« Un bûcheron est maître dans sa maison. » S'amusa Aleksy d'en bas.

Il avait dû entendre notre conversation et s'en amuser. Luke lui répondit d'un simple grognement tandis que je pris Aleksy dans mes bras aussitôt arriver en bas même si nous ne nous étions quittés que depuis quelques heures.

« Je ne vous dérange pas plus longtemps je viens seulement vous prévenir que vous êtes conviés chez les Carlotti ce soir. Hope fait un repas pour le départ de ton père. »

« D'accord...! Elle n'était pas obligée. Ce n'est pas comme s'il partait très loin et qu'on ne se reverrait pas avant longtemps. »

« Je crois qu'il a surtout quelque chose à te dire. »

Aleksy parut soudain très gêné comme s'il me cachait quelque chose alors je lui poussais l'épaule en rigolant pour qu'il m'avoue son petit secret.

« Ne me regarde pas comme ça, je sais juste que c'est important pour lui. C'est ce qu'il m'a dit de te dire si jamais tu refusais. »

En soupirant j'acceptais, Luke et moi sommes donc rentrés chez lui afin de nous préparer. Finalement nous n'avons fait que dormir, la route retour nous aillant épuiser tous les deux. Je dois bien avouer que j'ai fatigué Luke encore un petit peu sur le retour en lui demandant avec des yeux de biche de me porter sur les 3/4 de la route restante. Nous étant mis un réveil pour ne pas louper le fameux repas, j'ouvris les yeux découvrant le regard bienveillant de Luke sur moi.

« Tu me regardes dormir ? » lui demandé-je en souriant.

« Oui et non. Disons que je ne veux pas louper ce sourire qui m'a tellement manqué. Tu sais cette petite fossette que tu as sous le nez quand tes lèvres s'étirent, c'est adorable. Comme si tu avais déjà tellement ri... »

Il observa mes lèvres avec attention, les frôlant du bout de ses doigts alors que mon sourire s'agrandit spontanément.

« Ça ne battra jamais ta cicatrice à mes yeux. »

Il rit tandis que je me levais pour m'habiller. Nous étions passés chez moi avant de rentrer, tout du moins je suis restée dehors mais Luke est monté pour récupérer mes deux caisses de vêtements afin que je n'aie plus à y retourner. Il m'a également promis que je n'aurais pas besoin de m'occuper de mes meubles ils seront directement livrés par des déménageurs dans notre future maison ce que j'apprécie grandement. Je filais donc sous la douche avant d'enfiler une combinaison avec des escarpins à petits talons. Devant la glace je m'observais et remarquais que mon ventre se voyait un peu plus chaque jour.

« Lucy es-tu prête ? » me demanda Luke du salon.

« J'arrive tout de suite. »

Nous sommes donc allés tous les deux chez les Carlotti mais en arrivant devant leur grande porte tout était étonnement calme comparé à notre précédente visite. De plus sur la route je n'avais remarqué personne qui nous suivait malgré la nuit tombée. Mais où étaient-ils passés ? Je n'avais pas vu un seul chasseur depuis des jours, j'avais même tenté de recontacter Maggie sans succès... Il fallait que je sache ce qu'il se passait exactement. S'ils croyaient que je me contenterais d'un « je m'en occupe », c'est peine perdue.

Aleksy nous ouvrit la porte tandis que l'ambiance glaciale de la maison me percuta. Comparer à l'autre fois nous nous sommes tout de suite attablés en silence après avoir fait la tournée des salutations. Mon père ne cessait de me regarder dans les yeux comme s'il n'osait pas me parler mais au début du plat de résistance je me lançais les pieds joints.

« Ne crois pas que je ne me réjouisse pas de l'invitation papa, ni que je ne suis pas reconnaissante des Carlotti pour t'avoir hébergé mais quel est le but de cette invitation ? »

Hope soupira et allait parler tandis que mon père posa une main sur la sienne pour la stopper.

« Sisi tu sais que je dois partir ? »

« Oui je m'en doute bien »

Je passais sur l'autre m'impatientant légèrement. Mon père est d'une nature franche et pour qu'il n'ose pas me dire ce qu'il se passe c'est que c'était vraiment important.

« Je m'en vais demain à l'aube mais je ne rentre pas à la maison. J'ai vu avec ton avocat au téléphone c'est quelqu'un de très bien qui me remplacera à merveille dans toutes les démarches possibles contre ce salaud. J'ai pu constater que tu fondais une famille avec Luke, Hektor et Aleksy m'ont promis de veiller sur toi alors pour une fois dans ma vie j'ai pris une décision égoïste. Je pars faire le tour du monde avec Hope. Ne te fais pas d'idées sur notre relation, nous sommes juste deux âmes seules qui cherchent à profiter de la vie et je crois qu'après celle que j'ai vécu jusque-là j'ai le droit à ma part de bonheur moi aussi... »

Les larmes aux yeux je pris sa main dans la mienne en la serrant.

« Oui tu as le droit papa. Promets-moi juste de revenir pour voir tes petites filles. »

Mon père essuya rapidement une larme qui perlait au bord de ses yeux par fierté.

« Je ne manquerai ça pour rien au monde. »

« Cependant Lucy si tu souhaites approfondir tes pouvoirs je peux parfaitement rester et rejoindre ton père plus tard. » Me proposa gentiment Hope.

« Non je te remercie. Ces pouvoirs sont comme une malédiction dans cette famille. Ma mère et ma grand-mère les ont acceptés et voilà où ça les a menés... Je ne dis pas que je ne m'en servirais jamais mais je ne compte pas les exploiter volontairement. Alors part l'esprit tranquille. »

« Je vais te donner un numéro de toute manière où je serais joignable n'importe quand alors n'hésite pas que ce soit pour moi ou pour ton père. »

Le reste du repas s'est passé sans soucis j'avais bien sûr une pointe de tristesse en pensant à mon père que je ne verrais pas avant plus de 6 mois. Cependant je relativisais en me disant qu'effectivement il avait lui aussi droit à enfin prendre la vie du bon côté sans se soucier du lendemain. J'étais contente pour lui quelque part qu'il lâche enfin du lest sur les procès, sur son mariage avec ma mère qu'il n'a jamais voulu bafouer même à sa mort. Mon père pouvait être fier de lui parce qu'il avait toujours été un excellent père, le meilleur même. À la fin de la soirée je suivis Hektor qui se dirigeait seul à l'extérieur de la maison se prélassant sur un banc avec un verre de whisky. Je m'assis sans un bruit à côté de lui tandis qu'il releva un sourcil dans ma direction.

« Es-tu venu me demander pourquoi je ne retiens pas mon ex-femme ? »

« Ex ? »

« J'ai demandé le divorce ce matin. »

« Je vois... Mais non. Je suis là parce que je veux savoir ce que tu as fait ou ce que tu comptes faire des chasseurs. »

« Je crois avoir dit que je m'en occuperais ? »

« Ça ne me suffit pas. »

Hektor porta son verre à sa bouche alors que je pouvais voir qu'à l'intérieur mon père donnait un carnet à Luke qui le remercia.

« Il va falloir Lucy car pour le moment moins tu en sais mieux ce sera. Surtout si tu n'acceptes pas tes pouvoirs. »

1 mois plus tard nous devions nous retrouver avec Luke à l'hôpital pour mon check-up mensuel, et je l'attendais un peu nerveuse dans la salle d'attente. La nuit dernière était celle de la pleine lune et je ne l'avais pas vu du tout. Alors même si les chasseurs ne se s'étaient pas manifestés et qu'Aleksy l'accompagnait autant que possible j'avais toujours un petit pincement au cœur quand il passait la porte.

J'en profitais pour réfléchir à ce mois intense en émotion ! La première semaine, j'avais eu une aggravation de mes nausées, un début de peau grasse et d'acné, des palpitations toujours plus désagréables. Avant que sur la fin de la deuxième semaine les nausées cessent définitivement pour laisser place à un dégout vraiment puissant pour certaines odeurs. Comme des parfums trop forts, la viande en général mais avantage ; toutes mes peurs s'étaient calmées et je me sentais très zen et sereine. Luke avait commencé son roman sur ma famille, il y travaillait jour et nuit aidée du carnet que mon père lui avait donné. Il avait recensé dedans tout ce qu'il savait sur ma mère et sa famille ce qui avait été d'une aide précieuse pour Luke qui a pu tout de suite s'y mettre. En parlant de mon père en deux semaines j'ai eu des photos de l'Ouest américain. Apparemment ils commençaient par les États unis avant de descendre faire le Mexique et l'Amérique latine. Ensuite, la 3e semaine j'avais terriblement mal vécu des bouffées de chaleur qui étaient survenues, très peu glorieux, avec une très grande envie de boire à toute heure qui persistait depuis le début de ma grossesse.

Et je dois bien l'avouer j'ai dû me mettre un peu au sport, au yoga prénatal pour être exacte parce que par moment mon dos me faisait horriblement souffrir et mes organes commençaient à se sentir vraiment à l'étroit là-dedans. Des douleurs à l'aine se faisaient également ressentir parfois plus douloureuses que d'autres. J'avais aussi remarqué que les jumeaux « sursautaient » parfois quand Luke touchait mon ventre un peu brusquement.

Une maman me sortit de mes pensées en m'adressant la parole.

« Allez courage il n'y en a plus pour longtemps ! » me dit-elle d'un ton encourageant.

« C'est que le début, pourtant. Je n'en suis qu'à 3 mois de grossesses mais à deux ils prennent de la place... ! » lui répondis-je en rigolant devant sa mine déconfite.

C'est vrai que ça pouvait porter à confusion, j'avais le ventre d'une femme enceinte d'un bébé de 6 mois. À quelque chose près. Luke arriva à ce moment-là dans la salle d'attente et m'embrassa avant de venir s'assoir à côté de moi. Il glissa un bras sur mes épaules et m'attira à lui silencieusement, son autre main soutenant mon ventre. Pour lui ce n'était qu'un geste, une caresse mais pour moi c'était un vrai soutient, j'avais enfin l'impression que la gravité était moins forte. Plongeant ma tête dans son cou je sentis tout de suite son odeur si particulière et l'humidité de sa peau due à sa douche récente. Je me laissais même aller à une petite sieste intempestive, rassurée au creux de ses bras quand j'entendis mon nom.

« Elle avance bien la maison ? Je n'y suis pas retournée depuis que tu me l'as montré. » Questionné-je Luke à travers la cabine pour se changer.

« Oui, elle sera habitable d'ici 3 mois, si tout se passe bien. On se concentre sur l'aile ouest et nord le plus important le temps que tu sois enceinte et on finira l'aile des jumeaux quand on y habitera ce n'est pas un problème. Il ne s'agira que de finitions tu peux donc te lancer dans tes décorations. »

Je me réjouis d'avance en m'imaginant dans la chambre de mes bébés et à l'idée d'aménager ma maison... Ça me faisait encore bizarre de me dire que j'allais avoir ma maison pour le restant de ma vie.

Sortant de la cabine, je m'allongeai enfin sur le siège d'examen avec un bon coup de main de Luke qui me souleva toujours sans peine. Une infirmière rentra dans la pièce, m'informa que la médecin qui me suivait jusque-là était occupée pour le moment mais qu'elle était tout aussi qualifiée. Je lui fis évidemment confiance et elle me tartina le ventre de ce liquide glacé dont je ne m'habituais toujours pas.

Nos trois têtes se tournèrent automatiquement vers les bébés qui étaient désormais formés, ils ne leur restaient plus qu'à grossir pour le plus grand malheur de mon ventre. Mais après une longue minute dans le silence, où l'infirmière capturant régulièrement l'image au moniteur, je sentais que quelque chose n'allait pas. Elle semblait comme chercher ou regarder quelque chose que je ne voyais pas, sur son visage aucune émotion ne transparaissait.

« Tout va bien là-dedans... ? » demandé-je la voix cassée par l'émotion, m'imaginant déjà le pire.

« Les bébés sont en excellente santé, ils sont, ni trop gros, ni trop petits mais je dois aller chercher le docteur excusez-moi. » Nous informa l'infirmière avant de quitter la pièce sans plus d'informations.

Luke prit ma main et la serra dans la sienne. Je commençais à avoir l'habitude de ses paumes rugueuses à force de travailler sur la maison, je ne le sentais presque plus. Mais ce contact qui aurait dû me rassurer me faisait encore plus peur, voyant mon trouble il porta ma main à ses lèvres et l'embrassa tendrement mais rien n'y faisait. Une sensation étrange s'insinua en moi en même temps que l'appréhension.

De longues minutes s'écoulent de grande solitude, Luke essayait de me rassurer mais c'était trop dur cette attente. Soudain ma médecin habituelle passa la porte nous saluant moins jovialement que d'habitude et elle se mit tout de suite au travail devant le moniteur. Elle aussi passa de longues secondes à observer les bébés, prendre des captures d'écrans avant de me regarder étrangement. Presque tristement.

« Je suis désolée, je n'ai pas de bonnes nouvelles pour vous. » Nous annonça-t-elle.

À ce moment c'est comme si mon cerveau s'était arrêté. Des acouphènes se lancèrent avec violence dans mes oreilles tandis que je devenais une simple spectatrice de ce qui se passait dans cette pièce sans en avoir le son.

« Vos jumeaux sont ce qu'on appelle des jumeaux monozygotes et monoamniotiques c'est-à-dire qu'ils partagent le même placenta et le même sac amniotique. Comme ils se partagent l'espace de vie ils sont en contact permanent l'un avec l'autre, là réside le problème c'est que l'un d'eux peut se prendre dans le cordon ombilical de l'autre, recevoir un coup... »

Luke prit la parole, pragmatique alors que je ne pouvais toujours pas réagir.

« Le risque est de combien exactement ? »

« La grossesse de votre femme dans ces conditions représente 1 grossesse gémellaire sur 65 000. Le risque majeur réside dans la croissance des bébés, plus ils vont grandir plus ils seront un danger l'un pour l'autre. Et pour répondre à votre question dans 50 % des cas l'issue de la grossesse est fatale. »

« Si je comprends bien le seul moyen qu'ils survivent c'est qu'ils restent immobiles... ? »

« C'est exact. Ce qui est impossible pour un bébé. »

Un long silence lui répondit alors que Luke posa sa tête sur la mienne.

« Il y a des options à sérieusement envisager. Vous en avez encore devant vous profitez-en. » Rajouta-t-elle.

Brusquement sa phrase me fit tilt.

« Des options à envisager ? Comme tuer mes bébés ? C'est hors de question. Je ne vais pas m'en débarrasser comme d'un vulgaire bébé non désiré, une erreur de contraception ou je ne sais quoi ! Ils sont tous les deux dans le même panier ? La belle affaire, j'ai une chance sur 2 pour qu'ils vivent ! C'est toujours mieux que rien ! »

« Je me permets de vous dire ça parce que l'avortement est effectivement toujours possible à votre stade. Ça évite de trop souffrir certaines mères ne le supporte pas. Sans compter qu'on ne peut pas se permettre d'aller chercher un des bébés puisqu'ils partagent le même sac tuer l'un reviendra à la même issue pour l'autre. » Me répondit calmement la médecin alors que j'étais littéralement sortie de mes gonds.

Je me levais tout aussi furibonde que brusquement en essuyant mon excès de gel sur le ventre. Je m'habillais ensuite en vitesse avant de partir sans même attendre Luke qui me rejoignit peu de temps après en courant.

« Lucy attend ! Je m'inquiète pour toi. » M'affirma-t-il tristement.

« Mais moi je vais très bien, et je ne veux pas revenir sur ma décision. »

Ma réponse était volontairement glaciale. J'avais déjà décidé, dans ma tête il était hors de question qu'il en soit autrement. Et il le sentit puisqu'il m'obligea à le regarder dans les yeux en me tenant fermement les bras de ces grandes mains.

« Lucy réfléchit ! Si les bébés ont des complications alors toi aussi, et sans toi il n'y a plus rien. On devrait au moins y réfléchir ou au moins en parler... »

« Alors tu es de son côté ? Ces bébés je les porte depuis 3 mois, après tout ce que j'ai vécu je ne les abandonnerai pas pour un partage de sac. Ce sont mes bébés, Luke, je comprends que tu n'aies que des moments de fulgurances quant à ta paternité mais moi je passe chaque jour à les ressentir, à penser, à manger, à bouger pour eux. Alors si tu ne comprends pas ça... On n'a plus rien à se dire. » Le coupé-je avant qu'il ne finisse sa phrase.

Il avait abandonné son emprise sur mon bras au fur et à mesure de mes paroles plus que blessantes et je partis toute la journée, sans lui donner de nouvelles. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que je marchais en direction du seul endroit où j'avais encore de bons souvenirs jusque-là. Toute la journée j'avais remis ma vie en question, mes choix pour en arriver là et j'en avais finalement conclu que peu importe tout ça. Peu importe si Luke n'était plus là ou ne me soutenait plus parce que j'avais beau retourner la situation dans tous les sens j'étais sûre que de garder ces bébés était le bon choix. Ce qui m'a amené ici n'a aucune importance ce qui en a ce sont ces êtres que j'aime sans condition sans jamais les avoir vu. C'est ce lien qui nous lie et nous unit pour la vie. Je ne les laisserai pas mourir. Je regardais l'écran de mon téléphone. Une vingtaine d'appels manqués de Luke, une dizaine d'Aleksy... Je ne voulais parler qu'à une seule personne en ce moment. Quelqu'un qui était déjà passé par là. Évidemment il n'avait pas vécu de grossesse gémellaire ni même de grossesses toujours mais il en avait été témoin et c'était précieux. Mon doigt appuya sur son nom et seulement quelques sonneries plus tard j'entendis sa voix rocailleuse endormie à l'autre bout du fil.

« Allô ? »

« Allô papa, c'est Sisi... »