11. Saints hypocrites
"Regarde les conneries que j'ai faites,
Si je te ramène à la maison vas-tu me dire la vérité ?"
- Collect Calls, Kendrick Lamar
Forks. 7h28.
À 13min en voiture du lycée.
Zayron Kalloway, debout face à son long miroir, s'empressa ridiculement de boutonner sa chemise blanche repassée du dimanche matin, le visage renfrogné et l'haleine encore alcoolisée.
L'immense Rygan Kalloway allait bientôt venir frapper à la porte de la chambre de l'adolescent mais le pantalon noir de ce dernier croupissait encore dans un coin de son tiroir et ses chaussures de ville traînaient toujours sous son lit parfaitement dressé. La messe commençait à huit heures et demi, et les Kalloway se devaient d'y assister, et surtout d'y être à l'heure.
Rygan Kalloway, ancien joueur de football américain de renommée nationale, était le géant de famille dont les pas faisaient craquer le parquet de l'étage; à tel point qu'on croyait être revenu en l'an 1996, dans les anciens gradins de l'Université de Brown, l'une des Ivy League.
En parlant du géant, le voilà qui s'avançait de pied ferme dans le couloir des garçons tandis qu'il ajustait galamment les manchettes de sa chemise bordeaux. Il s'arrêta premièrement devant la porte de Zach, le dernier du bataillon qui venait tout juste de souffler sa dixième bougie. Rygan Kalloway donna trois coups secs sur la porte, ce après quoi il annonça de sa voix grave voire cassée que c'était l'heure du petit-déjeuner. Ses yeux plissés survolèrent les cadres photos accrochés de part et d'autre de la porte boisée kaki sur lesquelles on pouvait voir l'archétype-même de la parfaite petite famille moderne.
Et Rygan Kalloway en était extrêmement fier.
Il fit ensuite quelques pas de plus vers le fond du couloir et sur le point de remettre à exécution ce qu'il venait faire, son jeune prodige ne le lui permit pas. Actionnant la poignée et affichant un large sourire, c'est ainsi que Zayron Kalloway fit face à son paternel, toute fois en tenant sa paire de chaussures d'une main.
« Parfait », soupira de satisfaction l'ancien joueur de football américain tout en entrechoquant ses mains robustes.
Il dévisagea de haut en bas l'adolescent qui d'ici un an ou deux lui tiendra tête, inspectant la convenance de sa tenue avant de se focaliser enfin sur le regard fatigué de ce dernier. Le père de famille commenta positivement le choix de parfum du garçon tandis qu'il tournait les talons, en évitant toute fois de mentionner l'infime odeur d'alcool qui se dégageait du sourire de ce dernier. Cependant, Zayron Kalloway qui avait remarqué le léger plissement de sourcils de son père ne put s'empêcher de se justifier alors que celui-ci traversait déjà l'habitacle de son petit frère :
— Je dis vrai, papa. J'avais seulement prévu de boire un ou deux verres, puis les joueurs de l'équipe de baseball ont voulu faire un jeu, ensuite Kris Doyle s'est ramené et...
— C'est toujours la même excuse, Zayron, le coupa Rygan, pivotant sur lui-même et indexant le jeune homme à quelques mètres de lui. Tu n'es définitivement pas digne de confiance, ce que j'avais déjà notifié d'ailleurs.
L'adolescent fonça les sourcils, ne comprenant pas où voulait en venir son père.
— Tu me prends pour un de tes copains que tu qualifies d'ami ? Tu crois que je n'avais pas remarqué que tu continuais à fumer ? Nom de Dieu, Zayron, t'as une carrière prometteuse de sportif professionnel devant toi !
L'ancien joueur de football et imminent propriétaire d'un centre commercial donna un coup de poing puissant dans sa paume. Rygan Kalloway, le torse bombé par sa colère, intenta de se calmer. Puis, il se détourna de son fils et s'éloigna de lui en laissant valser ses dernières paroles de déception :
— Et tu viens aussi de me prouver que t'en avais rien à cirer des valeurs religieuses de cette famille. Dis-moi au moins que tu n'as pas pris le volant dans cet état ?
— Bien sûr que non...
Sur ce, sans un mot de plus, son père dévala les escaliers sans un regard en arrière. Zach Kalloway, le petit dernier, fixa son grand frère d'un air désolé avant de le narguer par de petites grimaces faciales imitant celles de leur figure paternelle lorsqu'il était profondément déçu de ses enfants. Pour Zach, ramener une mauvaise note à la maison était insignifiant comparé à la stupidité dont avait fait preuve Zayron, soit de boire jusqu'à ivresse un samedi soir, la veille d'un jour de culte.
— Hors de ma vue, minus, cracha amèrement Zayron en laissant tomber maladroitement ses chaussures sur le parquet avant de les enfiler hâtivement.
La mâchoire du jeune homme se crispa d'énervement tandis qu'il chaussait le dernier pied mécaniquement du haut de son mètre soixante-dix-neuf. Il pesta enfin audiblement, lorsqu'il s'abaissa pour nouer ses lacets, laissant ainsi évader ses insultes internes envers le vrai responsable de son abus d'alcool à la soirée d'hier qui n'était personne d'autre que Kris Doyle.
Forks. 12h06.
À 15min en voiture du lycée.
Les seules fois où Josh Lammington regrettait d'avoir choisis un panel de cours scientifique plutôt que littéraire n'étaient que lorsqu'il maniait étonnamment bien le langage de Molière, beau parleur qu'il était.
— Sincèrement, j'avais déjà entendu parler de la beauté des Russes mais jamais je n'aurais cru en celle de leur âme, tu vois ? Je veux dire, avec Poutine et compagnie...
Josh Lammington eut un rictus, fière de sa blague. Il continua de gribouiller les personnages de sa série d'animation adulée, South Park, avant de glisser son énième venin dom-juanique de la semaine depuis qu'il avait faussement sympathisé avec la jeune russo-américaine. Toi, Aikaïla Starwiaski, ton âme m'éblouie au fur et à mesure que j'apprends à te connaître.
À l'autre bout du fil, la mignonne blonde esquissa un sourire timide et s'en voulut ensuite de rougir autant pour un garçon qu'elle venait tout juste de connaître.
— T'es un mélange de stupidité et de poèterie. Mais qui es-tu donc, Josh Lammington ?
— Je peux t'écrire un poème sur la personne entière de ce Lammington, si tel est votre désir, très chère ? murmura-t-il en séquestrant sa lèvre inférieure entre ses dents.
— Je préfère les coups de fil. Tu sais, l'époque des poèmes est révolue. Et selon moi, un poème peut être aussi révélateur sur son auteur que mensonger et fictif. Alors, tu te situes dans quelle catégorie, Lammington ?
Le-garçon-aux-traits-les-plus-angéliques-du-lycée stoppa net de faire courir sa mine de crayon sur la feuille blanche de son carnet de dessin. Son regard rencontra son téléphone posé sur le canapé sur lequel il était allongé à plat ventre.
— Es-tu un poète qui cherche à fuir le monde réel ou un qui cherche à le partager avec d'autres personnes ? enchaîna Aikaïla Starwiaski en refermant la porte de sa chambre derrière elle.
— Je suis pas réellement un poète.
Il reprit son gribouillis, un peu perturbé par les propos d'Aikaïla Starwiaski. Josh lui aurait bien avoué qu'en réalité il se cachait derrière un masque de comédien avéré depuis que sa mère les avait abandonnés, son père et lui, mais celui-ci s'enfonça davantage dans sa supercherie.
— Je suis pas un poète, mais un esthète, rectifia-t-il.
— Je vois. C'est l'heure de passer à table. A la prochaine, souffla la jeune fille en même temps qu'elle rejoignit discrètement sa famille à table.
Josh entendit les cris d'un petit garçon qui semblait donner du fil à retordre à sa famille et sans même s'en rendre compte, il sourit.
— Oui, bien sûr. À demain, Aikaïla, susurra-t-il avant que la concernée ne raccroche.
Josh Lammington lança un coup d'œil furtif vers son téléphone après que ce dernier ait émis le son marquant la fin de son jeu d'acteur. Il continua de gribouiller pendant quelques minutes jusqu'à ce son estomac se plaigne. L'adolescent ignorait ce qu'il allait manger, même s'il ne semblait pas être tant emballé à l'idée de cuisiner et de s'assoir à une table vide.
Il s'obstinait à l'admettre, mais sa relation avec son père se dégradait d'année en année. Il parcourra du regard son petit salon quelque peu désordonné à l'image des locataires de la maison, sans oublier de leur vie également. L'adolescent soupira d'exaspération, songea quelques secondes à ce qu'il pouvait faire, puis il se décida finalement à jeûner de force et entreprit plutôt de mettre un peu d'ordre dans son environnement.
Forks. 14h37.
Chez Willey Graham.
Je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais là, à sillonner tout le salon de Willey Graham, à la recherche des derniers gobelets en plastiques à fourrer dans le sac poubelle. Je replaçai une milliardième bouteille de bière vide dans un carton tandis que Willey Graham passait l'aspirateur dans chaque coin et recoin de la maison. Et pendant que l'américaine-thaïlandaise s'activait à sa tâche pour ne pas risquer de voir débarquer ses parents revenus de leur week-end à New-York, la photographe se demandait ce qui l'avait poussé à venir s'assurer du bon état de la métisse. Ce matin en me réveillant de bonne heure, mes pensées avaient rapidement divagué vers Graham. Je croyais qu'elle était prête à se donner la mort pour si peu, et loin de moi l'envie d'être encore liée à un suicide. Quoique, celui de Graham ne me concernerait que superficiellement.
Mais en réalité, Hermès s'en prendrait-il à Willey Graham juste pour un mail insignifiant ? Évidemment que non. Contrairement à ce que des imbéciles du lycée croyaient, Hermès n'a jamais voulu devenir un ange vengeur. Je dirais même qu'il s'en contrefiche royalement des soucis d'un tel. C'était les élèves du lycée de Forks qui avaient transformé son concept faussement honorable en un autre de plus en plus revancharde au fil des années.
N'y avait-il que moi qui s'en étais aperçue, sérieusement ?
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