Les pinceaux de la froideur et l'encre du cœur
De son pinceau habilement tenu entre ses phalanges blafardes, le peintre effleura délicatement la toile tendue s'offrant à son regard d'encre et les poils du petit objet en bois encore secs caressèrent la surface rugueuse, produisant un léger râpement sonore en raison de la rencontre de ces deux matières. L'artiste plongea son outil de prédilection dans une coupole au fond de laquelle résidait une pluie d'encre de chine, dont les teintes se faisaient plus obscures encore qu'une nuit sans lune. De ses iris aux mêmes nuances que le liquide ébène qu'il utilisait, le jeune homme coula à nouveau ses orbes abyssales vers le paysage se dévoilant à sa vue et scruta chaque détail de ce chef d'œuvre bucolique afin d'y retranscrire sa beauté du mieux possible.
Des plaines n'en finissant plus, où s'entremêlaient d'innombrables collines se chevauchant de toutes parts, étaient baignées par la douce lueur du crépuscule. L'astre solaire arborait toujours son aura jaunâtre, et vint orner dans une parfaite symbiose cette mer orangée qu'était le firmament de cette fin d'après-midi. Capturer l'instant avant qu'il ne disparaisse. Telle était l'intention de Saï. Cependant, ce n'était pas avec son encre arborant une seule et même couleur qu'il pourrait représenter la beauté des teintes estivales dans lesquelles il plongeait ses pupilles.
Une légère brise vint caresser ses joues blêmes de sa tiédeur, et le brun clôt alors instinctivement ses paupières afin de ressentir ce souffle céleste avec la plus grande des intensités. Le zéphyr du mois d'août secouait les branchages de la végétation environnante, tandis que, semblable à une nuée de carillons, le bruissement des feuillages venait combler les tympans du shinobi par sa douce mélodie. Le peintre délaissa son outil de maître en le reposant sur le rebord du chevalet, puis s'assit sur l'herbe verdoyante qui dominait tout le périmètre de sa luxuriance. S'installant dos au support qui soutenait la toile vide de toute tentative d'esquisse, l'artiste semblait refuser d'admettre que l'inspiration, bien que sa source soit sous ses yeux, ne voulait pointer le bout de son nez en ce début de soirée. Il glissa ses deux mains derrière sa tête et s'allongea de tout son long sur le terrain pentu où il était venu, à la base, pour dessiner. Les toiles monochromes étant sa spécialité, il aimait user de son temps libre - se faisant extrêmement rare en raison de son rôle au sein de la Racine - à reproduire des décors qu'il aimait particulièrement dans des teintes que beaucoup jugeaient fades, mais qui, pour lui, permettaient de révéler l'essentiel. Le blanc et le noir ; voilà les instruments avec lesquels il aurait souhaité peindre cette sublime vue qu'il affectionnait particulièrement. Posté sur les hauteurs du village caché de la Feuille, le jeune homme avait prit l'habitude de laisser son regard et ses pensées courir au loin de cet horizon sans fin, allant bien au delà des contrées de Konoha, sublimé par l'immensité des plaines et forêts.
L'esprit du jeune homme divagua vers un monde onirique, comme pris par un courant d'eau cristalline permettant au ninja de quitter les flots du Styx sur lesquelles son âme solitaire stagnait habituellement. Mais, alors que le souffle de la brise faisait valser les innombrables brins d'herbe entourant le corps somnolant du brun, transformant ce carré de verdure en véritable mer émeraude, la toile restait immaculée de toute tâche d'encre. Bientôt, la nuit serait tombée, sans même que l'artiste n'ait entamé la peinture du décor dans lequel il noyait son regard.
Coupant le chant des feuillages par lequel le brun était bercé, une voix particulièrement aigue s'écria au loin. Reconnaissant la tessiture propre aux cordes vocales d'un enfant en bas âge, Saï se contenta de simplement ouvrir un œil afin de savoir d'où provenaient ces exclamations. Au bas de la colline sur laquelle le brun somnolait, deux silhouettes se dessinaient. Sans prendre le temps d'épousseter les brins d'herbe s'étant accrochés dans les mailles en laine de son haut, le shinobi se redressa en position assise à mesure que les deux ombres s'avançaient vers lui. Au fur et à mesure de leur progression dans la montée de cette sacrée côté, il commençait à distinguer les deux ombres, se trouvant être une jeune femme accompagnée d'une petite fille. Étonné par les deux inconnues se tenant à présent à quelques mètres de lui, le jeune homme les fixa de ses pupilles corbeaux, stoïque.
- Bonjour , souffla celle qu'il supposa être la mère.
La jeune femme pressa la petite main de la fillette qui s'était agrippée à ses phalanges, incitant cette dernière à saluer elle aussi le peintre, ce qu'elle fit timidement. Elle lança un sourire bienveillant à son enfant, puis redirigea son attention vers le jeune homme tout en désignant l'espace à côté duquel il était assis :
- Je peux ?
Un peu déboussolé par cette interaction inattendue, le brun hocha la tête tout en dévisageant le visage légèrement hâlé de la nouvelle arrivante, encadré par ses mèches chocolats qui flottaient au gré du vent. Cette dernière vint se poser à la droite du shinobi, étalant ses jambes face à elle tout en prenant appui sur ses bras qu'elle avait positionné derrière son dos, et contempla les Cieux vermeils de Konoha. Une poignée de minutes s'écoulèrent pendant lesquelles la jeune femme tenta d'échanger quelques banalités avec le ninja, vainement en raison du stoïcisme dont faisait preuve l'adolescent - il faut dire que sa formation dans l'ANBU ne lui avait guère donné l'occasion de tenir une conversation normale avec d'illustres inconnus. Abandonnant les formules de politesse, la brune entra directement dans le vif du sujet.
- Depuis des mois, je viens tous les soirs ici avec ma fille, commença t-elle avec douceur. Et à chaque on te voyait perché sur le haut de cette colline, toujours en train de dessiner quelque chose sans que l'on ne sache jamais quoi.
Décontenancé par ces confidences auxquelles il ne s'attendait pas le moins du monde, le ninja des forces spéciales tourna ses iris vers l'être à ses côtés, et cette dernière poursuivit son récit, sans lâcher la rougeoyante chapelle céleste des yeux :
- Seulement, il y a quelques semaines, tu as disparu d'un coup. Elle marqua une légère pause tandis qu'elle replaçait des mèches rebelles derrière son oreille, ces dernières préférant se laisser entraîner par la tiède brise. Je t'avoue que je me suis inquiétée pour toi, j'ai cru qu'il t'était arrivé quelque chose.
C'était la maman en elle qui parlait.
- Puis finalement tu es revenu aujourd'hui comme par magie, sourit doucement la jeune femme en ramenant ses genoux contre sa poitrine tout en les entourant de ses bras, puis elle plongea ses orbes chocolatées dans celles du jeune homme qui la dévisageait. Tu nous as manqué tu sais ? Ma fille me parle tout le temps de toi, alors elle est devenue folle de joie quand elle t'a aperçue tout à l'heure.
La fillette en question se cachait derrière le corps de sa mère, impressionnée par la présence de l'adolescent. Celui-ci avait à peine remarqué sa compagnie, avant que la brune ne dépose délicatement sa main sur la tête de sa fille afin de légèrement tapoter sur son crâne.
- Ma petite fille admire beaucoup les shinobis comme toi. Pas vrai ma chérie ?
Cette dernière hocha vigoureusement la tête, un grand sourire dessiné sur ses traits enfantins.
Saï, qui jusqu'ici écoutait avec grande attention les dires de son aînée, se retrouva pensif face aux dernières paroles prononcées. Que pouvait-elle trouver d'admiratif dans ce rôle qu'il exécutait tous les jours ? L'esprit humain le dépassait, et du haut de ses quinze années, il se disait qu'il était déjà bien trop tard pour qu'il ne cherche à comprendre son complexe fonctionnement.
- Mais ce que ma fille admire par dessus tout, ce sont les artistes, poursuivit la mère en laissant le bout de ses doigts graciles glisser sur les mèches caramels de son enfant. Malheureusement il n'y en a très peu dans notre monde. Avec toutes ces guerres passées, peu de personne trouvent une quelconque utilité à peindre ou faire de la musique, pourtant je pense sincèrement que c'est essentiel.
Foncièrement intéressé par le monologue que récitait la mère de famille, Saï buvait ses paroles avec attention, laissant - à l'inverse - son visage de marbre ne refléter qu'une profonde lassitude. Remarquant le sempiternel air indifférent du jeune homme, la brune agita avec un léger embarras sa main devant elle, comme pour dissiper les résidus de ses mots résidant encore dans l'atmosphère, tout en ajoutant d'un léger rire :
- Excuse moi, excuse moi, je parle beaucoup trop ! Ça ne doit pas forcément t'intéresser. Elle reposa sa main sur les brins d'herbe. Enfin bref, tout ça pour te dire que ma petite fille aurait une question pour toi. N'est ce pas ? souffla-t-elle au petit être agrippé à son bras.
L'enfant en question contemplait de son regard vif le contraste qu'offrait l'épiderme translucide du ninja aux côtés de ces deux billes d'encre dans lequel semblait loger toute la vacuité du monde. La fillette sentit presque les larmes lui monter face à ce spectacle qu'offrait le reflet de l'âme du brun, un tableau des plus maussades, mais les retint alors qu'elle se relevait de l'herbe tendre. Elle épousseta brièvement les pans de sa robe bleutée et se redressa solennellement, comme s'apprêtant à entonner un véritable discours - ce qui fit plisser les paupières s'amusement à sa génitrice ; de son côté, le shinobi de l'ANBU retint un haussement de sourcil face à la demande de la petite fille :
- Est ce que je peux voir votre dessin ?
S'étant attendu à une requête plus importante en raison de la mine des plus sérieuses qu'affichait l'enfant, et ce malgré la timidité dont elle avait fait preuve auparavant, le jeune homme ne fut cependant pas en mesure de satisfaire sa demande. La toile et l'âme de l'artiste restaient vierges de toute tâche d'encre, aucune esquisse ne semblait vouloir voir le jour. Le peintre ne répondit pas immédiatement, laissant le zéphyr combler le silence une poignée de secondes durant, avant de murmurer d'un ton incertain :
- Pourquoi veux tu voir ça ? Il n'y a rien à voir.
Les mots étaient bruts, sans aucun filtre, impactant la petite fille dans leur forme la plus crue. La mère haussa un sourcil face à cette réaction, mais comprit ; le brun n'avait pas voulu mal faire, il ne semblait tout simplement pas habitué aux interactions sociales. La jeune femme s'étonna tout de même du léger malaise instauré. Bien qu'elle avait conscience que la formation de ninja était plus difficile que n'importe quel enseignement et que, par conséquent, ceux qui subissaient cet entraînement au quotidien ne devaient plus prêter attention aux formalités propres à l'interaction entre humains - comme parler à un enfant avec douceur - elle n'aurait pu se douter qu'un shinobi se montrerait aussi froid. Pour détendre l'atmosphère, la femme aux mèches chocolatées poursuivit :
- Alors ma fille aimerait te montrer le sien.
La fillette hocha de nouveau la tête, et s'accroupit au sol tout en enlevant le sac en bandoulière qu'elle supportait jusque là, afin de sortir de sa petite sacoche une toile enroulé dans un papier bordeaux. Elle resserra l'emprise qu'elle exerçait autour de l'emballage, et s'avança à petits pas vers le jeune homme. Celui-ci dévisagea le petit être qui lui faisait à présent face et accueilli entre ses mains le présent qu'on lui tendait avec réserve.
- C'est pour toi, souffla l'enfant aux mèches caramels.
Il glissa ses pupilles du visage doré de la petite fille au cadeau qu'il soutenait de ses phalanges. Après un murmure incitateur de la mère de famille, le brun dénoua méticuleusement le ruban ocre enlaçant l'emballage du fameux dessin, suivit du papier qui s'échoua sur l'herbe après avoir été retiré avec minutie. Enfin, la peinture se dévoila à son regard, et il y découvrit un oiseau à l'aspect pour le moins original. Ses ailes saphirs étaient parsemées de manière aléatoire par d'innombrables pointillés blancs, tandis que la maladroite utilisation de l'acrylique donnait à l'animal un corps légèrement disproportionné.
Quelle mocheté, fut la première pensée qui traversa l'esprit de Saï face à la toile qu'il scrutait du regard, mais - fort heureusement - il s'abstint de tout commentaire. Etant habitué à baigner dans l'océan de sa propre aquarelle, le shinobi n'avait encore guère conscience des différentes manières de manier sa plume et son encre, si bien qu'il pensait - sans la moindre vanité, mais seulement avec une fade objectivité - que seules ses propres créations définissaient dûment la beauté. Et dire que ses toiles étaient belles demeurait un euphémisme face à la justesse des coups de pinceaux et au raffinement de l'encre ébène. Le jeune homme était un véritable prodige et ses œuvres d'inestimables parures ravissant les yeux de chacun. Mais elles sonnaient creux ; si elles pouvaient s'exprimer, seul un souffle étouffé aurait été prononcé en raison de la rafale abyssale caressant les entrailles du créateur, témointe de la solitude dominant son être.
Sans même que le ninja n'eut besoin de prononcer mot, la fillette avait parfaitement conscience de ce qu'il pensait de son présent, ce qui ne la vexa pas le moins du monde. Bien au contraire, elle demanda même au brun s'il voulait bien redessiner cette petite toile à sa façon, ce qu'il accepta sans réellement comprendre pourquoi. Alors, il se releva des brins d'herbes sur lesquels il était confortablement assis depuis tout à l'heure afin de récupérer la toile toujours vierge, et revint s'installer aux côtés de l'enfant qui détaillait chacun de ses faits et gestes de ses grandes iris emplies d'admiration. Muni de son unique pinceau qu'il avait à nouveau plongé dans la pluie ébène, l'artiste s'octroya un instant de réflexion, puis laissa glisser l'encre de chine sur le réceptacle de son art. Un oiseau aux traits flottants prit rapidement forme, et le shinobi de l'ANBU tendit sa création à la fillette qui s'était assise à ses côtés, afin que celle-ci y ajoute son grain de sel alors qu'elle désignait les ailes de l'animal, en qualifiant ces dernières de tristes.
- Tu ne mets pas de cœur dans ton dessin, déclara la fillette, la mine boudeuse.
Ce commentaire frappa l'esprit de Saï de plein fouet, le ramenant à ce qui le tracassait au quotidien : la difficulté d'extérioriser ce que l'on ressent. Il avait des sentiments évidemment ; son cœur battait, sa peau frémissait, ses larmes perlaient mais, à l'inverse, ses pensées étaient muettes, incapables de s'exprimer. Il avait beau entendre son esprit hurler par moment, lui faire vibrer les tympans et vriller l'estomac, les traits du jeune homme étaient peints à l'encre indélébile, dans l'impossibilité de retranscrire le moindre sentiment sur la toile immaculée de son visage. Le velours de sa peau blême restait intact malgré l'encre qui débordait de ses pupilles, menaçant de dévaler son visage pur et de l'entacher de sa pluie aux nuances de jais.
Ne se laissant pas abattre pour autant, le brun repositionna une toile blanche sur ses jambes croisées, en s'attardant sur les détails ayant attiré l'attention de la petite fille ; ici, les ailes notamment. Elle les voulait majestueuses, le shinobi s'affaira alors à parfaire les plumes de l'être volant. De son côté, la mère de famille couva le duo d'un regard bienveillant, tandis que chacun des deux jeunes êtres semblait percer la carapace de l'autre.
- Voilà, c'est bon ? s'enquit le brun en tournant son visage vers les traits émerveillés de l'enfant - réaction qui répondit instantanément à son interrogation.
Une certaine satisfaction s'immisça dans l'esprit du ninja alors, avec discrétion, il commença à progressivement malaxer son chakra. Une poignée de secondes après, tandis que la fillette contemplait la peinture de ses iris fascinées, le jeune homme plaça deux doigts face à son visage tout en prononçant avec concentration :
- Ninpô, Toile aux monstres fantomatiques.
Progressivement, l'encre ornant la toile glissa sur la blancheur de la surface afin de jaillir hors de son lieu de genèse. La pluie ébène prit véritablement vie, tourbillonnant dans l'atmosphère dans une gracieuse spirale, avant que l'encre ne se reforme, créant un immense oiseau dépassant les deux mètres de haut. Usant habituellement de son pouvoir pour générer des tigres, serpents ou autres animaux voués à l'attaque, l'artiste se retrouva agréablement surpris face à la majestueuse création qui trônait devant lui.
De son côté, la fillette observait avec d'autant plus de admiration l'œuvre vivante voletant face à elle, tandis que la mère avait légèrement entrouvert la bouche de surprise, toutes deux se trouvaient émerveillées par ce spectacle. L'oiseau les dominait de sa grandeur, battant avec une certaine lenteur ses immenses ailes dans un impressionnant bruissement puis, obéissant au chakra que le ninja lui avait insufflé lorsqu'il l'avait créé, l'animal prit son envol vers les hauteurs, et commença à tournoyer dans les Cieux désormais écarlates de Konoha. Il planait sur la toile pourpre du crépuscule, offrant un contraste des plus saisissants avec l'éclatante pâleur qu'il arborait, et le trio le regarda virevolter vers l'horizon, disparaissant à tout jamais dans le firmament de la nuit tombante.
Saï glissa son regard vers les deux inconnues qui ne lâchaient pas la voûte céleste des yeux, et contempla les étincelles résidant au fond du reflet de leur âme, ainsi que le sourire étirant leurs lèvres et illuminant leurs traits ébahis. Face à leur mine ravie, le jeune homme sentit une petite lueur s'éveiller en lui, réchauffant son être de part la douceur qu'elle apportait, et il mima inconsciemment les deux êtres en les joignant dans leur contemplation de l'empyrée, alors qu'un discret sourire vint caresser les pâles lèvres, exprimant la quiétude qu'il ressentait en cette douce soirée d'été.
×
pluiedejoints l'os sur Saï comme promis !¡!
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