"Je fais des insomnies la nuit parce que je ne sais pas comment je me sens"

- Let it go, Rhodes (ft. Birdy)

Lycée de Forks. 7h40.

Adossée à l'entrée du lycée sur la portière du 4x4 de Zay, je dévisageais chaque élève vers qui mon intuition me guidait. Et si submergée par mes pulsions de détective improvisé depuis septembre, j'en vins même à oublier de râler auprès de Josh lorsqu'il se permit de remonter la fermeture éclair de mon pull à capuche gris foncé du film Léon.

— Tu cherches qui du regard ? Ton Hermès adoré ?

Zay n'avait pas même eu de réponses à sa question que Josh murmura langoureusement le nom d'Hermès dans mon oreille. Il gloussa, tel un gamin fier d'avoir trouvé la bonne réponse à la question du professeur. Mais, actuellement il n'y avait ni professeur ni vraie question. Nous savions déjà tous les trois que j'avais désigné cette année comme étant celle de la chute d'Hermès, exactement ce qu'il faut pour rendre notre dernière année de lycée palpitante. Les deux dernières années passés à bien rire des petites magouilles héroïques du Messager étaient dorénavant révolues.

Il fallait que quelqu'un élabore la scène dramatique matinale du siècle en démasquant l'Ange. Et qui d'autre excepté moi, Zara Dormine, la photographe officielle du lycée, pouvait le faire ?

Mais bon sang, à présent j'avais les jetons.

Hermès avait-il pris sa retraite ?

La sonnerie retentit, à notre plus grand agacement, les mecs et moi. Josh écrasa rapidement son mégot de cigarette au sol avant de le balayer vers le dessous du 4x4.

— Rappelle-moi de t'inscrire au groupe de discussion sur la protection de l'environnement, le taquinai-je malgré mon envie de meurtre.

Il feignit un haut le cœur suite à mes propos. Cependant, Zay ne put s'empêcher de lui donner un petit coup dans le ventre pour réellement l'amener à régurgiter son sandwich. Le pauvre sandwich au saumon qu'il avait ingurgité juste avant de fumer sa clope. Nous étions tous les trois dans un fou rire lorsque des cris de gonzesses se firent soudainement entendre en haut des escaliers extérieurs du lycée.

L'Ange vengeur avait-il enfin frappé ?

***

Lycée de Forks. 7h47.

Hermès abaissa sa capuche et se mêla au groupe d'élèves regroupés près du parking vélo.

      Grenda Fallenson, mignonne rousse, dernière année de lycée. Autrement dit, une sénior. Fallenson était en couple avec un certain Isaac McFray, un des joueurs de l'équipe de base-ball. McFray avait développé sa musculature durant les vacances d'été et sa popularité avait grimpée en flèche depuis le retour des vacances. Quelle stupidité.

     Il scruta Grenda de là où il se tenait, sceptique, une main soutenant son sac à dos et l'autre jouant dans la poche avant de son pull à capuche noir. Tout comme les quelques élèves qui s'étaient précipités à l'entente du cris agaçant de l'adolescente hystérique, Hermès attendait de connaître la suite des événements. Il ne s'en cachait pas. Sa curiosité l'avait étrangement aussi menée vers la provenance du bruit et elle en fut encore plus grande lorsqu'il y avait découvert l'auteure de tout ce grabuge matinal : la fille dont le petit ami se tapait un mec, avait-il instinctivement pensé.

— Willey Graham ! s'écria-t-elle, rouge de colère tandis que sa chevelure cuivre virevoltait au rythme du vent.

     Il lâcha un rictus difficilement refoulé tandis que les derniers élèves curieux s'approchaient. Hermès dirigea son regard, tout comme le public entier, vers l'accusée de Fallenson, qui était sereinement en train de ranger son vélo : Willey Graham, afro-américaine dont la beauté inouïe était le résultat d'un mixage des plus originales. Une afro-américaine thaïlandaise, une beauté qui avait, en un mois, accaparé le regard de plus de la moitié des adolescents pubertaires de la petite ville de Forks. Willey Graham. Troisième année fraîchement venue de New-York et en un mois, elle s'était déjà fait une renommée, et pas des plus prestigieuses.

Elle ôta ses écouteurs d'un mouvement brusque et se retourna vers Fallenson, d'un air affreusement enquiquiné.

— Un problème, Fallenson ?

     Le Messager tourna les talons, soudainement pris d'une envie de s'éloigner de toute cette comédie. À quoi bon, se disait-il, il connaissait déjà toute l'intrigue qui allait s'y dérouler. Cependant, il ressentit tout de même un brin de culpabilité en lui, celle d'avoir plongé une innocente — qui plus est, pas la plus angélique soit-elle — dans un nouveau amas de problèmes d'adolescents.

    Il aurait peut-être dû éparpiller des photos d'Isaac McFray et de son amant dans le couloir du lycée, douta-t-il une fraction de seconde avant de retrouver sa raison.

    Tandis qu'il continuait de se frayer un chemin dans la foule d'adolescents, le sac d'Hermès cogna légèrement l'appareil photo qui était accroché à l'épaule d'une fille, un précieux Canon EOS 1000D. Il grommela un rapide "pardon", sans se soucier de la suite des événements, avec l'unique désir de tracer sa route vers son casier.

Lycée de Forks. 11h45.
Salle de Biologie.

La sonnerie annonçant l'heure du déjeuner retentit et le Messager se retenait presque de crier un Alléluia.

    Il enfouit ses feuilles de cours dans son vieux sac bleu couleur fond d'océan à la vitesse de l'éclair. Puis, sans tarder, ses pas l'élancèrent vers la sortie de la salle mais juste avant de franchir le seuil de l'embrasure de la porte, M. Collin le stoppa net dans sa course.

    Il marmonna dans sa barbe avant de machinalement arborer un sourire puis pivota sur lui-même afin de faire face à son professeur d'histoire. A son plus grand malheur, ce dernier se contenta seulement de lui lancer un rapide sourire bienveillant, tout en hochant sa tête d'un seul mouvement, signe qu'il devra attendre que la salle se vide.

     Hermès serra inconsciemment sa mâchoire mais se résolut malgré lui à se rapprocher du bureau de M. Collin. Son regard ours brun rencontra celui de son meilleur ami, lui, rieur, vivant et scintillant de ses éternels reflets de nature verte. L'adolescent n'eut pas le temps de demander à son ami de lui réserver une place au réfectoire que M. Collin s'adressa à lui sur un ton émerveillé :

— J'ai lu ton projet personnel sur la protection des forêts primaires, entama le quadragénaire tout en fourrant son stylo plume dans son sac en cuir marron avant de faire réellement face à l'adolescent. Je dois t'avouer que j'ai grandement été surpris par la richesse d'informations et ton approche plutôt mature voire scientifique de l'environnement.

     Hermès se contenta de hocher la tête, à la limite entre la gêne et la fierté d'être complimenté pour son travail. Le professeur poursuivit, en faisant fi de la teinte rosée qui colorait au fur et à mesure les joues du jeune homme.

— Tu vas même jusqu'à étendre ton sujet sur la découverte et la protection des êtres vivants encore inconnus du monde ! s'exclama enthousiasment le professeur avant de tomber soudainement dans l'incompréhension totale.

    En effet, M. Collin ne comprenait pas la raison pour laquelle le garçon refusait de rejoindre le groupe de discussion sur la protection de l'environnement. Il était même sûr et certain qu'il s'y plairait bien.

    Il se tut. Et, pour la milliardième fois depuis qu'il était entré au lycée de Forks, il se limita à ressortir la même réponse désinvolte : je n'aime pas les groupes.

     Le Messager sentit ses poils se hérisser inopinément sous son pull, comme à chaque fois que ces souvenirs refaisaient surface; à croire que le seul fait d'entendre ou de prononcer le mot "groupe" réveillait ses démons du passé. Il se répéta, pour être sûr que M. Collin avait bel et bien entendu. Mais à vrai dire, Hermès savait au plus profond de lui qu'il le faisait pour le repos de sa propre conscience.

« Je n'aime pas les groupes. »

      Une phrase si simple aux premiers abords mais tellement significative pour Hermès que la résonance de ses mots alerta son professeur, lui insinuant de se mêler de ses affaires.