19. Criblé, Acculé, Danger
"Maybe we should just try
To tell ourselves a good lie"
- I love you, Billie Eilish
Lycée de Forks, 8h10.
Salle de conférence.
Kris Doyle, enfoncé dans l'un des fauteuils des premières rangées de la salle de conférence, ancra ses iris sombres dans ceux de la trentenaire qui venaient de croiser les siens pour la milliardième fois. Cette fois-ci, il détourna le regard, préférant plutôt les rabattre sur une Dormine difficilement éveillée. Il se rapprocha de Zara et lui chuchota suavement son envie de se tirer de cette immense ambiance glauque. Celle-ci lui avoua, amusée, qu'elle était aussi mal à l'aise, en plus d'être horriblement fatiguée. Et la pénombre dans laquelle ils étaient plongés depuis déjà un bon quart d'heure, ne faisait que renforcer son envie de somnoler. Il faut dire que la salle de conférence du lycée de Forks avait plutôt des allures de cinéma, avec ses fauteuils rouges douillets avoisinant les quatre cents places.
— T'as fait quoi cette nuit pour être si crevée ? murmura Hermès, de sa voix rauque mentholée, après que Zara eut baillé une énième fois.
Le cou reposant sur l'appui-tête du fauteuil, les doigts tapant frénétiquement sur les accoudoirs à une vitesse régulière, Dormine ne lui renvoya qu'un minuscule sourire malicieux en guise de réponse. S'il seulement il savait..., pensait-elle. Zara se redressa soudainement puis passa furtivement une main dans ses ondulations avant de grimacer devant les quelques pertes de cheveux enroulées autour de ses doigts.
— J'ai fait... J'ai fait une découverte surprenante cette nuit, bredouilla-t-elle à la va vite alors qu'elle s'évertuait à rassembler ses mèches en une boule.
Les derniers élèves qui traînaient du pieds ou recherchaient leurs amis s'installaient enfin, au plus grand bonheur de M. Greenwich, du personnel enseignant et des deux enquêteurs qui attendaient sur l'estrade. Le proviseur testa le micro et réajusta sa cravate — un tic aristocratique qu'il avait avant de s'exprimer devant un auditoire.
— Tu vois, eh bien..., entama-t-elle en rapprochant ses lèvres de celles du Messager.
Il déglutit avec peine tandis que les flammes de ses yeux à lui se reflétaient dans ceux de Zara Dormine. Était-il sur le point de grogner de plaisir en roulant une pelle à une meuf après des années d'inactivité sexuelle ? Sincèrement, effleurer, caresser, embrasser... Sans qu'il ne s'en rende compte, tout ceci avait atrocement manqué à son corps. Toutes les molécules de sa peau manifestaient enfin leur désir d'être en contact avec Ève.
La jeune fille diminuait drastiquement le peu de distance qu'il y avait entre eux, un sourire espiègle placardé sur son visage, et les sourcils montant et descendant. Il savait éperdument que Zara ne faisait que jouer, comme d'habitude. Hermès l'avait cerné. Il ne lui avait fallu qu'une seule semaine merdique pour comprendre qui était Zara Dormine.
Une disjonctée, comme il l'avait prédit.
Zara s'interrompit net dans sa lancée. Et alors que ses lèvres frôlaient déjà celles de Doyle, elle leva minutieusement les yeux vers lui avant de séquestrer son visage entre ses mains.
— Parle-moi de toi et je te ferrai part de mes découvertes époustouflantes, susurra-t-elle. Tu te sentiras peut-être concerné.
Lui, se sentir concerné ?
— Pourquoi devrais-je le faire ? Je t'intéresse ? Tu m'aimes ? l'interrogea-t-il sans crier gare.
Elle lui sourit, et Kris Doyle ne put s'empêcher d'émettre un rictus amer, couvert par la voix du proviseur qui blablatait des mots peu intéressants pour qu'ils accaparent leur attention. Pour lui, M. Greenwich n'était qu'en train d'introduire les deux têtes inconnues dont il connaissait déjà l'identité de l'une.
— Si t'as l'intention de me balancer que t'as eu le coup de foudre ou je ne sais quoi, je t'arrête tout de suite. Je crois pas à ces foutaises, articula Kris.
Puis, Hermès se libéra doucement de l'emprise de Dormine et se renfrogna de nouveau dans son siège en même temps que Josh Lammington et Zayron Kalloway les rejoignaient enfin. D'ailleurs, Zara Dormine n'hésita pas à commenter avec aigreur leur commission qui avait prit plus de temps que nécessaire. Et c'était vrai, mais Kris avait mieux à cirer que de subir les amusements de sa traqueuse ou de se préoccuper des moindres faits et gestes des compagnons de cette dernière. C'était dans ces moments qu'il en venait encore à regretter sa décision de faire ami-ami avec la photographe, car Abram Calton à lui seul le suffisait amplement. Si celui-ci n'avait pas été obligé de rester cloîtré sous sa couette à cause d'une fâcheuse grippe, Hermès ne serait pas aux côtés de la bande à l'heure actuelle. Son passé menaçait dangereusement de refaire surface, là, car il était sûr et certain d'une chose : la policière Bettie Bae l'avait reconnu. Ses pupilles se dilatèrent dans le vide sous l'effet de l'angoisse quand Bettie Bae se positionna derrière le pupitre en verre transparent.
— Je vais encore prendre la peine de me présenter, et tâchez de suivre cette fois-ci, ordonna Bettie Bae sans ménagement.
Elle n'avait pas changé, toujours aussi imposante bien que de nouvelles rides soient apparues sur son visage fin. Il plissa le front quand celle-ci s'introduisit en tant qu'enquêtrice, et non « simple policière » comme il l'avait cru jusqu'ici, depuis que l'agente avait soutenu son regard dans le couloir. À ses côtés, Zara Dormine gesticulait un peu trop à son goût depuis que l'agent s'était présentée. Elle claquait sa langue, entrelaçait ses doigts à ceux de Kris sur l'accoudoir qu'ils partageaient, les disloquait, puis les re emmêlait, ainsi de suite.
— Willey Graham...
Kris Doyle tourna sa tête en un éclair vers la fille au regard vert nature qui venait d'attiser sa curiosité tandis qu'une goutte de sueur, provoquée par l'anxiété, perla sur sa tempe. Tous ses sens devinrent soudainement fonctionnels : sa vue s'embruma et tout à coup, le visage de Zara lui parut flasque à l'instar du personnage central du tableau Le Cri d'Edvard Munch. Les sons extérieurs à son corps ne lui parvinrent plus aux oreilles, comme si les simples battements affolés de son cœur avaient crée une barrière insonorisée autour de lui. Il n'y avait que les effluves de menthe du chewing-gum qu'il mâchait depuis son petit-déj cigarette-vieille-salade-mal-assaisonnée. Et la cerise sur le gâteau, il avait l'impression qu'une centaine de téléphones sur mode vibreur s'agitaient dans son corps tout entier.
Impossible. Dormine, avait-elle déjà fait le rapprochement entre Graham et lui ?
— Tu veux que je te dise ce qui lui est arrivée ? lâcha-t-elle dans le vide en s'emparant une nouvelle fois de sa main tremblante.
Zara Dormine entremêla lentement ses doigts aux siens, faisant battre le cœur de Kris Doyle pour la seconde fois depuis qu'elle était rentrée comme un ouragan dans sa vie. Autrement dit, depuis qu'elle avait entrepris de démasquer l'Ange vengeur du lycée de Forks, tout simplement. Ce dernier fronça les sourcils, et ni une ni deux, sa traqueuse plaqua ses lèvres sur les siennes et réclama derechef l'accès à sa bouche. Et son corps en manque ne se fit pas prier davantage.
— Kris, j'ai besoin de ton aide, souffla la photographe après s'être détachée de lui en faisant abstraction des hululements de Josh et Zayron avachis à côté d'elle — et de la dizaine de paire d'yeux dans un rayon de trois mètres au moins.
Doyle fronça les sourcils en se répétant que Dormine était réellement instable pour l'embrasser peu de temps après avoir fait connaissance avec lui.
— Tu t'adresses à la mauvaise personne, Zara. Je ne suis pas celui que tu t'imagines, et si tu continues sur cette voie, je te jure que tu finiras par sombrer dans mes ténèbres envahissants... Je ne vois donc malheureusement pas en quoi je pourrais t'aider.
— Je vais t'aimer, réplique-t-elle tout à coup en nichant sa tête au creux de son cou tout en le serrant contre elle. Je l'ai bien remarqué, tu sais. T'es seul, Kris, et tout ce que tu implores au fond de toi, même sans t'en rendre compte, c'est d'être aimé.
« Je t'aimerai », lui redit-elle face à face en même temps que l'enquêtrice Bettie Bae annonçait le meurtre de Willey Graham qui avait eu lieu entre la nuit de samedi à dimanche.
« Nous vous demandons donc votre coopération dans cette affaire, et toute déclaration sera la bienvenue. Si jamais vous détenez une quelconque information susceptible de faire avancer notre enquête, rendez-vous au commissariat de la ville. M. Orlando Vargas, ici présent, moi, ainsi que tous les officiers en charge serons prêts à vous écouter. Croyez-moi, vous feriez mieux de ne rien nous cacher. »
Kris Doyle dirigea son attention sur l'inspectrice, et se maudit aussitôt lorsque celle-ci le foudroya du regard. Heureusement pour lui, Dormine détourna désespérément sa tête de la scène, l'obligeant à revenir planter ses iris dans le vert nature de la photographe.
— Tu n'as qu'à essayer, hum ? Mentons-nous, et promets-moi que tu resteras à mes côtés quoi qu'il arrive.
— T'as conscience de ce que tu me demandes ? marmonna Doyle, la mâchoire contractée sous les paumes de son ennemie.
Elle acquiesça hâtivement.
— Laisse-moi t'aimer, et contente-toi de me tenir compagnie.
Il eut un rire jaune. Insensée, c'était le terme parfait pour définir Zara Dormine en fin de compte. Oui, tout à fait. Elle était excitée comme un satané chihuahua et complètement folle.
— D'un, tu n'es PAS amoureuse de moi, Dormine. De deux, Zayron et Josh sont déjà là pour toi.
Zara Dormine soupira puis reprit une position confortable, l'esprit étonnamment serein alors que surprise et peur peignaient dorénavant les figures de ses camarades. Ensuite, elle jeta une œillade rapide sur ses deux meilleurs amis, et sans grande surprise, constata que ceux-ci étaient scotchés à leur téléphone.
— Je ne suis plus le centre de leur attention, c'est bien là le problème, grommela-t-elle, les deux poings si repliés sur les accoudoirs de son fauteuil qu'on apercevrait presque ses phalanges si ce n'était l'obscurité de la pièce.
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