Chapitre 36 - Terrain d'Entente
En arrivant devant notre maison il faisait presque nuit. Je fermais mon manteau et me cachais dans ma grosse écharpe. Elle ressemblait à une véritable maison, je la traversais, n'aillant pas encore de porte définitive et sur la terrasse j'eus la surprise de voir sous le cerisier pendre une vraie balancelle. Une aussi belle que dans mes rêves.
Je m'en approchais effleurant du bout de mes doigts une vraie beauté de menuiserie. En bois blanc, parfaitement travaillé et lisse, ce banc suspendu n'avait aucun défaut. Je m'y assis en me laissant balancer le regard dans le vide et les mains sur mon ventre.
« Lucy est-ce que tout va bien ? Ton père m'a paru pressant au téléphone ? » s'inquiéta Hope.
« Ça ne va pas trop... Tu te souviens, tu m'avais dit que peu importe ma décision tu pourrais m'aider quant à mes pouvoirs ? »
« Oui je me souviens je t'ai dit ça en partant mais qu'est-ce qu'il se passe Lucy ? »
« Est-ce que si j'essayais un sort sur moi-même je pourrais attenter sans le vouloir à la vie de mes bébés ? »
Elle soupira à l'autre bout du fil avant de se lancer.
« J'aimerais tellement te dire que tu es assez forte pour ne pas leur faire de mal pourtant tu n'as jamais pratiqué la magie. Tu la rejettes même c'est une situation compliquée tout de même... Et nous sommes beaucoup trop loin pour t'aider je suppose ? »
« Oui... En fait pour te résumer ma journée j'ai été chez la gynécologue qui me suit qui travaille dans l'hôpital de Salem. C'était l'échographie des 3 mois passés et... Elle s'est rendu compte que mes bébés partageaient le même sac amniotique. S'ils s'entrechoquent, ce qui va forcément se produire à un moment ou un autre l'issue peut-être... Je peux les perdre. L'un comme l'autre. Elle ne peut pas me proposer d'avorter qu'un seul des bébés étant donné que percer le sac reviendrait aux mêmes risques que de le laisser... Il n'y a que la magie qui pourrait m'aider Hope... ! »
Encore une fois silence au bout du fil. Elle sembla jauger sa réponse alors que je l'entendis finalement se résigner.
« Tu as le pouvoir d'invoquer les âmes des 5 sorcières. Il suffit que tu le veuilles. Un soir de pleine lune quand la magie est à son paroxysme tu vas dans la forêt et tu répètes exactement ce que je vais te dire. Trouve-toi un coin calme et allume un feu en pensant à ce que tu as besoin. Elles viendront à toi. Tu es une descendante des plus grandes sorcières de tous les temps. Tu peux le faire Lucy, peu importe ce que tu choisis comme vie par la suite. Je ne peux être présente, d'abord m'attendre représente un risque et les sorcières ne m'apprécient pas beaucoup... Mais elles vont t'adorer ! Ces vieilles carnes ont toujours eu un faible pour les femmes enceintes et les bébés. »
Je la remerciais chaudement de ses conseils voyant peu à peu le bout du tunnel mais avant qu'elle raccroche j'essayais d'en savoir un peu plus sur le sort des chasseurs.
« Je ne peux pas te le dire Lucy. Hektor m'en interdit. Enfin techniquement c'est moi qui m'en interdis parce que pour qu'il m'en parle j'ai déjà du faire un sort d'inviolabilité alors imagine... Je ne peux psychiquement pas en parler sous n'importe quelle forme. Désolée Lucy j'aurais aimé t'aider plus. »
« Ne t'en fais pas je suis quelqu'un de coriace. Je trouverais. »
« Je veux bien te croire ! Surtout tiens nous au courant Lucy, je m'occupe de ton père. Et n'oublions pas l'incantation c'est important. »
Elle allait raccrocher quand je criais presque au combiné pour qu'elle m'entende et écoute encore un petit peu.
« HOPE ! »
« Je suis toujours là, je t'écoute. »
« Promets-moi de ne pas transformer mon père... Il ne mérite pas ça. »
« Ce n'est pas dans nos projets Lucy n'ait crainte. »
Je lui dis finalement au revoir et raccrochais continuant de me balancer, sous cet arbre qui m'apparut presque comme magique. Je perdis dans sa contemplation quand une voix brisa le silence tout près de moi.
« Je savais que je te trouverais ici. » M'avoua Aleksy en s'asseyant à côté de moi.
Je posais ma tête sur son épaule et il continua le mouvement de balancier pour nous. Il ne pouvait pas imaginer à quel point j'avais besoin de sa présence. C'est vrai depuis que je suis sortie de ma prison c'est comme si cette ville entière avait changé. Ma vie en fait avait été chamboulée et je ne cessais de danser parmi les pots cassés sans jamais trouver ni équilibre ni stabilité. Je ne me sentais jamais sereine finalement. Il y avait toujours quelque chose d'inquiétant à se préoccuper et je ne pouvais pas noyer cette anxiété dans le travail étant donné que je ne travaillais plus. Luke essayait d'être là le plus souvent possible mais j'étais constamment sur le qui-vive. Les chasseurs, les bouchers, mon ex-mari, mon père en vadrouillent, les bébés, Aleksy et ses problèmes de cœur. Je me sentais aussi fragile qu'une bombe sur le point d'exposer. Une grenade dégoupillée en somme.
« Hektor m'a dit que Luke n'avait pas l'air au mieux alors que l'échographie du premier trimestre était aujourd'hui donc je suis venu dès que j'ai su. Mais je dois bien avouer que j'ai fait le tour de la ville avec Luke avant. »
Un sanglot éclata avant que ce ne soit les larmes et le torrent. Étrangement c'est à cet instant que le temps décida de changer pour nous faire profiter de magnifiques flocons de neige que je ne voyais que trop mal à travers mes yeux embués. Mais je voyais probablement les derniers flocons de l'année et ça avait ce goût de pain d'épices et de vin chaud. Cette odeur de cheminée et cette sensation de douce chaleur. Je pris une grande inspiration avant de me lancer pour la 4e fois tandis qu'Aleksy me prit chaleureusement dans ses bras. Rien à voir avec un feu de cheminée mais c'était tout de même agréable.
« La médecin m'a annoncé que j'avais une grossesse particulière et que les bébés avaient une chance sur deux de mourir sans que je ne puisse rien faire. »
À l'entente de mon verdict ses bras se resserrèrent un peu plus fortement sur mes épaules mais il resta silencieux attendant patiemment que je brave larmes et sanglots pour pouvoir finir.
« Elle m'a demandé d'envisager l'interruption volontaire de grossesse et Luke est d'accord. »
« Lucy... Tu sais qu'il y a une différence entre envisager toutes les possibilités qui s'offrent à vous et prendre la décision ? Je ne sais pas vraiment ce que t'as dit Luke mais je sais à quel point tu peux être dure et bornée alors es-tu sûre de lui avoir laisser une chance de s'expliquer ? Parce que je veux bien accepter qu'à cette époque vous soyez indépendante mais jusqu'à preuve du contraire un bébé ça se fait à deux... Ne me regarde pas comme ça Lucy tu sais que j'ai raison. Tu veux savoir comment je le sais ? Parce que la seule pièce qui ferme à clé et que tu as interdiction formelle de voir c'est la chambre des jumeaux. Si tu voyais tous les efforts et toute la sueur qu'il met dans cette pièce... Ce n'est pas humain. Je te rappelle quand même qu'il jonglerait avec l'université, toi et la maison. Il va tous les jours au travail, il passe sur le chantier, il rentre. Dans la nuit il repasse il bosse. Parfois il reste même corriger quelques copies et il repart. Il ne doit dormir que quelques heures par jour tout ça pour toi darling. Parce qu'il ne veut pas que tu aies la sensation qu'il ne te soutient pas ou t'abandonne. Alors qu'il construit votre maison Lucy ! Cependant je te donne le bénéfice du doute à une seule condition. Seulement si tu t'es enfuie en courant parce qu'il t'a dit clairement qu'il allait te traîner par les cheveux pour interrompre ta grossesse. Alors ? »
Je me passionnais soudain pour mes pieds un peu honteux, Aleksy ne me ménageait pas mais il avait parfaitement raison. Je ne méritais pas tout ce que faisait Luke pour moi. Je ne mérite pas son amour et son attention.
« Non, je n'ai pas le bénéfice du doute... » marmonné-je
« Alors qu'est-ce qu'il t'a dit, Lucy exactement ? »
À son ton moralisateur j'eus l'impression qu'il voulait endosser un rôle qui ne lui allait pas du tout à savoir celui de père.
« J'y ai peut-être été un peu fort... Mais pour ma défense il ne semblait pas me soutenir et c'était juste à un moment pareil où j'avais besoin de lui. Au-delà de ça... Je culpabilise un peu de penser ça mais... J'ai l'impression qu'il n'est jamais là quand j'ai le plus besoin de lui... » lui avoué-je à demi-mot.
Je lui expliquais en détail notre altercation et il soupira avant de reprendre d'un air las.
« Peut-être qu'on ne ressent pas vos bébés mais crois-moi Luke fait de son mieux. Ça l'a vraiment affecté tes deux mois loin de lui sans savoir où tu étais, ce que tu subissais, ces longues semaines à se demander s'il te reverrait un jour. Et si tu doutes de son implication en tant que père regarde sous tes yeux, même sous tes fesses Lucy. Tout ça c'est pour vous. Il t'a dit quoi finalement qu'il s'inquiétait pour toi... ? Et tu ne t'inquiéterais pas pour lui si les rôles étaient inversés ? Je suis sûr que si tu lui avais dit tout simplement que cette grossesse vous la vivriez ensemble, en le rassurant il aurait été de ton côté. Tu ne m'as jamais parlé de ce que tu as vécu avant Lucy, peut-être que ça t'a affecté mais ne blâme pas Luke pour l'ignorance d'un autre. Et après ça si tu doutes encore va voir dans son portefeuille. »
Je méditais sur ses paroles très sages. Ça faisait mal mais il avait raison. Peut-être que je m'étais emportée parce que dans cette situation mon ex m'y aurait traîné sans hésiter, j'étais sa pouliche reproductive qui prenait finalement trop de place mais je sais que tout a changé depuis Luke. Il m'a montré qu'on pouvait être fort mais ne pas s'en servir contre les autres, qu'on pouvait être qui l'on voulait, faire ce que nous voulions faire quand nous souhaitions le faire et le plus important... Il m'a fait voir ce qu'était l'amour, l'inconditionnel, le pur, le désintéressé. Alors que moi... Je ne respecte pas les personnes que j'aime, et dans un moment de faiblesse de sa part je lui suis rentrée dedans comme un taureau alors qu'il avait déposé les armes... En fait j'ai été pire que mon ex parce que les mots sont parfois beaucoup plus douloureux que les gestes et je suis la mieux placée pour le savoir.
Une main sur la joue ça s'oublie, mais un poignard au cœur venant directement de la personne que vous aimez le plus au monde je ne crois pas que ce soit si facile... Je le sais. Je le sais pourtant ! J'avais envie de me frapper la tête contre un mur pour ma stupidité. Et quand je parle de poignard ce n'est pas un vrai, je n'ai pas poignardé pour de vrai Luke pourtant mes mots l'ont fait pour moi...
« Je ne t'apprends rien, tu fais ce que tu as à faire maintenant... Pleurer-là ne résoudra rien et tu le sais n'est-ce pas ? »
Je hochais la tête en le remerciant du fond du cœur avant de le prendre dans mes bras et le serrer de toutes mes forces.
« Merci. » Lui dis-je solennellement en séchant mes larmes.
J'aurais tellement aimé oser lui dire ce que j'avais sur le cœur mais rien ne sortit. Ce que j'aurais voulu dire aurait été mieux, plus beau, plus... : « Je ne sais pas comment te remercier Aleksy, depuis qu'on se connaît tu es une lumière dans ma vie, un phare qui guide mes pas. Je te remercie d'être toujours là pour moi dans les pires moments comme les meilleurs. Je me rends compte de la chance que j'ai de t'avoir auprès de moi à présent. Je t'aime. Pas d'un amour commun, mais le genre plein de belles promesses comme tu es l'ami de ma vie, celui qui me connaît sans que j'ai besoin de parler, celui qui m'écoute sans rien attendre en retour, juste parce que je suis mal et qu'on partage ce mal. Finalement je suis heureuse d'être tombée si bas avec toi parce que j'ai pu te remonter avec moi et je crois que c'est une des rares décisions de ma vie que je ne regretterais pas. J'ai souvent entendu que l'amitié homme femme n'existe pas. Alors que sommes-nous ? Si j'écoutais mon cœur je dirais que tu es mon âme, celui qui me comprend mieux que personne et si j'écoutais ma tête elle me dirait que tu es le frère que je n'ai jamais eu. »
Mais il y a des choses qu'on oublie de dire parfois pour une raison que l'on s'octroie. Mon excuse là tout de suite était que je me sentais gênée. De quoi ? De qui ? Je n'en sais rien le fait est que je n'ai pas prononcé ces mots et que je peux seulement espérer qu'il le sache. Qu'il le comprenne à travers ce long regard que nous nous échangeons. Il me sourit avant de déposer sa main sur ma cuisse. Il allait partir avant que je ne l'apostrophe.
« Est-ce qu'à tout hasard tu en serais plus sur les 5 sorcières et peut-être une invocation d'âmes ? »
Il fronça les sourcils l'air inquiet.
« Je dois vraiment y aller Lucy mais je crois que tu observes une falaise de beaucoup trop près. Fais attention à ce que tu veux, ça n'a pas réussi à tout le monde. Regarde où en est Luke avec la curiosité. »
« Ce n'est pas de la curiosité c'est peut-être le seul moyen de sauver mes enfants ! »
J'avais haussé le ton sans m'en rendre compte et Aleksy mit tout de suite une main devant lui en signe de stop.
« Je te préviens seulement Lucy. Tout le monde ne te veut pas du bien c'est tout. Et si tu veux mon avis tu ferais bien d'en discuter avec Luke directement. Il est le mieux placé pour répondre à tes interrogations. »
Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit il partit aussi vite qu'il était venu. Bien sûr que j'aimais Luke mais j'aime Aleksy aussi et je ne verrais plus ma vie sans eux. Pour Aleksy c'est complètement différent, je ne le vois pas du tout comme un amoureux par exemple quand je le blesse comme là tout de suite c'est comme si c'était moi que je venais d'agresser. L'un n'irait plus sans l'autre. Ce qui était sûr en tout cas c'est que je me prenais trop la tête et que je faisais souffrir tout le monde autour de moi telle une belle égoïste.
En soupirant je rallumais mon portable pour appeler un taxi et rentrer quelque part, mon appartement celui de Luke je n'en avais aucune idée. J'avais besoin de digérer tout ça et mon sentiment d'insécurité passait bien après malgré tout j'étais une adulte avec un comportement digne de ce nom quand je veux. Alors je suppose que le meilleur choix était de rentrer chez Luke et de l'affronter.
Une fois chez Luke je fus surprise de n'y trouver personne enfin en même temps je n'allais pas m'en plaindre. J'enfilais un pyjama confortable avant de changer les draps, une envie subite de femme enceinte. Une fois enveloppée dans mon grand nid je me retournais dans tous les sens, j'avais de plus en plus de mal à trouver une bonne position pour dormir c'était terrible. Par contre cet inconfort me permit de me rendre compte d'un petit détail qui expliquait beaucoup de choses. La pleine lune.
Finalement je m'étais endormie dans une position tout à fait étrange mais suffisamment confortable pour m'endormir et je me réveillais pour de bon vers 9 h. J'étais un peu plus légère qu'en me couchant ce matin, savoir que les nausées étaient terminées était un vrai bonheur. Par contre un sentiment étrange s'insinua en moi je choisis de l'ignorer même si je m'en retrouvais petit peu perturbée. Je partis à la douche et en revenant, enfilais mon jean préféré avec la petite technique de l'élastique au bouton pour m'en sortir. Luke n'était toujours pas là et en regardant dehors je restais un moment à observer ce spectacle magnifique par la fenêtre.
La neige s'était déchaînée cette nuit et la ville entière était recouverte d'un beau manteau blanc. Elle tombait sous les rires des enfants qui, je suppose, n'avait pas école vue le bon 10 centimètres sur les trottoirs. Je finis de m'habiller en enfilant un pull rouge avec de jolies manches en cloche comme je les aime et ma paire de « Hugues » qui me permettront de braver cette neige sans finir la tête à l'envers. J'enfilais ensuite ma parka verte, mon manteau de prédilection avant de filer en direction de l'université. Je n'avais pas l'impression que Luke était rentré de ma soirée et j'avais toujours ce pressentiment qui m'étreignait le cœur. Comme avant lorsque les chasseurs étaient là. Seraient-ils finalement revenus ?
Il fallait vraiment que je parle à Luke et autrement que par téléphone. Venir sur notre lieu de travail n'était évidemment pas l'idéal mais après tout c'était le seul moyen de crever l'abcès. En plus j'étais toute guillerette à l'idée de déjeuner avec lui comme avant dans la cantine de l'université. C'est ce genre de petite chose toute bête, ce petit lien que j'avais besoin. Finalement me réveiller seule m'avait au moins fait comprendre une chose. Jamais plus je ne veux m'endormir fâchée avec Luke. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer, j'en suis le premier témoin et je ne veux pas non plus en être la dernière. Alors moi et mes excuses passions la porte de l'université ou une horde de professeurs vînt immédiatement pour me saluer.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro