Chapitre 30.

Je jetai un regard à Elijah : bien que nerveux, il était magnifique dans son costume gris fraîchement repassé. Je le rejoignis dans l'entrée, nous étions sur le départ. Il jetait un dernier coup d'œil à la maison.

-J'ai ma mallette, j'ai mes dossiers, j'ai mon téléphone... j'ai..., énuméra-t-il pour s'assurer qu'il ne lui manquait rien.

Il semblait inquiet à l'idée d'oublier quelque chose.

-Est-ce que j'ai mon agenda?

Il me regarda comme si je pouvais répondre à sa question. Je haussai les épaules.

-Je ne sais pas, moi! Tu sais bien que je ne vais pas dans ta chambre.

Il m'écouta à peine. Il passa à côté de moi en vitesse et alla vérifier s'il avait oublié son agenda sur son bureau ou son lit. Je l'entendis grogner d'énervement.

-Non, non, je ne le trouve pas, merde!

Par curiosité, j'ouvris en soupirant sa mallette qu'il avait laissé appuyée contre le mur. La première chose que je vis en l'ouvrant, c'était bien sûr le fameux agenda!

-Ne cherche plus, je l'ai!

Elijah revint en courant, visiblement soulagé.

-Où était-il?

-Dans ta mallette, tu es vraiment distrait, hein?

Il ne me répondit pas. Je levai les yeux au ciel. Il était beaucoup trop pris par sa réunion pour moi. Discrètement, je plongeai ma main dans la poche de mon veston et appuyai sur le bouton principal d'une certaine télécommande...

L'effet fut immédiat. Elijah se mordit la lèvre inférieure et étouffa un gémissement, semblant lutter contre lui-même. J'appuyai à nouveau sur le bouton et il me fusilla du regard une fois les élans de plaisir qui comme autant de chocs électriques eurent cessé de le parcourir.

-À quoi tu joues, bon sang!?

Je lui offris mon sourire le plus innocent.

-Rien, je voulais simplement tester la marchandise!

-Satisfait?

-Très!

Je souris à pleine dent. Il soupira, las, récupéra sa mallette et poussa la porte de notre condominium. Je lui emboîtai le pas et le laissai verrouiller derrière nous. Je ne savais pas à quoi il pensait, mais j'espérais que c'était davantage à la télécommande au fond de ma poche qu'à la réunion qui approchait de minute en minute.

***

La réunion se déroulait au trentième étage d'un édifice dans un local loué pour l'occasion. La rencontre devait se faire en terrain neutre, voilà pourquoi tout le monde s'était mis d'accord pour que ce se passe ici.

Une fois devant la porte, Elijah prit une énorme respiration.

-Courage, lui dis-je, tu vas faire un malheur!

Il espéra que ce soit vrai et entra dans la pièce, moi derrière lui.

Dire que l'ambiance était tendue aurait été un euphémisme. Son père était déjà assis au tour de la grande table. Il y avait également un homme que je ne connaissais pas à l'allure effrayante, je présumé qu'il s'agissait de son oncle. Sa mère était aussi là, assise à côté de son père et, de toutes les personnes présentes, ce fut sa vue à elle qui me coupa le souffle. Un hématome violacé qui paraissait encore malgré le fond de teint qu'elle avait appliqué couvrait sa joue droite et remontait jusqu'à son œil.

Je sentis Elijah se raidir à mes côtés. Lui aussi, il l'avait vu. Je sus qu'il se retint de frapper son père sur le champs. Il serra les poings et je lui attrapai la main, la pressant dans la mienne en guise de solidarité.

Nous prîmes place en face de son père. Ce dernier nous jeta un regard d'une froideur incommensurable, mais celui d'Elijah reflétait la même. Son oncle, quant à lui, il avait une expression que je n'arriverais pas à décrire. Il avait l'air profondément amusé par la situation et une lueur vicieuse planait au fond de son regard. Il me donnait des frissons dans le dos. Je voyais en lui un homme sadique.

-Elijah, dit-il, tu n'as pas changé d'un poil depuis la dernière fois... Tu devrais venir me rendre visite plus souvent...

Cette phrase aurait pu être anodine, mais au vu des circonstances, elle était tout sauf innocente. Elijah serra la mâchoire avec force, se retenant pour ne pas réagir, sachant que le provoquer et le pousser à faire une gaffe était tout ce que voulait les gens autour de la table.

Au même moment, la porte s'ouvrit et Rob arriva.

-Je suis désolé pour mon retard, j'ai dû déposer Léa chez sa mère avant de venir, dit-il en refermant derrière lui avant de s'interrompre en prenant conscience de la tension qui régnait dans la pièce, oulah, il y a de l'ambiance ici!

Personne n'aurait cherché à le contredire. Il déposa ses choses sur sa chaise près de Elijah.

-Les gens de Cromwell sont en bas, ils vont monter d'une seconde à l'autre, rajouta-t-il.

Tout le monde hocha la tête, mais personne ne parla. Rob se laissa lourdement tomber sur sa chaise et commença à feuilleter quelques dossiers. Il passa une feuille à Elijah qui se pencha dessus avec curiosité. Bientôt, la salle fut remplie de murmures. Chacun parlait à son avocat en chuchotant, de peur que l'équipe adverse entende un bout de leur plan d'action.

Quelques minutes plus tard, la porte se rouvrit et un attroupement de personne en smoking entra. Ils avaient tous un air incroyablement sérieux sur le visage. Ils s'assirent autour de la table aux places restantes. Un homme un peu rondelet portant des lunettes prit la parole.

-Les entreprises Cromwell sont très heureuses d'avoir deux offres généreuses comme les vôtres pour son rachat. Nous souhaitons que nos employés conservent leur poste au sein de la compagnie et que celle-ci reste à flots également. Nous sommes les leaders dans la pose et la vente de système d'alarme haute-performance. Nous avons récemment vendu de l'équipement à la Maison Blanche, vous pouvez imaginer les chiffres de vente que cela représente.

Nouveau hochement de tête général.

-Au vu de tout cela, nous voulons nous assurer que l'administration nouvelle de la compagnie soit ce qu'il y a de mieux pour ceux qui y travaillent. Quelqu'un se sent d'attaque pour faire sa présentation en premier?

D'emblée, l'oncle d'Elijah se leva avec son porte-document, un sourire arrogant aux lèvres. Je grimaçai en baissant la tête. Cet homme, je le détestais déjà. Il s'installa et commença à parler. Je devais avouer que je ne comprenais pas grand-chose à tous ces graphiques et statistiques, mais la salle au grand complet semblait impressionnée ou, du moins, c'est l'impression que ça m'en donna.

-Il est bon..., murmura Elijah à mon oreille, stressant encore plus pour sa propre présentation en sachant à quoi il allait devoir se mesurer.

-Tu es bon aussi, lui répondis-je à voix basse tout en levant les yeux au ciel parce que c'était une évidence.

J'avais pleinement confiance en lui, mais Elijah ne semblait pas partager mon avis. Il relocalisa son attention sur la présentation de son oncle, se mordant la lèvre inférieure et la jambe qui tremblait. Je reconnaissais là pleinement les signes d'une angoisse morbide. Autrement dit, il était temps d'utiliser mon arme secrète!

Je plongeai la main au fond de ma poche, sachant pertinemment ce que j'allais y débusquer. Mes doigts trouvèrent le bouton de la télécommande et, lentement, l'activèrent. Je vis instantanément le poing de Elijah se serrer sur sa cuisse et ses doigts se refermer brutalement sur son crayon. Il se mordit plus fortement la lèvre et me lança un regard appuyé qui signifiait « mais à quoi tu joues?! ». Je me contentai de hausser les épaules avec un sourire aux lèvres. Le père de Elijah jeta un regard toujours aussi froid dans notre direction, mais s'il fronça les sourcils, il ne sembla pas notifier quoique ce soit. Tant mieux, d'ailleurs. Elijah appuya sa tête contre le dossier de sa chaise, tentant d'être discret.

Je m'amusai encore un peu avec lui, l'amenant aux limites de la tolérance : jusqu'à ce que je vois une bosse dans son pantalon sous la table, en réalité. Cependant, toute bonne chose avait une fin et quand je jugeai que Elijah ne pensait définitivement plus à la présentation de son oncle et qu'une seconde de plus lui suffirait pour jouir dans son sous-vêtement, je fis cesser sa douce torture d'un doigt magique sur le bouton.

Je pouvais presque lire « Bon Dieu! » dans ses yeux. Il se détendit immédiatement et lâcha un petit soupir de soulagement.

Au même instant, son oncle remercia son public de l'avoir écouté, ramassa ses choses et alla se rasseoir à sa place. Les membres des entreprises Cromwell invitèrent alors Elijah à se lever. Il prit tous les documents de Rob et se dirigea à l'avant. Mon meilleur ami lui avait proposé de faire cette présentation à sa place, mais Elijah avait tenu à faire ça lui-même.

Et il se débrouillait bien. Mieux que bien, même. Je fis de mon mieux pour le suivre et comprendre ce qu'il disait et, au fil des mots, je compris pourquoi il faisait un si bon chef d'entreprise. Il avait ce charisme si particulier et cette facilité à charmer les gens en un clin d'œil. Plus il avançait dans sa présentation, plus il semblait assuré et son stress disparaissait de lui-même.

Au final, il fit très bien ça et je l'applaudis quand il eut fini. J'étais le seul à le faire, mais je m'en fichais. Mon regard s'ancra dans le sien et ses pommettes se colorèrent d'un joli rosé. Il vint reprendre sa place auprès de moi et les membres des entreprises Cromwell se levèrent.

-Si vous le permettez, nous allons délibérer et nous vous reviendrons avec le résultat dans une vingtaine de minutes.

Ils sortirent à la file indienne du local. L'ambiance redevint aussi tendue qu'au départ et, soudainement, mon téléphone portable sonna dans le silence de la pièce. Un peu embrassé, je me levai.

-Je sors pour répondre, dis-je en me faufilant discrètement à l'extérieur.

Je m'adossai contre le mur et observai fixement le numéro qui apparaissait sur l'afficheur. C'était un numéro que je ne connaissais que trop bien, mais que je n'avais pourtant pas composer depuis de longues années... Une boule au ventre, j'apportai le combiné à mon oreille.

-Allô, papa?