"L'amour déçu pardonne. L'orgueil humilié ne pardonne pas."

- proverbe, Robert Hollier

Lycée de Forks.
2h après l'annonce du directeur.

       Une série de vibrations se fit sentir une nouvelle fois sur la cuisse de Zayron Kalloway, indiquant ainsi l'entrée de nouveaux sms. Deux heures plus tôt, il avait reçu un message de la part d'Isaac McFray lui ordonnant de ne plus le contacter et de prendre ses distances, sous prétexte que la situation était délicate. Lorsque l'adolescent avait lu ce message, sa colère était montée en lui en même temps que son esprit sombrait peu à peu dans l'incompréhension totale.

       Zayron Kalloway trouvait cette injonction absurde, aberrante, insensée ! En quoi un vulgaire graffiti sur un gazon rendait les choses difficiles ? Il ne comprenait pas McFray... Ô que non, croyez-le. Durant ces deux dernières heures, il s'était mis à la place de son coéquipier, avait visionné son nom à lui sur ce gazon et en était venu à la conclusion que l'Ange vengeur aurait pu très bien faire allusion à un autre secret de son amant, et pas forcément à leur petite aventure dans la cabane abandonnée de la forêt.

      Selon Zayron Kalloway, McFray n'avait rien à craindre. Et jamais il n'aurait cru que le mec le plus sexy de ces jours-ci s'avérait être un gros peureux. Mais en réalité, si Kalloway pensait ainsi de son amant, qu'en était-il lui ? Les deux adolescents ne voulaient peut-être pas l'admettre mais à l'extrémité profonde de leurs êtres, en cachant leur relation, l'un voulait sauver les apparences, et l'autre, ne pas baisser davantage dans l'estime de sa famille, plus particulièrement, de Rygan Kalloway. L'afro-américain s'empara de son smartphone, d'une main hésitante, et après avoir longuement argumenté avec McFray, il put lire sur l'écran :

« T'auras peut-être le courage d'assumer cette relation quand Hermès s'en aurait pris à nous, mais pas moi. Alors, fais ce que je dis et mêle-toi de tes oignons, Kalloway. »

Isaac McFray était définitivement un connard. Mieux encore, un connard apeuré. Et ça, Zayron Kalloway comptait bien le lui faire comprendre.

                                                                        Lycée de Forks. 11h47.

     
      L'Ange vengeur avait enfin frappé. Depuis la seconde où j'avais inspecté le message d'Hermès, ce matin, cette phrase tournait en boucle dans ma tête. POURQUOI MAINTENANT ? Je veux dire, pour quelle raison Hermès s'était-il enfin décidé à sortir de son terrier après des mois d'absence, et surtout, après avoir ignoré l'appel à l'aide de Willey Graham ? Quoique... Il a dû pressentir que c'était un piège. Avait-il prit Graham en pitié ?

Ça m'en a tout l'air, oui.

      Je rangeai machinalement mes affaires dans mon sac bandoulière avant de glisser sur la table de Josh, le stylo qu'il m'avait prêté. Kalloway, lui, s'était empressé de sortir de la salle comme s'il avait le feu aux fesses, non que la peinture criarde des salles de cours soient à notre goût, mais il avait une urgence. Une urgence qui n'avait pas d'explication, à en croire la manière dont il a esquivé le sujet durant toute l'heure de cours.

— T'as pas l'impression que Zay nous cache des choses, ces derniers temps-ci ? lançai-je la discussion à peine dans le couloir, en direction du réfectoire.

— Hum... J'sais pas. T'en dis quoi ?

— À mon avis, il doit fréquenter quelqu'un en ce moment ! Des pistes ?

— Qui, Zay ? pouffe-t-il, suspicieux. Tu sais très bien qu'il ne fréquente personne. C'est pas son mode opératoire.

— Me dis pas que t'es passé à côté du minuscule sourire que Zay affiche chaque fois qu'il pianote sur son tel ?

       Lammington me doubla puis se mit à marcher à reculons. Suite à quoi, il répliqua après avoir balancé un clin d'œil dans ma direction :

— Fais gaffe, Dormine, pas de No Nut November* pour Zay et moi ! (*défi internet dans lequel les participants s'abstiennent de se caresser ou d'avoir un orgasme pendant le mois de novembre.)

« Zut, alors ! », feignis-je une frustration sexuelle.

     Mon meilleur ami concentra subitement son regard par-dessus mon épaule et fit ensuite un signe de la main à l'intention de je-ne-sais-qui. Intriguée, je me retournai à moitié. C'est à cet instant-là où je réalisai à quel point Josh Lammington avait des goûts médiocres en matière de flirt. Nom de Dieu, s'élançait vers nous, Aikaïla Starwiaski, affreusement habillée d'un pull en laine épaisse en-dessous d'une robe fleurie — qui m'évoquait tout sauf une saison hivernale — et d'un collant, lui aussi épais... J'étais loin d'être un as de la mode, mais quel fashion faux-pas ! Le brun-aux-traits-les-plus-angéliques-du-lycée était pleinement dans l'égarement concernant Aikaïla Starwiaski. Et ce, qu'il s'agissait ou non d'une simple frivolité parce que la russe ne faisait pas l'affaire, tout simplement.

Lycée de Forks. 11h55.
Réfectoire.

   Pour la première fois de sa vie, Zayron Kalloway trouvait que le réfectoire était étonnamment minuscule. Il avait cette désagréable impression de suffoquer dans sa parka militaire et l'aura monstrueuse qui émanait d'Isaac McFray l'envoyait dans les vastes profondeurs de l'Enfers.  Mais Kalloway était bien trop entêté pour accepter d'obéir aveuglement à son égoïste d'amant. McFray n'avait tout bonnement pas le droit de mettre fin à leur aventure secrète sans lui demander son avis sachant que c'était lui qui en était à l'origine... C'était le rouquin qui l'avait traîné sur ces sentiers inconnus pendant l'été lorsqu'ils étaient tombés l'un sur l'autre dans les bois aux alentours du lycée. Un simple hasard, et les voilà, s'amusant sur une mine dangereuse, une seule parmi tant d'autres présentes dans leurs vies de pré-adultes.

— Hé Kalloway, on dirait qu'un camion vient de te rouler dessus. Tout va bien ?

      Un des joueurs de l'équipe de baseball, Marco Suarez, venait de prendre la parole au milieu d'un chahut, incitant par la même occasion, leurs amis à se taire. Kalloway, qui s'était consciemment installé à côté d'Isaac pour le défier, d'une œillade, vit ce dernier se crisper.

— C'est juste que..., débuta-t-il sur un ton joueur tout en ramenant McFray vers lui, d'une accolade brusque. Le temps est assez mauvais aujourd'hui, vous pensez qu'il y a entraînement, cet aprèm ? Avec Isaac, on voulait vous proposer de faire un tour à la plage !

Entre fureur et étonnement, Isaac McFray ancra son regard de braise dans celui de son amant. Puis, se saisissant du poignet de celui-ci, il s'extirpa doucement de son emprise.

— Bien sûr, tout dépendra de la météo, répondit-il enfin.

***

Lycée de Forks. 11h57.
Réfectoire.

      Hermès se perdait dans des explications irrationnelles sur la manière dont le gouvernement devait protéger les espèces en voie de disparition. Il s'exprimait avec aisance et des yeux pétillaient comme ceux de la défunte Joanna Allison. Adam Calton, intéressé à moitié par ses tirades ne faisait que zieuter avec insistance le plat encore intacte de son ami. Kris Doyle, l'ayant remarqué, fixa rapidement son assiette puis poussa celle-ci vers Calton.

        Non loin des deux garçons, Josh Lammington, debout au milieu des gens avec son plateau repas en main, essayait de repérer son meilleur ami en attendant que Zara reçoive sa double louche de ragoût de bœuf chaud. La brune le rejoignit sans tarder, un visage affichant un air de dégoût envers le plat du jour. Elle aperçut très vite Kalloway, dans sa parka militaire, à l'autre bout du réfectoire, s'esclaffant à tout va.

« Zay a meilleure mine », dit-elle en désignant l'impliqué d'un geste du menton.

       Zara Dormine rentra soudainement dans un mutisme effrayant car elle se rendait compte que Zayron Kalloway avait des secrets. Ses doigts serrèrent davantage son plateau repas puis ses ongles se mirent à gratter lentement l'objet qui les aidaient à garder le contrôle. C'est ensuite qu'Aikaïla Starwiaski se ramena et informa brièvement Lammington qu'elle allait déjeuner avec ses copines, au grand soulagement de Dormine.

« Je nous ai trouvé une bonne compagnie », dit Zara en fixant la table à laquelle déjeunaient Kris Doyle et son ami dont le nom lui échappait encore.

Plus rien n'empêchait Zara Dormine de forcer l'amitié avec la fameuse silhouette mystérieuse depuis leur premiers rapports lors de la fête de Willey Graham. Abram Calton vit dangereusement les deux amis s'approcher de leur table et avertit son camarade en marmonnant derrière son poignet comme si de rien n'était.

Kris Doyle regarda par-dessus son épaule et fut surpris de voir Zara Dormine et Josh Lammington se diriger tout droit vers là où ils déjeunaient, Calton et lui. C'est vrai qu'ils avaient échangé des mots ce samedi dernier chez Graham mais jamais il n'avait pensé que la photographe chercherait à le revoir de sitôt.

— Je me permets, dit Zara Dormine en prenant place à côté du Messager.

Aussitôt installée confortablement, elle lui offrit un magnifique sourire en remettant en place une mèche avant d'Hermès d'un geste empreint de douceur.

     Il se braqua instantanément, les yeux prêts à sortir de leurs orbites fixant la brune. Kris Doyle cessa de respirer sans s'en rendre compte puis manquant soudainement d'air, se mit à tousser gravement jusqu'à projeter quelques missiles de pommes de terre sur le visage de Dormine.

Hermès commença à douter sérieusement de son optimisme. Franchement, « se rapprocher de Dormine en tant que Kris Doyle lui servirait de couverture » ?

Dans quel merdier je me suis encore embarqué..., se lamenta-t-il dans son fort intérieur.

Zara Dormine n'est pas le genre de fille qu'on peut facilement tenir en laisse... C'est une chihuahua ! pensa-t-il alors que la photographe se remettait de ses émotions, et surtout, de l'attaque éclair du garçon qu'elle avait en proie en ce moment, Hermès alias Kris Doyle.