10. Churchill & chill
"Aidez-moi, je m'accroche à ma chère vie,
je ne regarderai pas en bas n'ouvrira pas mes yeux
Gardez mon verre plein jusqu'à la lumière du matin,
parce que je m'accroche juste pour ce soir"
- Chandelier, Sia
Chez Willey Graham. 22h22.
Winston Churchill a dit : un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté.
Zara Dormine était clairement une difficulté, et elle cherchait Hermès. Elle s'intéressait à lui. Alors, malgré qu'il était de loin la personne la plus optimiste de l'univers, il avait songé au fait que se rapprocher de Dormine lui servirait peut-être de couverture.
Son avant-bras droit abandonna la surface plate beige et s'aventura langoureusement sur la chevelure brune bouclée à la rebelle de Zara Dormine. Puis, du bout de l'index, il replaça doucement une mèche derrière son oreille décorée d'une magnifique boucle pendante du style "vieille mégère". Ces yeux verts nature le sondaient mais il lui était impossible de les regarder pendant plus d'une seconde. À la place, il préférait feindre le mec loucheur en se perdant non pas dans le regard de la photographe mais dans la tignasse encadrant le visage de cette dernière.
Il devait faire une bonne tête de plus qu'elle, ce qui lui permit de parcourir du bout des ongles, sa joue rosie, lentement... doublement lentement, jusqu'à parvenir au niveau de son menton. Durant tout ce laps de temps, son angoisse croissant s'extirpait à travers ses doigts de sa main de libre, bougeant et se craquant dans tous les sens dans la poche avant de son pull.
Les iris de Dormine voulurent encore une fois, accrocher ceux d'Hermès mais pour lui, fixer cette paire d'yeux ravivait d'énormes souvenirs qui ne cessaient de le tourmenter car elle lui rappelait atrocement celle de Joanna Allison.
Hermès eut un soudain rictus caverneux parce qu'il les sentait revenir au galop, ces démons du passé qui lui faisaient froid dans le dos. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, l'alcool ne le soulageant pas réellement, sa vie n'avait pas viré à celle d'un alcoolique dépressif à mort.
— Zara Dormine, c'est bien ça ?
Le Messager arqua un sourcil tout en relevant, de ses doigts fins, le visage de sa traqueuse.
— T'es bipolaire ? répliqua Dormine en accompagnant ses dires ironiques d'une petite inclination de tête tandis qu'à l'aide de ses deux mains, elle exerçait une légère pression sur les biceps quasi absents du jeune homme.
Il s'esclaffa péniblement, entre hilarité et arrogance. Puis, le Messager ré instaura subitement une distance entre eux, faisant mine de cheminer vers la table remplie de tout type de restes d'« aliments ». Suite à quoi, tout en s'emparant d'une des dernières parts de pizza dorénavant froides, il entama sur un ton tartuffard :
— Je me suis finalement dit que tu valais ma compagnie...
Hermès, tel un fauve se délectant à lorgner sa proie, se tourna de nouveau vers Zara, celle-ci digérant toujours les dernières paroles de l'adolescent. Puis, mordant férocement dans sa part de pizza, il acheva enfin sa phrase, suivie de son divin sourire en coin qui ne laisserait toujours pas ses ex Seattleites indifférentes :
— Car après tout, tu es Zara Dormine, la photographe du lycée, si je me trompe pas.
Zara Dormine, les bras croisés contre sa poitrine, afficha une expression d'étonnement mêlée à un si surprenant émerveillement pour l'humain qui lui faisait face qu'elle en perdit sa repartie.
Pile au même moment, Josh Lammington, Zayron Kalloway, Isaac McFray, suivis de trois quatre de leurs coéquipiers de l'équipe de baseball revinrent de leur pause cigarettes & Cie. Le garçon étala un large sourire en direction de sa meilleure amie, surement pour se faire pardonner de l'avoir demander comme faveur de garder un œil sur le petit nouveau de l'équipe de baseball, Martin Achers, un Freshman sensible descendu trop tôt dans les profondeurs de ce lieu qu'on appelle "lycée". Sourire auquel, elle l'envoya en pleine gueule, son majeur dont l'ongle s'accordait avec sa robe bleu ciel.
Il assista à la scène, silencieux, croquant de nouveau à pleines dents dans sa part de pizza. Mais son regard insistait davantage sur le baraqué à la peau ébène que sur la version 3D grandeur nature de ses angoisses.
Zayron Kalloway roula des yeux avant de s'avancer tout droit vers Zara Dormine pour l'enlacer. Sa chemise bleue fond d'océan, dont les manches avait été repliées sur elles-mêmes, serrait dangereusement ses biceps déjà apparents — pour un embryon de dix-sept ans — et son pantalon noir bougeait au rythme de ses pas, contractant divers muscles de ses jambes mais un peu plus au niveau de son entrejambe. Et tous ces muscles développés et façonnés par le père de l'afro-américain lui-même révélait de quelle manière l'avenir sportif de Zayron Kalloway devait se poursuivre.
À quelques mètres de-là, vidant une bouteille de bière fraîche à grandes gorgées, Isaac McFray avait discrètement reluqué Kalloway du coin de l'œil avant d'essuyer sensuellement sa lèvre inférieure à l'aide de son pouce. Ensuite, il éclata promptement de rire suite à la blague peu catholique que venait de faire un de ses coéquipiers.
— Je te filerai le numéro de Marco Suarez, plaisanta l'afro-américain en déposant un baiser à la commissure des lèvres de la jeune fille.
— Plus la peine. J'ai trouvé une perle rare, comparé à Suarez ! Crois-moi, celui-ci paraît bien plus mystérieux que les vulgaires rumeurs au sujet de Suarez.
Hermès qui n'avait rien loupé de la scène ne fit rien d'autre que observer amèrement le monde autour de lui. La musique bruyante sur laquelle se dandinaient les adolescents insouciants avait, depuis une dizaine de minutes, laissé place à une ambiance douce mais des plus chaotiques. La raison en est que la majorité des invités avait à présent perdu leur tête et se sentait soudainement manqué de force pour poursuivre leur danse. Cependant, cela ne les empêchait pas de continuer à s'adonner à des plaisirs incommodes comme aventurer ses mains dans des endroits intimes. Quoiqu'il en soit, cette ambiance houleuse n'était là que pour le plus grand malheur du Messager, même si le reste d'herbes sur la table n'arrêtait pas de lui faire de l'œil en le proposant un échappatoire. Hermès n'en avait jamais pris, et à vrai dire, les seules substances nocives qu'il s'autorisait à prendre n'étaient « que » l'alcool et le tabac.
Forks. 7H13.
Le dimanche matin, le Messager ne s'était non pas levé tôt pour aller passer le bonjour à Dieu mais plutôt à la nature. Dieu ou Nature, n'était-ce pas identique ? Si le bruit du feuillage des arbres, des cours d'eau et des animaux matinaux de la forêt n'étaient pas divins, alors qu'était-ce cette harmonie angélique qui apaisait à cet instant les démons du passé d'Hermès ?
Il augmenta son allure, zigzaguant entre les vieux et immenses arbres de nature différente les uns des autres. Il n'arrivait pas à réfléchir car son mal de crâne l'en empêchait.
« Qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ! », criait son cœur silencieusement.
Il fallait bien croire que le Messager n'avait pas été si lucide qu'il en avait l'air à la soirée car à l'aube, son sommeil avait brusquement pris fin, à la suite d'une courte nuit cauchemardesque. Effectivement, Zara Dormine n'avait pas arrêté de le hanter dans ses rêves. Mais voilà que même éveillé, Hermès revoyait en boucle toute la soirée, comme s'il avait été projeté dans le futur et que ses yeux faisaient défiler devant lui sur un grand écran, toutes les scènes de cette nuit froide.
Une soirée où il avait atterri par on-ne-sait-quel-hasard dans le 4x4 de Zayron Kalloway. Tout cela parce qu'Abram Calton avait été ravi de voir enfin son pote sympathiser avec d'autres adolescents du coin paumé qu'était Forks. Alors, Calton l'avait lui-même poussé lorsqu'il eut fallu rentrer, dans la bête de l'ennemi, claquant joyeusement la portière qui scellait Hermès à ce trio infernal. Puisqu'après tout, Zayron Kalloway avait vu en le Messager, un confrère à l'arrogance surdimensionnée.
L'Ange vengeur poursuivit sa route vers un lieu calme, visité par peu de gens, de la Sol Duc River. Cette rivière de cent vingt-six kilomètres de long parcourait tout l'État de Washington allant du parc national Olympique à la Bogachiel River, située à quelques kilomètres de là en direction de La Push, un petit village situé dans la réserve indienne Quileute. Les deux rivières formant ainsi une troisième, la Quillayute River, terminent alors leur course dans l'Océan Pacifique.
Il avait de plus en plus du mal à respirer, l'oxygène n'emplissait plus aisément ses poumons et le dioxyde de carbone devait batailler pour être expulsé de ces derniers. Hermès courrait à vive allure depuis déjà une quinzaine de minutes, et même la fraîcheur du matin de cette ville pluvieuse ne parvenait pas assécher la sueur abondante que son corps expiait. Les souffles d'agonie du Messager s'emmêlaient avec l'harmonie environnante, angélique et démoniaque en même temps. En effet, malgré le fait qu'il transpirait à volonté, les ténèbres glacés de la forêt s'agrippaient constamment à ses jambes dénudées, allant jusqu'à même se nicher sous son short de sport ou son vieux maillot de plongée en latex.
Hermès pouvait enfin entendre le son paisible de la rivière qui lui murmuraient d'une voix mielleuse à son oreille de venir pleinement les embrasser. Encore quelques arbustes et zigzags par-ci et par-là, et ni une ni deux, l'adolescent plongea dans l'eau froide de la Sol Duc River, en lâchant un grognement de colère quand la fraîcheur atteignit son buste avant de le dévorer entièrement.
Il resta ainsi en apnée, en étoile de mer, abandonnant son âme aux profondeurs de l'eau mais défiant du regard, à travers le liquide translucide, la hauteur des cieux tandis que ses muscles se détendaient un à un.
Hermès s'en voulait à mort.
L'Ange vengeur voulait s'en prendre à la version stupide de lui-même qui avait foncé tête baissée dans le jeu de Zara Dormine. Il avait été irréfléchi, con d'avoir été si effrayé par le fait que cette fille s'intéressait à Hermès — au point de se servir de Willey Graham — qu'il avait de son propre chef fait ami-ami avec ce trio d' « excités », comme il aimait si bien les qualifier.
Hermès commença soudainement à s'agiter sous l'eau, étant à bout d'oxygène. Ensuite, l'adolescent nagea promptement vers la surface de l'eau, et inspira grandement lorsque sa tête émergea enfin, les yeux rougis et un air ahuri peint sur le visage.
La gaffe de trop se refléta à cet instant sur l'eau, rejouant la scène où Hermès avait révélé au trio son identité alors qu'il sombrait peu à peu dans les bras de Morphée, avachi sur le siège arrière du 4x4 de Zayron Kalloway : « c'est à moi que tu t'adresses ?...Josh, c'est bien ça ?...Moi ? Qui suis-je ?...Kris... Doyle. »
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