12. L'autel de sacrifice
Lycée de Forks. 6h43.
Terrain de baseball.
Les ténèbres régnaient encore sur la petite ville de Forks, mais les anges étaient déjà de sortie. À cette heure-ci, où d'autres habitants rêvaient encore d'une meilleure vie ou au contraire, faisaient face à leurs plus grandes peurs, un adolescent venait de s'introduire sur le terrain de baseball du lycée de Forks en passant par les bois et avec une seule idée en tête : redorer l'image de Willey Graham et apaiser ainsi sa conscience, mais également celle de notre malfaiteur, qui n'était personne d'autre que le surnommé Ange vengeur de ce lycée réputé.
Il agita promptement les deux bombes de peinture blanche qu'il avait en main, inspectant en même temps les alentours pour vérifier que le gardien ne rôdait pas dans les parages. Il faisait atrocement froid à ce moment-là de la journée, mais le lycéen s'était déjà habitué à ces instants de grelottements sous les températures basses des différentes saisons de l'année. En effet, Hermès opérait soit très tard le soir ou très tôt le matin, évitant ainsi de tomber nez à nez avec un de ces adolescents insouciants qu'il haïssait tant.
Inspirant à pleines poumons pour se donner du courage, l'Ange vengeur entama la construction de sa énième scène dramatique, faisant fi des précédents avertissements du directeur de l'établissement.
Il avait été longuement partagé entre l'idée de révéler totalement la relation qu'entretenaient Zayron Kalloway et Isaac McFray ou éviter que la réputation de Willey Graham ne soit plus noircie par la bouche de ces jeunes humains. Mais Hermès ne pouvait s'empêcher de penser que sa petite activité illégale prenait une tournure qui l'inquiétait de plus en plus. « Plus de souffrance », s'était-il promis il y a deux ans, lorsqu'il avait quitté son père et Seattle pour vivre avec sa mère et son beau-père à Forks. Mais il pressentait vivement à travers la peur de l'américano-thaïlandais qui n'avait pas lieu d'être, que la promesse qu'il s'était faite commençait à se briser.
C'est ainsi qu'il prit alors sa décision.
L'Ange vengeur avait prévu de lever partiellement le voile sur le secret des deux joueurs de baseball. Il voulait abréger les souffrances de Willey Graham en dévoilant un chouïa le vrai visage de M. je-me-la-joue-parfait-et-chevalier-servant-de-sa-copine, Isaac McFray. Le Messager s'écarta du lieu de crime, car oui, il venait d'abîmer un gazon tondu à merveille, lui qui s'efforçait tant d'aimer dorénavant l'environnement. Et sur ces herbes vertes foncées par les ténèbres, on pouvait y à présent lire clairement :
Willey Graham est un ANGEMais on ne peut pas en dire autant d'Isaac McFray. — H
Le message occupait tout le centre du terrain, empiétant légèrement sur certains tracés spécifiques au sport de nos deux amants, et s'étendant sur une longueur d'environ vingt mètres.
« J'espère que c'est du gazon artificiel », ria péniblement le brun tout en caressant timidement ses cheveux. Puis, après avoir revérifié les alentours, il se laissa tomber sur l'herbe fraîche, se coucha et contempla le ciel encore assombri.
« Dis, Joanna Allison, est-ce qu'il y a aussi une nature verdoyante là-bas, au paradis...? », demanda le garçon, le regard scotché sur une étoile brillante.
Il se tut volontairement pour quelques secondes, le temps de dessiner la jeune fille sur le support qu'était le ciel bleuté avant de poursuivre : « Si même là-bas il n'y a pas d'arbres, je prendrai réellement Dieu pour un sans-cœur. »
Une brise de vent s'éleva suite aux propos de l'adolescent. Hermès portait un regard chaleureux vers l'astre scintillant, les lèvres glaciales étirées en guise de salutation à l'âme de Joanna Allison, la petite blonde aux joues bouffies...
Et aux magnifiques pupilles verte nature.
Lycée de Forks. 7h45.
La jeunesse folâtre de la petite ville de Forks, quoique animée tout le long de l'année et comptant à ce jour en l'an 2014, un peu plus de 3500 habitants, souriait, papotait et s'esclaffait à divers coins situés dans l'enceinte de l'établissement. Parmi elle, il y avait Isaac McFray, batteur de l'équipe de baseball du lycée, qui ne se privait pas de rouler publiquement une pelle à Grenda Fallenson, là un lundi matin de bonne heure, tous deux adossés sur les casiers du couloir alors que la sonnerie venait de marquer le début des cours. À la même minute, non loin de là, sur le terrain de baseball, une élève qui avait oublié son gilet sur les gradins du stade la veille du crime, fut saisie d'effarement lorsqu'elle parvint à lire ce qui était écrit en grand sur le terrain.
« Oh. Mon. Dieu », lâcha-t-elle entre étonnement et effervescence, détachant chaque syllabe de son expression. Ensuite, ni une ni deux, elle rédigea en vitesse un message dans un des groupes du lycée afin d'avertir les élèves du retour d'Hermès sans oublier de préciser le lieu d'action de ce lundi morne maintenant béni des cieux, évidemment.
La magnifique Grenda Fallenson mit fin à son échange sensuel avec Isaac McFray, se détachant de lui des lèvres sans pour autant défaire son étreinte. Elle lui sourit grandement, du haut de son mètre soixante-dix avant de faire la grimace de lionne enragée qui avait le plaisir de mettre son petit ami dans un état hilare.
Vous vous demandez sans doute pourquoi la rousse était, en ce moment-même, dans les bras de son cher petit ami qui lui avait peut-être été infidèle ? Eh bien, Grenda Fallenson aimait sincèrement Isaac McFray, même si elle ne voulait pas se l'avouer, ni à elle ni au joueur dont la musculature s'était récemment développée et dont la côte grimpait continuellement depuis la rentrée en septembre.
Ce dernier lui avait également assuré qu'elle avait vu faux, et que jamais il n'était allé dans la forêt pour coucher avec Willey Graham mais qu'au contraire, il y était pour une promenade au coucher du soleil en compagnie de son père. Cependant, ces derniers temps, elle manifestait ce vif désir d'avouer à McFray qu'elle avait toujours eu le béguin pour lui et ce, même avant qu'il n'embellisse.
— Tu sais..., débuta soudainement une Fallenson rougie par la timidité avant de poursuivre, cela ne fait qu'un mois que nous sommes en couple mais t'aimerais savoir un truc surprenant ?, gloussa-t-elle tout en s'agrippant à la veste old-school-college de son petit-ami aux couleurs de leur établissement.
— Ta mère t'as surprise en train de me dire des cochonneries au téléphone ?, blagua McFray en ouvrant le casier sur lequel il était appuyé une seconde plus tôt.
— Isaac...!, s'offusqua théâtralement l'adolescente à la chevelure de feu.
Elle inspira un bon coup avant d'entourer le visage du joueur de ses deux mains parfaitement manucurées. Elle était prête. Elle voulait lui confier ouvertement que ses sentiments n'étaient pas passagers, que c'était bien plus qu'une affaire de sexe et qu'elle ne comptait pas rompre de sitôt. Toutefois, comment avouer cela à Isaac McFray sans avoir l'air d'une Juliette qui s'est éprise de son Roméo ? Peut-être fallait-il simplement prononcer cette phrase tant aimée de tout le monde, ces mots faisant preuve d'un grand humanisme, ces syllabes qui à elles seules pouvaient sauver des âmes ?
« Je t'aime, Isaac McFray », chuchota-t-elle en même temps qu'elle s'agrandissait pour aller déposer un doux baiser sur les lèvres de l'adolescent à la chevelure teintée. Grenda Fallenson ignorait encore à cet instant que son couple était au cœur-même d'un scandale croustillant, c'est-à-dire un de ceux-là qui animaient la paisible vie agitée de chaque adolescent à travers le monde. Mais plus misérable encore, elle regrettera probablement de s'être mise à nu à la même seconde où tous les élèves de l'établissement voyaient à présent Isaac McFray d'un mauvais œil.
Quant à McFray, il était loin de se douter qu'une brèche menant à ses secrets les plus confidentiels s'était formée à l'instant-même où le Messager avait souillé son lieu d'évasion.
Et ce fut ainsi qu'Hermès avait inconsciemment placé le joueur de baseball sur l'autel de sacrifice destiné aux lèvres papoteuses, tout ceci dans l'espoir de rendre les journées de Willey Graham un tantinet plus supportables.
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