Chapitre 10 - Le Refoulement
Je m'éloignais tranquillement de la famille Carlotti qui m'a laissé un arrière-goût de mystère. C'est vrai, après tout ces frères se sont raidis à mes côtés à l'évocation de leur père... Je quittais sans plus de réponse cette villa magnifique pour rejoindre la maison de Red. J'échangeais quelques messages avec Maggie pour qu'elle m'indique la route à prendre à présent.
« Toujours tout droit jusqu'à une longue allée bordée d'arbres. Un peu comme une entrée de château »
Je vois... Et effectivement à moins de 1 kilomètre de là, sur ma droite une allée d'arbres bordait un long chemin sinueux. En m'enfonçant dans l'allée cette boule au ventre revint, je pris mon portable dans mes mains espérant que l'écran transforme ce que je veux et le matérialise devant moi, mais l'écran de verrouillage est désespérément vide. Seul mon fond-écran avec une paire de lunettes minimaliste est là comme d'habitude. Je soupirais avant de continuer ma marche jusqu'à cette fameuse fête. Je me retrouvais rapidement devant une petite maison en bois au bord d'un étang complètement entouré par la forêt. C'était vraiment magnifique, je dois bien l'admettre.
Je m'approchais de la maison et des lanternes qui éclairaient le jardin orientant ma marche avec ce soleil déclinant qui laissait peu à peu place à l'astreinte de nuit ; la lune. À peine avais-je mis un pied dans le champ de vision de Maggie qu'elle courut vers moi pour me prendre par le bras afin de m'emmener vers les autres. Ils étaient en train de faire chauffer le barbecue à la lueur de quelques guirlandes supplémentaires pendues aux arbres. Je resaluais tout le monde en allant remercier le coach pour son invitation, convenance oblige. Mais au moins j'avais un peu l'impression d'avoir l'ascendant étant donné que c'est moi qui allait vers lui.
« Red, je te remercie pour l'invitation, c'est très aimable de ta part » lui dis-je en tentant un sourire.
Il me tapa l'épaule et sa poigne réveilla une ancienne douleur ce qui me fit le fit grimacer, mais je suppose qu'il ne le vu pas dans la pénombre.
« Hé pas de ça entre nous Lucy ! Tu sais très bien que si j'avais voulu n'inviter qu'une personne ce serait toi... »
« Très drôle Dickens ! Bon. Je vais aller voir par là-bas si quelqu'un a besoin de... quelque chose ! »
« Lucy, on est deux adultes consentants si tu as besoin d'un peu de solitude on peut arranger ça dans la maison... »
« Non ! Non, non ça ira je t'assure je vais parfaitement bien, Red. »
J'allais partir quand il me prit le bras au passage m'empêchant de faire un pas de plus.
« Je te promets que je peux être très gentil si c'est ça que tu aimes... »
« Lâche-moi Dickens. Ce n'est pas parce que Luke n'est pas là que tu dois soudain croire que tu peux tout te permettre. »
« T'énerves pas Lucy on fait que parler. Tiens c'est vrai ça ce cher Luke Jackson ne t'a pas suivi ? » me dit-il sur un ton hautain et méprisable.
Je ne pris même pas la peine de répondre et lui arrachais mon bras des mains violemment. Je fis à peine quelques pas que j'entendis la voix mielleuse de Dickens derrière moi.
« Farouche, comme je les aime. »
Si j'avais été forte je lui aurais répondu, j'y serais retourné et je lui en aurais peut-être collé une, mais je n'étais rien de tout ça... Plus maintenant en tout cas. À présent j'avais juste peur de lui et de ce qu'il pouvait me faire comme un animal blessé qui essaye de se protéger avant même de recommencer à attaquer. En serais-je seulement capable un jour ? De ne plus avoir cette terreur constante des hommes et de ce qu'ils sont capables de faire, pour l'instant je n'avais pas l'impression, pas toute seule en tout cas.
Je m'avançais tranquillement vers le feu de camp un peu plus loin qui était installé au centre de plusieurs bancs et plaids à même le sol pour qu'on puisse manger devant une source de chaleur. Le moins qu'on puisse dire c'est que Red avait jeté un froid c'est indéniable. En tout cas je faisais mon maximum pour éviter son regard tout en sachant où il était chaque minute et ce qu'il faisait.
Je discutais avec Maggie assise sur un banc fait directement dans un tronc d'arbre, d'autres personnes que je ne connaissais pas discutaient çà et là. J'avais beau regarder souvent mon téléphone aucune notification de Luke. Encore. Un soupir m'échappa alors que je fourrais mon téléphone dans ma poche. Si ça se trouve, il était retenu chez lui, je ne pouvais pas l'obliger à venir faire le chaperon. J'avais quel âge à la fin ! Je me ressaisis rapidement avant de m'incruster dans la conversation en cours de Maggie.
Le repas se passa pourtant bien malgré quelques réflexions graveleuses de la part dont je ne fis pas attention. Ce qui m'intrigua tout de même c'est que personne ne semblait s'en formaliser et pire les filles lui faisaient les yeux doux ! J'avais pour le coup l'impression d'être légèrement hystérique pour le coup. Est-ce que c'était le cas ? Peut-être que c'est moi finalement qui devais me remettre en question... Cependant j'étais quand même contente parce que ces réflexions douteuses ne semblaient pas m'être réservées, d'autres professeures se laissaient visiblement tenter par ses charmes. Un grand mystère pour moi.
Diverses viandes étaient mises à chauffer à disposition avec un petit bol de chips et une bière pour chacun que j'avais refusé comme Luke me l'avait conseillé. Parce qu'elle était arrivée dans mes mains décapsulées alors je l'avais discrètement vidé au sol en refusant chaque proposition d'en avoir une autre. Par contre j'acceptais volontiers les bouteilles d'eau. Les conversations allant toujours de bon train personne n'avait remarqué. J'essayais d'ailleurs tant bien que mal de m'intéresser à ce qui se disait, mais je ressentais constamment un profond malsain qui était nourri par le regard insistant et appuyé de Red quasiment constamment.
À la fin du repas, des filles réclamèrent des jeux, petit à petit l'idée fit son chemin jusqu'au moindre invité et il commença. Action ou vérité et évidemment ils voulaient tous commencer par moi. La petite nouvelle dans ce groupe à peu près soudé ça ne passe pas inaperçu. Surtout que j'avais cru comprendre que certains ce connaissaient depuis leurs plus petites enfances. Donc ils étaient nés ici, avaient fait leurs études ici ensemble avant de revenir pour être professeurs dans ces mêmes écoles. Alors si j'ai bien compris ce n'est pas le cas de tout le monde, mais pour la plupart si. J'étais la seule à venir d'une grande ville comme New York. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre du coup au niveau des questions, ce qui m'inquiétait un peu. Maggie me tendit une bière qu'elle décapsula devant moi alors je lui pris et la levait vers tout le monde en signe de remerciement puis bu une gorgée pour me donner un peu de courage liquide avant de répondre.
« Bonsoir ! Alors pour ceux qui ne me connaissent pas ou ceux qui ne se rappellent plus je m'appelle Lucy !
La bonne vieille blague ne loupa pas.
"Bonsoiiiiiir Lucy !" me répondit le groupe en chœur.
Cette petite boutade en mode on est en réunion me fit sourire même si elle était aussi vieille que le monde et terriblement prévisible.
"Ça me paraît un peu tôt pour me ridiculiser alors disons, vérité" me décidais-je.
"Est-ce que tu es célibataire ?" me demanda Red avec des yeux aguicheurs.
Merci, Red, de me ménager, je m'attendais à bien pire.
"Absolument. Après célibataire ne veut pas dire libre." Lui lançais-je.
Des exclamations fusèrent de partout alors que le regard de Red se fonça. Même s'il était loin de moi je le sentais plus tendu et plus que jamais dans son numéro ridicule de drague. Ma réponse était concise, je n'avais pas envie de m'étaler sur le sujet et les autres le comprirent puisque le tour fût rapidement passé. Puis les questions s'enchaînèrent entre eux, jusqu'à ce qu'une professeure s'étant présentée à moi comme travaillant au lycée de Salem roule une pelle à Red. Puis s'assoient sur ses genoux dans le plus grand des calmes, tout en ondulant des hanches. Je cachais mes yeux avec une main totalement en malaise devant la scène qui se déroulait devant mes yeux alors Red avait les yeux fixés sur moi. Je pouvais sentir son regard malsain sur moi et j'en étais dégoutée. Je ne sais pas à quel petit jeu il s'adonne, mais on dépasse carrément le stade du professionnel, amical ou même raisonnable.
Je passais une bonne soirée tout de même, en essayant de porter, le plus possible, mon attention ailleurs en discutant avec les filles et le mec très sympa autour de moi. On rigolait bien et c'est vrai que, mine de rien, on se regarde différemment tous après 2 ou 3 questions personnelles et des gages stupides quand c'est dans la camaraderie et la bonne humeur sans la beaufitude de Red. Seulement le tour me revînt et c'est un de mes collègues qui me posa la question, celle que je n'aurais jamais voulu avoir.
"Alors Lucy, est-ce que tu as des enfants ?"
C'était une question on ne peut plus banale, mais elle me bouleversa bien plus que je ne l'aurais voulu. Fort heureusement la nuit cachait bien mes plus profonds sentiments qui refaisaient surface comme s'ils avaient attendu ce moment depuis des mois. Mais cette fois rien à voir avec une petite sommation ou des souvenirs qui remontent et qui peuvent être gérer. Non là on était de l'ordre du tsunami qui ravage tout sur son passage ne laissant aucun survivant. Pas même mon petit cœur meurtri et ses blessures déjà profondes et mal soignées.
"T'es débile ou quoi elle vient de te dire qu'elle est célibataire." Me défendit Margaret en réponse à mon long silence.
"Non." Répondis-je la tête totalement ailleurs. Dans mes pensées plus précisément, dans mes souvenirs les plus beaux et désormais les plus douloureux.
Quand je sentis la crise d'angoisse monter, je pris tout de suite les devants pour ne pas avoir à m'expliquer devant tout le monde. J'avais déjà assez de sentiments à gérer sans que l'humiliation vienne comme une pointe de sel en trop.
"Je vais chercher du bois pour le feu." Rajouté-je à Maggie en me levant.
Elle jeta immédiatement un regard derrière elle où une pile de bûches était déjà empilée, mais je lui fis signe de me laisser seule et que je ne voulais pas en parler. Pour l'instant c'était trop dur et je ne me sentais pas prête à affronter le regard de quelqu'un que je côtoie tous les jours. Ce regard de pitié que j'avais si souvent vu et qui me faisait me rendre compte à quel point j'ai été faible et ça, c'était insupportable.
Je me levais discrètement avant de partir en direction dans la forêt sans que personne ne m'ait vraiment remarqué. Je ne cherchais rien de précis à part à disperser l'orage dans ma tête, chaque pas me promettant que le prochain ramènera une éclaircie, une accalmie dans ce flot ininterrompu de pensée noir et obsédante. Une seule question tournait en boucle ; est-ce que j'aurais pu faire quelque chose ?
Je m'enfonçais de plus en plus profondément dans la forêt aillant la sensation de manquer d'air. Je suffoquais littéralement quand un sanglot bruyant à la limite du cri poussa ma respiration comme un bouchon de champagne. Je n'avais bu qu'une bière et je m'en voulus immédiatement, comme si ça aurait changé quelque chose d'être saoul moins hydratée ou plus affamée.
Mes sanglots devenus toujours plus bruyants ressemblaient à des cris de douleurs parce que c'est ce que je ressentais une douleur profonde, indescriptible et immense. Je m'accroupis soudain sous le poids de la douleur qui m'assaillait, la tête entre mes bras je n'entendais plus rien autour de moi à part mes pleurs. Je lâchais totalement prise sur ma raison pour me laisser guider uniquement par mes pensées que j'avais refoulées depuis quelques mois. Celles que je voulais éviter m'assaillaient désormais.
Brusquement je sentis une respiration sur moi comme celle d'un animal. Je levais la tête, mais mes larmes obstruaient ma vision m'empêchant de voir distinctement devant quoi j'étais. Ce qui était sûr c'est que c'était très gros et que j'étais absolument nulle en éthologie. Ce que j'étais sûre en revanche c'est que j'étais nez à nez avec un loup noir aux yeux dorés. Je n'avais jamais vu de loup aussi grand et gros, il m'impressionna tellement au premier abord que j'en eus le souffle coupé et les larmes se tarirent instantanément. Pourtant une fois la surprise passée c'est la curiosité qui prit le dessus sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. En plongeant mon regard dans le sien, je pus presque reconnaître le regard de Luke. C'est ridicule. Mon cerveau préférait se dire que le prof de mythes et légendes de mon université est un loup-garou plutôt que de voir la vérité en face. C'est juste un loup. Un gros loup. Je regardais quand même autour de lui pour guetter une meute, mais rien. Il était seul. Ne me demandez pas pourquoi je n'avais pas peur c'était invraisemblable, il me mettait en confiance rien que par son aura et sa façon d'être malgré tout, j'aurais voulu le toucher pour savoir ce qu'il ressent.
"Tu t'es perdu ?" lui demandais-je sans faire de mouvement brusque.
Un long silence me répondit. À quoi m'attendais-je en même temps ? À ce qu'il me répond ?
"Ouais je suis à la recherche du chaperon rouge tu ne l'as pas vu dans les parages ?" Sérieusement.
Jusque-là il avait été immobile ou alors s'approchant termes doucement comme s'il ne voulait pas me faire peur. Oui à pas de loup, l'expression est de convenance. Il s'aplatit soudain au sol, les oreilles basses, et avança près de moi puis à ma plus grande surprise, il poussa ma main avec son museau comme s'il voulait me dire de lui parler. Ce loup était plein de surprises, il avait des manières d'humains, sans vouloir rentrer dans de l'anthropomorphisme, mais il y avait quelque chose d'humain dans son regard sans que je ne puisse me l'expliquer. Pourtant au-delà de toute vraisemblance je me sentais calme et sereine. Ce loup ne m'effrayait pas bien au contraire j'avais envie d'aller vers lui, j'avais envie qu'il m'écoute, me rassure... Il ne comprendrait rien à ce que je raconte, mais il verrait le principal ; que j'ai mal et que je souffre. Il n'y aura aucune discussion, aucun jugement, aucun commentaire, aucune pensée juste une présence agréable offerte sans retour.
Je ne saurais expliquer pourquoi ce soir ce loup a été là pour moi, pourquoi je lui ai raconté ma vie, mes amours, mes soucis alors que je n'arrive pas à me confier à Luke. Qui est pourtant l'être le plus gentil et attentionné qu'il m'ait été donné de rencontrer. Je sais que je peux me confier à lui et qu'il serra une épaule à la hauteur de ma peine, mais je faisais un blocage c'est indéniable. Je ne voulais pas qu'il sache pour mon passé alors qu'en même temps je rêvais qu'il puisse m'aider c'est assez paradoxal, mais c'est la vérité. Peut-être qu'un jour j'aurais assez de cran et de courage pour lui dire, mais pas aujourd'hui, ni demain.
"Tu veux savoir ce qui me fait crier à la mort, pas vrai ? Je suppose que ça me fera du bien d'en parler, mais en général tu vois les humains préconisent plutôt de parler avec des professionnels, mais je crois que ce soir je n'ai que toi. Ne dire rien à Luke si tu le connais, il m'en voudrait sûrement, de me confier à un loup plutôt qu'à lui" commençai-je en m'essuyant le nez d'un revers de manche.
Je respirais un bon coup, me persuadant que ça irait même si c'était la première fois depuis cette nuit-là que je racontais ce qui m'était arrivé. Ce calvaire sans nom... Rien qu'à l'idée d'ouvrir la bouche mon menton tremblait, sous l'effet de ses souvenirs ravivent en moi des émotions encore vives que je gérais très mal. Ne pas pleurer me paraissait au-dessus de mes forces. Je remarquais immédiatement, le loup qui s'approcha un peu plus de moi. Même accroupi, ce monstre faisait toujours une tête de plus que moi malgré tout je ne me sentais toujours pas en danger. Il ne m'inspirait que de la compassion et de la gratitude d'être là. Dans sa grande infortune, il loupe peut-être une belle partie de chance, mais dans son malheur il m'aura aidé et ça n'avait pas de prix. Je me fis la réflexion fugace que peut être que si je ne le retenais pas là tout de suite il aurait peut-être était abattu par un chasseur, ne sait-on jamais. Ou alors je le cherchais juste une excuse et peut être aussi que j'étais ridicule de penser ça. En tout cas, il se coucha devant moi en posant lourdement une patte sur mon pied. Je me laissais tomber sur les fesses avant de tendre doucement la main vers sa patte et la caressais. Ça me faisait du bien, ça me détendait et contre toute attente il se laissa faire docilement. Je me promis quand même de ne plus jamais recommencer avec un autre loup au risque de me faire sérieusement croquer la main et les premières larmes qui brisèrent à nouveau la barrière de mes yeux fut des larmes de joie. Parce que ce loup aussi étrange et mystérieux soit-il, m'offrait tout ce dont j'avais besoin. De la gentillesse et de l'attention malgré ma naïveté face à cette bête sauvage. Quand mon cerveau eut fini de tourner la première phrase en boucle dans ma tête, une première phrase sortie puis une seconde puis une 3e et là commença mon récit. Le récit de ma vie, ces dernières années, comment le rêve s'est-il transformé en cauchemar et comment finalement elle n'est qu'une histoire triste parmi tant d'autres. Car je ne suis qu'un maillon d'une chaîne enfermant le silence de certaines femmes qui ont laissé les choses déraper. Mais alors que suis-je ? Une victime ou la coupable ?
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