XIII
Winnie avait juste relevé certains fautes, lui avait demandé d'approfondir ou de détailler certains points, et elle avait donné son aval. C'était le jour de la Saint Valentin et Lukas avait bien l'intention de mettre son plan à exécution. Il arriva dans la rédaction, les bras chargés de fleurs et en déposa sur les bureaux de chacune de ses collègues, avant d'en décapiter pratiquement une pour la coincer sur sa veste. Il attaqua une boîte de chocolat et publia son billet tel que modifié et approuvé.
Il savait que sa sœur allait le lire. Elle pousserait peut-être le vice à le montrer à sa mère, mais il s'en moquait éperdument. Maintenant qu'il savait qu'Adeline était Cecilia, il avait un grand avantage sur elle. Sur l'heure du midi, il se rendit à la galerie, peu de temps avant qu'elle ne ferme.
— Tu sais quoi ? J'aimerai acheter un tableau.
— Toi ? hoqueta sa sœur.
— Oui. Moi. Je veux celui-ci. Et celui-ci aussi.
— Tu sais que tu dois les payer ? Avec du véritable argent ?
Lukas fusilla sa sœur du regard. Il n'aimait pas être pris pour un imbécile et sa sœur le comprit avant de lui établir une facture qu'il régla avec sa carte.
— Tu n'as même pas essayé de négocier, je te reconnais à peine là, Lukas.
— Je peux te dire un secret que tu n'iras répéter à personne ?
— Je suis ton.. homme. Enfin Femme. On se comprend.
— Adeline et moi on a parlé hyper souvent ces derniers temps, j'ai utilisé mon nom de plume et... en fait je crois que j'ai des sentiments pour elle. Comme je ne peux pas la rencontrer, je me dis qu'avoir un de ses tableaux, ce sera un peu pareil.
— Tu as des sentiments pour Adeline.
— Oui.
Le visage de sa sœur se décomposa mais elle ne dit rien du tout.
— On a discuté de longues heures et du jour au lendemain, j'ai plus rien eu du tout. J'ai encore merdé alors si au moins, je peux lui apporter un peu d'argent, ça me va. Tu les fais livrer chez moi ?
— Oui. Oui. Je suis désolée Lukas. Mais je ne peux pas aller à l'encontre de ce que veulent mes artistes, tu comprends bien...
— Luzia, je ne te demande pas ça du tout. Je ne te mettrai jamais dans une telle situation pour un coup de cœur qui n'est sûrement pas réciproque. On va déjeuner ? Je t'invite.
Il n'aimait pas manipuler sa sœur mais il savait qu'elle allait faire en sorte qu'il croise Cecilia et il savait que c'était tout ce dont il avait besoin. L'occasion se présenta plus rapidement qu'il n'y pensait. Deux mois exactement après la Saint-Valentin, Winnie l'envoya pour couvrir une petite conférence à Harvard sur le métier de journaliste. C'était l'occasion rêvé pour la rencontrer. Il n'était pas venu ici depuis des lustres et ça lui fit plaisir de revenir dans sa fac. La conférence était intéressante et dès qu'elle fut terminée, Lukas sauta de son siège pour rejoindre le cours où elle officiait. Il ne l'avait pas vu pendant deux mois, essayant de glaner des informations mine de rien auprès de Benjamin. Pendant tout ce temps, il n'avait pas touché une femme, son coup de cœur n'étant pas du tout passé. Il s'était affirmé, au contraire. Est-ce qu'elle tomberait directement dans ses bras, consciente de son sex appeal ? Il l'attendit à la fin de ses cours. Elle portait une robe brune, drapée. Il la voyait remonter l'amphithéâtre avec délectation.
— Excusez-moi.
Il se retourna et vit l'homme qui l'embrassait chez elle. Il n'avait pas oublié son visage ni ce baiser qui l'avait tant troublé. Il passa à côté de Lukas et rejoignit Cecilia. Cette dernière releva les yeux de son paquet de copie et elle sourit. Il tourna les yeux et vit Lukas. Elle s'arrêta, murmura quelque chose à son compagnon et marcha vers lui.
— Qu'est-ce que tu fous là ?
— Je suis à Harvard pour une conférence, tu vas bien ?
— Oui, ça va. Elle est terminée ?
— C'est toute la journée, répondit-il en souriant. Mais le début était vraiment super.
— Ah.
— Écoute. Je sais que...
— C'est ni le lieu ni le moment, siffla-t-elle.
— Alors dis-moi quand ce sera le lieu et le moment.
Elle pinça la bouche et allait répondre mais son compagnon arriva vers eux et se présenta à Lukas. Il s'appelait Joe, et avait une bonne dizaine d'années de plus qu'elle, si Lukas pouvait juger son âge à la couleur grisée de sa chevelure. C'était le genre bellâtre à minettes et les regards que lui posaient les étudiantes lui confirma cette impression.
— Lukas. Je suis un ami de longue date de Cecilia, se présenta-t-il s'attirant les foudres de la sœur de son ami.
— Vraiment ? s'étonna Joe. Venez déjeuner avec nous ! Ça nous ferait très plaisir !
— Il ne...
— Avec plaisir, répondit Lukas.
Elle était affreusement gênée, il le sentait. Ce devait être assez terrible d'être entre deux hommes avec qui elle avait manifestement couché il y a peu. Joe était un beau parleur et Lukas glanait des informations tout en faisant celui très impressionné. Ce genre de gars qui devait réussir à embobiner ses interlocuteurs ne faisait aucun effet à Lukas. Il était plus doué que ça, lui. Il ne l'appréciait pas du tout et ça n'avait rien à voir avec Cecilia. Ce type ne lui inspirait aucune confiance.
— Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ? finit par demander Lukas en avalant de l'eau pétillante.
— Lukas, ça ne te...
— Voyons Cecilia, ce n'est pas un souci. Nous sommes sortis ensemble plusieurs années quand elle était mon étudiante et nous avons renoué il y'a peu.
— Ah ! Vous êtes le genre de prof qui étudie aussi l'anatomie de ses élèves féminines. C'est intéressant comme concept. Mais je comprends parfaitement, j'aurais fait la même chose.
Cecilia lui fila un coup de pied sous la table et Lukas sourit comme si c'était une boutade. Le téléphone de Joe sonna et il se leva pour répondre.
— Tu couchais avec ton prof ? hallucina-t-il. Je suis impressionné Cecilia Hart.
— Tu couches bien avec ta stagiaire.
— J'ai couché avec ma stagiaire, mais je dois t'avouer que y'a plus qu'une fille qui me tourmente l'esprit. Elle a des cheveux bruns, des lunettes et une culotte dinosaure en coton particulièrement seyante sur elle.
— Ta gueule.
— Juste pour savoir, continua-t-il s'en prendre cas de l'insulte. Si j'avais agi comme un homme et qu'à la soirée, je t'avais dit que je ne savais pas où ça allait nous mener tous les deux, mais que je voulais continuer à être avec toi. Parce que je ne pense qu'à toi depuis tout ce temps. Tu m'aurais dit quoi ?
— Arrête ça, Lukas.
— Depuis que tu es partie, tu es devenue mon obsession. Je revois tous les soirs ton dos qui s'éloigne de moi et je n'arrive plus à le supporter. Je rêve de toi la nuit aussi. De ta peau... de tes lèvres.
— Arrête.
— Donne-moi une autre chance, continua-t-il. Je te prouverai que je ne suis pas seulement beau et un bon coup. Je te prouverai que je peux être un mec bien.
Elle leva les yeux au ciel.
— Je suis avec Joe.
— Je ne sais pas si tu as remarqué mais il a une marque d'alliance ultra récente. Si tu veux mon avis, il la retire juste pour les cours et pour venir te voir ou une autre étudiante.
— Arrête de dire n'importe quoi.
Cependant son regard s'attarda, pensif sur Joe. Avait-il touché un point sensible ? Il en était certain et il décida d'en remettre une couche.
— S'il y a bien une chose que je sais reconnaitre c'est un mec comme celui que j'étais avant de te rencontrer.
Elle tourna les yeux vers lui et lui fit remarquer que leur rencontre datait d'avant sa naissance et qu'il ferait mieux de tourner sa langue dans sa bouche avant de parler.
— Je préfèrerai la tourner dans la tienne.
— Tu arrêtes immédiatement ! Je ne plaisante pas ! On est entouré de mes collègues et de mes étudiants. Alors tu fermes ta gueule.
— Arrête, arrête, arrête, tu n'as que ce mot à la bouche ! Je te le dis, ce mec n'est pas fait pour toi, il te brisera le cœur.
— Je ne vois pas comment il pourrait plus briser mon estime de moi que toi tu l'as fait Lukas Littman. Je pensais qu'après notre Week-end, ça avait de l'importance pour toi, au moins un minimum. Mais je me suis plantée. Je ne veux plus en parler et je ne veux plus te voir. Tu m'as forcé la main ce midi, mais ça ne se reproduira plus.
— Okay, mais avant...
Lukas posa sa main sur la sienne et la plaqua sur la table. Elle ne pouvait pas l'enlever sans faire un geste brusque, ce dont elle s'abstenait de faire pour le moment.
— C'est pas un mec bien. Tu ne seras jamais sa priorité et c'est pas parce que tu couches avec lui depuis une semaine que ça changera. S'il n'est pas divorcé, il ne le fera jamais. Il ne quittera jamais son épouse. Et s'il l'a fait, il doit être en période de recherche de lui et... attends deux secondes. Il était marié quand tu étais avec lui ?
Elle ne répondit pas mais tourna la tête plus que gênée. Il avait l'impression de voir une autre femme devant lui. Une femme dont il ne connaissait rien, à part les courbes sexy et généreuses. Il avait tellement à apprendre d'elle. Joe revint s'asseoir et Lukas sut qu'il devait chercher de l'aide auprès de son frère. Benjamin. Il se leva, paya l'intégralité du repas et repartit chercher sa veste.
— C'était vraiment sympa mais je dois retourner à ma conférence. Je vous ai offert le repas. passez une bonne journée.
Il quitta le petit restaurant, et retourna à sa conférence. Il prit des notes mais son esprit était ailleurs. Elle ne se rendait pas compte qu'elle faisait entrer dans sa vie une hyène. Elle ne voulait pas le voir. Il devait trouver un moyen de lui montrer. Le soir, il devait dîner avec sa sœur et Benjamin.
— Dis moi Benjamin, tu connais Joe ?
— Joe ?
— De Harvard ? précisa-t-il.
— Je vois qui est ce type, fit Luzia. C'est la nouvelle conquête de ta sœur. C'est un gars bien d'après ce que je sais. J'ai pas encore eu l'occasion de le voir, mais Cecilia m'en a parlé.
— Tu savais que c'était son ex ? demanda Lukas. Ils étaient ensemble quand elle était étudiante, c'était son professeur. Et j'ai déjeuné avec eux deux ce midi, je le sens pas du tout.
Benjamin fronça des sourcils et lui demanda des détails tandis que Luzia soufflait.
— Vous êtes pas possibles tous les deux. Laisse-la choisir sa vie !
— Avec un mec qui la trompera sciemment ? Ben, tu fais partie de ma famille et ta sœur aussi. Je veux juste qu'elle... ne tombe pas sur un connard. C'est tout. On va juste vérifier qu'il ne voit personne d'autres, et si c'est le cas, on arrête. C'est juste une mission de renseignements.
— Au lieu de jouer les Jack Bauer, laissez-la tranquille.
— Luzia, fit Benjamin. On parle de ma sœur. C'est normal que je la protège face à un connard. On y va quand tu veux, bro.
Luzia se leva de table en marmonnant en italien et elle leur apprit qu'elle avait l'intention de faire une soirée fille ce samedi avec Cecilia. Benjamin et Lukas se donnèrent rendez-vous le lendemain chez lui pour mettre leur plan à exécution. Le jeune journaliste avait utilisé certains de ses contacts à l'université pour découvrir où habitait le prof en question. Il s'était habillé de manière discrète et avait pris des lunettes de soleil, tout comme son meilleur ami.
— Ça me rappelle la fac. Quand toi et moi on sortait tous les deux, qu'on faisait les tarés. Tu n'oublies pas ton appareil photo hein ?
Lukas l'attrapa ainsi qu'un pack de bière dans une glacière. Ils allaient en avoir besoin. Ils se garèrent non loin de sa maison. Ils avaient déjà bien entamé le pack et riaient à en perdre haleine.
— Putain c'est lui ! Là, le mec qui sort de la baraque ! s'exclama Lukas. Il monte dans la bagnole. On le suit.
Lukas attendit qu'il démarre et ils glissèrent comme des idiots pour ne pas se faire repérer quand il passa près d'eux. Il démarra sa voiture et le suivit à bonne distance, jusqu'au centre de la ville. L'homme se gara, Lukas déposa son meilleur ami et trouva une place pour se garer. Benjamin l'appela en lui précisant qu'il venait de prendre deux places pour une comédie au cinéma.
— Je pensais pas finir au ciné, mais okay, j'arrive.
Ils arrivèrent dans la salle et s'installèrent deux rangées plus loin. Il était seul avec un paquet de popcorn. Lukas commença à douter de lui-même. Avait-il eu une intuition foireuse ? La lumière s'éteignit et Lukas songea à toutes les fois où son intuition avait été juste... et il se rendit compte que ça n'avait pas été souvent. Et merde. Il tourna les yeux vers Ben et vit un canon passer dans l'allée. Elle portait une mini jupe et même de l'endroit où il était, il pouvait voir son cul d'enfer. Il espéra un instant qu'elle n'aille pas s'asseoir juste à côté de Joe. Pour le bien de Cecilia. Il le voulait vraiment.
Seulement son intuition avait vu juste cette fois. Le canon s'assit à côté de lui. Peut-être que c'était sa fille après tout. Lukas cessa de le croire quand il l'embrassa sur les lèvres. Benjamin aussi l'avait vu.
— Je vais lui faire sa fête.
— Non Lu a raison. Il faut que ta sœur le fasse seule. On va juste attendre qu'il la nique dans un coin de la ville ou qu'il lui prenne la main en public. On prend une photo et on la met devant le fait accompli. Par contre, il doit surtout pas me reconnaître.
À la fin de la séance qui avait tout de même laissé à Lukas un goût amer, ce dernier se sauva dès le début du générique. Il ne devait pas être vu. Il courut à sa voiture, attrapa son appareil et se plaça en face, faisant mine de prendre le cinéma en photo. Ils étaient dans sa ligne de mire, main dans la main. La fille s'arrêta pour l'embrasser passionnément et Lukas remercia son bon ange. Il avait l'impression d'être un paparazzi à la recherche d'un scoop. Benjamin le rejoignit et lui demanda s'il avait ce qu'il fallait. Son meilleur ami avec clairement des envies de meurtre mais Lukas voulait plus. Ils les suivirent un moment jusqu'à ce que les deux bifurquent vers une ruelle un peu sombre. Lukas confia son appareil à son ami et se cacha derrière une poubelle. Il entendit un mot prononcé et la porte s'ouvrit. Ils rentrèrent dedans et Lukas retourna auprès de Benjamin.
— Ils sont dans un club privé. J'ai entendu le mot de passe. Je te propose qu'on ramène la voiture dans le coin, qu'on laisse l'appareil dedans et qu'on prenne juste nos portables. Ce sera plus simple.
Ils le firent et furent introduits dans un club privé ou plutôt un club libertin, s'il pouvait croire les poses lascives des clients. Ils s'assirent au bar et Lukas lut la gêne sur le visage de son ami. Il repéra sa cible rapidement, il s'éloignait dans une petite alcôve avec sa copine et tira le rideau. Lukas attrapa l'une des serveuses.
— Ça vous dit de gagner 500$ rapidement ?
— Je ne suis pas une prostituée, lâcha-t-elle, excédée.
— Rien à voir, il me faudrait une photo du mec aux cheveux gris dans une situation compromettante. Une simple photo, et vous avez l'argent.
Elle le fixa, attrapa son téléphone et revint cinq bonnes minutes plus tard. Lukas valida la photo. Joe en plein 69 sur le canapé d'un bar presque miteux. Bingo. Il glissa les billets dans la poche avant du jean de la serveuse et ils partirent de cet endroit. Lukas avait l'impression que son ami voulait se faire exorciser.
— Je dirai pas à ma sœur que tu étais là, si tu veux.
— J'ai pas de secrets pour elle. C'est juste que... les filles ne m'intéressent plus Lukas. Y'a quelques mois, voir une fille faire une fellation en plein club libertin, ça aurait pu m'exciter tu vois. Mais là, rien du tout. Tu sais, j'ai réfléchi à ce que tu m'as dit et je vais le faire.
— Faire quoi ? Je dis des tas de trucs, tous les jours.
— Je vais demander à ta sœur de m'épouser.
— Tu te sens prêt à faire ça ?
— Non, pas du tout. Mais si je me marie, ce sera avec elle, alors pourquoi retarder l'évidence ?
Lukas l'attrapa dans ses bras et le serra, heureux pour son ami et pour sa sœur. De retour dans la voiture, il tut l'évidence. Lui aussi, il n'avait pas été attiré une seule seconde par les filles de l'endroit. Était-il désormais immunisé ? Il ramena Benjamin devant chez lui au moment où Cecilia en sortit.
— Ah super, Lukas ! Tu peux ramener Cecilia !? lança sa sœur.
— C'est bon, je vais prendre un taxi !
— Je te ramène.
— Je vais prendre un taxi, insista-t-elle.
— On peut continuer longtemps, mais mon moteur continue de tourner pendant ce temps, je nique non seulement ma voiture mais aussi la planète, alors monte, femme de peu de foi.
Il remonta dans sa voiture et Cecilia finit par prendre place.
— T'es un putain de forceur, comme dirait mes élèves.
— J'ai... écoute. J'ai suivi Joe.
— Putain ! Mais tu es pas...
— Il a une meuf, Cecilia. Une fille de l'âge de Marjorie, pas plus. Il est sorti avec elle au ciné, et là, il est en train de se la taper dans un club libertin.
— T'es totalement malade.
Il lui montra son appareil photo et son portable. Il lut le choc, il lut l'horreur, il lut la tristesse dans ses yeux. C'était un mal nécessaire après tout. Elle ne dit rien, durant tout le trajet et tournait ostensiblement la tête. Pleurait-elle en silence ? Lukas ne savait pas quoi faire : devait-il arrêter sa voiture et la prendre dans ses bras ? Ou devait-il faire celui qui n'avait rien vu du tout ?
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