15. Fascination
« Oh, she's sweet but a psycho
A little bit psycho
At night she screamin'
"I'm-ma-ma-ma out my mind" »
- Sweet but Psycho, Ava Max
Pacific Pizza, 870 S Forks Ave. 19h41.
Kris Doyle était certainement le garçon le plus intéressant du lycée voire de tout l'horizon. Intéressant était là même un terme bien peu adéquat pour décrire ce que Doyle éveillait en moi pour la simple et bonne raison que sa personne entière m'attirait irrésistiblement et ses mots paralysaient affreusement l'objet de mes pensées : Hermès. Seulement sept jours que nous nous connaissions, mais j'étais déjà sous l'enchantement du type assis en face de moi, aux côtés de Josh et Zay, là dans une pizzeria de Forks, un samedi soir nuageux. Moi, Zara Dormine, j'avais enfin trouvé l'habitant le plus captivant de cette ville paumée, allant de son nom Kris Doyle qui m'évoquait Arthur Conan Doyle, à la simple pensée qu'il jetait ses mégots de cigarettes dans les poubelles conçues pour – quand il y en avait évidemment. N'était-ce pas... Hilarant ?
Mieux encore. Tout ceci était... Comment dire...
— Fascinante*, murmurai-je en reluquant ouvertement Doyle qui semblait être perdu dans son tourbillon de pensées, les cils s'ouvrant et se refermant lourdement vers le parking de la pizzeria sur lequel on avait parfaitement vu de là nous étions tous assis. (*Verbe Fascino, as, are à la forme passive ; participe présent à l'ablatif singulier. Se traduit ici par "fascinant")
Abram Calton, l'ami de Kris, avait d'ailleurs répété à plusieurs reprises qu'il nous avait donné la meilleure table de la pizzeria avant de s'élancer maladroitement vers le local cuisine.
L'attention de tous se portèrent brusquement vers moi suite à mon inattendu usage d'une langue d'extraterrestres : le latin. Josh et Zay me dévisageaient donc curieusement, Abram Calton qui était à ma gauche continuait de vaquer à ses occupations tandis que Kris Doyle me scruta simplement du coin de l'œil, sans grand intérêt, avant de rebrousser chemin vers sa solitude intérieure.
— La pizza, elle est pas fascinante ? dis-je en m'emparant d'une part de la Margherita. Le croustillant de sa croûte, le moelleux de sa pâte et waouh..., cette mozzarella qui s'étire à l'infini ! Succulent, vous trouvez pas ?
— C'est une pizza Margherita, quoi. Rien de fameux, répondirent mes deux amis à l'unisson.
— Tout te fascine pour si peu, dit soudainement Doyle sans même daigner m'accorder une œillade.
Kris Doyle était sans doute le garçon le plus intéressant de l'horizon, mais il n'en demeurait pas moins qu'il était tout aussi irritant. J'avais du mal à percer un trou dans sa carapace et discuter avec lui n'avait pas changé nos rapports. Il s'entêtait merveilleusement bien à garder ses distances avec moi. Par moment, je le surprenais à me dévisager tristement, et à d'autres moments, il semblait égaré dans un univers qui n'était pas le sien en affichant sur son visage un air indéchiffrable comme le jour où je l'avais aperçu sous la pluie.
Une dizaine de minutes plus tard, Josh et Zay se disputaient la dernière part de pizza sous le regard presque amusé de Doyle. Je me surpris à reluquer ce dernier pour la milliardième fois depuis qu'on traînait vaguement ensemble. Ses mèches avaient pris en longueur depuis la soirée de Graham, couvrant quasiment la profondeur de ses iris tandis que Kris ne cessait de les plaquer furtivement en arrière d'un revers de main. Il y avait dans ce geste une insécurité si présente qu'il révélait la faiblesse de son âme.
Il se mit subitement à pleuvoir, non pas que le ciel nuageux l'avait déjà annoncé. Les quelques automobiles garées devant la pizzeria se mouillèrent rapidement. En l'espace d'une seconde, j'ai cru déceler un sourire naissant sur les lèvres de Kris Doyle dont le front était toujours collé à la vitre depuis qu'il avait fini d'engouffrer ses deux-trois parts de pizza. J'apostrophai le brun une première fois, sans réponse. Je réitérai mon action et le concerné accrocha enfin son regard au mien, non sans se décoller de la vitre et se redresser sur le siège.
— J'arrive toujours pas à croire que depuis tout ce temps, nous avions cours de biologie ensemble ! Pourquoi je te t'ai jamais remarqué ?
Pacific Pizza, 870 S Forks Ave. 19h58.
Il aurait aimé répliquer qu'elle ne remarquait que ce qui était remarquable mais afficher davantage son antipathie envers Zara Dormine serait faire preuve d'imprudence. Et puis, « antipathie » ? Pour Hermès, tout ce qu'il voyait en la photographe n'était que la verdoyance de ses iris qui lui ramenait dans un passé lointain mais proche en même temps, et surtout, la menace que représentait la fouineuse quant à son identité d'« Ange Vengeur ».
— Aucune idée. Faut croire que j'appartiens au groupe de personnes qui passent inaperçus, répondit-il en soutenant son regard.
— C'est un membre du club d'échec, pour tout te dire, ajouta Abram comme si le simple fait d'appartenir à un club mésestimé de tous apportait une réponse valable à la question.
— Il doit en avoir des pas mal dans son genre, hein, Zara ? intervint Zayron Kalloway en accompagnant ses propos d'un clin d'œil complice envers son amie.
Josh Lammington passa un bras par-dessus les épaules de son pote et afficha un large sourire, comme pour lui féliciter de sa plaisanterie. Les trois meilleurs amis croyaient certainement être les seuls dans la confidence, mais Hermès avait parfaitement compris ce à quoi l'afro-américain faisait allusion même s'il cherchait encore à connaître la raison pour laquelle Zara Dormine l'avait qualifié de « perle rare » à la soirée de Willey Graham. Qu'avait-elle vu de si attrayant en lui, ce soir-là, alors qu'il se morfondait dans son coin et qu'il avait été désagréable avec elle ?
Le Messager resta tout de même impassible, remit d'un geste las, la capuche de l'un de ses éternels pull couleur foncée sur sa crinière avant de reprendre sa contemplation de la pluie. Le temps maussade de Forks avait un don pour faire divaguer son esprit sur les évènements déprimants de sa vie. Il avait même fini par penser qu'il subissait un châtiment pour toutes ces années où il s'était comporté comme le plus magnifique des abrutis, afin que la scène traumatisante de Joanna Allison et de ses camarades soit gravée à jamais dans sa mémoire.
— Vous vous plantez complètement..., certifia la jeune demoiselle en laissant apparaître sur ses lèvres, un sourire assez déjanté pour que toute la tablée la prenne pour folle. Car, selon Zara Dormine, personne d'autre n'était en mesure de comprendre ses penchants pour les âmes esseulées qu'elle collectionnait.
Il jeta un coup d'œil à la photographe assise en face de lui tandis que ses mains devenaient de plus en plus moites. Kris Doyle n'aurait su dire à cet instant-là si ses pores se plaignaient du chauffage trop élevé du restaurant ou au contraire, de la peur glaciale que suscitait Zara Dormine en lui. Et même après que Hermès avait mis en stand-by son activité illégale suite à l'avertissement de M. Greenwich concernant « l'Ange vengeur », le diable qui était à ses trousses n'avait pas arrêté ses recherches. Dormine était décidée à découvrir l'identité de l'élève qui se cachait derrière le pseudonyme d'Hermès. Doyle avait la sensation désagréable d'être une proie à double récompense aux yeux de Zara Dormine. Et en aucun il ne devait baisser sa garde face à son prédateur.
Hermès sortit son téléphone d'une des poches de sa veste noire rembourrée avec la ferme intention de regarder l'heure et de se séparer du groupe sous prétexte qu'il se faisait déjà tard. Mais à peine le minuscule engin était hors de sa poche que Zara Dormine avait déjà la main dessus, prête à obtenir un élément clef dans la phase séduction du jeune homme.
— Au fait, on n'a toujours pas échangé nos numéros, dit-elle, la main tenant fermement le poignet de Kris Doyle comme si sa vie en dépendait.
Il était vrai que les doigts de la brune pressaient sauvagement le poignet du Messager mais à vrai dire, sa paume de main quant elle, faisait circuler indéfiniment de l'électricité entre eux. Kris Doyle, pour la toute première fois depuis qu'il fréquentait de manière hypocrite la groupe d'amis et qu'il subissait les petites marques d'affection de Zara Dormine, en trembla de peur et... d'instabilité sentimentale.
Et rien n'échappa au regard vert de la photographe. Un petit trou venait de s'ouvrir sur le cœur de Kris Doyle, offrant à Zara Dormine une vue magnifique sur les tréfonds de l'âme de ce dernier.
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