20. Piètre menteuse
"Got a secret
Can you keep it ?
Swear this one you'll save
Better lock it in your pocket
Taking this one to the grave
If I show you then I know you
Won't tell what I said
'Cause two can keep a secret
If one of them is dead"
- Secret, Pierces (Pretty Little Liars)
Lycée de Forks, 15h10.
Terrain de baseball.
Je ne saurais dire si c'était l'univers qui ne tournait pas rond, ou seulement le maire de Forks qui avait décidé d'entamer les préparatifs de Noël un mois à l'avance. Comme vous vous en doutiez, l'enquête sur l'assassinat de Willey Graham avait été réellement ouverte, et M. Greenwich avait été le premier à être interrogé. Et bien que Graham ait été nouvelle dans le coin, la mort de la "belle américano-thaïlandaise" avait fait des malheureux dans toute la ville. Mais malgré ça, les rues étaient déjà éclairées par la nitescence des décorations de Noël alors que nous n'étions que le 21 novembre, à la veille des vacances d'Automnes. C'étaient les dernières heures de cours, pourtant des sentiments de peur et de suspicion se propageaient dans l'atmosphère plutôt que ceux d'une euphorie démesurée. Pour ainsi dire, tout ce qui avait animé l'établissement cette semaine — et encore à l'heure actuelle où certains vaquaient à leurs activités périscolaires — n'avaient été que les murmures et les ragots sur Hermès.
Et moi dans tout ça ?
— Tu veux un dernier bout ? demandai-je à Kris en lui présentant le sac de congélation contenant les cookies aux noix de macadamia que j'avais cuisinés hier soir.
— J'en ai déjà assez mangé, Zara, dit-il en s'allongeant de tout son long sur le banc des gradins.
— Allez, ils sont pas délicieux mes cookies ?
— Si. Mais Josh a dit qu'il me tuerait si je les finissais, répondit-il en jetant un coup d'œil sur le terrain d'où Lammington nous faisait un geste de la main comme par magie.
— Je les ai spécialement cuisinés pour toi, ceux-ci, avouai-je en faisant mine d'être triste. Les autres ne méritent pas mes cookies ! m'écriai-je.
Il eut un rictus.
— D'accord. Je les mangerai ce soir.
Assise un étage en-dessous, je posai ma tête sur le ventre de Kris tandis qu'un sourire béat prenait forme sur mon visage. Je savais ce que cette action produirait mais Doyle était craquant quand il se braquait et cherchait à instaurer une distance entre nous. On aurait dit un chiot apeuré face à un danger imminent ! J'avais toujours la joue contre son bomber quand je me rendis compte qu'il ne me faisait aucun reproche cette fois-ci. Car durant toute la semaine, j'avais eu droit à divers remarques de sa part directement après chaque acte « subitement trop intime » que je venais d'effectuer :
« Pas mes lèvres... Ni mes joues, d'ailleurs », après que je l'eus embrassé pour la deuxième fois le lendemain de notre premier baiser.
« Je préfère éviter les câlins aussi... », avait-il marmonné quand je l'avais étreint par-derrière alors qu'il rangeait ses cahiers dans son casier.
« Zara... », avait-il chuchoté tout en vérifiant que personne dans le réfectoire ne m'avait vu lui proposer tendrement un morceau de steak piqué sur ma fourchette.
« Ne me scrute pas avec ce regard-là », avait-il murmuré alors que je me contentais juste de le détailler ouvertement. Ouais, juste.
— Si je te disais "Je t'aime", quelle serait ta réaction...? l'interrogeai-je en admirant vaguement les arbres au loin derrière le terrain de baseball.
— J'irais certainement te balancer dans le Grand Canyon, répliqua-t-il spontanément.
Je gloussai dans un premier temps puis levai la tête de ses abdominaux pour le fusiller du regard parce qu'il ne prenait pas du tout son rôle d'amoureux au sérieux. Toutefois, Kris Doyle m'étonnait de jour en jour : parfois, il semblait froid et agacé par le monde entier, ce qui avait pour don de le rendre foutrement sexy dans ses vêtements sombres. Par moment, il me renvoyait un sourire en coin empreint d'arrogance surdimensionnée quand on se croisait entre deux cours. Et d'autres fois, j'avais l'impression de discuter avec Bobby Fisher en personne, son joueur d'échecs préféré, encore surnommé le Génie paranoïaque des échecs. Kris Doyle était loin d'être stupide, et je vous l'assure, ça décuplait son sex-appeal.
Voilà. C'était aussi tout ce que je savais sur Doyle jusqu'ici. Autant vous dire, absolument rien de consistant à part le fait qu'il était incompréhensible et fanatique de ce jeu intellectuel. Au départ, Kris fuyait tout interrogatoire comme la peste, et ça n'avait contribué qu'à attiser davantage ma curiosité. Alors, j'avais trouvé un bon moyen pour apprendre à le connaître pas à pas.
Quoique, un bon moyen pas toujours efficace.
— Doyle ?
Je me redressai légèrement avant d'appuyer mon menton sur son ventre.
— Hum ? grogna-t-il.
Il avait passé un bras sur sa face pour se faire de l'ombre tandis que l'autre flottait dans le vide entre les deux marches que nous occupions. Étonnamment, il n'avait neigé qu'entre la soirée du samedi et la matinée du dimanche, un intervalle de temps à proscrire de ma mémoire désormais. Ensuite, plus rien. La neige avait résisté deux trois jours, puis avait commencé à fondre. Mais le ciel avait été plutôt dégagé cette semaine, et parfois, le soleil avait même pointé le bout de son nez sans que la température ne grimpe, à mon plus grand bonheur.
— Tu as promis de me parler de toi chaque jour, lui rappelai-je.
Il m'épia quelques secondes à travers la petite ouverture au niveau de son coude, puis soupirant inlassablement, vint plaquer son bras qui pendait sur sa poitrine.
— J'aurais jamais accepté ce cinéma si j'avais su que j'aurai à faire des discours sur ma personne. Tous les jours. C'est comme si je me présentais quotidiennement devant une prétendue nouvelle classe, grommela-t-il.
— Pourquoi t'as été partant pour jouer "ce cinéma" alors ? le questionnai-je, quoique amusée.
— Tu me faisais pitié sur le moment... Mais je le reconnais, je voulais aussi être au courant de tes soi-disant découvertes époustouflantes. Alors ? T'as bien assez fait durer le suspense ces derniers jours-ci, tu crois pas ?
— Quelles découvertes époustouflantes ? Ne me dis pas que tu m'as cru. C'était pour te soudoyer, nom d'un chien Doyle ! mentis-je en riant pour m'efforcer de paraître la plus convaincante possible.
Le mensonge régnait en maître dans ma vie ces derniers temps mais j'avais une bonne raison de le faire. Une excellente excuse même. Je devais me confectionner un mobile parfait sinon, à coup sûr, j'avais signé mon arrêt de mort.
— T'es une piètre menteuse, Dormine. Tu savais ce qui était arrivé à Graham avant que l'enquêtrice ne l'annonce, lâcha-t-il de but en blanc après un éternel moment de silence. T'as aussi dit que je me sentirais peut-être concerné...
Je grimaçai malgré moi suite à ses propos mais Doyle ne sembla pas le noter alors j'essayai tant bien que mal de le convaincre de ma soi-disant tactique de soudoiement.
— Ce lundi matin-là, j'avais rendez-vous avec Graham devant le lycée mais elle s'est jamais montrée. J'ai d'abord cru qu'elle était seulement en retard... Mais quand j'ai entendu M. Greenwich introduire ces deux enquêteurs, j'ai tout de suite compris qu'une chose horrible était arrivée...
— Ça n'explique pas le fait que t'aies directement pensé à Willey Graham... Bref. Je sais que t'essaies d'esquiver le vrai sujet.
Pourquoi persistait-il ? Me soupçonnait-il ?
— Ah oui ? Lequel ? formulai-je avec assurance.
Je me redressai, mettant enfin un terme au martyr que devait subir l'abdomen de Doyle sous la pression de mon menton. Pas de panique, Dormine. T'as déjà connu pire, ma belle. Aucune chance qu'il sache que j'ai rencontré Graham samedi soir dans la forêt. Pas de panique, Dormine.
— Je suis au courant de ton enquête sur L'Ange vengeur. C'est bien pour ça que t'as fait une nuit blanche dimanche soir, non ? T'es sûrement sur une grosse piste !
Je lui décochai un sourire puis feins d'épousseter je-ne-sais-quoi sur mon jean délavé de chez Promod que je venais d'acheter. Des espèces de grosses lignes de peinture blanche longeaient le pantalon entier, vous savez, comme si plusieurs chemins y avaient été tracés... C'étaient de longues routes qui menaient vers l'infini, et sur lesquelles tout pouvait arriver. Tout, comme un assassinat en plein carrefour de la vie d'une pré-adulte, par exemple.
Lorsque je reportai mon attention sur Doyle, je m'aperçus que ce dernier n'avait pas arrêté de me fixer dans l'attente d'une réponse de ma part.
— T'as bien raison, je suis une piste en ce moment, lui révélai-je en ancrant mes iris dans les siens.
J'affectionnais Doyle. Ô que oui, il accaparait toute mon attention, mais ce n'était pas pour autant que je lui ferais confiance à ce sujet. Car Kris Doyle, à l'instar de tous les garçons de ce lycée de minables, était un potentiel Hermès.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro