"Hey, si tu avais une chance, une opportunité, de saisir tout ce que tu as toujours voulu, en un instant, la saisirais-tu ou la laisserais-tu passer ?"

- Lose Yourself, Eminem

Il avait l'impression d'errer éternellement au fin fond de l'océan Pacifique, son âme enfin abandonnée aux démons de l'insouciance qui cherchaient désespérément à l'emporter avec eux.

       Hermès n'arrivait pas à oublier le tragique événement, survenu dans son ancien lycée, qui avait scellé son être entier à une jeune fille à présent six pieds sous terre. Car au plus profond de lui, il savait qu'il en était le responsable. Oui. C'était lui, et lui-seul, qui était à l'origine de ce jour tragique durant lequel des policiers avaient débarqué en trombe dans l'enceinte de l'établissement, pour récupérer le corps inerte de la fille bouffie au regard vert nature. Cette élève là dont le rêve était de rendre la planète un peu meilleure qu'elle ne l'était. Pourtant, tout le monde au sein de ce lycée de Seattle se contrefichait éperdument des rêves les plus extravagants et naturalistes de cette marginalisée, lui le premier.

        Alors, après une fuite lamentable de la plus grande ville de l'État de Washington pour se réfugier dans la petite ville de Forks, l'existence du garçon se résumait dorénavant à une pièce de théâtre dramatique. Sa vie s'était transformée en une représentation dans laquelle il jouait à merveille le rôle d'un adolescent ordinaire, c'est-à-dire, sans blessures internes. Et aujourd'hui, tout ce qui permettait à Hermès de ne pas sombrer dans l'oubli, n'était que son rôle de Messager au sein du lycée de cette ville.

        Le concept de Messager ? Il s'était inspiré du dieu grec Hermès à la différence que lui n'était non pas au service des dieux, mais à celui des élèves victimes de harcèlement en tout genre. Mais, née d'une bonne intention, son activité secrète était à présent entre les mains d'adolescents insouciants à l'instar de ceux qu'il avait abandonné deux ans plus tôt. Et à présent, Hermès était sûr d'une chose, il les haïssait incontestablement, ces jeunes et ces démons de l'insouciance qui en bouffaient plus d'un. Car voilà qu'il était considéré malgré lui comme étant « L'Ange vengeur » du lycée de Forks.

Mais vous,

souhaitez-vous faire appel à Hermès ?

Peu importe votre réponse, Grenda Fallenson, elle,  avait manifesté le désir de faire appel, non pas à Hermès, mais à l'Ange vengeur.

Quelque part dans la forêt de Forks.

      Il rabâcha une nouvelle fois sa capuche sur sa tête. Le vent s'était levé en même temps que le coucher du soleil avait, pendant une fraction de seconde, captivé l'attention d'Hermès qui s'enfonçait de plus en plus dans les bois en fusant vers la cabane abandonnée. Le vent qui venait dans le sens inverse, se rabattait avec une si grande violence sur son visage à moitié couvert d'un masque noir que des larmes se mirent à couler.

✉️« Salut Hermès, c'est Grenda Fallenson... »

      Quelques branches d'arbres qui se trouvaient sur sa route craquaient aussitôt sous le poids de son corps. L'air de la forêt de Forks, comme toutes les forêts d'ailleurs, boostait à fond ses poumons à tel point qu'il avait l'impression de contrôler la nature.

✉️« Willey est sûrement encore en train de se taper mon mec en ce moment... »

      La cabane rentrait enfin dans son champ de vision. Le Messager entreprit dès lors de ralentir afin de n'éveiller ni l'attention des deux tourtereaux ni celui d'un quelconque animal. Ils devaient être pris sur le fait; en plein action. Évidemment, Hermès allait prendre soin de camoufler ce qu'il y aura à dissimuler; ce qui lui rajoutera des minutes voire des heures en plus de "travail" mais c'était nécessaire de le faire sinon il trahissait la vision de sa propre activité. Il n'avait plus qu'à espérer que les deux individus soient à moitié couverts d'un drap.

✉️« Je suis sûre et certaine qu'ils sont dans la cabane abandonnée de la forêt... »

      Il s'arrêta net dans sa course; course devenue une marche au fur et à mesure qu'il se rapprochait du rectangle boisé. L'expéditeur du mail reçu il y a une heure avait bel et bien raison. Car, de là où il était à moins d'une dizaine de mètres de la cabane, Hermès pouvait entendre clairement les gémissements aiguës de la soi-disant Willey ainsi que les grognements graves de son partenaire.

✉️« Il me faut des photos d'eux pris sur le fait ! »

      Ses pieds se soulevaient aussitôt qu'ils avaient foulé la terre, ses bras balançaient d'avant en arrière au même rythme de ses pas. Ayant atteint le dessous d'une fenêtre, l'Ange vengeur intenta de jeter un coup d'œil à travers la vitre poussiéreuse qui s'offrait à lui. Et alors qu'il s'attendait à apercevoir LA dénommée Willey en train de se taper le mec de cette Grenda, Hermès eut droit d'assister à une scène intime entre deux jeunes-hommes.

✉️« S'il te plaît...? »

     Hermès sortit son cellulaire après avoir soupiré, grandement exaspéré, car il venait de parcourir des kilomètres pour finalement rentrer chez lui avec une carte mémoire vide. Il ouvrit le dernier mail reçu et rédigea un rapide, court et neutre message à destination de Grenda Fallenson : « Tâche impossible à réaliser. »

***

Forks. 21h07.
À 20min en vélo du lycée.

La sangsue de Josh Lammington et de Zayron Kalloway, et la simple photographe du lycée, voilà ce que j'étais aux yeux de tous. Le nom de Zara Dormine n'était prononcé que dans ce milieu clos.

« Vous pensez quoi d'Aikaïla Starwiaski ? », nous demanda Josh, les yeux toujours rivés sur le plafond de ma chambre.

     Allongée aux côtés de Josh, le seul homme aux traits les plus angéliques du lycée, je l'écoutais à moitié me parler de ses amusements. Mais où te caches-tu, Hermès ? Cela faisait plus d'un mois qu'on avait entamé notre dernière année de lycée et toujours aucun signe de vie d'Hermès. Rien, nada, que dalle. Le lycée était morne, sans vie. Sans sa scène dramatique matinale. Sans potins révélés.

En d'autres termes, sans signe d'Hermès.

— Jamais entendu parlé d'elle, murmurai-je.

     Le micro-onde du rez-de-chaussée émit son éternel bruit agaçant pour la énième fois. Ce fut alors que Josh, après m'avoir dévisagé amèrement, se décida au plus grand bonheur de Zay et moi, d'aller sortir le paquet de pop-corn qui s'y trouvait.

      Sans plus attendre, je descendis machinalement de mon lit et allai ouvrir la fenêtre de ma chambre. Josh était un sacré frileux. Suite à mon action, Zay, assis à mon bureau, laissa échappé un rictus moqueur avant de remercier ma grande sagesse. Je parcourrai du bout de l'index le rebord de ma fenêtre crasseuse et inspirai le plus lentement possible tout l'air que mes poumons pouvaient emmagasiner. Et l'espace d'un instant, j'en vins même à oublier la présence de Zay qui blablatait depuis trop une éternité à mon goût, disant ô combien la nouvelle proie de Josh en valait la peine. Elle était, selon lui, si pure que sa lumière brillait à des années-lumière et ne demandait qu'à être explorée par les ténèbres de Josh.

— Il va se la faire, m'assura Zay avec conviction. Cette Aikaïla garde toujours la même expression cul-cul sur toutes ses publications. C'en est à gerber...

      Le chien de la voisine aboya soudainement dans la forêt d'en face, ce qui manqua de faire bondir mon cœur de sa cage thoracique. Même ce chien était plus palpitant en ce moment que ne l'était ma vie monotone.

       Les pas de Josh se mirent brusquement à résonner dans toute la maison, arrachant un grognement féroce à mes parents qui étaient actuellement au milieu de leur soirée ciné spéciale "vieilles pépites du cinéma Américain". Et ce soir, le film à l'honneur était un des années 70 du nom d'Orange mécanique. Je m'empressai de refermer en vitesse la fenêtre tandis que sur ma droite, à quelques pas de moi, le baraqué Zayron d'un mètre soixante-dix-neuf caressait amoureusement ses abdominaux couleur glace au chocolat.

— « Fais-moi part de tes rêves et je te dirai qui tu es », ça te dit quelque chose ? interrogeai-je à la fois amusée et curieuse. Cette fille semble inintéressante, choisissez-en une autre.

Mes pieds se dirigèrent inconsciemment vers lui tandis qu'une mimique déforma mon sourire. Une fois à son niveau, mon menton alla directement danser sur le crâne rasé du garçon qui s'adonnait adonné à je-ne-sais-quelle tâche saugrenue à zoomer sur des photos de la soi-disante Aikaïla Starwiaski. Un léger grincement suivi d'un claquement de la porte retentirent dans nos oreilles et l'odeur enivrante du bol de popcorn vint rapidement captiver mon odorat, détournant ainsi mon regard des magouilles de mon meilleur ami.

— Quelqu'un veut des pop-corn ? demanda malicieusement Josh, les yeux emplis d'excitation.

      Le bol de pop-corn, rouge sang, colora instantanément mes pupilles, s'entremêlant ainsi à un vert de jade qui tenait lieu de miroir brumeux. Ce miroir qui ne laissait rien transparaître était une porte en acier fermée sur les tréfonds de mon âme.