XII
— Mais Maman...
— C'est INADMISSIBLE.
Cela faisait un bon quart d'heure que Lukas se faisait réprimander chez ses parents pour le repas dominical auquel il n'avait pas pu faire abstraction.
— Maman, Luzia ne va pas tarder à arriver. Tu veux vraiment qu'on continue cette discussion ?
— Je veux que tu ailles en cure de désintoxication.
— Pour une cuite ? T'es pas sérieuse ? Je... écoute, j'ai hyper mal agi envers une fille qui.. j'ai mal agi et je me suis dit que la meilleure manière d'oublier, c'était de boire. C'était une erreur. Je suis pas alcoolique pour autant tu sais. Maman, pardonne-moi. Je t'ai causé de l'embarras. Je suis désolé.
Il la prit dans ses bras, chose qu'il ne faisait pas souvent, et sa mère se calma aussitôt. Il resta un moment comme ça. Il avait besoin de sentir qu'on l'aimait et qu'on l'aimerait toujours.
— Oh, gros bébé Lukas fait un câlin à sa Môman.
— Ta goule, tout le monde sait que tu es jalouse parce que je suis le dernier, donc le préféré.
Sa sœur lui fit comprendre qu'elle allait se venger à un moment où il s'y attendrait le moins. Il lui envoya un baiser. Passer du temps en famille le calmait mine de rien et lui donna une idée. Pourquoi il n'écrirait pas un article sur l'amour qu'il y avait au sein de sa famille ? Qu'il avait pour ses amis ? N'était-il pas plus fort que celui pour une autre personne ? Il quitta ses parents aux alentours de 20h pour écrire son article. Il reprit sa voiture, les idées fusant dans son crâne. Il tourna les yeux et avisa de la présence d'un objet doré coincé dans le fauteuil à côté. Il tira dessus et vit un bracelet. Il devait appartenir à Cecilia. Il n'avait pas emmené une fille dans sa voiture depuis son week-end avec elle. Avec le recul, il ne se rappelait pas avoir passé un meilleur week-end depuis longtemps. Ils avaient ri, ils avaient atteint des sommets dans la jouissance, il avait pu caresser sa peau et l'embrasser. Ses baisers lui manquaient, et même sa façon de se moquer de lui ainsi.
Est-ce qu'elle était chez elle ? Un dimanche soir, c'était certain même. Il allait lui rendre son bracelet en personne. Il roula jusqu'à la maison de Cecilia. Il faisait nuit et c'était allumé. Parfait. Il ne savait pas trop si elle allait lui ouvrir. Il attrapa une enveloppe qu'il avait dans sa voiture et glissa le bracelet dedans. Il arracha une page de son carnet :
Cecilia, j'ai trouvé ça dans ma voiture, il me semble que tu l'avais pendant notre week-end tous les deux. Je dois t'avouer que j'y repense encore. Tu penses qu'on pourrait se parler ? J'ai besoin de te parler et de t'expliquer ce qui est arrivé. Envoie moi un message, Lukas Littman.
Il le fourra dedans et sortit de sa voiture. Il l'avait à peine fait qu'il se figea. Il vit la silhouette d'un homme chez elle. Il ne l'avait jamais vu et son sang ne fit qu'un tour. C'était qui ce type ? Il le vit prendre Cecilia dans ses bras et l'embrasser. Lukas sentit un frisson le parcourir. Elle embrassait un homme, et ce n'était pas lui. Sa paupière tressauta et il remonta immédiatement dans sa voiture et il fila. Son pied était sur l'accélérateur et il ne semblait pas décider à le retirer. Il finit par s'arrêter à un feu, et remarqua le tremblement de ses mains. Elle embrassait un autre homme. Il frappa son volant violemment. Il avait de la rage au fond de lui. Il se gara près d'un bar malfamé. Il était venu ici deux fois dans sa vie. La première fois c'était quand il avait 16 ans pour un pari, et la seconde fois... Après Emy. Il poussa la porte poussiéreuse, rien n'avait changé, ni l'ambiance, ni l'odeur de crasse et de bière. Il savait exactement ce qu'il voulait faire. Il passa à l'arrière de la boutique et fut apostrophé par un type à la mine patibulaire.
— Toi je te connais.
— Je suis venu ici y'a longtemps. J'ai envie de participer. J'ai un grand besoin de me défouler.
L'homme hocha la tête. Lukas allait se faire démonter, mais au moins, toute la rage et tout le désespoir allait partir de lui. Il emprunta une tenue et enfila des gants de boxes. Il se prit un premier coup qui lui coupa littéralement le souffle. Ses yeux se fermèrent et il revit l'homme qui embrassait Cecilia. Il rouvrit les yeux, décidé à en découdre. Il se prit plus de coups qu'il n'en distribua mais quand il descendit du ring, il allait beaucoup mieux. Il sentait la sueur, il était fatigué, endolori, mais il se sentait un peu mieux.
Il ne rentra pas chez lui. Il erra dans les rues et au petit matin, il se rendit à son travail. Il était décalqué. Il croisa Winnie dans l'ascenseur et cette dernière souriait comme une folle.
— J'ai un cabinet de toilette dans mon bureau avec une petite douche, tu devrais y songer.
— Je vais faire ça. Tu connais Eliott d'où ?
— On s'est rencontré un peu au hasard.
— Tu as le regard qui pétille Winnie. Tu as l'air heureuse.
— Je suis amoureuse, Lukas. C'est tout. Va dans mon bureau, fit-elle, je vais aller préparer deux cafés.
Il ne prit pas son temps et quelques minutes plus tard, il était de retour, les cheveux un peu humides.
— Winnie, j'ai besoin d'un conseil.
Il lui raconta l'histoire de Cecilia, ce que lui avait dit Maria et il vit que Winnie réfléchissait.
— Choppe-la à un moment où elle s'y attend pas et où elle ne pourra que t'écouter. Sinon elle refusera de t'ouvrir sa porte.. Il faut qu'elle t'entende parce que je suis d'accord avec Maria. Tu tiens à elle plus qu'aux autres.
Lukas hocha la tête brièvement et s'installa à sa place. Il ouvrit son ordinateur portable.
Lors de la première version de ce billet, je l'avais commencé ainsi :
« Je suis certain que chez vous, Saint Valentin rime avec joie, avec bonheur, avec amour. Lorsque votre esprit songe à ce moment, vous voyez des petits cœurs, et du rouge, beaucoup de rouge.
Pas chez moi.
Non.
Chez moi Saint Valentin rime avec stress, rime avec cri, rime avec dépenses inconsidérées pour réussir à mettre une fille qui s'est épilée dans mon lit. Ne vous faites pas d'illusion surtout, mesdames, si votre petit-ami vous emmène au restaurant, qu'il accepte de briser son PEL pour vos pousses de betteraves, c'est uniquement parce qu'il sait qu'au bout se trouve la récompense de temps d'effort, de sa quête. »
Puis j'ai eu le temps de réfléchir, et j'ai pris le temps de faire le point sur moi-même.
La Saint Valentin, en tant que fête des amoureux, ce n'est pas pour moi. Déjà, je n'ai personne dans ma vie, et ce n'est pas faute de faire des rencontres. Je pourrais vous raconter en long en large et en travers l'histoire de mes conquêtes plus foireuses les unes que les autres, mais aujourd'hui, je vais vous parler d'autre chose. De l'amour que j'ai cru avoir rencontré et perdu, de celui que j'ai toujours attendu et qui n'est jamais arrivé, ou de celui que je suis peut-être en train de manquer par mon idiotie.
En vérité, la Saint Valentin me rappelle cruellement que je suis seul et que je n'ai pas la famille que je voulais avoir lorsque je suis devenu adulte.
Pour bien comprendre ce que j'entends par là, il faut savoir deux trois choses sur moi. Je viens d'une famille aimante, avec des parents qui se font des mamours sans se soucier du reste du monde. Toute ma vie, j'ai vu leur amour, j'ai ressenti leur amour, je suis même né de cet amour. Ai-je idéalisé leur union en pensant que tout le monde était ainsi ? Sûrement oui. Je voulais avoir une femme aussi douce que ma mère, avoir des enfants aussi turbulents que ma fratrie et moi, et une vie similaire à celle que j'ai eu enfant. L'Amour tel que je le voyais était épanouissant, beau, magique presque. Les soucis ou tracas du quotidien pouvaient être effacés par un sourire de l'autre...
Et vous savez quoi ? J'y étais presque ! Je pensais avoir trouvé la femme idéale, lorsque j'étais encore étudiant. Belle, intelligente douce. Elle s'est révélée être machiavélique et cruelle, acceptant même de m'épouser en revenant de chez son amant, l'horrible voisin du pallier. Elle m'a juste brisé le cœur, en même temps que mes rêves d'une vie de famille traditionnelle, qui m'aurait apporté de la joie, de l'amour et de la sérénité.
Suite à ça, j'ai dérivé longtemps - comprenez plusieurs années- jusqu'à me perdre moi-même sur l'océan du cynisme et de la goujaterie. J'ai blessé plus d'une femme sur mon passage, et je me suis rapidement retrouvé avec une pancarte lumineuse au dessus de mon crâne : Attention, connard en puissance. J'ai fait fuir les femmes biens, j'ai fait pleurer des demoiselles en quête de l'amour... Un homme non estimable en puissance.
Et pourtant...j'ai toujours fêté la Saint Valentin, sans y croire une seule seconde. J'ai respecté tous ses codes : les roses, le champagne, le dîner aux chandelles... Je pouvais mimer l'amour, faire croire à la femme en face de moi qu'elle était mon adorée, sans le croire un seul instant. Je haïssais la Saint Valentin sans me rendre réellement compte que ce n'était pas cette fête que je haïssais mais moi-même et mon incapacité à me tenir à mon plan initial.
Lukas sentit une main sur son épaule. C'était l'une de ses collègues qui voulait savoir s'il se joignait à elles pour le déjeuner.
— Non merci, je vais continuer à écrire un peu, j'ai le truc.
Il remit ses écouteurs et relut ce qu'il avait écrit. C'était la vérité pure et dure. C'était assez difficile de faire son examen de conscience et encore plus dur de le faire pour un article en ligne. Il n'était plus concentré du tout et il décida de squatter à la galerie de sa sœur. Il pouvait y aller quasiment à pied et le froid lui donnait un petit coup de fouet, il devait bien l'avouer. Il arriva vers la galerie et colla sa tête à la porte vitrée fermée pour voir si ses affaires étaient là. Bingo. Il allait passer par l'arrière boutique. Fort heureusement, elle n'avait pas fermée la porte à clef et il entendait sa voix.
— Sérieusement Cecilia, je suis sûre de ce que j'avance.
Lukas se figea tel une gazelle prise en chasse.
— Je te fais confiance alors.
— Je te promets que si tu me laisses quelques unes de tes œuvres, je pourrais en vendre à des connaisseurs. Déjà, tu as vendu une belle partie. Adeline a encore de beaux jours devant elle.
Lukas faillit avoir un malaise. Adeline a encore beaux jours devant elle.... quelques unes de tes œuvres. Œuvres... Adeline. Putain de bordel. Le souvenir de leurs deux conversations arrivèrent en mémoire et il les revit avec la voix de Cecilia. C'était tellement elle... pourquoi ne l'avait-il pas vu plutôt ? Il imagina le visage de Cecilia, doux, son sourire sarcastique. Son parfum imprimé en lui, lui rappelait sans cesse tous ces moments intimes passés avec elle.
— Je te fais confiance sur ce coup là Luzia. Je veux dire, tu as fait en sorte de le cacher à tout le monde même à nos familles, tu as mon respect éternel.
— Je comprends pas trop pourquoi tu fais ça.
Lukas se plaqua contre un mur, une main sur son cœur, il ne voulait faire aucun bruit.
— Ma famille n'est pas la tienne. Tes parents t'ont laissé faire des beaux arts, ils ont laissé Ludwig faire du violon comme il le voulait et Lukas, apprendre la photo. Les miens ne voient pas l'art comme ta famille. Ils voient le sport, le reste n'a aucune importance. Ils se moqueraient juste de moi. Je n'aurais pas pu exposer partout dans le monde sans mon anonymat.
— Tu as vu les photos de Lukas ?
— Il me les a envoyés pour que je les valide.
— Pourquoi j'ai l'impression que tu en veux à mon frère ? Tu as l'air super froide en parlant avec lui.
— Ton frère s'est moqué de moi. Enfin, tes deux frères. Je n'ai pas du tout apprécié, alors oui, je suis en colère contre lui.
— Il a fait quoi ? S'il t'a fait du mal, je peux le taper, si tu veux. Ce serait pas la première fois que je lui fous une raclée à Luk'.
Cecilia lui confia qu'elle n'avait pas envie d'en parler et Lukas sortit du bâtiment et se mit à courir, aussi loin qu'il le pouvait, il bousculait des gens, mais il n'en avait que faire. Il s'arrêta au bout d'un moment et posa ses mains sur ses jambes. Cecilia, Adeline. La seule femme avec qui il avait eu une relation spirituelle aussi intense, même si elle avait été courte était la seule femme à qui il avait fait l'amour depuis Emy. Il était dans une merde incroyable. Il les avait perdus par son comportement à la con alors qu'il aurait pu le voir depuis le début.
Sa légendaire perspicacité lui avait fait défaut et il s'en voulut. Il héla un taxi et retourna à sa rédaction. Winnie avait raison. Il devait trouver un moyen de lui parler et ce au plus vite. Il s'assit sur sa chaise et reprit son papier.
Je haïssais la Saint Valentin sans me rendre réellement compte que ce n'était pas cette fête que je haïssais mais moi-même et mon incapacité à me tenir à mon plan initial. Cette haine m'empêchait de voir j'étais devenu et avait pratiquement annihilé qui j'étais dans le fond.. un gars qui voulait juste trouver l'Amour qu'on lui avait fait miroiter depuis son enfance.
J'ai cependant réussi à me sortir un peu la tête de l'eau, grâce à l'une des personnes les plus importantes de ma vie, ma sœur aînée. Elle m'a rappelée, par son regard, par son comportement et ses mots qui j'avais été. Elle m'a rappelée toute la souffrance qu'elle avait eu, elle-même pendant ses échecs amoureux. S'était-elle laissée abattre ? Non. Et pourtant, elle a trouvé un homme qui lui convenait à la perfection. Alors pourquoi pas moi ? Pourquoi ne pourrais-je pas me laisser aller ? Ouvrir mon cœur ?
Il se pourrait que je l'ai déjà fait auparavant, mais je n'étais pas encore prêt à l'accepter. Je n'étais pas prêt à voir l'évidence : la femme de ma vie n'était pas si loin de là. Elle était même sous mon nez depuis le début avec ses grandes lunettes, ses pulls trop larges, une queue de cheval, portant le sarcasme sur ses lèvres ourlées et carmins. Elle était là, sans que je la vois, alors qu'elle est l'incarnation même de la femme que je cherche depuis toujours, alors qu'elle est la seule à me faire vibrer, à me faire impatienter et stimuler mon esprit. Quand je suis avec elle, j'ai de nouveau 20 ans et j'adore ça. Vraiment. Je me sens invincible, plus rien ne peut me toucher, si ce n'est elle, avec son corps, avec son esprit.
Le seul hic à cette histoire c'est que mon arrogance, ma capacité à me croire au dessus des autres, à tenter de ne plus rien ressentir l'ont blessée, terriblement même. Et avant même de pouvoir lui expliquer, elle a tourné les talons, me laissant très désemparé. Je l'ai perdue pour le moment, mais je sais à quoi je vais employer désormais mon temps : à me faire pardonner, à lui montrer que je ne suis pas insensible, que je ressens des choses, que nos esprits se complètent, que je serai là pour elle aussi longtemps qu'elle voudra que je me trouve dans son sillage.
En attendant de retrouver le chemin vers elle, je vais faire une chose que je n'avais jamais faite pour la saint Valentin. Je vais envoyer des fleurs et des chocolats à tous les gens que j'aime. Je vous l'ai dit : La Saint Valentin, en tant que fête des amoureux, ce n'est pas pour moi. Mais l'Amour n'est pas aussi réducteur. Il peut prendre bien des formes. N'ayez pas peur d'aimer et d'exprimer ce que vous avez au fond de vous. Si un gros connard comme moi est capable de ressentir ça, tout le monde le peut.
Alors, en cette Saint Valentin, n'oubliez pas de rappeler à toutes les personnes que vous aimez que c'est le cas. Vos parents, vos amis, vos collègues. Revenez à l'essentiel.
Ascanio Galarni.
Il avait finit et il se mit à relire ce qu'il avait écrit. C'était ça ce qu'il voulait publier, il le savait. Il devait bien évidemment relire, modifier certaines phrases, mais 99% de ce qu'il voulait était là. Il avait finalement réussi, à un jour de la deadline.
— J'ai fini, tu le veux ?
— Envoie-le par mail, ce sera plus simple pour nous deux. Par contre Lukas... il est 20h53 et j'aimerai bien rentrer, tu es le dernier encore ici...
— Je rentre tout de suite. Merci de m'avoir laissé sur ma lancée. Je te le revaudrai Winnie.
— Ton travail honore le mien. Bonne soirée Lukas.
Elle posa sa main sur son épaule et il se retrouva seul dans les locaux. Il tourna sur sa chaise et vit les lumières de la ville. Dès demain, le plan : Une Cecilia pour Lukas allait débuter et il devait être opérationnel.
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