoup d'ironie il lança:
- Ah, les festivités ne sont pas au goût de ma fiancée apparemment...

Nour se retourna vers ledit fiancé, les yeux révulsés de fureur et s'écria: « Ma fiancée! Ma fiancée! Vous n'avez que ce mot à la bouche. Quand est-ce que vous allez arrêter vos foutaises? Vous avez l'air Fichtrement con! » en appuyant son index sur son torse. « Je ne vous épouserai jamais. Entrez vous ça dans votre gros crâne! »

Chemsseddine se sentait limite « souillé » de se faire ainsi toucher par cette écervelée sans correction aucune. Il lui fit face, la dominant du haut de son mètre quatre-vingt-dix-sept. Il enroula son doigt délicatement dans l'une des mèches de devant qui s'échappaient de son chignon.

- Mon gros crâne? C'est une première! S'esclaffa Chemsseddine. Tu ne vois pas que ça ne m'amuse plus ce petit jeu du chat et de la souris. Je vais vraiment finir par utiliser les grands moyens et cette fois-ci, ça risque de mal finir.

- Vous radotez Mr Aïdara... plus je vous écoute parler, plus j'ai envie de vous foutre mon talon dans la gueule!

Il laissa échapper un rire nerveux et s'approcha davantage. La tension était palpable.

- Et moi, plus je vous entends parler, plus j'ai envie de faire ça...

Il réduisit l'espace entre leurs deux visages et plaça une main sur la joue de Nour et une autre sur sa taille pour la ramener à lui. Chemsseddine plongea ensuite ses iris d'un bleu sombre dans celles de la jeune fille. Nour Sadiyah Sarr était pétrifiée. C'était la première fois qu'un homme l'approchait ainsi. La première fois que son cœur battait aussi fort. La première fois que le temps s'était arrêté.

Ses sensations nouvelles, ce n'était pas avec lui qu'elle voulait partager ça.
Qu'est-ce qu'elle pouvait le haïr cet homme! C'était irrationnel, démesuré... Ils se détestaient intensément, se haïssaient profondément. Et ce contact, peau contre peau, yeux contre yeux, les brûlait, les consumait.

- Lâchez moi! Vous... Ne faites pas ça! Sinon je...

- Sinon quoi? Défais-toi de mon étreinte si cela te révulse tant. Quoi? Es tu si flaible?  Tu ne me résistes même pas?

- Arrêtez...

Un champs électrostatique invisible la clouait sur place. Des bribes de son cauchemar lui revenait en tête.

- Tu ne le dis qu'à demi-mots! Laisse-moi te montrer comme je fais ce qu'il me plaît de toi, lui susurra t-il à l'oreille.

Leur nez se frôlèrent. Leur souffle s'entremêlèrent. La brise du soir, voluptueuse, soufflait pour ces étranges belligérants comme une caresse. La gorge sèche, Nour déglutit. Elle voulu lui criait des horreurs, mais son larynx lui n'en n'avait que faire de ses états d'âme.  Déboussolée, la jeune femme se résigna donc à serrer ses lèvres tant que possible. Comme elle était cernée.

Plus Chemsseddine s'approchait du fruit défendu, plus cette odeur semblable à une infusion de camomille vanillée l'entêtait. Même son odeur était chiante à n'inhaler: discrète pourtant étouffante, quelconque pourtant marquante, ennuyante pourtant agréable. Tout chez elle était un insupportable paradoxe.

Chemsseddine Aïdara allait l'embrasser. Pour que la belle le déteste un peu plus encore. Pour qu'elle se sente brisée. Qu'elle ne soit plus que stupeur et faiblesse, une proie résignée à succomber face à la fatalité.
La jeune fille aux grands yeux noirs vit à nouveau le cauchemar ayant hanté ses nuits toute la semaine la replonger dans sa torpeur. Les choses ne lui avaient jamais semblé aussi réelles. Les lèvres de notre riche casanova, gourmandes, rosées allèrent mettre fin à cette douce torture quand soudain...

-Nour Sadiyah Sarr, je t'ai cherchée partout! s'était écriée Khadijah en déboulant de nulle part sur la terrasse.

Quand elle se rendit compte de ce qu'elle avait interrompu, elle eut tout de suite un mouvement de recul, manquant ainsi de s'avachir sur mademoiselle Arane Sall. Cette dernière se tenait derrière Khadijah, et avait surgi du néant en même temps qu'elle.

- Oh mon Dieu! Que se passe-t-il ici? Murmura la meilleure amie de Nour. Ceci poussa Chemsseddine à défaire son étreinte.

Mlle Arane Sall quant-à elle se contentait de contempler la scène avec détachement, vêtue d'une élégante robe noir Balmain en dentelle et en soie s'arrêtant aux genoux. Contrairement à Carla, elle avait du charisme sans trop en faire. Et puis contrairement à Nour, elle ne se dardait point d'une encombrante gentillesse ni d'un stupide air d'innocence... C'est exactement pour ça que Chemsseddine l'avait choisie pour être son bras droit, sa force tranquille.

Elle était irritée voire quelque peu en colère. Il y'avait une légère envie qui naissait en elle à l'encontre de cette va-nu-pieds de Nour. Elle, elle pouvait faire éclater sa colère à tout bout de champ et insulter Chemsseddine à sa guise. Arane elle, n'en avait pas le droit.
Et puis, si elle s'était rendue sur cette terrasse sachant bien ce qu'elle y trouverait, c'est qu'il y'avait des soucies bien plus importants que sa frustration à régler. Elle consulta la tablette électronique qu'elle tenait dans la main.

- Chemsseddine bien qu'il te soit nécessaire de décompresser à cause de ton rythme de vie stressant, tu t'es assez diverti! Le vol pour Genève est dans deux heures, et puis ce ne sont sûrement pas les arrivistes sans vergogne qui manqueront là-bas. Expliqua-t-elle en offrant un regard subtile à Nour.

Chemsseddine ne comprenait pas. Le voyage pour la Suisse était normalement dans un mois, alors de quoi parlait-elle? Chemsseddine détailla quelques secondes son assistante avant de saisir le message codé: elle voulait qu'il la suive et devait lui dire quelque chose d'important et de confidentiel.

-Ah, j'ai de la chance que tu connaisses aussi bien mon agenda Arane! Mesdemoiselles, (à l'encontre de Nour et de Khadijah) veuillez m'excuser mais le devoir m'appelle. Arane, demande à un chauffeur de les raccompagner chez elles.

- C'est déjà fait! Il les attend à la réception de l'hôtel.

*

Il ne restait plus que les deux amies d'enfance sur la terrasse sur-élevée. Khadijah le voyait à son regard: Nour avait compris toute la supercherie.

- Tu vois ce que t'as fait? Commença Nour avec des flammes dans les yeux. Tu as donné à cette vipère l'occasion de m'insulter. Toute la soirée, ces snobs m'ont regardée de haut. Toute la soirée, je me suis sentie misérable. MAIS PURÉE KHADIJAH, QU'EST-CE QUE T'AS DANS LA CERVELLE?

-Nour, c'est pas ce que tu crois. Il m'avait dit qu'il voulait juste te parler, qu'il ne te ferait aucun mal et que si je ne l'aidais pas il détruirait ta vie.

Et toi comme une idiote, tu l'as cru?

- Il m'a dit que si je refusais, il me prendrait mon travail!

- Arrête de te trouver des excuses! Tu aurais pu m'en parler, on aurait réfléchi à une solution ensemble, comme de vraies amies!

- MAIS TU COMPRENDS QUE C'EST LA SEULE SOLUTION, hurla Khadijah en le tenant par les épaules. Au fond, qu'est-ce que t'as à perdre?

-(...)

Elle reprit alors sa tirade:

- Tu es déjà au bout du rouleau, vois la vérité en face: tu n'as pas les moyens de te battre contre Chemsseddine Aïdara! T'es pas toujours obligée de choisir le chemin sinueux, Nour.
Qu'est-ce  que t'as à perdre si tu mets aux oubliettes de ton âme cet orgueil qui t'empêche de flancher? Si tu arrêtes de te tourmenter avec ces principes d'un autre temps que te rabâchais ta défunte mère? Juste pour une fois!
Les retards de loyer, la faim qui crève le ventre, les larmes dans les yeux de tes proches, fuir tes créanciers, tu peux aujourd'hui mettre fin à tout cela.

Khadijah indexa l'horizon qui se dessinait devant elle, les feux d'artifices avaient commencé leur festival de couleurs dans le ciel:

Tu vois, ces robes étincelantes, ces lustres somptueux, cette tour qui domine tout Dakar,  ce ciel scintillant, ce sera ça ta nouvelle vie. Nous aussi, les gens d'en bas, on a le droit de briller comme eux. On va l'affronter cette haute société et en triompher!

Nour émit un rire nerveux.

- Tu t'entends débiter ces litres de conneries Khadija? Tu appelles ça réussir?  Tu veux que je fasse comme toi, que je m'oublies pour des paillettes? Que je vende mon âme pour le prestige? Tu veux que moi aussi j'épouse un connard plein aux as et que je joue à l'aveugle quand il se mettra à sauter sur tout ce qui bouge! Mais je ne suis pas comme toi... Jouer aux cruches avec un sourire figé tandis qu'on ne marche dessus, j'en suis incapable.

- Ah! C'est pour ça que tu étais à deux doigts d'embrasser Chemsseddine Aïdara? C'est ça que te dictent tes principes de femme indépendante. Ne serait-ce pas de l'hypocrisie Nour? lui rétorqua Khadijah maintenant touchée dans son orgueil.

- Évite de parler de choses que tu ne maîtrises pas. T'as le droit de gâcher ta vie Khadijah, mais ne t'avise plus jamais à en faire de même pour moi, plus jamais!

- Tu ne sais rien Nour! Continue à croire que la vie est un conte de fée, fi adouna la, Coumba am Ndeye rek moy tékhé ( Ici, c'est le monde réel, seul coumba avec une mère* réussit). Alors continue à jouer à la fille parfaite. On finit tous par tomber dans la gueule du lion et on ne s'en échappe jamais.

En ce temps-là, Nour considérait la dernière phrase pseudo-philosophique de Khadijah comme un baratin insensé pour expliquer  sa faiblesse. L'appel de la gloire était-il vraiment plus fort que les principes?

Une fois à la sortie de l'hôtel, elle ignora royalement le chauffeur qui lui faisait signe et s'engouffra dans un taxi.
Elle avait le cœur gros. 

Nos amis ne sont pas parfaits, et tant qu'ils nous soutiennent dans les grandes lignes de notre vie, souvent, il faudra s'accommoder de leurs défauts. Tel était le mantra de Nour, mais cette altercation était allée un peu trop loin.
Et comme ce gala de charité n'était qu'une connerie mise en scène par Chemsseddine pour mieux lui pourrir la vie, elle ne pourrait jamais tenir toutes les belles promesses d'avenir qu'elle avait faites à Djibril avant de s'y rendre.




                    *

Il était trois heures du matin quand Chemsseddine eut enfin quitté l'hôtel au bord de sa Range blanche. Arane, assise sur le siège passager rédigeait des mails avec un air grave sur le visage. Dans la partie arrière du véhicule, Djamil Seck lui jonglait maladroitement avec une pièce de cinquante francs pour détendre l'atmosphère.

Kerimov, un tchétchène à la tête d'une grosse entreprise d'extraction en Russie, et un des plus gros associé d'AMC venait de se faire pincer pour détournement de fond massif. Certes Kerimov était un véreux, mais le président russe avait fait grossir l'affaire pour anéantir définitivement sa carrière politique. Il y'avait à peine quelques semaines, Chemsseddine s'affichait fièrement dans le magazine Le monde avec l'homme d'affaire frauduleux. Toute cette histoire lui donnait une sacrée migraine.

- Cesse de faire la tête et réfléchi plutôt à une solution, suggéra Arane sans lever les yeux de son appareil.

-Qu'est-ce que tu comptes faire bro? Déjà que ça fait un sacré bout de temps que ton paternel rêve de te refaire le portrait! se moqua Djamil en se mordant le poing. Où tu nous conduis? C'est ni le chemin de ma maison ni celui de la grand-mère de « Mme sénile ».
Par contre la route m'est familière!

- Je te dépose à ton cabinet Mr le génie, beugla Chemsseddine, ennuyé. Je veux que tu fasses innocenter Kerimov. Rassure-toi, t'es pas obligé de te rendre en Russie, tu pourras aider ses avocats à établir une ligne de défense d'ici. Cependant, vu que l'affaire est compliquée, il faut que tu commences à bosser dès maintenant!

- Non, c'est hors de question! Je fricote pas avec les ruskov moi, trop dangereux. De plus, il se fait déjà très tard. Ma femme risque de péter une durite si je tarde davantage, s'opposa le jeune avocat.

-Quand vas tu t'acheter une paire de couilles Djamil? Ce mec, c'est peut-être une grande impulsion pour ta carrière à l'international. Montre leur ce que les hommes de loi sénégalais ont dans le ventre!

- Ah, si tu continues à m'encourager comme ça mon chou, je pourrai même défier Poutine.

- Sale con! Ria Chemsseddine. Et puis tant que t'y es, Arane t'enverra le contrat de Carla pour que tu trouves une faille
permettant d'augmenter son salaire chez Dior et de lui donner une exclusivité sur les campagnes à venir. Je ne veux pas de procès, un petit coup de pression suffira.

- T'es vachement égoïste Chems! J'en ai déjà pour deux jours de travail sans répit à ce rythme, soupira Djamil

Le lendemain du gala

Nour Sadiyah Sarr:
Il est huit heures. Mon réveil retentit. C'est que la vie a beaucoup d'humour! Sortir de mon lit? Pourquoi faire et pour aller où? J'étais semblable à ces clochards dans la rue, avançant sans but, sales et démunis de tout. Je n'avais plus de travail, plus de bijouterie, plus cette cette part de naïveté qui me prenait au tripes et me criait « keep going », plus de rêves, plus rien du tout.
Je devrais rester là, allongée en étoile, à me haïr et à exécrer la vie. Je voulais juste que cette musique infernal se taise, que l'on baisse le rideau et qu'enfin sur cette portée emberlificotée apparaisse le signe d'un silence, que cette partition maudite se termine à jamais.

« Nana, aujourd'hui Djibril va à l'école? » avait demandé une petite voix traînante, fourchant sur les « j » et sautant des mots. Cette voix d'habitude si vide et lointaine, ce matin semblait presque enjouée.
Je me redresse pour voir une petite bouille d'ange au pied de mon lit vêtu en pyjama Shrek. Ses grands yeux noirs m'observent, le petit prince dans bulle est devenu un monstre de curiosité et de perplexité.
Je lui avais promis... Je lui avais promis...

-Nana! Insista-t-il face à mon mutisme.

- Désolé Djibril, Nana avait quelque soucies qui lui trottaient dans la tête m'excusais-je.

Je le soulève avec un peu de peine et le fait assoir à côté de moi. Je pose ensuite ma paume sur sa petite main.

- Je sais qu'hier je t'avais dit que tu pourrais bientôt aller dans une nouvelle école superbe et que tu y serais heureux. Ne fais pas de colère s'il te plaît, tu sais mon grand, tout ne se passe pas toujours comme prévu.

Je parle doucement en choisissant mes mots avec minutie pour éviter qu'il se braque.

- Nana, pourquoi t'es triste?

Je m'attendais à ce qu'il s'effondre en psalmodiant le nom de quelques physiciens. Ce stoïcisme effrayant, je ne l'avais pas anticipé. On aurait dit que quelque part, il avait tout compris. C'était dingue que mon petit frère autiste, le « petit prince dans sa bulle » puisse saisir la situation avec autant de maturité.

- C'est que dans la vraie vie, la chance sourit seulement aux méchants confiais-je une boule coincée dans la gorge.

Je le prend dans mes bras. Il se met à se débattre comme si je l'étouffais et saute du lit en quittant la chambre sans rien dire. Il m'avait donné une incroyable leçon de vie. Je n'avais pas tout perdu. Je l'avais lui, Mactar, Tante Marietou et Khadijah -à une certaine mesure-. Au fond, j'étais remplie d'amour, et rien que pour ça, rien que pour eux, je devais me battre.
Au diable Chemsseddine Aïdara, le roman de ma vie sera un « happy ending » et ça je t'en fais la promesse solennelle!

                   Omniscient
Et tandis que Nour se promettait une fin heureuse, un peu plus loin dans la villa saarène, dans le secret de quatre murs, on complotait à sa décadence.

En effet, ce matin-là, Nafissatou Sarr avait à peine allumé ses données mobiles qu'elle était tombée sur un article d'un site de « la presse à scandale ».

The daily review of African celebrities

Le gala des cœurs brisés: THE TEA IS HOT!

Hier, le 24 février 20**, le gala de charité organisé à Dakar par l'illustre « Camille », ( plus connue pour être « fille de » et « sœur de » que pour un quelconque talent) a tenu toutes ses promesses! C'était THE place to be pour toutes les célébrités. En plus des robes somptueuses, du décor pouvant rivaliser avec celui du Metz gala, des grosses donations et discours poignants, mes reporters sur place nous ont assuré que le thé est chaud!
En effet, Cheikh Ahmed Tidiane Aïdara a ouvert le bal en charmante compagnie! Qui est cet amante mystère ? 
Nous ne le savons pas encore car son visage est flou sur les photos que nous possédons mais nous vous notifierons dès que nous auront du nouveau.

En bas de la page se trouvait une photo d'Aïdara Fils tenant par la taille une jeune femme habillée en soie jaune dont on ne pouvait voir le visage à cause de la position de son partenaire de danse.
Sans comprendre grand chose à ce qu'elle faisait, tante Nafi appuya sur un lien trouvé dans les commentaires la conduisant sur un blog people.

What's up girl? By Aleesharay

Enfin un visage derrière « l'amante mystère ». Ceci vous laissera un choc!

You know what time is it? It's time to gossip! Le visage de la petite amie du  business man le plus sexy est enfin connu! Certaines de nos sources affirment même qu'ils se seraient fiancés depuis peu. Et pour ajouter encore plus de sensationnel; il s'agit d'une femme contre laquelle il avait déposé des poursuites pour diffamation il y'a deux mois. Si vous aussi vous voulez que votre crush vous "crush back", diffamez le et il vous remarquera tout de suite. Une petite veinarde, cette arriviste...

Sous cette publication, une photo de Nour et de Chemsseddine était clairement affichée.

- Wah yaw, damay beugeu diombi wala? Yene yi kouko meuneu def warko rouss. Khalébi topp neumeu bama seuss mur bi, mou daadi ma traversé. Douma djarr, mou djarr fatcha dess. Soubokhouma khalébilé Nour ( Non mais je rêve! Cette petite me pousse à bout, elle ne me ménage aucunement. À chaque plan que je met en place, elle trouve une solution des plus inattendus . Qu'elle aille au Diable !).

Comme elle n'était pas lettrée, Tante Nafi pouvait uniquement s'insurger à propos des images plus qu'incongrue qu'elle venait de voir. Elle voulait cependant en savoir plus quitte à choper un ulcère. Elle s'empressa de réveiller Farmata en lui tapant fort le dos:

- Aïe! Mère, pose ton cœur à terre. Qu'as tu à me frapper de bon matin? se mit-elle à geindre.

- Lis-moi cet article et dis-moi ce qu'il contient avant que je ne devienne chèvre.

- Oui d'accord, mais cesse d'orienter le flash vers mes yeux.

Farmata saisit le téléphone, fit voyager ses yeux sur l'écran quelques secondes avant de balancer l'appareil à l'autre bout du lit. Elle n'avait pas besoin d'en lire plus, elle avait assisté à la scène en présentiel. Farmata entreprit donc de raconter tous les détails de la soirée à sa mère, mais elle du couper court au récit avant que cette dernière n'aille rejoindre ses ancêtres sérères.

- Ces deux-là étaient sensés se détester, murmura Tante Nafi en arrachant le morceau de tissu qui couvrait sa tête.

- Eh bah hier, ils avaient l'air de tout sauf des ennemis!

- Farmata, on peut pas laisser ça passer. Tout le mon n'en a déjà que pour elle, si elle fait passer ce milliardaire sous ses basques, alors ça en sera fini de toi!

- J'ai une idée! Tu sais que Tonton Ousseynou avait proposé à Mactar la main de Nour. Et si on aidait ce petit filou à épouser sa dulcinée avant que la situation ne dégénère?

« Si Nour se mettait à briller, alors ça en serait fini d'elle ». C'est cette phrase qui avait bercé Farmata depuis son enfance. Elle ne savait pas si c'était fondamentalement vrai, mais fomenter des plans contre Nour était devenu la seule chose qui la rapprochait de sa mère.






*

Cheikh Ahmed Tidiane Chemsseddine Aïdara
Un tintamarre. Je reprends mes sens. Mes yeux sont toujours clos, ma tête crie à l'aide, martyrisée par une cruelle céphalée. Saloperie d'oiseau! Faut-il toujours qu'ils viennent faire chier le monde dès les premiers rayons?

Chanel numéro 5, le parfum de femme emplit ma gorge puis vient faire naître un goût âcre au fond de mon gosier. Je pousse l'amas de chair et de sang le plus loin de moi possible, l'expédiant presque sur le sol. Je m'attendais à trouver à mes côtés Arane ou encore une autre célébrité dont je ne me souviendrais du nom qu'à moitié. Il s'agissait à ma plus grande surprise de ma sœur, les cheveux en pétard, pas démaquillée, inerte, ronflant dans sa tenue de la veille. Cette vision d'horreur me convaincu de quand même lui faire bouffer le plancher.

- Qu'est-ce que tu fous dans ma chambre ?

- Chemssou, j'ai refait ce cauchemar. Le cauchemar où elle s'en va... avoua-t-elle, encore stone, d'une petite voix.

- Oh! répondis-je. Après tout, qu'est-ce que je pouvais bien dire d'autre? Ça arrive rarement mais à ce moment précis, je me sens con.

Je la soulève doucement et la replace sur le lit avant de recouvrir son corps avec un plaid. Elle se rendort presque automatiquement tant elle était lessivée. Je file sous la douche et me vêt ensuite d'un costume africain bleu marine avec des détails brodés sur le col. Je me contente d'ingérer rapidement un chocolat chaud et laisse un croissant pour Kamisokho dans le micro-onde. J'enfourche ma BMW grise. L'alysée maritime de Dakar ne semble pour moi.
Le roi de cette pittoresque jungle.


*

Une claque. Je n'arrive pas à y croire. Abdallah Aïdara, cette misérable loque humaine qui me sert de géniteur vient de me mettre une claque. Est-ce parce qu'il a contribué à ma naissance en faisant couler quelques gouttes de sperme qu'il se croit tout permis?

Alors je vous explique:
Ce matin, je me suis pointé à AMC ( Aïdara's Mining Company) avec toute la bonne volonté du monde afin de consulter le rapport de suivi-évaluation sur l'extraction des mines de zircon au sud du pays. J'étais alors en train d'exécuter savamment ma mission lorsque je fus interpellé par la secrétaire de mon père m'informant que le patriarche exigeait ma présence immédiate dans son bureau.
Je pris aussitôt l'ascenseur qui me conduisit au sommet de la tour, dans les quartiers d'Abdallah Aïdara. Toutefois, mon beau visage n'avait pas fini de pénétrer la pièce que j'avais reçu une gifle magistrale.

Et comme avec le temps, j'avais appris comment faire sortir mon père de ses gonds, je me mis à rire à gorge déployée.

- Oh! Excuse mon fou rire, c'est juste que ça faisait beaucoup plus mal dans mes souvenirs! Pourquoi m'as tu frappé? Tu es nostalgique du temps où tu me battais régulièrement en m'en faire cracher le sang? Fais-toi plaisir papa, je ne battrai pas d'un cil! N'abîme juste pas mon visage, ce serait dommage que tout le monde sache que tu es un père violent!

-[...]

- Qu'ai-je encore fait pour attiser ta colère? C'est qu'à force, j'en perds le compte. C'est vrai que j'en rate pas une! S'agit-il du dossier Kerimov?

- Qu'est-ce qui s'est passé avec le russe? Souffle-t-il entre les dents, se retenant de me cracher dessus.

Il n'est pas au courant? Dieu soit loué!

-Oh! Trois fois rien mentis-je. Je le contourne et m'assois sur son fauteuil en cuir mauve. Tandis que je prends mes aises, mon père me regarde avec une sincère envie de me défenestrer dans les yeux.

- Le mobilier est confortable mais je le ferai quand même changer lorsque ceci deviendra mon bureau. Je trouve la déco un peu girly. Pas toi, papa?

- Espèce de con, lève ton c*l de mon siège. Rien de ce qui m'appartient ne te reviendra. Dire que j'ai perdu tant de temps et d'argent à essayer de faire de toi un héritier digne des Aïdara... Au fond t'es la même tafiole qu'à tes dix ans, ce même petit morveux qui foutait toujours tout en l'air! Pendant que je me casse le dos à te trouver une femme qui puisse faire passer pour un homme responsable, tu t'affiches sans pudeur avec cette moins-que-rien gronda-t-il.

- Qui ça? Nour! Oh, elle est quand même mignonne ma fiancée.
Moins-que-rien, c'est un peu exagéré!

- Je t'ai toujours laissé collectionner autant de conquêtes que tu le voulais, à condition que tu ne ternisses pas notre image. Comment vais-je te trouver une épouse convenable si l'on dit partout que tu es fiancé à cette marie-couche-toi-là n'ayant pas hésité à essayer de faire couler AMC. Cette vipère va te mener à ta perte Cheikh!

- Je te croyais beaucoup plus visionnaire, papa. dis-je en posant mes pieds sur son bureau.

- Pour une fois, Abdallah Aïdara, t'es complètement à côté de la plaque! Cette vipère comme tu le dis, elle n'arrêtera pas de critiquer publiquement AMC tant qu'elle n'aura pas obtenue gain de cause. Le désespoir et l'abnégation en leur essence même sont des contraires, mais lorsqu'ils se réunissent au sein d'une même personne, ils deviennent de puissants moteurs.

- Sa parole ne vaut rien face à la notre, rétorque le patriarche catégorique.

- Certes, mais n'oublie pas que nous avons d'opulents ennemis qui n'hésiteront pas à la soutenir. C'est pourquoi nous devons la détruire de l'intérieur. Si elle devient ma femme après m'avoir si farouchement combattu, ses dires perdront toute crédibilité. En même temps je lui ferai regretter avec plus d'aisance d'avoir un jour osé (...)

- Défier les Aïdara, complète mon père.
Sa bouche s'étire dans un sourire diabolique.
Nos yeux se mettent à briller de la même malice. Pour la première fois, il est fier de moi. Il avait fini par atteindre son but. J'étais devenu comme lui une misérable loque humaine, exsangue et sans cœur.





*

Mes journées à AMC sont toujours longues et éreintantes. Ce n'est qu'à
dix-neuf heures que j'arrive à la penthouse perchée au cœur de Dakar. C'est une bulle en hauteur où je peux prendre congés de tous les tracas qu'être Chemsseddine Aïdara impose.  Je sors ma carte de ma poche et déverrouille la porte pour trouver mon havre de paix transformé en une porcherie de studio d'étudiante.

Un monde de vaisselle salle se construit doucement dans l'évier de la cuisine. Et dans le couloir qui mène à la salle de bain principal, le parquet est mouillé.
Qu'est-ce qui m'as pris d'accepter Kamisokho chez moi alors qu'elle est la définition même du bordelisme?

Je retire mes chaussures afin de ne pas laisser davantage de traces et les range dans un meuble approprié. Je ne trouve pas de signe de la présence de Kamisokho dans l'appartement hormis la lumière qui s'échappe de ma chambre.
Elle n'oserait pas quand même...

- Dites moi que je rêve! Tu te crois où Kamisokho ? Descend de mon lit! Et puis, pourquoi tu as tes pieds sales là sur l'oreiller où je pose ma tête? M'insurgeais-je dès que j'eu passer le pas de la porte.

Kamisokho continua de griffonner calmement dans son calepin alors que mon dernier nerf allait bientôt me lâcher. « N'en fait pas tout une montagne! »murmura t-elle.

- Kamisokho, tu n'es pas chez ton père ici. Tu sais bien que je déteste qu'on touche à mes affaires. Eh puis c'est quoi toute cette vaisselle dans la cuisine?

- Ah ça, j'essayais de te faire ton dessert préféré pour te remercier d'être un grand frère aussi dévoué et Tata Daro ( une dame de charge)  est retournée chez papa avant que je n'ai terminé du cuisiner.

- À ton avis, pourquoi Dieu t'as donné des mains? Ça ne va pas te tuer de frotter quelques assiettes. Il est où mon gâteau ?

- Complètement cramé. De toute façon tu ne le méritais pas vu comment tu m'as crié dessus!

- Je vais te jeter à la rue et tu verras. De toute façon, tu t'y feras vite à ton rôle de clocharde comme tu aimes tant vivre dans la crasse! Allez! Casse-toi de ma chambre avant que je déchire ton dessin.

- Chemsouu ce n'est pas juste un dessin mais mon prochain devoir pour l'école de mode. Il compte beaucoup pour la moyenne finale donc t'as pas intérêt à y toucher. menaça t-elle sans crédibilité aucune.

Je m'assois sur le bord du lit et m'empare du calepin.

- Ce truc est d'une laideur dépassant les attentes et les espoirs des populations les plus laides. Cette vue ignoble heurte la sensibilité de mes magnifiques yeux,  mon âme balafrée de l'intérieur, je n'arrive plus à distinguer ni les formes et les couleurs. Kamisokho, désolé mais tu n'as aucun talent. Reconvertis-toi en comptable! Dis-je de manière dramatique en faisant de grands gestes.

Elle reprend son dessin en me fusillant du regard.

- Tu ne comprends absolument rien à l'art. Le devoir consiste à transformer une pièce de mode rappelant de forts souvenirs avec des personnes chères et de les adapter pour leur donner une dimension haute couture en les calquant sur les tendances actuelles. C'est le collier avec « l'œil de Fatma » que ma mère me faisait porter quand j'étais bébé. Au Maroc, l'œil au centre est censé être protecteur et conjurer le mauvais sort..

Elle s'arrête de parler quand elle se rend compte que mon regard devient lointain.

Ah, je suis désolée ! C'est vrai que tu n'aimes pas en parler, s'excusa t-elle tristement.

- Je ne t'en veux pas Kamisokho... C'est juste que je ne comprends pas pourquoi tu donnes tant d'importance à ce « khamssa » uniquement parce qu'il vient d'elle. C'est à cause de son absence que tu fais autant de cauchemars et que tu es si fragile... C'est toi qui souffres le plus de son départ alors que tu ne l'as presque pas connue, lui reprochai-je.

- C'est que des fois, je me sens terriblement coupable. Des fois, je me dis que tout est ma faute, et que si je n'étais jamais venue au monde, peut-être qu'aujourd'hui elle serait là avec Azzedine et toi, à prendre soin de vous. Elle est partie pile à la période où je suis née, peut-être qu'elle avait peur que son mariage tourne davantage au vinaigre étant donné que notre père ne voulait pas spécialement de fille. Ça vient forcément de moi! Sans moi elle serait toujours là, et tu serais épanoui , tu serais vrai, tu ne laisserais pas papa te dicter ta vie. Je me dis que sans ma présence vous auriez été une parfaite petite famille heureuse et ça me brise le coeur, confia Kamisokho entre deux sanglots.

Mon cœur se serra. Je lui pris la main.

- On n'a jamais été une parfaite petite famille, Kamisokho. Rien n'est de ta faute. Cette femme ne mérite pas tes larmes. Elle ne mérite même pas que tu l'appelles « mère ». Elle s'est cassée simplement parce qu'elle est égoïste, mauvaise et frivole. Avec ou sans toi, un jour où l'autre, elle serait partie au bout du monde avec son amant . Parce que fuir, c'est tout ce qu'elle sait faire.

- Chemsseddine, Tu pourrais me parler d'elle s'il te plaît... même si ça te mets en colère. Je veux juste avoir une idée de comment elle était. Dans mes cauchemars, je ne vois qu'une ombre qui s'en va sans jamais se retourner  tandis que je cris à en perdre les poumons. Puis c'est le noir, le néant... Je voudrais pouvoir associer à cette ombre un portrait physique , ou au moins, un caractère.

- J'en mène pas large moi non plus, je ris nerveusement. J'avais quatre ans quand les choses se sont passées, même son visage n'est plus qu'un vague souvenir. Je me rappelle juste qu'elle avait des cheveux noirs très longs avec de légères ondulations. Ses yeux étaient bleu-gris comme les miens. Père dit que c'était une vraie alcolo, qu'elle sortait tout le temps et qu'elle ne nous aimait pas. Il est vrai que je me souviens l'avoir vue ivre une fois . Pour le reste, je sais juste que c'est une putain d'égoïste et que je ne veux plus rien à voir avec elle. Seul Azzedine était assez grand pour pouvoir vraiment te parler d'elle, mais étant donné la situation, je doute qu'il ne puisse t'aider, répondis-je avec une pointe de sarcasme mal placé.

- Tu sais bien qu'on ne peut jamais se fier aux paroles de papa, Chemsseddine!

- Elle est partie sans aucun regret Kamisokho, sans jamais rappeler. C'est une preuve suffisante pour moi.

Des perles salées coulèrent sur les joues ambrées de Kamisokho.

La tristesse a pris le relai sur la culpabilité. Cela ne m'apaise pas beaucoup de savoir que ce n'était pas que moi qu'elle n'aimait pas.

- Notre grand-père paternel, même si c'était, lui aussi, une enflure de première disait que les Aïdaras devaient être forts comme des lions car c'est la signification du mot « Haydar »en arabe. Bon ça aussi c'était des foutaises parce que je suis pas sure qu'Haydar et Aïdara soient étymologiquement liés mais j'ai toujours considéré ça comme une philosophie de vie. Tu es une lionne Imane Kamisokho, t'as pas besoin d'elle pour construire ta vie.

- Burn your flame through the night, yeah
Spirit, watch the heavens open
Yeah
Chantonna-t-elle d'une voix aiguë.

-Eh! Qu'est-ce que tu nous fais là Kamisokho ?

- Ah, tes histoires de lions m'ont rappelé  la chanson que beyoncé interprétait dans le « live action » du roi lion! Explique-t-elle en souriant comme si toute sa peine s'était évaporée.

- Quand je te dis que tu n'as aucun talent... Que ce soit dessiner ou chanter, vraiment arrêtes tout ce qui touche à l'art. La taquinais-je.

- Oh la la... Quel rabat-joie! Bon va faire des pâtes pour le dîner. J'ai faim moi! Ordonna la capricieuse qui me sert de soeur.

- Je suis ta femme de ménage,moi? Tu sais à qui tu t'adresses, Imane Kamisokho? C'est au président d'AMC Sénégal que tu demandes de te faire tes pâtes?

- Vice- président, me reprit-elle.
Allez-y Chemssouu! En plus je dois me coucher tôt ce soir, demain j'ai un shooting avec Zaful. Il faudrait pas que j'aie des cernes, se plaint-elle en posant ses doigts sur le contour de ses yeux.

- Et puis quoi encore? Tu crois qu'on chez les blancs ici? Est-ce en accord avec les moeurs sénégalaises de poser à moitié nu? C'est absolument hors de question. Demain tu iras à l'école de mode, et tu rentreras directement à la maison après cela. Je vais demander à Noireau de t'escorter. Lui répondis-je, catégorique.

-  Ah non, le truc du body guard qui te suis partout,c'est hyper cliché. Je vais encore passer pour une gosse de riche pourrie gâtée. En plus ce gars est rigide comme s'il avait quelque chose de coincé dans les fesses, souffle bruyamment ma soeur.

- Kamisokho, ton langage!

- Mais c'est toi qui dois arrêter avec tes règles du moyen-âge. C'est mon corps, du moment que je suis à l'aise avec, c'est quoi le problème? Il s'agit de mon métier Chemsseddine et je peux pas refuser tous les contrats pour des raisons pareilles.

- Tu sais ce que j'en pense de l'influence et de ce besoin malsain de toujours en montrer un  plus. Toutefois je la ferme parce que ça t'aide à t'épanouir mais si ces histoires de féminisme à deux balles te sont montées à la tête pour que tu oublies les valeurs prônées par ta religion, je serais dans l'obligation de te faire arrêter.

- La grosse blague! De toute façon les hommes, vous ne parlez de religion que quand ça vous arrange. Que je pose en maillot de bain, alors ça c'est super haram mais tes relations extra-conjugales, toute la société sénégalaise s'en tamponne. Je doute que la religion soit très en accord avec cette mentalité.

- Kamisokho, je ne vais pas débattre avec toi sur ce sujet. Tes arguments, je pense que tu dois savoir que je m'en pète un rein.

Elle se lève du lit en refermant son calepin.

- On ne peut jamais parler avec toi. Faut toujours que tu le ramènes ton sale caractère.

- Ouais, Ouais, merveilleux. Va-t-en. Tu as beau dire, je ne changerai pas d'avis.

Ainsi elle s'en alla en claquant la porte. Je ne pu réprimer un rire, cet audace, elle la tient de son grand frère. Quelque part elle avait raison, je ne suis en position de jouer au gendarme mais je veux juste la protéger. Malgré son fort caractère, elle reste si naïve et immature.

Plus tard dans la soirée, nous ne réconcilions autour d'un plat de pâtes carbonara préparés par mes soins. Je suis soulagé qu'elle m'ait parlé de la douleur qu'elle ressentait par rapport au départ de notre mère. Je sens que cette discussion l'aura aidée un tant soit peu à passer à travers. Mais moi, quand allais-je décharger de mes épaules les montagnes de peine qui me rongent. Après tout j'étais Chemsseddine Aïdara, je n'avais pas le droit de montrer ma tristesse, surtout si elle était due à cette femme sans principe qui n'a pas hésité à nous laisser à la merci de son monstre de mari.





                            *

Le lendemain, au cabinet de Djamil Seck

- Tu es pâle comme un linge mon vieux! Marianne a décidé de t'affamer parce que tu es rentré après les douze coups de minuit le soir du gala, hein Cendrillon? M'enquis-je en me moquant.

J'étais entré dans son bureau sans toquer, ni me faire annoncer. Mais ce n'était que lui rendre la monnaie de sa pièce étant donné qu'il faisait pareillement lorsqu'il venait me voir dans les locaux d'AMC. Sa table elle, était envahie par une horde de dossier, on ne voyait même plus sa tête tant la pile était monstre. Djamil avait l'air fatigué et surtout dépassé par la situation.

Djamil Seck- Tu manques pas de culot, Chemsseddine Aïdara. Figure-toi qu'à cause de ton délinquant fiscal russe et de ta starlette aussi cupide que capitaine Krabs, j'ai pris énormément de retard dans mon travail!

- Misérable ingrat, tu t'es surtout fait un paquet de fric! Lui rétorquait-je.

Djamil seck *s'insurgeant* Sérieusement?  Tu te rends comptes que ça fait deux jours que je n'ai pas posé un pied chez moi,

- Oulah, t'as pris des douches entre-temps j'espère !

Djamil *posant son stylo*- C'est la dernière fois que tu m'embarques dans tes conneries.

- Tu dis toujours ça!

Djamil* desespéré*- La ferme!

- T'as perdu ton sens de l'humour, on dirait. J'ai un bon plan pour te détendre. Je suis invité à l'ouverture du casino de Malik Ndao. Tu viens avec moi ?

Djamil- Je croyais que tu pouvais pas le cadrer?!

- Ah c'est toujours d'actualité. Il me casse toujours autant les burnes! Toutefois, il y'a quelque chose qui m'intrigue dans cette histoire d'invitation . Nos familles ne s'entendent pas, il n'y a même pas de place pour des salamalecs ou un peu de bonne vielle hypocrisie sénégalaise. Même lorsqu'elles ont essayé d'enterrer la hache de guerre en faisant de mon cousin Ibrahima Aïdara le filleul et l'homonyme d'Ibrahima Ndao, les choses ne se sont pas améliorées.Ils ont sûrement quelque chose dans la tête et je dois y aller pour le découvrir.

Djamil- Boy yaw niak nga diom deh! Tu te rappelles la dernière fois que tu t'es rendu dans ce genre d'endroit ce qui s'est passé?

- La famille Ndao n'a pas d'intérêts à ce que leur petit business pour riches ivrognes et accros aux jeu s'ébruite. Ils ne prendraient pas le risque. De plus je soupçonne qu'il y ait quelqu'un qui les informe des affaires internes d'AMC.

Djamil- Toi et tes intuitions... Ay boîte de nuit akh ay casino si boppam nga wara tekk ci souf, nekatougnou temps boy! ( Tu devrais plutôt éviter tout ce qui touche aux boites de nuits et aux casinos. Nous ne sommes plus des adolescents!) Fais ce que bon te semble, je ne viendrai pas !

- Arrêtes de m'insulter dans une langue je ne comprends pas. Et si tu viendras!

Djamil- C'est ce qu'on va voir!


                          *

Une heure plus tard, dans un immeuble discret des beaux quartiers

Le casino beigne dans une ambiance tamisée. Plusieurs groupes sont déjà formés autour des jeux, black Jack, craps, poker... Le ton monte, et les parieurs malgré la frustration doublent les mises. On ne joue plus pour gagner mais à cause de l'adrénaline, et quelque part à cause de l'euphorie que procure l'ivresse.

L'endroit est sécurisé, dans une ruelle tranquille. Il n'y a pas l'ombre d'un journaliste, ni le bruit d'un flash. Cependant je marche sur du verre, je nage en eaux ennemies. La seule chose qui me rassure c'est qu'aucune personne présente ce soir ne peut se permettre d'acquérir mauvaise presse. Ils partagent tous les mêmes vices. Et d'un regard, ils ont tous fait pacte de silence. Demain, quand ils se verront dans les grandes réunions d'affaire, cette soirée de débauche n'aura jamais existé.

Un jazz déprimant se mélange à l'odeur du daïquiri*. On joue à plusieurs variantes du poker et on parle de paradis fiscaux. C'est un véritable repère de vieux lascars... Après tout Malik Ndao n'était bon qu'à dilapider l'argent de son père dans des projets foireux.

Djamil et moi avançons jusqu'à la large table en face du bar où siège le maître des lieux, son père, son oncle ainsi que deux de ses amis dont il partage le profil : jeunes jet-setters dont je vois déjà l'avenir foutu dans les putes et la drogue.

Ibrahima Ndao ( père de Malik) - Oh, mais ce sont ces très chers messieurs Chemsseddine Aïdara et Djamil Seck ! Nous ne pensions pas avoir l'honneur de vous compter parmi nos hôtes de ce soir...

Il avait dit cela en se levant de sa chaise pour me tendre la main. Je ne la saisis pas et réponds tout simplement:

- Et pourtant vous nous avez envoyé des invitations ! Ou l'aviez vous fait uniquement pour la forme, espérant secrètement que nous ne nous pointions pas?

Ibrahima Ndao force un sourire pour se retenir de m'étrangler. Djamil seck lui prend la main que j'avais refusé de serrer et salut tout le monde chaleureusement afin de dissiper l'atmosphère pesante qui régnait. Nous nous asseyons ensuite au bout de la table où était rangée une panoplie de cartes et de jetons.

Malik Ndao se déplaça pour venir se placer en face de moi. Il m'offrit un large sourire avec sa face de con tandis que je le dévisageais. Alors lui, c'est le plus sans avenir de sa bande de foutue!

- Ne te vexes pas Chemsseddine, débuta t-il comme s'il on avait élevé les vaches ensemble, mon père ne voulait pas se montrer discourtois. C'est juste que ta famille est connue pour avoir des mœurs très dures et possède plusieurs dara dans le nord du pays, nous nous disions donc que tu aurais ce genre d'endroit en horreur. Ah que dis-je, c'est vrai que ce matin même, j'ai vu un article sur toi et une autre de tes amantes. Ne serais tu pas le vilain petit canard de la famille Aïdara ?

- Je ne crois pas qu'une bande d'alcooliques soit en mesure de parler de mes fresques. Et ne t'en fais pas, je ne risque pas de te piquer ta place de choix dans les magasines people. Le potin principal de la « presse-poubelle », c'est bien tes déboires alors la réputation des Aïdara ne risque pas d'en pâtir.

Il déglutit et tourna la tête vers son père qui le mitraillait des yeux. Encore une fois, il avait trop ouvert sa gueule.

Ibrahima Ndao  *faisant signe à un serveur*- Excusez mon fils! Il a un sens de l'humour un peu étrange. Je vais vous payer à boire. Que prendrez vous?

Djamil Seck- Ce n'est rien. Un  virjin mojito je vous prie!

Ibrahima Ndao- Et vous Chemsseddine ?

Mr Aïdara.  Pour vous ce sera Mr Aïdara et non, je ne veux rien de vous.

Malik Ndao * Feignant ne pas avoir compris le sens de ma phrase*- Ne sois pas  si timide voyons. Garçon apporte lui une bouteille de Corona. Alors comment se passe les affaires à AMC?

- Les affaires se portent à merveille. Vous par contre, il semblerait que l'hôtellerie, ça ne marche plus très bien... laissai-je échapper en souriant.

Je pense qu'à cet instant là, cet avorton avait encaissé autant d'injures qu'il ne pouvait. Il frappa son point sur la table et pointa son doigt vers moi :

- Vas tu cesser de me parler avec ton air condescendant Chemsseddine Aïdara. Arrêtes de ta la raconter, après tout tu vaux pas mieux que moi.

-Je ne vaux pas mieux que toi... riais-je. Mais tu n'es rien de plus qu'un fils à papa, une enflure, un raté. Qu'est ce que tu as accompli dans ta minable existence? As-tu rapporté un centime à l'entreprise de ta famille? Au lieu de ça tu passes ta vie à te prendre des cuites, à t'enfiler des prostitués et à fumer de la coke. Je trouve ça aberrant qu'il y aie une femme assez conne pour se fiancer avec toi. Tu n'es rien qu'un héritage sur patte  alors je t'en prie ne te compares pas moi, c'est beaucoup trop dégradant!

Malik Ndao* les yeux pleins de rage*- Mais tu te prends pour qui ?

- Tu la fermes quand je parle. Je cause aux hommes moi, pas aux sales mioches qui se cachent derrière les jupes de leurs mères . Et puis j'en ai assez de toute cette mascarade, Mr Ibrahima Ndao, qu'avez vous derrière la tête?

Malik ndao bafouilla quelques mots pour tenter de défendre son honneur mais se ravisa vite devant le regard courroucé de son père. Il avait honte de lui, de son incompétence, de son impertinence. Ça se voit à des kilomètres. Voilà pourquoi j'ai adressé des paroles aussi crues à son fils. Il est sa plus grande faille et j'avais besoin de l'impacter moralement avant de débuter les négociations.

Ibrahima Ndao- Nous avons attendu qu'un actionnaire d'AMC avait récemment eu des litiges avec la justice.

- Comment savez-vous pour Kerimov?

Ibrahima Ndao - Nous... peu importe... Nous désirons racheter ses parts et faire parti du conseil d'administration d'AMC. Ceci sera bénéfique aux deux parties car vous pourrez vous désolidariser entièrement du cas Kerimov et n'entacherez aucunement votre nom. De plus nos deux familles pourront enfin enterrer la hache de guerre.

Je me lançai alors dans un fou rire.

- Décidément, le bullshit chez vous ça doit être héréditaire. Vous pensiez vraiment que la famille Aïdara s'abaissera à ça? Et puis, croyez vous qu'avec les quelques millions que vous possédez vous payer des parts à AMC? C'est tellement pathétique que ça en devient attendrissant!

Ibrahima Ndao- Votre prix sera le mien Mr Aïdara. Ne sous-estimez l'ampleur qu'une alliance entre nos deux familles pourrait engendrer...

- Evitez de vous endettez à vie pour des questions  d'égo. Je vais  vous proposer un marché. Vu que nous sommes dans un casino, faisons une partie . J'accepte de jouer contre n'importe qui sur cette table se sentant assez performant pour me battre! Et peut-être que j'accepterai de vous céder des actions. Par contre si vous perdez ...

Ibrahima Ndao- Abdallah Aïdara serait fâché de savoir que son fils parie des actions d'AMC au poker. De plus cela fait plusieurs années que nous possédons des Casino, nous sommes passés maître dans ce domaine. Ne vous engagez pas dans un terrain glissant. Qu'est qu'un membre d'une famille d'érudit connaît au poker? Perdre face à vous n'est même pas une option.

- Si vous perdez, vu qu'on m'a appris à être altruiste envers les faibles, je ne vous demande pas grand chose. Juste le nom de votre informateur!

Le patriarche de la famille Ndao simula subitement une quinte toux. Ses yeux semblaient vouloir s'échapper de leurs orbites. Il se mit ensuite à rire en se tenant le ventre pour masquer sa surprise.

Ibrahima Ndao- Mr Aïdara, soyons rationnels! Il ne s'agit pas là d'une série américaine pour que nous nous mettions à infiltrer des taupes dans votre entreprise. Pour tout dire, nous sommes courant du scandal de Kerimov car le ministre des affaires étrangères qui se trouve assis à la table voisine vient de rentrer de Russie et a pris la peine de nous en parler.

- Vous ne voulez rien dire? Votre espion doit donc occuper une place importante à AMC, le salaud... Je mets sur la table 10% ainsi que le domaine hotélier des Aïdaras sur le littoral. Ça vaut bien la peine de faire tomber la tête de quelques judas non? Et puis, si vous êtes aussi bon que vous le prétendez, je vais sûrement perdre. Alors à quoi bon hésiter?

Ceci fut suivit d'un long silence. Ils se dévisageaient tous se demandant si c'était du bluff et s'il devaient réagir.

Djamil- On dirait que leur assurance les a quittés. Et si on rentrait Chemsseddine, cette soirée est d'un ennui à endormir les morts!

Ibrahima Aïdara- Attendez, mon fils ici présent va relever le défi. N'est ce pas Malik?

Il avait dit cela en lui adressant le regard de la dernière chance. Celui qu'on reçoit juste avant de se faire menacer d'être déshérité. Oui cette phrase a étrangement un arrière goût de vécu et  de ressentiment.

L'avorton se mit à battre habilement entre ses mains une pioche de cinq-deux cartes. Il m'offrit un sourire arrogant et désigna un donneur.
Malik- On dit que vous êtes un homme de parole. J'espère que vous ne vous raviserai pas lorsque je vous aurai mis une raclée...

Les paroles de l'avorton me laissèrent un sourire amer. Et tandis que j'analyse mes cartes, des souvenirs par centaines fleurissent dans mon âme vagabonde. Cependant tous les mots, tous les murmures et toutes les couleurs de mon passé ne gravitent qu'autour d'une seule personne.

Je me souviens...
Il y'a de cela plusieurs années, un soir de février comme celui-là, sous une lumière tamisée... Sauf qu'il faisait beaucoup moins froid et qu'il n'y avait pas cet air emmerdant de jazz pour faire grincer mes tympans. Elle était là, cette personne qui autrefois avait tant compté. Cette personne qui a fait fané "le Chemsseddine d'avant". Cette personne qui a déchiré mon cœur d'enfant et qui, comme une sangsue s'est abreuvée de tout ce qui était bon en moi. Il s'agissait de ma seule famille, et quelque part de mon seul encrage à l'amitié, aux sentiments, aux passions, à l'humanité.

Elle souriait. Seule une table en bois avec du cachet ,nous séparait. Nous et les cartes. Les cartes et nous. À chaque fois qu'on s'ennuyait, on se faisait une partie de poker. Je n'aimais pas beaucoup ce jeu et puis je savais que dans la religion c'est considéré comme illicite. Mais pour ce sourire là, je capitulais. Pour ce sourire là, je me livrais à toutes les extravagances...

On ne pariait rien. On riait comme des enfants et je perdais à chaque fois. Mais de jouer, jamais cette personne ne s'en lassait. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que c'était me voir perdre qu'elle aimait.

?- Tu sais c'est quoi ton problème Cheikh, dans la vie, comme au jeu, tu es un livre ouvert... Tu laisses transparaître toutes tes émotions dans tes yeux. Ils brillent quand tu as bonne mise, quand tu es heureux, quand tu es touché. Ils s'assombrissent quand tes cartes sont mauvaises, quand tu es en colère, ou quand tu entends parler de ton père!

- Faut toujours que tu le mentionnes dans toutes nos discussions. Ça devient pesant!

-? * sans m'écouter* Et surtout tu fais confiance trop vite. Alors que la vie Cheikh, c'est une jungle, c'est entre être et ne pas être, c'est dominer ou subir, c'est soit écraser ou disparaître. La vie c'est toujours anticiper ,tout analyser, tout calculer. C'est un enfer terrestre dont les hommes attisent les flammes pour mieux y brûler en harmonie. Pour devenir le roi du tartare, tu dois trouver le diable qui sommeille en toi.

- Penser comme ça c'est faire de notre existence quelque chose de placide, de mécanique. C'est ternir l'essence même de vivre et je ne veux pas m'enfermer dans cette boucle infernale.
Il y'a de la bonté qui sommeille en tout être.  Un petit peu de « jardin d'Eden » dans chaque braise de cet enfer terrestre... Et ça nous en demeurons la plus belle preuve.
De plus la vie ne vaut d'être vécu que lorsqu'elle imprévisible, et qu'on s'évertue à trouver le bonheur dans chacune de ses embûches, la beauté pure dans chaque imperfection. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne vit réellement que lorsqu'on laisse gouverner le cœur...

?- Il n'y a que dans ta bulle que le cœur gouverne. Que dans ta tête que les gens sont si  bons. C'est le capital qui dirige ce monde et pour le capital, il faut être prêt à porter des coups dans le dos. Désolé de briser tes chimères mais à magnifier cette saloperie d'existence et à trop vivre dans le fabuleux, tu passes pour le parfait tocard de service. Et ça aux yeux de tout le monde! C'est pour ça que ton père te tient éloigné du business familial. Pas parce que tu es incompétent, mais parce que candide comme tu es, tu risques de te faire bouffer comme un bleu dans le monde des affaires. Et tandis que tu dores les fesses à Dubaï, saches que ta famille brasse des milliards derrière ton dos.

- J'en ai rien à foutre de ces milliards! Je sais ce qu'il veut mon père, faire de moi une pâle copie de sa personne. Je préfère crever que de finir comme cette pourriture! Et puis j'ai ma propre boîte ici, ça commence doucement certes, mais je sens que je peux réussir. En attendant le salaire que j'obtiens de mes consultations pour BP* me convient. Crois en moi, je vais réussir sans eux! Je vais lui montrer moi à Abdallah Aïdara...

?-*soufflant* Si tu veux bosser comme un chien pour ramasser des miettes toute ta vie, ça te concerne! Lorsque tu te rendras compte que ces jérémiades ne sont que des foutaises, il sera bien trop tard. Et ce cœur que tu laisses te gouverner, il te feras tellement souffrir que tu voudras l'incendier. Bref assez philosophé , alors tu te couches?!

- Non, je suis!

Et encore une fois comme mon compagnon de jeu aimait le dire,je m'étais pris une raclée...

Malik Ndao *tremblant presque* - Com...comment est ce possible ?! Tu as triché? Ça doit être ça, jouons une dernière partie. En toute équité!

Djamil- Cheut boy nak gueumeul Yallah! Khamo tous ba paré reuy lamign. ( Acceptes ta défaite. Tu es nul et pourtant tu ne cessais de fanfaronner)

Un ami de Malik- Grand y'a ngi togn deh!  Vous dépassez trop les limites.

- L'avorton, je ne vais pas y passer la soirée non plus. Bouge ta face de mon champ de vision, la partie est terminée. Mr Ibrahima Ndao, j'espère que vous aussi êtes un homme de parole.

Ibrahima Ndao- Ça doit rester confidentiel car (...)

- Vous n'avez rien à craindre. Le vrai patron à AMC, c'est moi. Ibrahima Aïdara n'est qu'un clown sur un trône et mon père lui, me laisse entièrement gérer le fonctionnement de l'entreprise!

Ibrahima Ndao* à demi-mot* Il s'agit de mon filleul!

- Pourquoi je ne suis pas surpris... Continuez de recevoir ses informations et faites comme si je n'étais au courant de rien. Doucement je tisserai ma toile autour de lui, et lorsque prendra conscience de sa condition il sera déjà fait comme un rat.

Djamil et moi nous levâmes étant donné que nous n'avions plus rien à faire dans cet endroit qui insulte mon prestige.

Djamil- Mr Ndao, l'avorton et toute la clique, ce fut un plaisir de faire affaire avec vous. Cependant en tant que leur avocat, la prochaine fois que vous essayerez d'infiltrer AMC, je n'hésiterai pas à porter l'affaire jusqu'à la court de la haie!

Nous montons ensuite dans ma BMW grise et je dépose Djamil à son cabinet. Il y'a sept ans, contre toutes attentes, je n'aurai jamais pu tenir tête à ces gens. J'étais ce petit faiblard, la tête pleine d'idéaux. Ce même faiblard que mon père voit toujours en moi.

À l'époque, je venais de quitter la maison de mon oncle Lamine Aïdara à qui on m'avait confié depuis que j'avais terminé mon éducation au daara. Je m'étais par la même occasion tiré d'AMC Émirats Arabes unis pour bâtir une carrière en dehors de l'entreprise familiale. Et je croyais qu'ainsi j'avais échappé pour de bon aux tentacules de ce monstre qui me sert de père. Je me battais avec tant de ferveur pour ne pas lui ressembler. 
Je pensais pouvoir échapper à la fatalité. Qu'est-ce que je pouvais être pitoyable!

Cher passé, pour toutes les choses que tu m'as apprises, je te suis infiniment reconnaissant. Je te remercie de m'avoir écorché vif, je te remercie d'avoir incendié mon cœur, et quelques part d'avoir bradé mes sentiments. Sans toutes tes douleurs , sans toutes tes entourloupes, je n'aurai pu devenir le Chemsseddine de maintenant. Adulé, brillant homme d'affaire, plein aux as. Avec toute l'assurance que j'ai acquise, ils sont rares mes moments de doutes. Mais il m'arrive quelques fois de me demander si je suis réellement un meilleur homme. Je ne le sais pas vraiment. Toutefois je ne regrette rien. En effet, je suis persuadé que tout est écrit d'avance. Tout arrive dans un but bien précis, telle est la science divine.

Quand j'étais à l'école coranique, notre professeur dans l'un de ses prêches nous avait rapporté les propos d'Ibn Taymir: « Personne ne passe par hasard dans ta vie, tous ont quelque chose à t'apporter. Allah Le Très Haut ne t'envoie pas les personnes que tu désires. Plutôt, il fait en sorte que celles dont tu as besoin croisent ton chemin.Certaines personnes t'aideront, d'autres te blesseront, d'autres encore t'aimeront puis te laisseront de nouveau seul. Enfin, quelques unes d'entre elles resteront toujours à tes côtés. Mais toutes te laisseront un signe au fond des yeux qui de temps en temps te fera penser à elle. Certaines personnes viennent dans notre vie comme une bénédiction alors que d'autre viennent comme une leçon. Et Allah sait mieux. »

À croire qu'il ne servait pas qu'à nous exploiter et à nous marteler de coups de cravache.





















                     *

Nour Sadiyah Sarr

La mère de Khadijah se mit à faire les cent pas dans la chambre de sa fille.

Tante Sokhna- Khadijah, arrête de nous chanter le nom de Nour du matin au soir et vas t'habiller, nous sommes en retard. Tu ne sais pas apprécier les bienfaits de Dieu. Nour sou nieuwone sa khéwé tey dji, tey legn ley mourr, wayé teye tamit ngey tambalé tendj!(Si cette malheureuse était venue, alors le jour de ton mariage coinciderait à ton premier jour de veuvage)

Khadijah Aw* refusant d'enfiler sa tenue traditionnelle sur mesure*-  Ay Maman, li ngey yakk domou djambour dji Yalnalnaleu djik! ( Puisses le Karma t'épargner étant donné tout le mal que tu dis de cette innocente).
Et puis ce n'est vraiment pas le moment de recommencer avec tes superstitions sans aucun fondements! Je suis catégorique. Je ne vais pas m'habiller avant que ma meilleure amie soit là.

- Mane nak Nour yillofouma! Loumou narra am lou bakh rek khalebi yakkal Mako. ( Moi je ne suis pas sous l'autorité de Nour.Elle veut détruire tout le ben que j'ai construit.). Khadijah, ne vois-tu donc pas comment j'ai trimé dans mon ménage afin que tu réussisses? Supportant l'absence de ton père immigré? Manquant de tout? Beuss bou rafet nieuw, soppe di setane, none yi di setane, ngane yaw mi dagg ma beug téré tékhé. Khadija lane la la def? (Maintenant que les beaux jours sont là; tu refuses que j'accède au succès. Quel tord t'ai-je causé Khadijah?)

Khadijah- Maman, ne verse pas dans l'exagération. Papa se bat jour et nuit dans un pays qui n'est pas le sien pour que nous vivions bien...

Tante Sokhna (menançant Khadija avec sa chaussure)- Mané soloudjil nga nane meu mame bene beugn! Les femmes de ta prestigieuse belle-famille vont bientôt arriver, ne leur donne pas l'occasion de nous regarder de haut.

Khadijah roula des yeux.

Tante Sokhna - Tu ne vois pas que c'est notre heure de gloire? Si tu es trop sotte pour te rendre compte de celà, ta mère elle ne lésinera sur aucun moyen pour que personne ne vienne gâcher cette journée!

Khadijah*hurlant*- Mais maman, pose cette chaussure !

Les cris. Les rires. Les disputes. Ce n'était rien d'inhabituel dans la maison de Tante Sokhna. À l'instar de la majorité des mères au foyers sénégalaises, chaque jour était une véritable scène de ménage en sa présence. Elle avait gardé l'hospitalité de son saint- Louis natal, la porte de sa demeure n'était jamais fermée. Je m'y réfugiais souvent dans mon adolescence quand l'ambiance était trop tendue à la villa sarrène.

Elle était fière comme une bonne toucouleure et avait un cœur dénué de toute méchanceté quoiqu'elle fut un brin matérialiste, friande de commérages et beaucoup trop influençable. En effet, il n'avait fallait que quelques mots de Tante Nafi pour qu'elle soit persuadée que j'étais un oiseau de mauvais augure.

Les cris. Les rires. Les disputes. Aujourd'hui encore, je fus accueilli ainsi en pénétrant la maison de Tante Sokhna. Mère et fille se crêpaient le chignon, mais cette fois-ci pour un motif différent que les altercations quotidiennes que pouvait engendrer le conflit de générations. Aujourd'hui c'était le grand jour. Khadija allait se marier.

Les invitées remplissaient déjà le salon. Les griots chantaient les louanges de la mariée en attendant que celle-ci daigne se montrer et leur offrir quelques liasses pour leurs danses énergétiques et leurs talents d'orateur. Les cousines et les tantes plaçaient dans l'huile bouillante leur dernière fournée de beignets. Les hommes quant à eux s'adonnaient aux formalités religieuses. Dans quelques heures, khadijah serait sacrée Madame Ndao, à ses risques et périls...

- Je vous en prie ne vous querellez pas pour moi! Je m'excuse du retard, j'ai dû attendre le retour de Mactar avant de sortir pour ne pas laisser Djibril sans surveillance, intervins-je brusquement pour éviter que la situation ne dégénère.

En voyant mon visage, Tante Sokhna ramena ses mains sur sa tête dans un geste théâtrale pour mieux traduire son exaspération.

Tante Sokhna *rouspétant*- Qu'est-ce qu'elle fait là celle-là ?

Khadijah quant à elle, en s'apercevant de ma présence m'offrit un sourire solaire. Elle avait soufflé un bon coup, laissé ses yeux s'emplir d'émotions avant de murmurer à sa mère sur le ton d'une prière : « Maman ne fais pas d'histoire s'il te plaît. Maintenant que Nour est arrivée je vais me changer, n'est-ce donc pas ce que tu voulais ? »

La mère se rendant compte qu'elle n'avait pas d'autres choix déposa les armes. Elle se contenta de me maudire dans un chuchotement, superstitieuse,  comme pour contrer le mauvais sort: « Soubokhouma khalébilé ».

Et comme ses yeux, - autrefois chaleureux à mon égard- ne supportaient plus ma vue désormais, Tante Sokhna prétexta d'aller récupérer le maquillage de sa fille auprès de sa nièce Halima. Ainsi nous laissa-t-elle à nos retrouvailles.

Khadijah *en sautant dans mes bras*- Toute la journée, je n'ai donné que de faux sourires et n'ai fait que semblant d'être heureuse... Alors que c'est censé être un jour inoubliable, le plus beau de ma vie! En te voyant j'ai tout de suite su pourquoi je n'étais pas comblée. Il me manquait une part de bonheur: toi! Je te suis infiniment reconnaissante de ne pas avoir donné à cette journée l'aigre arrière-goût de ton absence malgré tous ce que j'ai fait.

Je me défit de son étreinte tout en gardant une expression neutre.

- Ne t'emballes pas Khadijah! Je suis uniquement venue pour honorer mon rôle de témoin et éviter de te mettre la honte devant les rapaces qui te servent de gendres. Rien de plus!

Khadijah- *sourire triste* Pourquoi faut-il que tu sois toujours aussi fière? Tu sais bien que la mairie est pour demain. Nour, je suis vraiment...

Je lui coupe la parole.

- Quoi? Désolée? Je le sais déjà Khadijah. Tes actions ont été plus motivées par un sérieux manque de jugeote que par une quelconque envie de nuire. Toutefois dans la vie, il faut apprendre des leçons. Tu ne peux pas toujours te confondre en excuses et espérer qu'on te pardonne... Même si tu ne le fais pas exprès, tes actions font du mal et ça, ça ne s'efface pas à l'aide de quelques excuses. Bon ce n'est ni le lieu, ni le moment pour en discuter.

Khadijah*hésitant* - Et ta robe de demoiselle d'honneur, tu veux que j'envoie un livreur la récupérer avant la cérémonie de ce soir?

- *en désignant le sachet entre mes mains*- Non, je suis déjà passée chez le tailleur. Contente-toi de t'habiller, ensuite je te ferai des boucles sur ton tissage.

Khadijah* faisant une moue triste * Ça va être tendu entre nous deux toute la journée, le jour de mon mariage?

Je ne répondis rien et me rendis-je dans la petite salle de bain adjacente à la chambre pour enfiler une tenue adaptée à la circonstance. C'était une robe en bazin autrichien noir sur lequel des motifs à peine apparent étaient gravés avec minutie. Ainsi la coupe du vêtement révélait l'expertise de nos couturiers locaux et l'art de s'habiller à la sénégalaise. Ma robe était longue avec une coupe sirène, possédant des manches longues élégamment dressée. Des fils d'or et des crochets d'argent ornaient dans une discrétion singulière mes longues mèches que j'avais lâchées dans mon dos.





                        *

Je venais de brancher l'appareil. Khadijah attendait, sa mise à beauté à peine entamée, dans une taille basse de couleur blanc cassé aux garnitures champagnes qui lui donnait des allures de nymphe africaine. Face à sa coiffeuse, notre star du jour avait la chochotte, et pour une fois, sa grande bouche était fermée. De temps en temps perdue dans une rêvasserie, elle souriait. Mais comme je devinais que ses pensées étaient orientées vers son mauvais bougre de mari et que je lui lançai un regard réprobateur, elle se ravisait. Cependant, le plus clair du temps malgré l'euphorie qu'elle peignait sur son visage, elle était anxieuse. Rire trop fort, parler à outrance, et crier au moindre désagrément, elle et moi savions que pour elle, ce n'était qu'une façade.

Sûrement voyait-elle désormais dans son miroir que « Khadijah l'adolescente insouciante » bientôt ne serait plus. Dans ce miroir, il n'y avait que le reflet d'une femme en tenue de mariée, les sourcils froncés malgré elle. La jeune femme du miroir s'interrogeait, elle allait sauter un grand pas, elle allait enterrer sa première vie.
Elle allait quitter son cocon familiale, son nom de famille, ses doux rêves d'enfants ...
Et pourtant, là où elle se rendait, on lui avait déjà montré les crocs.
Et pourtant si elle restait, elle condamnerait son cœur aux plus sévères des maux.

Je me tenais derrière elle. Je voulais lui hurler de ne pas devenir la femme du miroir. Du moins pas dans ces circonstances... Mais après tout, elle n'avait pas vraiment le choix; Khadijah l'adolescente insouciante avait déjà un pied dans la tombe.

Pour mettre fin à ce dilemme cornélien, je me mis à dessiner des premières boucles sur son tissage fait en cheveux indiens noirs de jais. Une fille vêtue d'une robe en tissu brodé nous rejoignit sans se faire annoncer. Il s'agissait de sa cousine Halima, qui sous les ordres de Tante Sokhna venait lui apporter son maquillage et ses chaussures .

Halima- Waouw les filles, vous êtes belles. On dirait des fées.

Khadijah- C'est que yaw ak sa verte bou saf y'a ngi melni fée Clochette. Ya khayédi, sama mariage nga waraa diap si combat ngey sol ay brodé. Tchim

La jeune fille de dix-neuf ans gloussa malgré elle. Elle s'empara d'un pinceau pour achever le maquillage de sa cousine.

Halima- Ah, ça te va bien de dire ça. Ce n'est pas toi qui as passé ta journée en cuisine pour satisfaire tes affamées d'invitées! Et puis ma robe de demoiselle d'honneur est tellement sensationnelle que je risque de te voler la vedette ce soir alors je te laisse au moins faire ta starlette durant la journée.

Khadijah *sourire conspirateur*- Tu as intérêt! Et puis tu-sais-qui sera à la réception. Si tu débarques en villageoise, c'est ton problème!

Halima roula ses grands yeux marrons bordés par de long cils en vaporisant une brume fixatrice sur le visage de son interlocutrice. La toucouleure au teint foncé avait un sourire triste.

Halima- Mane kokou mako bayi nank! ( Ah, lui je l'ai abandonné!) Il faut se rendre à l'évidence, cet homme ne tremble que pour Nour. Je me demande d'ailleurs ce que vous attendez pour être ensemble !

-*rires* Puis-je savoir qui cet orgue faisant battre le cœur de ma petite Halima et qui ose se détourner d'elle pour moi? Mon futur beau-frère commence mal les choses deh!

Halima- Tu sais, ce n'est pas la peine de faire semblant pour moi. Mactar t'aime, eh bien je n'en mourrai pas!

Khadijah fut prise d'une crise d'hilarité assez incompréhensible.

Khadijah- Mactar? Être amoureux de Nour? C'est bien la meilleure! Kokou nga khamné thieukeul rekk moko dessé pour mou nek ibaadou. ( Il ne lui reste plus qu'à mettre des pantacourts pour devenir salafiste )Il n'y a absolument rien entre ces deux-là, n'est-ce pas Nour?

- Euh non! Je décrirais notre relation comme très fusionnelle au point où elle transcenderait les limites de l'amour et de l'amitié. C'est quelque chose de totalement différent.

Halima- Comme un frère?

- Oui, voilà!

Du moins je crois, je l'espère. Mactar et moi n'avons jamais pris la peine de donner un nom au lien qui nous unissait. Il était ma famille, mon encrage... L'un pour l'autre, je savais que nous pouvions commettre l'irréparable. Mais j'ai toujours eu peur de me poser la question: « Qu'est-ce que je représente vraiment pour lui? »

Peut-être parce quelque part, je connaissais déjà la réponse.

Halima fut rassurée de me voir acquiescer. Les yeux pleins d'étoiles, elle rétorqua: « Ah, c'est donc son attachement aux principes religieux qu'il le rend réfractaire à mes avances. Oh mon Dieu, c'en est d'autant plus attirant! »

Khadijah s'apprêtait à dire à quel point son intérêt pour Mactar  Diop lui paraissait pathétique et démesurée quand son téléphone se mit à sonner. Le contact en question était nommé « Askim ❤️ » , sûrement un surnom affectif dans une langue inconnue au bataillon. Elle glissa un petit « excusez moi » avant de s'éclipser dans la salle de bain, le sourire jusqu'aux oreilles. Ce qui était fort inutile vu qu'on l'entendait quand même pouffer telle une bécasse et que son portable était toujours sur haut parleur. Je vous décrit la discussion :

Khadijah- Oui, Allo! Malik Ndao, que me vaut cet appel? Tu sais pourtant que c'est interdit pour le marié de ...

Malik Ndao- Oh arrête un peu avec tes superstitions de vielles blanches. Eh puis, vu le discours que l'imam vient de faire, plus rien ne m'est interdit te concernant.

Je souhaitais disparaître dans les limbes astrales tandis qu'Halima s'esclaffait devant cette discussion plus que génante. Eh bien, chacun sa façon de réagir face au mal aise.

Khadijah *rires*- Chéri arrête tes bêtises! Il y'a des gens à côté... Et puis que veux tu dire? L'imam a (...)

Malik Ndao- Tu as bien compris Khadija, tu es désormais Madame Ndao. La femme de ce BG ici-présent!

Eh bien, il ne s'encombre pas de fausse modestie.

Khadijah- Oh Malik, tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureuse! Je n'arrive pas à y croire. Les larmes me montent aux yeux ...C'est comme si je sentais un feu d'artifice exploser en moi...

Malik* sur un ton des plus douteux* - Hmm, je ne sais pas pourquoi cela me donne de mauvaises idées.

Khadijah - Malik...

Je ne pu m'empêcher de m'insurger afin que la torture auditive et mentale s'achève. Toutefois, je n'aurai jamais pu prédire que Malik réagirait avec tant de violence.

Malik Ndao- Attends! C'est la voix de Nour ça? Mais qu'est-ce qu'elle fait la putain?

Khadija- Chéri, écoute je...

Malik* très énervé*- Mais c'est pas compliqué bordel! Tout ce que tu avais à faire c'est de rester loin de cette emmerdeuse.

Khadijah- Malik tu ne me parles pas comme ça! Nour et moi sommes amies depuis l'enfance, c'est tout à fait normal qu'elle soit à mon mariage et ça quelque soient tes états d'âme.

Malik*hurlant presque*- Ah bon? C'est ce qu'on va voir! Le mariage est à peine prononcé que tu commences à te foutre de moi!

Khadijah*essayant de rester calme*- Tu sais quoi? Je vais raccrocher parce que je sens que cette discussion va dégénérer et je n'ai aucune envie de m'énerver à cause de choses aussi puériles le jour de mon mariage. À ce soir!

Ce mariage ne me disait plus rien qui vaille. Cet appel venait de confirmer qu'en plus d'être un pervers narcissique, Malik n'était qu'un misérable macho dont les dérives autoritaires pouvaient se transformer en violence. Et puis, que pouvais t-on attendre d'autre d'un violeur? J'avais terriblement peur pour Khadijah. Je le sentais bien que que c'était union finirait en hécatombe.







                           *

La réception se tenait dans l'un des hôtels que la famille Ndao possédait dans la capital. Ta sokhna se promenait dans la salle, se laissant porter par les longs pans de son grand boubou en « thioub » premier choix. Elle voulait que tout le monde sache qu'elle avait réussi à marier son unique fille à un gros poisson. Bien que son font de teint dénotait avec la couleur de sa main et que ses colliers en or fussent bien trop extravagants, il émanait d'elle une certaine élégance.

Il n'y avait quasiment de présent que les proches de Khadijah. Cela traduisait peut-être une certaine réticence de la part des Ndao d'apparaître aux côtés de leur belle-fille. Ils étaient huit ce soir là, habillés en grandes pompes, reclus dans une table au fond de la pièce, dévisageant tout le monde. Ils ne parlaient pas. Ne riaient pas. Ne mangeaient pas. C'était à se demander s'ils ne se croyaient pas à des funérailles. Peut-être que c'est le prestige de leur famille qui décédait ainsi.
Bien sûr, le père de famille n'avait pas pris la peine de se rendre à des célébrations aussi grotesques.

Sur une sorte d'estrade surélevée où se dressait une table raffiné étaient installés les jeunes mariés. Chacun de leur rires était un hymne à l'amour, chacun de leur regard un océan de tendresse... On n'aurait jamais deviné que quelques heures plus tôt, les deux amants, au téléphone s'étaient déchirés.

Quand le caviar fut servi, les femmes de Gibraltar se moquèrent en se demandant pourquoi on allait leur servir du poisson un jour de mariage. Et quel poisson fade! Quand les violons chantèrent elles roulèrent des yeux. Il y'avait vraiment une ambiance bizarre à ce mariage. Tout le monde souriait mais personne ne se sentait réellement à l'aise.

D'abord il y'avait ce choc culturelle entre les invités qui grâce à leurs origines modestes ne s'encombraient pas de trop chichis et la famille Ndao qui s'horrifiait à tout écart de conduite.
Et puis, cette belle-mère qui regardait la femme de son fils avec des flammes dans les yeux rendait l'ambiance beaucoup plus glauque. Et nous pouvions pousser l'étonnement jusqu'aux tenues des demoiselles et garçons d'honneur que le marié avait exigé rouge et noir alors que ses couleurs évoquaient des souvenirs bien sinistres. Seuls les mariés semblaient être sur un nuage fait d'une fragile poussière de fée.

Se rendant compte de cet aspect morose, le DJ en animateur chevronné fit retentir le dernier tube d'un chanteur farfelu, Ouzin Keïta. Madame Adja Diouf Ndao sembla défaillir devant le concert de mauvaises notes.
Elle avait peur pour son image, et regardait les membres de sa famille sans vraiment savoir où se cacher. Et ce fut le clou du spectacle, nous demoiselle d'honneur, vêtue dans nos belles robes rouges aux coupes différentes nous mîmes à effectuer une chorégraphie sans queue ni tête au rythme de cet musique infernale. La mariée, elle même s'était jointe aux festivités malgré le poids sa robe haute couture.




Il y régnait désormais une ambiance bon enfant. Enfin les invités avaient eu le divertissement qu'ils attendaient. On applaudissait fort. Même la famille Ndao se laissa emporter par l'euphorie du moment -Sauf la belle-mère de Khadijah toujours perdue dans sa détresse-. Moi je n'étais pas vraiment à l'aise de danser devant tout le monde, je bougeais à peine. Mactar, depuis sa table, s'esclaffer devant ma prestation. Il mimait même mes gestes; il s'en donnait à cœur joie tandis que je le fusillais du regard. Quand la musique se tut, il me fit signe de venir le rejoindre. Mais vu qu'Halima louchait innocemment la chaise à côté de lui, je me ravisai.



                                *

J'accompagnais Khadija troquer sa volumineuse robe rouge contre une tenue de mariée plus conventionnelle . Malgré la musique qui raisonnait, le silence que nous observions était pesant.

Khadijah- Je ne voudrais pas que tu l'apprennes autrement donc je te le dis, mais ne t'énerve pas hein!

- Arrête de tourner autour du pot je te prie. Qu'il y-a-t-il?

Khadijah- Malik a invité Mlle Sall au mariage. Elle ne va pas tarder à arriver. Si tu la croise, s'il te plaît contente toi de l'ignorer. Si les chose tournent mal, ma belle-mère risque de me faire passer un sale quart d'heure.

Je soulevai la traîne de sa robe pour que l'on puisse avancer plus facilement.

- Qui est Mademoiselle Sall?

- Mademoiselle Arane Sall: l'assistante de Chemsseddine Aïdara. Tu vois ce matin, Malik était très en colère que je t'invite sans son aval. Pas que j'aie des comptes à lui rendre à ce sujet, mais  tu connais son tempérament ... Comme la quasi-totalité du pays, il est au courant de tes litiges avec Monsieur Aïdara et vu qu'il voulait me faire payer mon affront, il lui a envoyé une carte d'invitation. Ce dernier, étant trop occupé pour venir, a demandé à Arane de le représenter. J'aurai bien voulu dire que sa présence n'étais pas souhaité mais il reste Chemsseddine Aïdara...

-Mais c'est un grand malade! m'exclamais-je. C'est complètement puéril de sa part voire sadique. Ah! Puis qu'on parle de sadisme, allons-y! Ce mec est totalement tordu, cette histoire de demoiselles et garçons d'honneurs habillés avec les couleurs de la Saint-Valentin, toi comme moi savons que ce n'est pas du romantisme. N'est-ce pas?!

Khadijah*déboussolée* Nour! Arrêtes d'extrapoler la situation. C'est juste en souvenir de la soirée où notre histoire a commencé.

- Tu sais bien quoi d'autre c'est passé ce soir là, Khadija. Il a tenté de te violer. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie? Même toi, tu n'es pas à l'aise avec ça. Tu as bien conscience que c'est absolument glauque. Alors pourquoi tu ne dis rien Khadija? Pourquoi tu le laisses te traiter comme ça?

Khadija* les sanglots lui montant aux yeux* - Arrête ça Nour! C'est toi qui est entrain de remuer le couteau dans la plaie là. C'est du passé, il a sûrement du oublier que...

- Une tentative de viol c'est pas quelque chose que l'on oublie facilement. T'aurais du le balancer à la police dès le début Khadijah... t'aurais du rompre tout lien avec lui. Les crapules comme Malik ont ce besoins de faire souffrir les gens autour d'eux; ils recommencent toujours... Tant que tu te cramponneras à lui, tu ne pourras jamais aller de l'avant.

Khadijah*à fleur de peau* - Qu'est-ce que tu en sais? Comment tu peux parler d'une chose que tu n'as pas vécue? Tu crois que c'est facile de ... J'en ai assez entendu Nour! Si je veux vivre dans un mensonge, attachée au passé, c'est mon problème. Alors laisses moi avoir un semblant de bonnheur Nour, juste pour ce soir.

Sur cette dernière parole, elle s'engouffra dans l'une des chambres d'hôtel tout en me claquant la porte au nez.






*

Suite à cette altercation, j'avais décidé de ne pas retourner dans la salle de réception dans l'immédiat. Comme l'air frais des terrasses m'aide toujours à m'éclaircir les idées, je m'étais alors rendu sur le toit du bâtiment. Une main agrippa doucement mon poignet:

Mactar- Qu'est-ce que tu fais là? Tu vas rater la danse des mariés!

- *faible sourire* Je ne crois pas que Khadijah aie fini de se changer et puis tu sais, je n'aime pas les endroits pleins de monde. Et toi, pourquoi tu as tu laissé Halima seule?

Mactar- J'avais aussi besoin d'air, faut croire que cette petite est une véritable pipelette. De plus, je ne te voyais pas dans la salle.

- T'exagères Mactar. Elle super mignonne et rigolote.

Mactar- Moi je la trouve plutôt collante, limite plus étouffante que sa cousine. Ce qui est un exploit... Bon on va sur le toit?

Sur cette parole nous nous rendîmes au sommet de la tour. Surprise! des envahisseurs nous y avaient précédé. Et ce n'était ni plus ni moins que les personnes les plus détestables parmi toutes celles conviés aux festivités, à savoir le très peu estimé marié et l'émissaire de Chemsseddine Aïdara. L'un était vêtu d'un costume noir tandis que l'autre, comme un soleil d'une nuit de février, brillait sans humilité aucune dans une robe dorée en satin.

Ils tenaient chacun un verre à la main, dont le contenu je crois, n'était rien d'autre qu'une liqueur illicite. Mactar et moi étions stupéfaits. Lui qui ne connaissait pas  Mlle Arane se demandait sûrement qui était cette magnifique jeune femme en tenue de créateur. Tous deux avions une ribambelle de questions nous taraudait l'esprit.
Pourquoi s'étaient-ils isolés ici alors que Malik était attendu pour l'ouverture du bal? Se connaissaient-ils au paravant? Qu'est-ce que cette vipère d'Arane pouvait bien lui confer à l'oreille pour lui arrachait tant de fou rire?

Et comme mes questions n'allaient pas s'élucider d'elle même, je fis remarquer ma présence de ces êtres des ténèbres.

- Chasser le naturel et voilà qu'il revient au galop. Malik Ndao, certes le fait que tu sois une pourriture n'échappe à personne mais tu aurais pu jouer au mari fidèle et aimant au moins le temps d'une journée!

Mlle Arane * d'un air hautain*
Faut-il toujours que ce vulgaire personnage fouine son nez là où on ne l'y convie pas?

- Très chère madame, buvez donc votre vin. À ce que je sache, je ne vous ai toujours pas causé. Quant à toi, Malik Ndao, je me demande bien ce que tu veux? Pourquoi te marier si tu aimes tant batifoler? Il hors de question que je laisse Khadijah dans les bras d'un connard pareil! Tu ne la mérite pas...

Malik Ndao m'offrit un sourire. Il prenait la situation avec tant de légèreté

Malik- Cette charmante femme que je viens de rencontrer est juste une « amie » .De toute façon tu auras beau parler, même si ton discours contenait une part de vérité, tu sais bien qui Khadijah choisira de croire. Alors peut être que je ne la mérite pas, mais elle ne peut pas se départir de moi. Ton amie m'est totalement acquise! Que puis-je y faire?

Mactar s'approcha de cet ami maintenant devenu un ennemi. Dans ses yeux se lisaient le dégoût ainsi qu'une profonde déception.

Mactar- Après toutes ses années tu n'as toujours pas mûri? Toujours les mêmes attitudes de Casanova? Toujours obligé de blesser ceux qui t'aiment pour te sentir fort, pour te sentir exister?

Malik Ndao *provocateur*- Et toi t'es toujours le p'tit caniche à ta maîtresse à ce que je vois. Elle n'a toujours ouvert ni ses cuisses, ni son cœur malgré ses années d'efforts acharnés? Petit joueur ...

Arane- Tant mieux ce serait dommage qu'avec ta cousine vous mettiez au monde des trisomiques! Je ne savais pas qu'elle se livrait aussi à l'inceste!

Mactar - Je ne vous connaît pas madame alors surveillez votre langage! De toute façon on a tous l'habitude Malik, comme d'habitude tu racontes des conneries pour ne pas voir la vérité en face.

Malik* très remonté* - Tu comprends pas que j'ai pas de putain de leçons à recevoir de ta part. T'as tué notre amitié quand tu as choisi ta cousine à ma place. Alors qu'est-ce que tu fais à mon mariage bordel?

- Je suis là pour Khadija, pas pour toi...

Malik- Je t'ai dit de te casser bordel! Cassez vous tous les deux. Qu'avez vous à tournez autour de ma femme comme des rapaces? Elle à moi, exclusivement à moi!

- Arrête ça, tu fais pitié! On dirait un sociopathe complétèrent dérangé.

Malik *rire vicieux*- Moi je suis dérangé? Au moins, j'ai eu l'intelligence de ne pas interférer dans les affaires de Mr Chemsseddine Aïdara. Je vous ai vu au gala ensemble, je l'ai vu cette haine dans son regard. *rires* Je n'aurai même pas à te tenir éloignée de ma femme pour préserver notre mariage. Bientôt tu seras détruite et tu sauras ce qu'est un vrai sociopathe. Un conseil: ne t'inquiète pas trop pour le sort de Khadija, bien pire t'attend!

Ainsi il s'en alla, n'oubliant pas de lancer un dernier regard noir à son « ami » d'enfance. Il ne restait plus que la sorcière, qui nous dévisageait d'un air ennuyée. Qu'est-ce qu'elle peut-être malpolie!

Arane - Bon je crois que je vais y aller. Mon patron,Chemsseddine ne m'a pas envoyé vous observez vous déchirer comme des malpropres, c'est très inapproprié! Monsieur-je-joue-les-gros-dures, vous devriez lâcher l'affaire. Votre entichement pour cette sauvageonne vous rend anxieux et ridicule. Et puis, arrêtez de vous acharner pour quelque chose que vous avez perdu d'avance.

Mactar- Allez au diable!



Elle se contenta de rire et commença à s'éloigner tandis que ses talons aiguilles martelaient le sol.
Je veux tirer cette histoire au clair. Je veux savoir si Malik Ndao a dit vrai et qu'ils se sont simplement rencontrer ce soir ou si ma meilleure amie est cocue.

- Je croyais que vous étiez la copine de Chemsseddine Aïdara, que diable faisiez vous en compagnie d'homme marié?

Elle s'arrêta de marcher et jeta un coup d'œil derrière elle, c'est à dire vers moi. Un sourire amusé naquit sur ses lèvres.

Arane Sall- Collaboratrice est le mot qui convient le plus. Crois-tu vraiment que si je sortais avec lui, il songerait à t'épouser? Et puis ce n'est pas de ma faute si je plais aux beaux millionnaires, je serai bête de ne pas en profiter.

Et c'est ainsi qu'elle quitta le mariage.

Peut-être que dans le jeu d'échec que menait Chemsseddine, malgré les apparences, Arane n'était pas qu'un petit pion sans importance ?
Une collaboratrice hein! Intéressant ...








                           *

La fête battait son  plein. L'heure était maintenant venue pour les mariés de couper la somptueuse pièce-montée réalisée par un grand pâtissier du centre-ville dakarois. Hélas, tandis que les ventres des convives gargouillaient devant ce chef-d'œuvre culinaire, Malik Ndao s'était encore une fois éclipsé. Et comme le garçon d'honneur qui s'était lancé à sa recherche dans l'enceinte de l'hôtel était revenu penaud, khadija avait proposé d'aller voir s'il n'était pas dans le parking ou aux alentours de l'hôtel. En effet, même s'il n'était pas un accro du tabagisme, cela lui arrivait quelque fois pour impressionner ses amis de griller une clope au plus grand déplaisir de ses poumons fragiles.

Seulement une heure était passée, puis deux, puis trois. Il n'y avait pas de trace de Malik et sa femme n'était toujours pas revenue. Les invités, confus avait finis par être congédiés par la belle-mère étant donné que les mariés étaient portés disparus. Il ne restait plus que les demoiselles et garçons d'honneurs, ainsi que les deux familles. Tante sokhna se faisait un sang d'ancre tandis que Madame Adja Diouf Ndao elle, était en larme. «  Mon fils, mon petit bébé, ou peut-il être à cet heure-ci? Ce n'est pas normal, que quelqu'un prévienne la police! » sanglotait-elle.

Alors il lui arrivait de se montrer douce...

Je m'étais mise à bombarder le portable de Khadijah d'appels en espérant qu'elle soit sortie avec son portable. Elle répond à la neuvième tentative mais elle à peine eut-elle le temps de dire « allo » que l'appel s'interrompit.

- Tata Sokhna, elle a répondu mais je n'arrive plus à la joindre.

Ta Sokhna- Dema beug nga meye ma deh. Yako oum! Yakou kattou weurseuk bi nga done. ( Fous moi la paix. Tu lui as porté l'œil! Espèce de gacheuse d'opportunités que tu es!)

Madame Ndao- Waw key daf ma lerrone né sama dom tontine ngene deffone. ( Ah je le sentais bien que vous considériez mon fils comme une tontine!) Il est innocent et manipulable mais je ne vous laisserai pas l'utiliser.

Ta Sokhna- Nous ne sommes pas peut-être pas riches mais nous sommes dignes. Si vous m'aviez dit votre pensée sur ma fille et moi un peu plus tôt alors jamais je ne l'aurai laissé se lier à votre famille!

Madame Ndao- Mais reprenez la donc votre fille. Yako téré nekh...( Ce n'est pas trop tard...)

Et les deux bonnes femmes continuèrent à se faire moult reproches. Tandis que je saignais la touche appel, un miracle s'opéra: un message écrit depuis le cellulaire de Khadija m'avait été envoyé.

Aw lakalé ❤️❤️
« Ma femme est route pour sa lune de miel. Alors trouve-toi une vie et arrête de nous spammer. Elle ne répondra pas! »
Malik Ndao? Qu'est-ce qu'il peut être cinglé celui-là! Il a fallu qu'il inquiète tout le monde pour des bêtises pareilles! À croire que ça l'aurait tué d'attendre la fin du mariage!

- * en mettant exergue mon smartphone* Mesdames, cessez les hostilités je vous prie, j'ai des nouvelles de vos enfants.

Elles se ruèrent sur mon téléphone.





                           

                               *

Le lendemain, 13h30, à l'hôpital

Anxieuse, je traversais de longs couloirs blancs comme la mort.Ce jour-là, ma grand-mère débutait sa chimiothérapie. Même si je n'aimais pas les hôpitaux, je me devais de lui faire cette dernière visite avant que ne commence cet éprouvant traitement.

Dans une chambre monochrome, Ma Saly était allongée sur son lit, le teint pâle et les joues encore plus creuses que lors de notre dernière entrevue. Sa camarade de chambre, à l'article de la mort, elle gémissait toujours...

J'avais salué ma grand mère sans savoir que dire. Je m'étais donc silencieusement installés à ses côtés. La septuagénaire me serra la main et débuta son monologue.

Ma Saly- Quand je suis née, au Sine, on ne déclarait pas encore les enfants mais si j'en crois les dires de l'homme blanc, je dois avoir soixante-dix ans. J'ai vu l'Afrique coloniale, les premiers feuilletons en noir et blanc, j'ai vécu l'aube de cette pseudo-indépendance. J'entends le bruit des pilons écrasant le mil en royaume sérère, le bruit des tam-tam, le sourire sincère de ton grand-père. Je revois ma jeunesse... Tu sais Nour, j'ai vécu une bonne vie!

- *inquiète* Pourquoi parles-tu comme si demain, tu allais pousser ton dernier soupire? Ton traitement commence aujourd'hui, j'ai fait beaucoup d'efforts pour que tu puisses le recevoir alors ne sois pas aussi pessimiste!

Ma Saly *sourire triste*- Nour, il n'y aura pas de chimiothérapie, enfin pas dans l'immédiat... Le médecin m'en a informé ce matin.

Mon cerveau avait décidé que c'était un nouvel épisode psychotique. Alors je décidai de ne pas trop y prêter attention et de la laisser se reposer.

En sortant de la chambre, je tombai nez à nez avec l'oncologue en charge de Ma Saly. Je lui fis un sourire poli qu'il ne me rendit guère. (lui qui était si aimable d'habitude!)Pis encore, il changea complètement de trajectoire comme s'il cherchait à m'éviter. Je le rattrapai et me plaçai devant lui:

- Docteur comment allez-vous ?

Le médecin - * en balbutiant* Bien, mais j'ai des consultations à faire.

-*tentant de rester cordial* Je l'entends bien mais je ne prendrai pas beaucoup de votre temps. Je voulais juste savoir s'il y'avait des médicaments à acheter pour accompagner la chimiothérapie !

Il retira ses lunettes et les rentra dans les poches de sa blouse. Il déglutit ensuite avec difficulté, et la tête basse, il commença:

- Mademoiselle Nour, euh, je ne voulais pas vous l'annoncez ainsi mais... * il desserra nerveusement sa cravate* finalement nous n'allons pas débuter la chimiothérapie de votre grand-mère.

Le monde s'arrêta de tourner.

- Vous vous fichez de moi? A quoi tout cela rime? Vous êtes médecin bon sang, vous savez mieux que moi que ceci n'est pas un jeu et que nous parlons de vie humaine! Ce traitement m'a coûté la peu des fesses!

- Je l'entends madame mais calmez vous, je vous en prie. Comme tout hôpital d'un pays sous-développés, nos moyens sont limités. Pour la chimiothérapie nous mettons la priorité sur les cas les plus avancés. De plus Ma Saly est faible et atteinte de démence...

- Il y'a quelques semaines à peine vous étiez confiants en disant que c'était sa seule chance de s'en sortir. Vous voulez quoi? Plus d'argent? Je vous en supplie dites moi ce que je dois faire! Vous comme moi savons que votre explication ne tient pas debout!

Le médecin- Peut-être bien, mademoiselle... mais même si cela blesse ma déontologie, je ne peux rien y faire. Allez voir le chef de service, ou bien le directeur de l'hôpital, je vais demander à une infirmière de vous montrer son bureau. Peut-être qu'en vous voyant, le sens du devoir reprendra le dessus sur la cupidité !




                          *

L'infirmière me conduisit à bon port, et devant moi se dressaient désormais des portes françaises vitrées, ne dévoilant rien  cependant du bureau sur lequel elles donnaient. Sur ces dernières était placardé un écriteau en lettre d'or où s'affichait fièrement le nom du propriétaire des lieux: Docteur Seydina Diagne, Directeur de l'hôpital.

Cette affaire de priorité pour les cas de cancer avancés cachait quelque chose de frauduleux! Je me devais de tirer cette histoire au clair. Le médecin traitant de ma grand-mère avait prétexté l'impuissance pour se dédouaner. Toutefois lorsqu'on exerce un métier aussi noble et sensible, l'inaction ne revient-elle pas à devenir un maillon de la chaîne de corruption? Tout ce que je savais, c'est que je n'allais pas laisser tous mes efforts partir en fumée.

La colère et l'indignation au sein de moi avaient muté en une bonne dose d'adrénaline. Je cognai un coup sec. Une voix masculine me somma tout de suite d'entrer, comme si ma présence était d'emblée attendue...

Malgré l'appréhension qui me gagnai, j'exerçai une pression sur les poignet et pénétrai dans l'antre du lion.
«  Comme tout hôpital d'un pays sous-développé, nos moyens sont limités. » m'avait dit l'oncologue plus tôt. Je comprends maintenant dans quoi il claque leur budget.

L'intérieur était assez luxueux et l'air frais de la climatisation agressait mes poumons. Il y'avait deux hommes dans la pièce. Le premier que je soupçonnais être le Docteur Diagne était un homme bien conservé malgré l'âge avec des cheveux poivre et sel. L'autre était habillé dans un somptueux trois pièce en bazin vert, il avait une belle carrure mais je n'arrivais pas à voir son visage à cause de sa position.

Dr Diagne- Mademoiselle, quel bon vent vous amène dans mon bureau?

- Vous ne semblez pas l'ignorez, alors passons les salamalecs monsieur. Oui monsieur, car vous appelez docteur revient à insulter la médecine. Comme vous devez le savoir, j'ai ma grand-mère dans votre service d'oncologie, et j'ai souscrit à toute les démarches pour pouvoir lui offrir la chimiothérapie que vos médecins m'ont recommandé de faire. Comment osez-vous aujourd'hui sans humanité ni déontologie la priver de son droit à se soigner?

Docteur Diagne- *souriant à l'homme en face du lui* Comme vous me l'aviez décrite, une véritable bout-en-train!

Son mystérieux interlocuteur fit effectuer une rotation aux roues de son siège pour enfin me faire face. Il s'agissait d'un beau trentenaire aux traits fins et la peau noire dont les sourcils arquées et le sourire moqueur me donnait une impression de déjà-vu  me glaçant le sang. Pourtant je ne le connaissais pas -même si lui semblait savoir très bien à qui il avait affaire-.

Le mystérieux inconnu- *sur un ton plaisantin* N'allez pas nous l'énerver, Docteur Diagne. Nour, je peux vous appeler comme ça, n'est-ce pas? Ne remettez pas la faute sur lui, il est pieds et points liés. Après tout cette décision ne vient pas de lui...

-De quoi je me mêle! Et puis, qui êtes vous?

Lui- Oh je suis un ami. Ou mieux encore, considérez moi comme votre sauveur.

J'arquai les sourcils, confuse.

- Regardez donc l'affiche derrière vous et vous comprendrez le sens de toute cette mascarade.

Je suivi des yeux la direction que portait son index. L'affiche parlait d'une campagne de la ligue contre le cancer, visant à octroyer un matériel moderne aux hôpitaux œuvrant dans ce domaine. En bas de la feuille était imprimé le logo d'AMC ainsi qu'une mention expliquant que cette campagne était majoritairement financé par eux.
Chemsseddine Aïdara, encore et toujours lui, tel un fauve acharné.

Pourquoi n'avais-je pas fait le lien plus tôt? C'est que je savais l'homme mauvais, mais pas au point de mettre en gage la vie d'une innocente juste pour satisfaire un caprice passager. C'était irrationnel. Et J'avais beau chercher, ça ne tenait pas la route. Cela ne faisait qu'approfondir ma colère. Cette colère immense elle était. J'en étais devenu muette et statique. J'en tremblais... Encore une fois, mes larmes coulèrent sans attendre mon commandement.
J'étais une condamnée qui ne comprenait pas pour quel crime elle devrait brûler sur le bûcher. Une proie ignorant dans quel but elle serait sacrifier. L'incompréhension était le plus douloureux de mes mots.
Au début, je ne voulais que combattre l'injustice. Je ne savais pas qu'un rapport suffirait à faire de ma vie un cercle infernal dont on ne peut s'échapper.

Dr Diagne- Comme les choses ont étées dites, je vais vous laisser vous expliquer!

Sur ces paroles il s'éclipsa, me laissant seule avec le mystérieux inconnue.

Lui- Je vois que vous avez compris mais ne soyez pas aussi troublée. Je vous l'ai dit, je suis votre sauveur!

- Qui (...) qui êtes vous et qu'est-ce que vous me voulez?!

Lui- *sourire* J'aime les gens direct! Je me présente, je suis Ibrahima Aïdara, le cousin de l'homme que vous exécrait tant. Je vous ai vu au gala pour l'autisme, vous dansiez avec Chemsseddine. Il n'avait jamais faite une chose pareille (...)

- *reniflant malgré moi* Je ne veux rien avoir à faire avec un membre de la famille de cette pourriture (..)

L'impoli me coupa la parole ce qui accru ma frustration.

Lui- Ne vous inquiétez pas, moi non plus, je ne suis pas un grand fan de ce très cher Chemsseddine. D'ailleurs j'avais un marché à vous proposez et vous n'êtes pas en mesure de le refuser: J'ai cru comprendre au gala qu'il avait un grand intérêt pour vous. En faisant mes recherches j'ai donc découvert qu'il vous avez proposé de l'épouser mais en utilisant de bien rustres manière. Il vous a fait beaucoup de mal comme il en fait toujours autour de lui.

- *perplexe* Et donc?

Il se leva et fit quelques pas vers moi.

Lui- Vous et moi savons que c'est un homme très puissant. Vous ne pourrez jamais vous débarrasser de lui seule. Faisons un pacte, entre-aidons nous pour le détruire de l'intérieur. Acceptez de l'épouser et je vous apprendrai comment découvrir toutes ses failles. Ensemble, nous mettrons fin à sa tyrannie.

- Et c'est à un homme qui fomente la destruction de son propre cousin que je dois faire confiance? De plus j'ignore tout de vous. Je ... je ne veux pas prendre part à votre entreprise malfaisante!

Il se rapprocha davantage en gardant un regard fixe sur ma personne.

Lui- À d'autres Nour! Je le vois dans vos yeux que vous mourrez d'envie de vous venger. Et si votre bouche n'ose le dire, chaque cellule de votre chair brule du désir de la voir souffrir comme vous avez souffert.

Cette vérité qu'il me lançait au visage me fit l'effet d'une douche froide et comme je n'avais pas de réponse, misérable je me contentais de pleurer. Il avait fichtrement raison, je n'étais pas qu'un être de bonté. Depuis que Chemsseddine est entré dans ma vie, je me suis trouvée une part de noirceur.

Il reprit:

Lui- Un auteur que j'affectionne particulièrement a l'habitude de citer ce proverbe chinois: « On a deux vies, et la deuxième commence quand on se rend compte qu'on n'en a qu'une*.» Vous n'aurez qu'une seule vie pour sauver votre grand-mère, qu'une seule chance pour sortir de la misère, qu'un unique espoir pour mettre Chemsseddine à terre.

La toile d'araignée s'était refermée. Je ne faisais sûrement pas confiance à ce Judas qui n'hésitait pas à trahir sa propre famille mais je ne voulais pas non plus être à la merci de Chemsseddine. J'étais perdue dans l'antre des lions et je n'avais pas d'autres choix que de me jeter dans la gueule d'un des prédateurs.

Lui- Je suis votre seule chance Nour. Personne ne peut s'attaquer aux Aïdara et s'en sortir indemne, à part un Aïdara lui-même... Appelles -le, dites-lui que vous acceptez. Pour l'heure, c'est l'unique issu.

Carpe Diem...

Je fermai les paupières et saisis mon J5 fissuré, la main tremblante je composai le numéro de mon bourreau.

- * Entre deux sanglots* Vous êtes la pire des crapules que le monde n'est jamais connu! Un meurtrier, un psychopathe sans foi ni loi, voilà des mots bien faibles pour faire la peinture de votre odieux personnage.

Ibrahima fit une moue de désapprobation. Il voulait que je m'en tienne au plan initial.

Chemsseddine * ironique*- Mlle Sadiyah?! Je dois vachement te manquer pour que tu m'appelles et m'insultes ainsi sans aucune raison valable. Soit, je me montrerai clément envers ma fiancée.

Il en rit. Je n'arrive pas à y croire. Ma grand-mère se meurt et il rit. Je plaçai ma paume contre ma bouche pour étouffer un sanglot.

- *rire amer* Vous aviez raison vous savez, je ne suis qu'une frère petite lumière ne sachant pas résister aux vents. Depuis que vous être entré dans ma vie, il n'est pas un jour sans que je me confonde en sanglots. Je ne suis pas aussi forte que le monde le croit, à vrai dire, je suis à bout de souffle...

Chemsseddine * d'un ton sérieux- Mlle Sadiyah, venez en au fait. Pourquoi me racontez vous tout cela?

- Oh, ne jouez pas aux ignorants! À cause de vous et de ce corrompu de directeur d'hôpital, ma grand-mère n'aura pas sa chimio. Elle risque de mourir, vous comprenez? Ah! J'avais oublié, nous ne sommes que des pions dans votre immense échiquier. Alors peu importe si on crève tous comme des mouches, n'est-ce pas?

Chemsseddine- Je n'apprécie pas beaucoup que tu m'accuses de choses dont je ne suis pas responsable. J'adore te torturer mais encore une fois, je n'ai rien à voir avec ça!

- * poussant un soupire douloureux* STOP! Je vous en prie, arrêtez vous. C'est bon, j'accepte: je vais devenir votre femme.
J'en fais la promesse solennelle. Mais laissez Ma Saly vivre, elle, elle ne vous a rien fait.

Un long silence s'en suivi sans que je ne sache si je venais de signer l'armistice ou le livre de la bête.

Cheikh Ahmed Tidiane Chemsseddine Aïdara se racla la gorge, et placide il scella ainsi notre accord:

Lui- Bien, tu es donc revenue à la raison. Toutefois tu n'es pas sans savoir que des répercussions graves suivront si tu t'hasarder à briser notre accord. Je vais voir ce que je peux faire avec le directeur.

- Faites donc.



Omniscient
Noireau se tenait debout à côté du siège de son patron, attendant une réaction de sa part. Le sourire arrogant qu'il arborait avait laissé place à un air grave.

Noireau- Vous avez obtenu ce que vous vouliez. Alors pourquoi paressez-vous aussi insatisfait?

Chemsseddine- Parce que cette victoire, on me l'a arrachée des mains. Elle me laisse un goût amer, vois-tu? Alors va de ce pas et trouve le fils de p*te derrière celaet vite; je déteste que l'on achève mes proies avant que je n'aie fini de me délecter de leur souffrance.








Coumba avec une mère*: Il s'agit d'une référence à un conte africain en miroi opposant Coumba sans mère, une orpheline ayant souffert toute sa vie et qui finira heureuse à cause de son cœur pur et Coumba avec une mère qui finira très mal alors qu'au début de l'histoire elle était choyée et favorisée.

Daïquiri*: Le daïquiri est un cocktail dont les ingrédients principaux sont le rhum blanc, le jus de lime et le sucre. Il est originaire de Cuba

BP*: La société BP est une compagnie britannique de recherche, d'extraction, de  et de vente de pétrole fondée en 1909.

Proverbe chinois*: Il s'agit de paroles de Confucius, lui qui a initié le confucianisme, l'une des plus grandes écoles philosophiques, politiques et dans une moindre mesure religieuses de Chine.

                 ______________

L'association est en islam considérée comme une véritable abomination. Mais saviez-vous qu'il en existe plusieurs variantes?
Cette pluralité fait que le musulman peut parfois associer à Allah sans s'en rendre compte. En effet, Des théologiens sunnites hiérarchisent le chirk ( association en arabe) en chirk akbar ou majeur et chirk asghar ou mineur.
Le Shirk majeur, qui est plus connu, correspondrait par exemple à pratiquer le polythéisme en faisant des sacrifices pour une autre divinité qu'Allah.

Toutefois, pour plus contextualiser par rapport au chapitre, nous intéresserons ici un peu plus au shirk mineur. Il s'agit donc de ce qu'on a spécifiquement appelé le shirk dans le Coran et la Sounnah, mais il n'atteint pas le niveau d'un shirk majeur. En outre, on dit que le shirk mineur mène au shirk majeur . Certains érudits ont dit que le shirk mineur était si vaste qu'il était difficile de le définir avec précision. Les exemples les plus importants de shirk mineur sont:

- Les charmes et amulettes ( fréquents au Sénégal)

La foi dans les charmes, les amulettes et les talismans contredit la croyance en la seigneurie d'Allah en attribuant la capacité d'apporter la bonne fortune ou d'éviter la malchance à des créatures alors qu'Allah seul peut apporter le bien et éviter les dommages. En conséquence, le Prophète (Qu'Allah le couvre d'éloges et le protège) s'est opposé à ces pratiques superstitieuses et a enseigné aux gens de croire fermement en leur Seigneur, plutôt qu'aux amulettes, qui ne peuvent changer le destin d'Allah et ne peuvent apporter aucune chance à qui que ce soit. Quand les gens ont accepté l'islam à l'époque du Prophète, ils portaient avec eux leur ancienne foi aux amulettes. Le Prophète leur a strictement interdit d'adhérer à de tels croyances:

D'après Uqba ibn Amir al-Djuhani, le Messager d'Allah (bénédiction et salut soient sur lui) accueillit un groupe de personnes et reçut le serment d'allégeance de neuf d'entre eux et s'abstient d'en faire de même pour le dixième.

–  Vous avez reçu le serment d'allégeance de neuf et ne l'avez pas fait pour celui-ci ? !

–  Il est porteur d'une amulette

L'homme introduisit sa main et coupa l'amulette. C'est alors que le Prophète (bénédiction et salut soient sur lui) reçut son serment d'allégeance et dit :  Quiconque porte une amulette tombe dans l'idolâtrie  (rapporté par Ahmad, 16969).

-Prêter serment au nom d'un autre qu'Allah

Faire un voeux ou prêter serment au nom de quelqu'un d'autre qu'Allah est une sorte de shirk mineur, tant qu'une personne n'a pas l'intention de vénérer celui au nom duquel le serment est fait, sinon cela se transforme en un shirk majeur. Le Messager d'Allah (Qu'Allah le couvre d'éloges et le protège) a dit:

"Celui qui prête serment au nom d'un autre qu'Allah commet de l'incrédulité ou du shirk."

- Le Riyaa (l'ostentation)

Le riyaa consiste à effectuer un acte d'adoration afin d'être vu et loué par les gens. le riyaa rend l'acte nul; la personne gagne un péché au lieu d'être récompensée par Allah, et cela l'expose à une punition.

Le Messager d'Allah a dit:

"La chose que je crains le plus pour vous est le shirk mineur."

Ils ont dit: "O Messager d'Allah, qu'est-ce que le shirk mineur?" Il répondit:

"Le Riyaa (l'ostentation), car Allah dira le jour où les gens seront récompensés pour leurs actions: 'Allez vers ceux pour qui vous avez cherché à faire voir vos actions dans le monde et voyez quelle récompense vous obtiendrez d'eux.'" (Ahmad).

Source: https://www.newmuslims.com/fr/lessons/96/le-shirk-ses-diffa-c-rents-types-partie-3-sur-3/

PS:
▪️ Le discours d'Ibn Taymir cité en haut, nous l'avons tiré d'un discours d'imam Boussenna : « Personne ne passes dans ta vie par hasard » .  (Disponible sur YouTube)

▪️ Suivez la page instragram du livre @ladysuzyta_01 svp où il y'aura plein de contenu intéressant par rapport au livre.

▪️ Désolé pour la longue attente. L'écriture chapitre était assez fastidieuse et entre temps nous avons plusieurs évaluations.

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